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Histoire des Météores/Chapitre 9

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chapitre ix.
météores acqueux.

Formation des brouillards, des nuages ; différentes espèces de nuages : cirrus, cumulus, stratus, etc. — Nuages au sommet des montagnes ; suspension des nuages dans l’atmosphère ; formation subite de nuages dans un ciel serein. — De la pluie : pluies de sang, de soufre, de poussière, de graines et d’animaux. — Du serein ; de la rosée ; de la glace ; du givre ou gelée blanche ; du verglas ; de la neige ; du grésil. — Observation relative à la température des hivers. — De la grêle. — Comment se forment les grêlons ; expériences de M. l’abbé Sanna-Solaro ; comment dans nos saisons et les climats chauds se produit le froid qui forme les grêlons. — Théories de la grêle les plus récentes. — Curieux transport de la chaleur.

I.

De l’humidité de l’air et de la variation de la température naissent un grand nombre de météores très curieux, qui nous frappent à peine, parce qu’ils se présentent fréquemment à nos observations, mais qui n’en sont pas moins admirables par leur production et par leurs effets. Tels sont les brouillards, les nuages, la pluie, le serein, la rosée, la glace, la neige, la grêle.

La vapeur d’eau, qui se condense en subissant un abaissement de température, forme le brouillard. Cette espèce de fumée humide qui s’élève d’un vase d’eau chaude est un véritable brouillard, dont la nature ne diffère nullement des brouillards élevés sur les mers, les lacs, les rivières.

Fig. 36. — Brouillard d’horizon tranchant sur le soleil.

Au moment de la formation de la vapeur d’eau, si la température de l’air est plus basse que celle de la vapeur, celle-ci se condense par le refroidissement et apparaît sous forme de brouillard.

Toutes les fois qu’un air chargé de vapeur rencontre un corps dont la température est moindre que la sienne, il en est de même.

Telle est la cause des brouillards que l’on rencontre fréquemment sur les rivières, pendant l’été, après une pluie d’orage ; l’air, saturé d’humidité, est plus chaud que la surface de l’eau, et dès qu’il approche des lieux où la fraîcheur de la rivière se fait sentir, la vapeur d’eau qu’il contient se condense et devient visible.

On peut de même expliquer pourquoi l’haleine ternit une glace, pourquoi pendant l’été, une bouteille sortant de la cave se couvre de vapeur condensée.

II.

Les nuages sont des amas de brouillards plus ou moins épais, suspendus à diverses hauteurs dans l’atmosphère, quelquefois immobiles, souvent emportés par des courants d’air ou par des vents impétueux. Les brouillards qui se forment à la surface de la terre ou dans les airs, deviennent des nuages lorsqu’ils sont rassemblés et entraînés par les vents sans être dispersés.

La forme, l’apparence et la disposition des nuages paraissent si variées, qu’il semble difficile d’établir entre eux une classification ; cependant on les a ramenés à trois types principaux : les cirrus, les cumulus et les stratus (fig. 36).

On donne aux différentes modifications de ces nuages les dénominations de cirro-cumulus, cirro-stratus, cirro-cumulo-stratus ou nimbus, nuages orageux et pluvieux.

Les cirrus se composent les filaments déliés, dont l’ensemble présente l’aspect, tantôt d’un pinceau, tantôt de cheveux crépus, tantôt d’un réseau délié ; ces nuages sont appelés queues de chat par les marins, et sont souvent d’un mauvais présage, surtout dans la mer des Indes pendant l’hivernage ; ils annoncent parfois l’apparition de ces terribles ouragans qui entraînent dans leur course la désolation et la mort.

Les cumulus, ou nuages d’été, se montrent ordinairement sous la forme de demi-sphères reposant sur une base horizontale. Quelquefois ces nuages s’entassent les uns sur les autres, et forment à l’horizon des groupes considérables ressemblant de loin à d’immenses montagnes couvertes de neige.

Les stratus se composent de bandes horizontales, qui se forment ordinairement au coucher du soleil, pour disparaître à son lever.

Dans les jours d’été, où le ciel est couvert de cumulus, vers le soir les nuages s’aplatissent et se transforment en stratus qui redeviennent cumulus au lever du soleil.

Les cumulus peuvent donc être considérés comme des nuages de jour et les stratus comme des nuages de nuit.

Les nimbus présentent des formes tellement mélangées que l’on n’en reconnaît aucune ; ils sont comme des brouillards épais.

Lorsque les nuages sont bien caractérisés, il est facile de les distinguer les uns des autres ; mais il arrive souvent qu’ils changent d’état : il devient alors difficile de les classer d’une manière certaine.

L’aspect des nuages dépend de certaines modifications atmosphériques et fournit des indications précieuses sur les changements de temps à venir. Ces changements sont soumis à des lois qui ne nous sont encore que très peu connues ; cependant rien ne se produit dans la nature par l’effet du hasard, et c’est en étudiant avec persévérance ces phénomènes que nous pourrons faire quelques pas dans la connaissance des lois qui les régissent.

III.

Le fait de la suspension des nuages dans l’atmosphère a, de tout temps, étonné les hommes.

Il est, en effet, difficile de comprendre comment ces masses immenses, qui se résolvent en torrents de pluie, peuvent rester suspendues au sein des airs.

On avait supposé d’abord que les vésicules qui constituent des nuages étaient remplies d’un gaz moins dense que l’air atmosphérique, et que chacun de ces petits corps se trouvait dans le cas d’un aérostat rempli d’hydrogène ; mais l’analyse chimique est venue détruire cette explication, en montrant qu’il n’y avait dans les nuages aucun gaz différent de l’air ordinaire.

D’après Fresnel, l’air interposé entre les vésicules d’un nuage se trouverait réuni par une sorte d’action capillaire, de manière à former avec toute la vapeur vésiculaire comme un même ensemble flottant au milieu de l’air environnant ; les rayons solaires, rencontrant un nuage, ont plus d’action pour échauffer cette masse qu’ils n’en ont pour échauffer une quantité d’air parfaitement transparent, dans lequel il ne se fait aucune réflexion ; il en résulterait donc que le nuage se trouverait dans le même cas que les montgolfières, lesquelles on produit une dilatation au moyen d’un foyer de chaleur.

« Toutes ces suppositions sont inutiles, dit M. l’abbé Raillard ; la suspension des nuages s’explique tout naturellement par l’état de division extrême dans lequel se trouve l’eau disséminée dans l’air, sous la forme de globules liquides très petits, ou de cristaux de glace très fins[1]. »

IV.

M. Rozet, qui a spécialement étudié la formation des nuages, s’exprime ainsi, dans son excellent Traité de la pluie en Europe :

«Le 21 mai 1850, à Orange, j’ai eu un très bel exemple de la formation des nuages par le refroidissement de certaines régions ; il avait beaucoup plu la nuit précédente ; au lever du soleil, les flancs du mont Ventoux, depuis le sommet jusque vers le milieu des pentes, étaient couverts de neige ainsi que plusieurs montagnes voisines d’une altitude de 1 000 à 1 400 mètres. Vers huit heures du matin, à Orange, le thermomètre marquait 17 degrés au-dessus de zéro ; des cumulus blanchâtres, isolés, s’élevant du fond des vallées, disparaissaient, parvenus à une certaine hauteur ; mais autour du Ventoux et de toutes les montagnes couvertes de neige, les nuages blanchâtre, plus nombreux, se groupaient, et vers dix heures ils formaient des masses floconneuses séparées les unes des autres, qui cachaient ces montagnes. À deux heures du soir le thermomètre marquait 21 degrés au-dessus de zéro, par un temps calme ; les rayons solaires avaient entièrement dissipé ces masses de nuages, et la neige des montagnes était fondue.

« Ces faits sont une nouvelle preuve que la vapeur d’eau contenue dans l’atmosphère passe de l’état invisible ou moléculaire à l’état visible ou vésiculaire, dans une région, toutes les fois que la température de cette région vient à s’abaisser d’une certaine quantité de degrés, les nuages résultent ensuite de la vapeur vésiculaire produite.

De Saussure dit, dans son Essai sur l’hygrométrie :

« Arrêté par un vent pluvieux sur la cime ou le penchant de quelques montagnes, je cherchais à épier la formation des nuages que je voyais naître presque à chaque instant sur les forêts ou sur les prairies situées au-dessous de moi. Nul brouillard ne couvrait leur surface, l’air qui les environnait était parfaitement net et transparent ; mais tout à coup, tantôt ici, tantôt là, il paraissait quelques-uns de ces nuages, sans que jamais je pusse saisir le commencement de la formation ; dans une place que mon œil venait de quitter, où deux secondes avant il n’en existait pas, j’en voyais tout à coup un déjà grand. »

Kaemtz fait remarquer que lorsque l’on considère de loin une chaîne de montagnes on voit souvent un nuage attaché à chaque sommet, tandis que les intervalles sont parfaitement clairs. Cette apparition persiste pendant des heures et souvent pendant des jours entiers ; cependant cette immobilité n’est qu’apparente, car sur le sommet il règne souvent un vent violent, qui condense les vapeurs à mesure qu’elles s’élèvent des flancs des montagnes : lorsqu’elles s’éloignent des sommets, elles ne tardent pas à se dissiper.

Fig. 38. — Nuages du sommet des montagnes.

Dans un autre passage, le même auteur dit : « Lorsque le ciel est couvert, on remarque souvent sur le penchant des montagnes un brouillard local n’occupant qu’un petit espace ; ce brouillard se dissipe bientôt pour reparaître. J’ai pu analyser une fois, près de Wiesbaden, les circonstances de ce phénomène : après une forte pluie qui avait pénétré le sol, les nuages s’entr’ouvrirent, le soleil parut, et je vis une colonne de brouillards s’élever constamment du même point. Or, j’y courus ; c’était une prairie fauchée, entourée de pâturages couverts d’une herbe haute, qui, s’échauffant moins que la surface fauchée, donnait lieu à une évaporation moins active. »

Les nuages nous paraissent distribués dans l’atmosphère à des hauteurs différentes, et d’après les observations de plusieurs météorologistes nous devons admettre qu’il existe des nuages à environ 12 000 mètres au-dessus de la surface de la terre.

De la cime du mont Blanc on aperçoit des nuages qui paraissent encore aussi élevés que ceux que l’on voit de la plaine.

Tout le monde connaît l’ascension célèbre de Gay-Lussac, à 7 000 mètres de hauteur ; il voyait encore au-dessus de sa tête des nuages qu’il n’évaluait pas à moins de 5 000 mètres de distance.

Cependant la plus grande partie des nuages se trouvent à une hauteur d’à peu près 3 000 mètres.

V.

La pluie est le résultat d’une condensation assez forte de la vapeur d’eau formant les nuages, pour que les molécules de cette vapeur se réunissent en gouttes et tombent sur la terre.

La quantité d’eau qui tombe en pluie varie selon les climats. En général, elle est beaucoup moins forte à mesure que l’on s’éloigne de l’équateur et du voisinage de la mer, quoique les jours pluvieux soient en plus grand nombre à mesure que l’on s’avance vers le nord.

À Paris, année commune, la quantité d’eau de pluie est de 53 centimètres, c’est-à-dire autant qu’il en faudrait pour couvrir la terre à 53 centimètres de hauteur, si toute celle qui tombe dans l’année était réunie. À Saint-Domingue cette quantité est de 308 centimètres, ce qui fait à peu près six fois autant.

Dans les pays tempérés les jours de pluie sont très variables ; entre les tropiques, au contraire, les pluies reviennent aux mêmes époques de l’année, et durent de trois à six mois. C’est à elles que l’on doit attribuer les débordements périodiques du Nil, du Gange, du fleuve des Amazones et de tous les fleuves, en général, de la zone torride.

Écoutons avec quelle richesse d’idées, de grâce d’expressions, Lucrèce nous décrit les pluies vivifiantes : « Ces pluies que l’air fécond verse à grands flots dans le sein de notre mère commune et paraissent perdues ; mais par elles la terre se couvre de moissons, les arbres reverdissent, leur cime s’élève, leurs rameaux se courbent sous le poids des fruits. Les pluies fournissent des aliments aux hommes et aux animaux ; de là cette jeunesse florissante qui peuple nos villes ; ce nouvel essaim d’oiseaux qui dans les bois chantent sous la feuillée, et ces troupeaux qui reposent dans les riants pâturages leurs membres fatigués d’embonpoint, tandis que des ruisseaux d’un lait pur s’échappent de leurs mamelles gonflées ; enivrés de cette douce liqueur, les tendres agneaux s’égayent sur le gazon et essayent entre eux mille jeux folâtres. Les corps ne sont donc pas anéantis en disparaissant à nos yeux : la nature, de leurs débris, forme de nouveaux êtres, et ce n’est que par la mort des uns qu’elle accorde la vie aux autres[2]. »

On désigne sous le nom de grains des pluies de courte durée, accompagnées ordinairement de bourrasques d’autant plus dangereuses pour la navigation qu’elles surprennent les navires au milieu du calme ou de faibles brises (fig. 39).

Fig. 39. — Grain.

VI.

Les historiens anciens rapportent que des pluies de sang sont venues quelquefois porter chez tout un peuple l’épouvante et la consternation. Ces pluies n’ont point disparu avec la superstitieuse antiquité, elles ne sont même pas très rares ; mais leur couleur sanguine n’est plus qu’un phénomène dû, tout simplement, à une matière colorante que le nuage tenait en suspension. Ces pluies extraordinaires n’affectent pas toujours la couleur rouge, quelquefois même ce n’est qu’une chute de poussière sans eau. Mais quelle est la cause qui peut placer ces substances, souvent métalliques, au sein de l’atmosphère ? On a pensé que la plupart pourraient bien avoir la même origine que les aérolithes ; cependant la puissance du vent est bien suffisante pour balayer, à la surface de la terre, des amas de substances diverses, et pour les emporter à de grandes hauteurs dans les airs. À l’appui de cette dernière opinion, on cite un fait assez curieux, arrivé en Perse. Non loin du mont Ararat, au mois d’avril 1827, il tomba une pluie de grains qui, en quelques endroits, couvrit la terre d’une couche de 16 centimètres d’épaisseur. Les moutons en mangèrent d’abord, et les hommes s’enhardirent ensuite à en faire un pain, qui fut trouvé très passable. Quelques échantillons de cette graine, envoyés à Paris par notre ambassadeur en Russie, furent reconnus pour appartenir à la famille des lichens, genre de plantes qui, sous forme de pellicules, s’étendent sur les arbres, sur la surface des monuments et des rochers. La couleur sombre des vieux édifices de Paris est due à un lichen microscopique.

Souvent aussi les vents transportent à plusieurs centaines de lieues des cendres volcaniques ou la poussière des déserts.

Les pluies de poudre jaunâtre ressemblant beaucoup à du soufre pulvérisé arrivent principalement au mois de mai, et dans les pays où se trouvent des forêts de pins et de sapins. Ces arbres fleurissent au mois de mai, leurs fleurs se composent de chatons très serrés ; un seul chaton contient plus d’un million de grains de pollen : ce pollen, ou cette poussière de fleurs dont chaque grain mesure à peine un centième de millimètre de diamètre, a une odeur résineuse et s’enflamme facilement. Les vents la soulèvent, la chassent au loin, elle tombe ensuite sur la terre mêlée à la pluie, et produit ce que l’on prend généralement pour des pluies de soufre.

Dans les temps d’orage on a vu des phénomènes plus extraordinaires encore, comme des pluies de crapauds, de grenouilles, de poissons. Ces pluies d’un nouveau genre s’expliquent par l’action des trombes aspirant l’eau d’une mare ou d’un vivier avec ses menus habitants, qu’elle répand dans les endroits où elle vient se dissiper.

VII.

Le serein, du latin serenus, clair, est une petite pluie fine qui tombe quelquefois à la chute du jour sans être produite par des nuages.

Dans nos climats, ce phénomène se manifeste seulement pendant l’été, et presque toujours au coucher du soleil. On l’observe surtout dans les vallées et les plaines basses, à une petite distance des lacs et des rivières : il est beaucoup plus rare sur les lieux élevés.

Pendant la chaleur du jour, tous les corps humides donnent une grande quantité de vapeur d’eau, qui se répand dans l’air sans en troubler la transparence. Mais lorsque le soleil disparaît au-dessous de l’horizon, la température de l’air atmosphérique baisse de plus en plus ; la vapeur alors se condense en partie, selon le degré de refroidissement, et cette condensation produit le serein.

On peut considérer le serein comme le commencement du phénomène de la rosée.

La rosée est produite par la vapeur d’eau contenue dans l’air et condensée par son contact avec les corps suffisamment refroidis.

La terre, échauffée pendant le jour par les feux du soleil, rayonne pendant la nuit vers les espaces célestes une partie de la chaleur qu’elle avait reçue ; il en est de même des végétaux et des différents objets placés à la surface du globe. Cette déperdition de chaleur peut être telle que la température de ces corps devienne plus basse que celle de l’air environnant, la vapeur d’eau contenue dans l’air, se trouvant alors en contact avec des corps suffisamment refroidis, se condense et se dépose à leur surface.

Pour que la rosée puisse se produire, il faut que le ciel soit serein. S’il est couvert, les nuages réfléchissent vers le sol la chaleur que la terre leur envoie, et mettent ainsi obstacle à son refroidissement.

Une légère agitation dans l’air qui renouvelle les couches à mesure qu’elles passent à l’état de saturation par leur contact avec la surface de la terre, favorise encore singulièrement la formation de la rosée : un vent violent l’empêcherait de se former.

La rosée ne se répand pas également partout ; il y a des corps qu’elle semble éviter, tels que les corps polis. Il en est d’autres sur lesquels elle semble se reposer de préférence : les corps ternes et dépolis, par exemple. Cela tient à ce que tous les corps ne se refroidissent pas au même degré ; ceux qui se refroidissent davantage condensent plus de vapeur, et se couvrent par conséquent d’une rosée plus abondante.

La rosée se remarque principalement pendant les belles nuits d’été ; elle remplit l’air d’une délicieuse fraîcheur, et se rassemble en gouttelettes sur les feuilles des plantes et dans la corolle des fleurs ; aux premiers rayons du soleil levant cette rosée se transforme en vapeur, et remonte en partie dans l’atmosphère d’où elle était descendue.

VIII.

La glace est de l’eau à l’état solide. L’eau prend cette forme à un abaissement de température qui commence à zéro et au-dessous ; cependant lorsqu’elle est parfaitement tranquille, on peut quelquefois la faire descendre à plusieurs degrés au-dessous de zéro avant qu’elle se solidifie. Les rivières ne se gèlent que par un froid de 7 à 8 degrés au-dessous de zéro et persistant.

L’eau en se congelant augmente considérablement de volume ; c’est pour cela que la glace est plus légère que l’eau.

Par l’effet de cette augmentation de volume, on a vu des canons de fer très épais, remplis d’eau et exposés à la gelée, éclater en plusieurs endroits. Lorsque l’eau qui s’infiltre dans les fissures des rochers vient à se congeler, elle fend quelquefois des masses énormes de pierre, d’où le dicton : Il gèle à pierre fendre. C’est ainsi que l’on peut expliquer les dégradations qu’éprouvent les pierres de taille, les tuyaux de conduite, les corps de pompe, etc., par l’effet des fortes gelées.

M. Boussingault a exposé à l’Académie des sciences de nouvelles expériences sur la congélation de l’eau. Il rappelle que la force avec laquelle l’eau tend à se dilater pendant la congélation est considérable, puisqu’elle doit être égale à la pression qu’il faudrait exercer sur un morceau de glace pour en diminuer le volume de 0,08. Cette force d’expansion est capable de briser les enveloppes les plus résistantes. Les académiciens de Florence, en exposant à un froid intense une sphère de cuivre remplie d’eau, en déterminèrent la rupture, bien que l’épaisseur du métal fût de 67 centièmes de pouce. Huyghens, en 1667, fit éclater en deux endroits par l’effet de la congélation de l’eau, un canon de fer ayant un doigt d’épaisseur.

M. Boussingault a voulu reproduire ces expériences devenues classiques, en essayant de faire congeler l’eau dans un cylindre d’un métal doué d’une ténacité bien supérieure à celle du fer ; un canon d’acier, par exemple, supportant, même sous de faibles épaisseurs de parois, une pression de plusieurs centaines d’atmosphères, dans les épreuves réglementaires que l’artillerie fait subir aux canons de fusils.

Nombre d’expériences furent faites par le savant physicien, et l’acier offrit une résistance suffisante pour qu’il pût constater, conformément à la prévision théorique, que l’eau enfermée dans le canon conservait l’état liquide, malgré l’abaissement de la température, et cela par suite de l’obstacle opposé à la dilatation qui accompagne son refroidissement à partir de plus de 4° 1. Dans l’une de ces expériences, le thermomètre était descendu à 24 degrés au-dessous de 0, cependant l’eau avait échappé à la congélation, ce que l’on a reconnu à la mobilité d’une bille d’acier enfermée dans le canon. Mais lorsque l’on procéda à l’ouverture du canon, à peine eut-on commencé à dévisser le couvercle que l’on vit surgir une légère végétation de givre, l’eau gela instantanément, aussitôt que la pression qu’elle supportait fut supprimée. En chauffant le canon de manière à détruire l’adhérence, l’on en retira un cylindre de glace d’une grande transparence. Dans l’axe de ce cylindre, il y avait une rangée de très petites bulles d’air[3].

Pendant l’hiver de 1740, qui fut très long et très rigoureux, on construisit à Saint-Pétersbourg un palais de glace, de 18 mètres de longueur, sur 6 de largeur et 7 de hauteur ; l’architecture en était élégante et régulière.

Pour cette construction on prit dans la Neva des blocs qui avaient près d’un mètre d’épaisseur ; on les tailla et on y sculpta des ornements, et lorsqu’ils furent en place, on les arrosa, en dehors, d’eau colorée, qui se congela sur-le-champ, et forma ainsi des espèces de stalactites très variées.

On fit également six canons et deux mortiers avec leurs affûts entièrement de glace ; on les chargea, avec 125 grammes de poudre, un boulet d’étoupe et un de fonte par-dessus. L’épreuve s’en fit en présence de toute la cour ; le boulet alla percer à 50 mètres une planche d’environ 5 centimètres d’épaisseur ; le canon n’éclata point, bien qu’il n’eût pas plus de 10 centimètres d’épaisseur.

Un autre usage de la glace qui au premier coup d’œil paraît encore plus extraordinaire, c’est celui qu’imagina d’en faire un physicien anglais, en 1763. Il tailla un morceau de glace en lentille de plus de 3 mètres de diamètre et de 15 centimètres d’épaisseur. Il l’exposa aux rayons du soleil, et il enflamma, à plus de 2 mètres de distance, de la poudre, du papier et d’autres substances combustibles.

Il est curieux de voir que l’on pourrait mettre le feu à un magasin à poudre à l’aide d’un morceau de glace.

En Sibérie, on fait des fenêtres de glace en coupant les glaçons d’une certaine grandeur et épaisseur, comme des carreaux de verre, et en les appliquant aux cadres ou aux ouvertures auxquels ils sont destinés. Ces glaçons ne se fondent pas, quoique la chambre soit fort échauffée, parce que l’air extérieur en maintient toujours la consistance.

En hiver, les vitres se couvrent de glace au dedans et non pas au dehors. Ceci s’explique facilement : l’air de l’appartement, étant plus chaud que l’air extérieur, laisse retomber les vapeurs qu’il contient ; ces vapeurs s’attachent aux vitres, et, pendant la nuit, l’air se refroidissant elles se gèlent et forment ces belles ramifications que tout le monde connaît.

IX.

Le givre ou la gelée blanche, que l’on nomme aussi frimas, n’est que la rosée congelée sur les corps, descendus, par le refroidissement de la nuit, à la température de la glace. Le givre s’observe dans nos climats, pendant les fraîches matinées du printemps et de l’automne.

Le verglas est une couche de glace, unie, mince et transparente, formée par la pluie congelée sur le sol à mesure qu’elle tombe. Il se produit lorsque l’air est assez chaud pour donner naissance à la pluie, et le sol assez froid pour congeler cette pluie au moment où elle touche la terre.

Cependant, une nouvelle théorie a été émise dans le courant de ces dernières années. M. E. Nouel en a réclamé la priorité dans une lettre adressée à l’Académie des sciences et présentée par M. de Saint-Venant, de l’Institut :

« Dans une Note sur la théorie du givre et du verglas, imprimée au tome XI (1863), de l’Annuaire de la Société météorologique de France, page 26, dit-il, j’ai fait voir que les grands verglas ne sont pas dus, comme on le croyait, à une pluie au-dessus de zéro, se gelant en partie par son contact avec des objets dont la température est inférieure à zéro, mais qu’ils prennent naissance par suite d’une pluie à plusieurs degrés au-dessous de zéro, en surfusion, tombant à travers une atmosphère au-dessous de zéro et se congelant à la surface des objets, d’une manière continue, par l’effet de la température ambiante.

« Cette théorie a reçu une confirmation éclatante cet hiver, et cela à deux reprises différentes, à Vendôme[4] ».

La neige est de la vapeur d’eau congelée qui tombe sur la terre des régions élevées de l’atmosphère, sous forme de flocons légers de différentes grosseurs et présentant des figures variées et symétriques.

Le grésil présente de petites aiguilles de glace pressées et entrelacées, formant des espèces de pelotes assez dures et quelquefois enveloppées d’une couche de glace transparente. Il est très commun dans nos climats pendant les giboulées de mars et d’avril.

M. Marta-Beker a présenté à l’Académie des sciences, à l’occasion des gelées printanières, une note intéressante au point de vue agricole et météorologique. Il y a deux causes de gelées printanières, dit-il, l’une la plus ordinaire, appelée gelée blanche, est due au rayonnement vers les espaces célestes ; l’autre, plus rare, est amenée par des courants polaires. La gelée blanche provient de la congélation de la rosée. On sait que la rosée n’est autre chose que l’humidité atmosphérique condensée. Elle se forme sur les végétaux, par les nuits fraîches et sereines, aux dépens du calorique des plantes, qui se refroidissent par l’effet du rayonnement vers un ciel pur et froid. Si le thermomètre continue à descendre de zéro à deux degrés plus bas, la rosée se congèle, et les bourgeons rudimentaires, encore si tendres aux premiers jours du printemps, sont plus ou moins altérés. Un nuage de fumée, le moindre abri suffisent pour empêcher ou diminuer le rayonnement. Les chaleurs précoces font alors redouter la gelée, en activant trop la végétation et en amenant des orages qui peuvent refroidir assez l’atmosphère pour attirer un désastre sur les récoltes.

Les gelées blanches sévissent spécialement sur les plaines horizontales et basses, parce qu’elles offrent directement toute leur surface au ciel, tandis que les coteaux ne présentent que la projection de cette surface, projection réduite en raison de la pente ; de plus, les plaines basses étant en général plus humides que les coteaux, il s’y joint un effet plus grand de vaporisation qui augmente l’intensité du refroidissement. Il n’en est pas de même de la seconde espèce de gelées ; elles frappent les hauteurs comme les plaines et même davantage. Ces gelées sont provoquées par des courants atmosphériques qui font naître un froid pénétrant de 3 à 4 degrés au-dessous de zéro ; il atteint vignes, noyers, arbres fruitiers, légumes, seigles, en un mot toutes les plantes précoces. Comme ce courant polaire et glacial court à travers notre atmosphère de même qu’un fleuve démesurément grossi, il saisit les flancs des coteaux plus rudement encore que les sols bas, par-dessus lesquels ils passe parfois sans laisser de traces fâcheuses.

M. Marta-Beker ajoute une observation relative à la température des hivers, dont la rigueur ou la douceur lui paraissent dépendre uniquement d’une question de sécheresse ou d’humidité de l’air, lequel peut être très sec, même à l’état brumeux. D’une part, il y a un fait de rayonnement d’autant plus prononcé que le ciel est plus pur, plus dégagé et qui peut être atténué par l’interposition de nuages ; ce qui explique pourquoi, le même jour, à des distances peu considérables, le thermomètre accuse souvent des différences de froid de plus de dix degrés. D’autre part, l’atmosphère absorbant d’autant plus de chaleur solaire qu’elle est plus humide, il est naturel que des hivers très froids coïncident avec une extrême sécheresse de l’air, comme on l’a vu en 1870 et 1871. Ainsi, plus l’air est sec et pur, moins il absorbe de chaleur solaire, et plus il se refroidit par rayonnement. Dans ces circonstances, l’hiver est nécessairement rigoureux, et les dernières vapeurs d’eau en suspension se précipitent en flocons de neige, au début de chaque recrudescence de froid. C’est le manteau protecteur que la Providence a étendu au moment opportun sur la Terre[5].

X.

Les savants sont parvenus à produire dans leur cabinet, et à volonté, un grand nombre des phénomènes que nous présente l’univers. Avantage immense, qui permet de les étudier, de les observer à loisir et de se rendre compte de la marche mystérieuse qui produit leur développement. M. l’abbé Sanna-Solaro a ainsi forcé la nature à faire de la grêle quand bon nous semble.

La formation de ce météore était à l’état de problème ; aucune solution satisfaisante n’en avait été donnée ; on l’expliquait par des hypothèses qui s’évanouissent devant les expériences de la science. Le savant physicien dont nous parlons a produit ce météore sous nos yeux ; on a surpris la nature sur le fait, en sorte que l’on peut maintenant donner de ce phénomène, qui était très obscur, une théorie parfaitement exacte, fondée sur l’observation.

Jusqu’à présent on croyait que la grêle commençait par un petit point, par un petit noyau, et que des couches successives finissaient par produire des grêlons plus ou moins gros.

Cette hypothèse laisse sans explication les différents phénomènes qui accompagnent ce météore.

Les grêlons se produisent presque instantanément, à peu près tels qu’ils sont au moment de leur chute ; la congélation commence par l’extérieur du grêlon, et va ainsi de la circonférence au centre.

L’enveloppe extérieure s’étant formée, la partie du liquide qui lui fait contact se refroidit, des bulles d’air se dégagent et convergent vers le centre. Il en résulte une pression à laquelle la croûte finit par céder. La secousse détermine la congélation d’une couche nouvelle formée de deux parties distinctes : l’une privée de bulles d’air, et pour cela transparente ; l’autre opaque, par cela même que les bulles d’air s’y trouvent réunies. Ce phénomène se reproduit à chaque congélation successive (fig. 40).

Fig. 40. — Coupe de différents grêlons.

Si les grêlons atteignent le sol avant leur complète congélation, leur centre pourra être liquide ou contenir à la fois des bulles d’air, de l’eau et des filets de glace. Ce dernier cas aura lieu lorsque le liquide intérieur se refroidira très lentement, car les filets de glace ne se montrent dans l’eau qu’en pareilles circonstances.

Si la congélation s’achève brusquement, le noyau sera de la blancheur de la neige. Si le froid qui saisit les masses d’eau est intense, la croûte sera plus épaisse et plus solide ; la pression intérieure causée par la dilatation du liquide pourra augmenter de telle sorte qu’elle fasse voler les grêlons en éclat, surtout au moment où la congélation s’achève. Ceci peut expliquer pourquoi des grêlons tombent en forme de pyramide, et en même temps ces bruits particuliers que l’on entend quelquefois, comme précurseurs d’une chute de grêle.

Fig. 41. — Formation des grêlons ; appareil de M. Sanna-Solaro.

XI.

M. l’abbé Sanna-Solaro a fait de la grêle en présence des membres de l’Académie des sciences, avec un appareil très simple que, grâce à son obligeance, nous avons pu faire fonctionner nous-même, et que chacun peut facilement se procurer. Il consiste dans un vase contenant un mélange réfrigérant de 17 degrés au-dessous de zéro ; on suspend dans ce mélange un petit ballon en caoutchouc à peu près de la grandeur des grêlons que l’on veut produire, contenant plus ou moins d’eau. Après quelques instants, on obtient un grêlon artificiel tout formé, parfaitement semblable aux grêlons naturels, mais présentant un nombre de couches plus grand, ce qui prouve que le froid qui produit les grêlons naturels est bien plus intense que celui de 17 degrés au-dessous de zéro.

Deux choses restent à expliquer : la première comment se forment dans l’atmosphère les masses liquides qui doivent se changer en grêlons ; la seconde, comment dans les saisons et les pays chauds se produit le froid qui saisit les masses et en congèle plus ou moins brusquement toute la surface jusqu’à une certaine profondeur.

L’ingénieux auteur explique la première par la réaction de l’électricité sur un nuage à l’instant où elle s’en échappe, et la deuxième par l’extension subite qui suit la réaction.

Voici à peu près comment il s’exprime : Soit un nuage orageux chargé d’électricité ; cet agent, au moment où il atteint son maximum de tension, doit s’échapper. En s’échappant il exerce sur le nuage une réaction violente qui produit la contraction ; mais ce mouvement est nécessairement suivi d’une réaction contraire, qui produit la dilatation du nuage, de la vapeur, de l’air, et qui doit donner naissance à une évaporation rapide, et par là même à une perte de calorique plus ou moins considérable, d’où la congélation de toute la surface à une plus ou moins grande profondeur.

Lorsque le froid n’est pas assez intense pour congeler les masses d’eau, elles tombent à l’état liquide ; ce qui nous explique pourquoi les premières gouttes de pluie des orages sont ordinairement les plus grosses, et pourquoi de prodigieuses quantités d’eau tombent immédiatement après un coup de tonnerre.

Les faits viennent à l’appui de cette théorie.

M. Beudant dit d’une grêle observée par lui en 1848 :

« Un coup de tonnerre éclata, et presque aussitôt le nombre des grêlons devint beaucoup plus considérable . »

M. Élie de Beaumont, parlant de la grêle qu’il observa en 1837 : « Trois coups de tonnerre d’une force moyenne sont survenus pendant l’averse ; chacun d’eux a donné lieu à un redoublement assez marqué dans la chute des grêlons. »

M. Tessier, en parlant de l’endroit où il observa la grêle qui ravagea la France en 1788 : « La grêle suivit de près l’éclair et le coup de tonnerre. »

M. l’abbé Sanna-Solaro ne serait sans doute pas embarrassé pour citer un grand nombre de faits que tout le monde a pu observer.

Dans cette théorie, il n’est pas nécessaire de supposer la présence de deux nuages, qui souvent n’existent pas, ou de deux vents contraires, etc., et on comprend pourquoi la grêle tombe dans nos climats pendant l’été et aux heures les plus chaudes du jour, puisque alors l’air est plus sec et la tension électrique plus considérable.

XII.

Pendant l’année 1875, un grand nombre de communications sur la grêle ont été faites à l’Académie des sciences, principalement par M. Faye, l’éminent astronome, et dans lesquelles la théorie de M. Sanna-Solaro a été indirectement plus ou moins combattue. M. Faye croit que la formation des grêlons est successive et non pas instantanée ; il attribue la cause générale des orages à grêle à rabaissement brusque d’un courant froid supérieur dans les couches inférieures, chaudes et humides. MM. Renou, Planté, Solvay et plusieurs autres savants ont pris part à la discussion de la théorie de ce météore[6] et M. l’abbé Raillard vient de publier une savante étude sur ce sujet[7] ; mais nous devons attendre que l’accord des savants se soit un peu mieux dessiné avant de développer ici avec quelque étendue les théories nouvelles qui se font jour.

Terminons cette revue des météores aqueux par un passage d’un remarquable article publié par le R. P. Secchi dans les Études religieuses, historiques et littéraires.

Il fait d’abord remarquer que la circulation de l’atmosphère, déjà si puissante et si merveilleuse en elle-même, le devient davantage quand on la considère dans ses rapports avec la vie animale sur les continents. Sans le voile de nuages et sans les pluies bienfaisantes qui règnent dans les contrées tropicales, toute la zone torride serait embrasée et les régions polaires éternellement glacées ; la vie serait confinée dans les espaces insignifiants des zones tempérées. Mais, par une admirable propriété physique de la vapeur d’eau, une immense quantité de chaleur est transportée des tropiques aux régions polaires, de telle sorte que, restant insensible dans les lieux où elle passe, elle ne fait sentir son effet utile qu’au point de départ et au point d’arrivée. Là, l’eau enlève en se vaporisant la chaleur qui serait en excès ; ici, en se condensant, elle restitue ce qu’elle a pris à d’autres régions et empêche un abaissement excessif de température.

« Pour bien comprendre ce jeu merveilleux de l’atmosphère et ce voyage que fait la chaleur, dit l’illustre savant, il faut se rappeler quelques notions de physique.

« Tout le monde sait que l’eau en s’évaporant absorbe de la chaleur ; c’est pour cela qu’on arrose les rues, afin de les rafraîchir. Le calorique absorbé par l’eau, dans cette évaporation, est si considérable, qu’il pourrait élever à l’ébullition une quantité d’eau cinq fois plus grande que la quantité évaporée. Ce calorique n’est pas perdu : il se conserve tout entier dans la vapeur, à l’état que les physiciens appellent latent, et en effet il reparaît toutes les fois que la vapeur se condense. On sait les avantages que l’industrie tire de ces alternatives pour le chauffage dans les usines.

« Or il est facile, d’après ce principe, de calculer la quantité de calorique échangé annuellement entre les régions équatoriales, polaires et tempérées. Il résulte des observations atmosphériques que dans la zone torride l’évaporation peut s’estimer égale à une couche d’eau d’au moins 5 mètres de hauteur. Admettons que 2 de ces mètres retombent sur place à l’état de pluie, de sorte qu’il en reste 3 pour les autres parties du globe. La surface sur laquelle s’opère cette évaporation est évaluée à 70 millions de milles géographiques carrés : de sorte que la masse d’eau évaporée s’élève à 721 trillions de mètres cubes (721 000 000 000 000). On peut démontrer que la quantité énorme de chaleur qui produit cet effet pourrait fondre six millions de milles géographiques cubes de fer, c’est-à-dire une masse dont le volume égalerait plusieurs fois celui du massif des Alpes.

« Telle est l’immense quantité de chaleur qui, chaque année, se transporte de l’équateur aux pôles en passant dans les régions intermédiaires, sans être aperçue même des savants, et dans un véritable incognito. Ce n’est pas tout. L’eau en se congelant émet une dernière quantité de chaleur qui contribue à mitiger les climats polaires. Ainsi les pluies et les neiges n’ont pas seulement pour but d’arroser la terre, mais aussi de distribuer la chaleur et de tempérer la rigueur du froid dans les saisons hivernales. C’est un fait bien connu que les hivers pluvieux ne sont jamais les plus froids.

« Sans cette précieuse propriété que possède la vapeur d’eau de voyager à l’état latent, notre atmosphère acquerrait une température de fournaise, et la vie serait impossible. Quoique les physiciens ne soient pas disposés à étudier les causes finales, ils ne sauraient cependant méconnaître, dans l’énorme capacité de l’eau pour la chaleur latente que contient sa vapeur, une de ces dispositions bienfaisantes de la création par lesquelles son auteur, à l’aide d’une loi très simple, a pourvu à la production d’une infinité d’effets, que seule une sagesse infinie pouvait prévoir. »

  1. Cours de chimie générale, par MM. Pelouze et Frémy, 3e édition, p. 241.
  2. Lucrèce, liv. I, v.
  3. Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1871.
  4. Comptes rendus de l’Académie des sciences, Ier semestre 1879.
  5. Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1873.
  6. Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1875.
  7. Les Mondes scientifiques, 1875, 14 octobre.