Histoire du Montréal, 1640-1672/10

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de l’automne 1647, jusqu’à l’automne 1648, au départ des navires du Canada


Comme dans cette année et la suivante les guerres des Iroquois furent plus furieuses que jamais, ces barbares devenant de jours en jours plus audacieux et superbes par les continuelles victoires qu’ils remportaient dans le pays des Hurons qu’ils ont depuis complètement détruits, ce fut un coup du ciel que le retour de M. de Maison-Neufve, car l’effroi était si grand dans toute l’étendue du Canada qu’il eut gelé les cœurs par l’effet de la crainte, surtout dans un poste aussi avancé qu’était celui de Montréal, s’il n’eut été réchauffé par la confiance qu’un chacun avait en lui ; il assurait toujours les siens dans les accidents de la guerre et il imprimait de la crainte à nos ennemis au milieu de leurs victoires, ce qui était bien merveilleux dans un petit poste comme celui-ci ; les Hurons quoique en grand nombre étaient quand à eux épouvantés par les tourmens, se rendaient tous aux Iroquois, ceux qui en étaient pris, tenaient à grande faveur qu’il leur fut permis d’entrer dans leur parti afin d’éviter une mort cruelle quand même ils auraient sortir à mi-rotis du milieu des supplices. Chacun qui leur avait promis fidélité quoique par force, n’eut osé violé cette parole infidèle à cette nation, appréhendant d’être attaqués une deuxième fois. Enfin nos ennemis se grossissaient tellement de jour à autre qu’il fallait être aussi intrépide que nos Montréalistes pour vouloir conserver ce lieu. Tantôt les ennemis venaient par ruse afin de nous surprendre dans un pourparler spécieux, tantôt ils venaient se cacher dans des embuscades où ils passaient sans broncher des journées entières, chacun derrière sa souche, afin de faire quelque coup ; enfin un pauvre homme à dix pas de sa porte n’était point en assurance, il n’y avait morceau de bois qui ne pouvait être pris pour l’ombre ou la cache d’un ennemi ; c’est une chose admirable comment Dieu conservait ces pauvres gens, il ne faut pas s’étonner si M. de Montmagny empêchait tout le monde de monter ici pour s’y établir, disant qu’il n’y avait point d’apparence que ce lieu put subsister, car humainement parlant cela ne se pouvait pas si Dieu eut été de la partie, qu’il en soit loué à jamais, et que Dieu veuille bien bénir son ouvrage, il n’appartient qu’à lui, on le voit assez par la grâce qu’il a faite de soutenir jusqu’à présent au milieu de tant d’ennemis, de bourrasques, un poste, et malgré les inventions différentes dont on s’est servi pour le détruire. Le printemps venu, en plusieurs tentatives que firent les Iroquois il faut que je raconte deux trahisons qu’ils tramèrent sans aucune réussite, afin de faire connaître les gens auxquels nous avons affaire. Plusieurs Iroquois s’étaient présentés sous les apparences d’un pourparler, feu M. de Normentville et M. Lemoine s’avancèrent un peu vers eux et incontinent trois des leurs se détachèrent afin de leur venir parler ; M. de Normentville voyant ces hommes s’approcher sans armes pour marque de confiance et pour donner le même témoignage, il s’en alla aussi de son côté vers le gros des Iroquois avec une seule demi-pique en la main par contenance, ce que Lemoine voyant il lui cria :

« Ne vous avancez pas ainsi vers ces traîtres, » lui trop crédule à ces barbares qu’il aimait tendrement, quoique depuis ils l’aient fait cruellement mourir, ne laissa pas d’aller vers eux, mais lorsqu’il y fut, ils l’enveloppèrent si insensiblement et si bien que quand il s’en aperçut il ne lui fut plus possible de se retirer. Lemoine apercevant la perfidie, coucha en joue les trois Iroquois qui étaient auprès de lui et leur dit qu’il tuerait le premier qui branlerait à moins que Normentville ne revint, un des trois demanda à l’aller chercher ce qu’il lui fut permis, mais cet homme ne revenant pas, il contraignit les deux autres à marcher devant lui au château, d’où ils ne sortirent point que jusqu’au lendemain que Normentville fut rendu. L’autre trahison se pensa faire sur le Sault Normant, qui est une bature, laquelle est peu avant sur le fleuve vis-à-vis du château ; deux Iroquois s’étant mis sur cette bature, M. de Maison-Neufve commanda à un nommé Nicholas Godé de s’y en aller en canot, afin de savoir ce qu’ils voulaient dire, d’autant qu’ils feignaient de vouloir parler, nos deux Français approchant, un de ces misérables intimidé par sa mauvaise conscience, se jetta dans son canot, s’enfuit, et laissa son camarade dégradé sur la roche où nos amateurs le prirent ; le captif étant interrogé pourquoi son compagnon avait fui, il dit que c’était une terreur panique qui l’avait saisi sans qu’il eût aucun mauvais dessein et qu’il eût aucun sujet de s’en aller de la sorte, ainsi ce traître voila adroitement sa mauvaise intention ; cela n’empêcha pas qu’on l’emmena au château. Peu après qu’il y fut, le fuyard reparut de fort loin, voguant et haranguant sur le fleuve ; d’abord on commanda aux deux mêmes canoteurs de se tenir prêts afin de les joindre à la rame, s’il approchait de trop près, ce qui réussit fort bien, car étant insensiblement mis dans le courant, au milieu de ces belles harangues, nos Français se jettèrent soudain dans leurs canots, le poursuivirent si vivement qu’il fut impossible d’en sortir et d’aller à terre avant d’être attrapé, si bien qu’il vint faire compagnie à son camarade qu’il avait fort incivilement abandonné. Voyez la ruse de ces gens et comme néanmoins on les attrapait. Ce fut cette année que pour narguer davantage les Iroquois on commença le premier moulin du Montréal, afin de leur apprendre que nous n’étions pas dans la disposition de leur abandonner ce champ glorieux, et que ce boulevard public ne se regardait pas prêt à s’écouler. Au reste, cette année, Dieu nous assista grandement, car si les Iroquois nous blessaient bien du monde en diverses reprises, ils ne nous tuèrent jamais qu’un seul homme ; encore est-ce plutôt une victime que Dieu voulait tirer à soi, qu’un succès de leurs armes auquel Dieu ne l’eut peut-être pas accordé si Dieu ne l’eut pas trouvé si digne de sa possession. Enfin les vaisseaux de France nous arrivèrent et nous rapportèrent M. d’Aillebout pour gouverner en la place de M. de Montmagny ;[1] la joie de ceux de Montréal fut grande lorsqu’ils surent qu’un des associés de la compagnie venait en Canada pour être gouverneur. Mais elle fut modérée dans l’esprit de M. de Maison-Neufve et de Mlle Mance par une nouvelle qu’ils eurent que plusieurs des notables de la compagnie du Montréal avaient été divertis de ce dessein ici, qui exprès leur faisaient prendre le change en faveur du Levant et que M. LeGauffre, un des plus illustres et anciens associés, ayant laissé par son testament 30 000 livres pour fonder ici un évêché, on avait perdu cette somme par arrêt, faute d’avoir diligemment vaqué à cette affaire. Voilà donc les fâcheuses nouvelles qu’ils apprirent et dont M. d’Aillebout les assura. Mais ensuite, afin de les consoler un peu, il apprit à M. de Maison-Neufve qu’il apportait une ordonnance de la grande compagnie, laquelle croissait la garnison de six soldats, et que au lieu de 3 000 livres que l’on avait donné jusqu’alors de gage pour lui et ses soldats, il aurait à l’avenir 4 000 livres ; MM. de la Grande Compagnie voulant en cela reconnaître les bons et agréables services que le pays recevait du Montréal sous son digne Gouverneur.

  1. Le 20 août 1618, M. d’Aillebout mouilla devant Québec et fut reçu gouverneur. M. de Montmagny partit le 23 septembre suivant. M. d’Ailleboutz, gouverneur de Montréal le 7 septembre 1645 à octobre 1647. Puis s’est embarqué pour France le 21 décembre 1647 — est revenu gouverneur du Canada le 20 août 1648.