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Histoire du Montréal, 1640-1672/21

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De l’automne 1658 jusqu’à l’automne 1659 au départ des navires du Canada.


Le Montréal ne nous fournit pas de matières fort considérables jusqu’à l’arrivée des vaisseaux de cette année, d’autant que chacun se tint si bien sur ses gardes à cause de la guerre, que l’on se para de l’embuscade de l’ennemi, ce que nous pouvons dire seulement, c’est que Messieurs du Séminaire de St. Sulpice ayant pris deux terres, aux deux extrémités de cette habitation, cela servit grandement à son soutien à cause du grand nombre de gens qu’ils avaient eu l’un et l’autre de ces deux lieux qui étaient les deux frontières de Montréal ; Il est vrai qu’il leur en a bien coûté, surtout les deux premières années à cause d’une pieuse tromperie que leur fit Mr. H de la Doversière, qui sachant la nudité où tous les habitants étaient alors, leur dit qu’ils n’auraient pas besoin de mener beaucoup de gens, qu’ils en trouveraient assez au Montréal pour faire leurs travaux, qu’ils n’avaient qu’à bien porter des étoffes et des denrées, que moyennant cela, ils feraient subsister les habitants du lieu et feraient faire en même temps ce qu’ils voudraient : Il est vrai que l’intention fut bonne, car ils trouvèrent un chacun ici dans un tel besoin de ces deux choses que sans ce secours, il n’y eut pas eu moyen d’y résister ; La providence est admirable qui prévoit à tout ; Pour les autres années ces messieurs firent venir une quantité de domestiques à cause de la grande chèreté des ouvriers qui dans la suite n’ayant pas de si mauvaises années ont été bien aise de travailler plus pour soi que pour autres ; puisque le Montréal se trouve ici pauvre en ce qui regarde l’histoire ; passons un peu en France et voyons s’il ne s’y fait rien à son sujet qui nous donne lieu de nous entretenir, surtout voyons ce qui arriva à Mlle. Mance, et disons ce qui lui arriva pendant le séjour qu’elle y fit, ce qui se passa de la sorte. Elle ne fut pas plus tôt à Larochelle que prenant un brancard à cause que l’état où était son bras ne lui permettait pas une autre voiture, elle alla droit à la Flèche trouver Mr. de la Doversière qui lui fit un visage fort froid, à cause de quelques mauvais avis qu’on lui avoit donné du Canada, appuyé de cette nouvelle, il croyait que cette demoiselle venait lui faire rendre compte afin de se détacher de la compagnie et qu’elle vouloit d’autres filles pour l’assistance de l’hôpital du Montréal que celles qui avaient été choisies par les associés. Voilà le rafraîchissement que cette infirme eut à son arrivée pour la délasser des travaux de son voyage ; mais enfin le tout étant éclairci, on se rapaisa et l’union fut plus belle que jamais, si bien qu’elle se vit en état de partir en peu de jours pour Paris, plus joyeuse qu’elle ne se vit à son arrivée à La Flèche. Étant à Paris, elle vit aussitôt Mr. de Breton Villiers le supérieur du Séminaire de St. Sulpice et Madame sa chère fondatrice qu’elle rendit témoin oculaire de son pitoyable état auquel ils prirent une part bien singulière. Quelques jours après, elle vit tous les Messieurs de la compagnie du Montréal assemblés auxquels elle fit un fidèle rapport des choses comme elles étaient ici, après cela, elle leur témoigna bien au long, l’impossibilité où elle était de subvenir à l’hôpital si elle n’était secourue ; qu’elle croyait que le temps était venu d’envoyer ces bonnes filles sur lesquelles Mr. Ollier et tous avaient jeté la vue, qu’elle ferait son possible auprès de sa chère dame pour en obtenir la fondation, qu’elle avait tout à espérer de sa bonté ; eux lui ayant témoigné la reconnaissance qu’ils avaient à sa sollicitude parlèrent tous unanimement de son infirmité et dirent qu’il fallait sans plus tarder la faire voir aux plus experts, afin de tenter par toutes les voies possibles sa guérison. Là dessus feu Mr. Duplessis Monbar d’heureuse mémoire ajouta que Mlle Chahue la mènerait en son carrosse chez les personnes qu’on nomma et qu’on crut les plus habiles. La chose s’exécuta comme on l’avait résolue mais sans aucun fruit, car dans toutes les consultes on nous répondit qu’il n’y avait rien à faire, que le mal était trop grand et trop invétéré, que de plus, elle était trop âgée, qu’il fallait même prendre garde que ce mal de bras ne se communiquat au corps ; que sa main et son bras ayant la peau aussi sèche qu’un cuir à demi préparé, qu’étant sans la moindre liberté d’en user, que les parties étant toutes atrophiées et glacées de froid sans conserver d’autre sensibilité que pour lui causer de grands tourments lorsqu’on la touchait, il y avait bien à craindre que le côté droit de son corps, ne vint participant des infirmités de son bras ; que si quelques charlatans osaient entreprendre sa guérison, au lieu de la soulager, il attirerait et irriterait les humeurs qui la rendrait paralytique de la moitié du corps, Mlle. Chahue entendant ce langage des plus habiles de Paris, ramena son infirme, laquelle commença de solliciter sa dame pour les filles de La Fléche. Or cette pieuse fondatrice ayant compassion d’elle et étant bien affligée de l’état irrémédiable où elle la voyait se résolut de l’assister et donna 20, 000 livres pour l’établissement des filles qu’elle lui proposait, ce qui réjouit extrêmement les associés, lesquels en rendirent grâce à Dieu et à Mlle. Mance qui ménageait ainsi des secours par sa prudence ; travaux qui furent si agréables à Notre Seigneur qu’il les voulut reconnaître par un miracle authentique qui se fit dans la chapelle du Séminaire de St. Sulpice, le jour de la Purification où Dieu voulut honorer la mémoire de Mr. Ollier son serviteur, donnant à son cœur le moyen de témoigner sa gratitude à celle qui pour lors s’employait si fortement en faveur de cette Isle a laquelle il prenait tant de part lorsqu’il était vivant ; et dont Dieu veut bien qu’il prenne la protection après sa mort. Comme nous allons voir par le détail de ce miracle que nous pouvons dire bien grand puisqu’il se réitère tous les jours à la vue d’un chacun et selon l’aveu de tous ceux qui veulent prendre la peine de voir le bras sur lequel il est opéré et s’opère incessamment. Décrivons-en l’histoire ; quelques jours avant la Purification, Mlle Mance était allé voir Mr. Breton-Villiers au Séminaire de St. Sulpice toute remplie de respect qu’elle conservait pour Mr. Ollier, elle lui demanda où était son corps et son cœur qu’on lui avait dit être enchassé séparément, qu’elle eut bien souhaité rendre ses respects a l’un et à l’autre ; Mr. de Breton-Villiers lui dit que son corps était dans la chapelle, qu’il avait son cœur dans sa chambre, et qu’elle vint le jour de la Purification dans le temps que messieurs les ecclésiastiques seraient à l’Église, qu’alors ils la feraient entrer dans la chapelle, parce qu’il ne voulait pas la faire venir devant tout le monde, d’autant que les femmes n’avait pas coutume d’y aller, si elle y entrait publiquement, les autres en recevraient de la peine, quant à lui, il y dirait la messe et lui apporterait le cœur de feu Mr. Ollier. Le jour arrivé, elle vint à l’heure donnée, aussitôt qu’elle fut entrée dans le séminaire, il lui vint à l’esprit que feu Mr. Ollier lui pourrait bien rendre la santé ; incontinent qu’elle reconnut ce qu’elle pensait, elle voulut l’éloigner comme une tentation, mais chassant cette pensée, il lui en vint de plus fortes ce qui lui fit dire qu’encore qu’elle ne les méritât, ce serviteur de J. C. pourrait bien obtenir cette faveur et même de plus grandes. Marchant vers la chapelle en s’entretenant de la sorte, elle vit Mr. Ollier, aussi présent à son esprit qu’on le pouvait avoir sans vision ; ce qui lui fit ressentir une joie si grande pour les avantages que ses vertus lui avait acquises, que voulant ensuite se confesser, elle avoue qu’il lui fut impossible de le faire et qu’elle ne put dire autre chose à son confesseur sinon : “ Mr., je suis saisie d’une telle joie que je ne puis vous rien exprimer.” Cette satisfaction lui dura pendant toute la messe et fut accompagnée d’une certitude intérieure que Dieu la guérirait par l’entremise de son serviteur. Après que la messe fut dite, voyant que Mr. de Breton-Villiers était pressé pour l’église à cause des cérémonies du jour, elle lui dit : « Donnez-moi un peu ce cœur que vous m’avez promis, il ne m’en faudra pas davantage pour ma guérison. » D’abord il le lui atteignit et la quitta en lui marquant le lieu où elle le mettrait par après. D’abord elle le prit tout pesant qu’il était à cause du métal où il était enfermé et du petit coffret de bois où le tout était enchassé et elle l’appuya sur son écharpe à l’endroit de son plus grand mal qui ne pouvait être approché auparavant de la moindre chose. Or ayant appuyé ce petit coffret sur son bras, tout empêché qu’il était de plusieurs et différents linges attachés d’une multitude d’épingles, elle se mit à admirer et se conjouir des trésors qui avaient été enfermés dans ce cœur et soudain voilà qu’une grosse chaleur lui descend de l’épaule et lui vint occuper tout le bras qui passa dans un instant d’une extrême froideur à cet état qui lui est si opposé. En même temps, toutes les ligatures et enveloppes se défirent d’elles-mêmes, son bras se trouva libre, et se voyant guéri elle commença à faire un beau signe de croix, remerciant le Tout-puissant qui lui faisait une telle grâce par son serviteur, y ayant deux ans qu’elle n’avait pu faire autant de sa main droite qui était estropiée. Cela la mit en un si grand transport l’espace de huit jours, qu’à peine put-elle manger quelque chose tant elle était pâmée. Son action de grâce faite, elle remit son bras en écharpe afin que le portier ne s’aperçut de rien et que M. de Breton-Villiers fut le premier à apprendre la chose, ainsi elle s’en alla chez elle ou sa sœur arriva peu après ; elle voulait exprimer à sa sœur le bien qu’elle avait reçue et ne le pouvant par ses paroles à cause qu’elle était transie d’allégresse, elle se mit à agir de sa main droite et lui montra par ses actions qu’il n’y avait plus de mal. Sa sœur tout transportée de joie elle-même ne lui put repartir que des yeux dans l’abord, mais ayant repris ses esprits : « ma sœur, lui dit-elle, qu’est-ce que je vois, est-ce la sainte Epine qui a fait cette merveille ? » — « Non, lui répondit-elle, Dieu s’est servi du Cœur de feu Mr. Ollier. » — » Ah oui, répondit-elle, il le faut publier partout, je vais le dire aux Carmes déchaussés, et dans tels et tels endroits. » — « Non, ma sœur, répondit Mlle. Mance, ne le faites pas, messieurs du séminaire n’en savent rien encore, il faut du moins qu’ils le sachent les premiers, après leur récréation nous irons le leur apprendre. » Cela dit, ils se mirent à table à cause que l’heure en était venue et non pas pour manger, car il ne leur fut pas possible. Sur les deux heures, elles allèrent au Séminaire où une partie des Messieurs étaient retournés à l’église, mais comme Mr. de Breton-Villiers était à la maison, elle le demanda et lui dit aussitôt qu’elle l’aperçut en état de l’entendre facilement : « Mons., en lui montrant sa main, voilà les effets de Mr. Ollier. » Mr. de Breton-Villiers lui repartit : « Voyant votre confiance de ce matin, je croyais bien que vous seriez exaucée. » Après, il fit appeler ce qui était resté d’ecclésiastiques au séminaire afin d’aller les uns avec les autres remercier Dieu à la même chapelle où s’était fait le miracle. L’action de grâce faite, Mr. de Breton-Villiers demanda Mlle. Mance si sa main droite de laquelle elle avait été guérie était assez forte pour écrire la vérité du fait qui s’était passé, elle lui ayant répondu que oui, on lui donna incontinent du papier et elle satisfit à ce qu’on souhaitait. Que si l’écriture a quelques défauts, il faut accuser l’extrême joie dont elle était émue et non pas les infirmités du bras et de la main : le jour suivant, Messieurs les associés du Montréal s’assemblèrent et firent raconter toute cette histoire à cette bonne demoiselle pendant quoi ils remercièrent Dieu de tout leur cœur, qui faisait encore par leur ancien confrère de telles grâces à cette Isle en remettant Mlle. Mance en état d’y rendre encore plusieurs services ; après cette assemblée, MMlleMlle. Mance alla voir sa bonne fondatrice, laquelle reçut une joie indicible lorsqu’elle apprit ce miracle et qu’elle l’aperçut de ses yeux, y ayant eu cela de particulier en ceci que le miracle est continuel et manifeste, parceque les principes des mouvements sont demeurés disloqués comme auparavant et cependant avec tout cela, elle manie son bras et sa main sans aucune douleur, comme si tout était en bon état, ce qui est un miracle si visible qu’on ne peut le voir sans être convaincu. C’est ainsi que tous les experts ont avoué et attesté. Mais passons ce bienfait qui nous assure de la bienveillance de Mr. Ollier, dans le lieu môme là on il est aujourd’hui ; et parlons de ce qui se fit à Paris au printemps où les messieurs de cette compagnie firent plusieurs assemblées, dans deux desquelles Mr. l’évèque de Pétrée assista comme venant faire voir au Canada la première mitre qui y ait jamais paru. Dans ces deux assemblées où Mgr. de Pétrée fut, on parla d’envoyer ces filles de la Flèche au Montréal, mais ce prélat demanda toujours qu’on différât d’une année ce trajet, crainte, disait-il, que cela ne fit de la peine à une certaine personne qu’il croyait avoir d’autres dessein. Ces messieurs de la compagnie lui répondirent, qu’il pouvait bien l’assurer que celui dont il parlait n’aurait pas d’autre sentiment que le leur, que le fondement que l’on prenait de soupçonner le contraire n’était que présumé et qu’on avait eut lieu de ne pas le croire ; qu’au reste on avait si grand besoin de ces filles pour le soulagement de l’hôpital du Montréal, que n’ayant aucune vue ni dessein pour d’autres, on le suppliait de trouver bon qu’elles partassent cette année-là. Après ces assemblées et cette prière faite à Mgr. de Pétrée, le temps de partir étant venu, Mlle. Mance s’en alla à Larochelle, à huit lieues de laquelle il lui arriva un accident qui la devait du moins disloquer tout de nouveau, si la main qui lui avait donné la santé n’eut eu le soin de la lui conserver, ce qui arriva de la sorte : Les chiens ayant fait peur à un cheval ombrageux sur lequel elle était, cet animal se lança si haut par dessus un fossé, et en même temps la jetta si loin et si rudement sur sa main autrefois estropiée, qu’on a attribué à une charitable protection du ciel qu’elle en a été quitte comme elle l’a été pour une légère écorchure, sans rien rompre ni démettre, ce qui n’empêcha pas qu’une certaine plume trop libre, prit la peine assez mal à propos, d’écrire contre ce qui s’était passé au sujet de ce bras à Paris, usant de ces faits nouveaux pour rendre ridicule ce fait dans une lettre qu’il écrivit à un bon père Jésuite à Larochelle au sujet de Mlle. Mance “ Enfin le miracle est démiraclé, et la chute de la demoiselle l’a mise en pareil état qu’autrefois.” Le Père à qui on écrivait se connaissant bien aux ruptures et dislocations vint voir si cela était vrai, et croyant que ce qu’on lui écrivait était véritable, il parla à cette demoiselle comme si on eut voulu abuser le monde, mais alors elle lui dit : “Mon père vous avez été mal informé car tant s’en faut que ma chute doive diminuer l’estime du miracle opéré sur moi ; elle la doit augmenter car je devrais m’être cassé et disloqué le bras, au reste, mon père, voyez si le miracle de Paris n’est pas véritable, il subsiste encore, regardez encore et en portez votre jugement.” Ce bon père s’approcha et ayant témoigné la vérité, il dit tout haut : “ Ah ! j’écrirai à celui qui m’a fait la lettre qu’il faut respecter ceux que Dieu veut honorer, il en a voulu faire connaître son serviteur, il ne faut pas aller contre sa volonté, il faut lui rendre ce que Dieu veut que nous lui rendions.” Voilà ce qui se passa dans la ville de La Rochelle où Mlle. Mance trouva la bonne Sœur Marguerite Bourgeois, de laquelle nous avons parlé ci-devant ; elle l’avait accompagnée dans son voyage en France afin de l’assister dans son infirmité. Quand à son retour Mlle. Mance avait trouvé bon qu’elle se rendit la première à La Rochelle avec une compagnie de 32 filles qu’elle amena avec elle pour le Montréal, auquel cette bonne sœur a servi de mère pendant ce voyage, pendant toute la route, et même jusqu’à ce qu’elles aient été pourvues ; ce qui nous fait dire qu’elles ont été heureuses de tomber en de si bonnes mains que les siennes. Au reste, il faut que je dise encore un mot de cette bonne fille bien qu’elle ne soit pas trop approuvée ; c’est qu’un homme riche et vertueux de la compagnie lui voulant donner en ce voyage du bien pour l’établir ici, elle ne voulut l’accepter, appréhendant que cela ne fit tort à cet esprit de pauvreté qu’elle conserve si religieusement ; Dieu, sans doute, lequel fait plus par ces personnes détachées que par les efforts des plus riches, favorisera de ses bénédictions cette amatrice de la pauvreté. Mais revenons aux religieuses de la Flèche auxquelles Mlle. Mance et la compagnie avaient écrit tout ce qui s’était passé et qui étaient demeuré d’accord que trois filles de cette maison ou de celles de ses dépendances iraient cette année-là au Montréal pour l’exécution de ce dessein. Le printemps étant venu, Mlle. Mance écrivit à ces Religieuses,leur donna le rendez-vous à Larochelle et envoya pareillement une lettre à Mr. de la Doversière qui les devait mener à leur embarquement, donnait avis aux uns et aux autres qu’elle ne manquerait pas de s’y rendre par une autre voie qu’elle leur marqua. Les religieuses de la Flèche sur cet avis, afin de se rendre prêtes au temps qu’on leur marquait, firent venir au plus tôt de leurs maisons du Beaugé et du Ludde les sœurs Mace, de Bressolles, Meillost, qui étaient les trois victimes désignées pour le Canada qui se rendirent pour cet effet promptement et avec joie à leur maison de la Flèche, afin qu’on n’attendit pas après elle, quand on serait prêt de partir. Or ce coup, c’était un coup du ciel, et comme les affaires de Dieu ne se font jamais sans de grandes difficultés pour l’ordinaire, celle-ci n’en manqua pas. Quand il fut question de l’exécuter, Mgr. d’Angers se trouva si difficile pour son obédience qu’on désespéra quasi de l’avoir ; Mr. de la Doversière, qui était le principal arc boutant de l’affaire et sans lequel il n’y avait rien à espérer pour elle, se trouva si mal, que trois jours avant de partir, il fut en danger de mort et les médecins jugèrent qu’il ne relèverait pas de cette maladie ; mais Dieu qui voulait seulement sceller cette entreprise du sceau de sa croix et non pas la détruire, voulut que dans deux jours, il fut assez rétabli pour entreprendre le voyage de La Rochelle le lendemain ; il ne manquait pour cela que l’obédience de Mgr. d’Angers qui arriva le même jour que la restitution de sa santé, ce qui fît qu’on résolut de partir la journée suivante, cela étant su dans la ville, il se fit une émeute populaire, chacun murmura et dit : Mr. de la Doversière fait amener des filles par force en ce couvent, il les veut enlever cette nuit, il faut l’en empêcher ; Voilà tout le monde par les rues ; chacun fit le guet de son côté ; plusieurs disaient en se l’imaginant : " En voilà que nous entendons crier miséricorde.” Enfin plusieurs ne se couchèrent point cette nuit-là pour ce sujet dans la ville de La Flèche. Néanmoins à dix heures du matin, on se résolut de les faire partir ; mais pour en venir à bout, on y eut bien de la peine ; il fallut que Mr. St. André et les autres qui devaient les assister pendant leur voyage missent l’épée à la main et fissent écarter le peuple par les impressions de la crainte, ce qui n’est pas difficile dans les villes champêtres qui ne sont pas frontières : étant sorties, elles firent le chemin jusqu’à La Rochelle avec une grande joie et le désir de se sacrifier entièrement pour Dieu ; il est vrai qu’elles avaient besoin d’être dans cette disposition car elles eurent bien des épreuves, même dès à La Rochelle où on leur voulut persuader qu’on les renverrait du Canada la même année sans vouloir d’elles : de plus comme les deniers se trouvèrent employés, elles se trouvèrent fort embarrassées de quoi payer le fret qu’elles n’avaient pas réservé à cause de la multitude des denrées dont on avait besoin, embarras où se trouvèrent aussi deux prêtres du séminaire de St. Sulpice qui partaient cette année-là pour Montréal, où depuis, ils ont été tués par les Iroquois. La peine qu’ils eurent tous deux avec Mlle. Mance fut telle qu’on ne les voulait pas embarquer à moins qu’ils eussent de l’argent de quoi payer ; cependant ils étaient 110 personnes auxquelles il fallait pourvoir, vous voyez assez qu’elle pouvait être sa mortification ; c’est pourquoi nous passons outre et jugez, comprenant tout ce qu’il fallait acheter pour le Canada, de la dépense qu’on fit surtout à cause du retardement à La Rochelle qui fut de trois mois cette année, jugez combien il en coûta à Messieurs de la compagnie du Montréal, au Séminaire de St. Sulpico et à l’hôpital, qui tous trois portaient les frais de ce voyage ; jugez de la peine où étaient ces deux bons prêtres et ces trois religieuses avec Mlle. Mance, car enfin tout se vit il la veille de demeurer sans qu’à la fin le maître du navire qui était préparé et qui ne tenait qu’à de l’argent et résolut de tout embarquer sur leur parole, les voilà donc en mer, mais n’allèrent pas longtemps, que leur navire qui avait servi deux ans d’hôpital à l’armée sans en avoir fait depuis la quarantaine infecta les passagers de la peste, 8 ou 10 de ces gens moururent de prime abord sans qu’on permit aux religieuses de s’exposer, mais enfin on accorda à leurs instances qu’elles commenceroient leurs fonctions d’hospitalières dans lesquelles elles eurent ce bonheur ayant commencé ces premiers travaux de leur mission qu’il ne mourut plus personne, encore qu’il y eut bien des malades, au reste nous pouvons bien dire que la Sœur Marguerite Bourgeois fut celle qui travailla autant pendant toute la route et que Dieu pourvut aussi de plus de sa santé pour cela, que s’il y eut bien des fatigues dans ce voyage il y eut aussi bien des consolations pour la bonne fin que faisaient ces pauvres pestiférés, que ces deux prêtres du séminaire de St. Sulpice dont nous avons parlé assistaient autant qu’ils le pouvaient, que leur corps aussi accablé de la maladie permettaient, ils assistèrent deux Huguenots entre ces malades qui firent leur abjuration avant de paraître devant ce juge qui jugera rigoureusement ceux qui veulent défendre aujourd’hui de juger les erreurs de leur religion prétendue réformée, afin d’avoir la liberté d’y demeurer pour leur confusion éternelle ; mais passons cette mer et disons qu’après les efforts de la maladie, les vagues de la mer essuyées, voilà enfin le navire arrivé à Québecq, après avoir bien vogué, que si ces religieuses se croyaient être en ce lieu au bout de toutes les tempêtes, elles se trompaient fort, car elles y en essuyèrent une si grande qu’elles eurent de la peine à mettre pied à terre et ne l’eussent peut-être jamais fait si l’astre nouveau qui depuis ce temps éclaire notre église ne leur eut été assez favorable pour dissiper qui la causait ; de quoi le Montréal fut bien obligé, car il contribua ainsi à lui donner ces bonnes filles. Ensuite de ceci, nous avons le retour de Mr. l’abbé de Quélus en France qui affligea beaucoup ce lieu ; ainsi en cette vie, les douceurs sont mélangées d’amertumes. Quand à toute la flotte arrivée par ce lieu, elle y monta à la joie extrême d’un chacun et ces deux bonnes religieuses qui y étaient comme nous avons dit l’an dernier, en descendirent après que celle qui était malade eut recouvré sa santé. La providence ayant permis que son mal eut duré pour le bien de cette hôpital jusqu’à l’arrivée de ces trois bonnes filles aux travaux desquelles Dieu a donné depuis une grande bénédiction. Plusieurs Iroquois et quantité d’autres sauvages y ont été convertis tant par leur ministère tant par l’assistance des ecclésiastiques du lieu et y sont morts ensuite avec des apparences quasi visibles de leur prédestination. Grand nombre de Huguenots y sont en ce même bonheur ; même dans un seul hiver, il y en a eu jusqu’à 5 qui sont morts catholiques à la grande satisfaction de leurs âmes. Ces bonnes filles ont rendu et rendent encore de si grands services au public qu’il se loue tous les jours de la grâce que le ciel lui avait faite de lui avoir amené pour sa consolation dans un pays si éloigné que celui-ci, où leur zèle les a apportées. Outre les personnes que j’ai remarquées être venues de France cet ôté je dois nommer Mr. Deletre, lequel servit bien ce lieu, tant dans les temps de la guerre que lorsque nous jouissions de la paix, à cause des avantageuses qualités qu’il possède pour l’une et l’autre de ces raisons. Je donne ce mot à sa naissance, à son mérite, sans préjudice à tous ceux qui ont été du même voyage et faire tort à leur mérite particulier ; au reste on peut dire du secours de cette année en général qui était très-considérable au pays, lequel était encore dans une grande désolation, et qu’il était nécessaire pour confirmer tout ce que celui de l’année 1653 conduit par Mr. de Maison Neufve y avait apporté, davantage, parceque sans cette dernière assistance tout le pays était encore bien en danger de succomber, mais il est vrai que depuis celle-ci on a moins chancelé et craint une générale déconfiture qu’on faisait auparavant, quelques combats de perte de monde que nous ayons eus.