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Histoire naturelle des cétacées/La Baleinoptère rorqual

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LA BALEINOPTÈRE RORQUAL[1].



L’habitation ordinaire du rorqual est beaucoup plus rapprochée des contrées tempérées de l’Europe,

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1. Baleinoptère Rorqual, Prise dans la Méditerranée.
2. Narwal Microcéphale. 3. Dauphin Gladiateur.

que celle de plusieurs autres grands cétacées. Il vit dans la partie de l’Océan atlantique septentrional qui baigne l’Écosse, et par conséquent en-deçà du soixantième degré de latitude boréale ; d’ailleurs, il s’avance jusque vers le trente-cinquième, puisqu’il entre par le détroit de Gibraltar dans la Méditerranée. Il aime à se nourrir de clupées, et particulièrement de harengs et de sardines, dont on doit croire qu’il suit les nombreuses légions dans leurs divers voyages, se montrant très-souvent avec ces bancs immenses de clupées, et disparoissant lorsqu’ils disparoissent.

Il est noir ou d’une couleur noirâtre dans sa partie supérieure, et blanc dans sa partie inférieure. Sa longueur peut aller au moins jusqu’à vingt-six mètres, et sa circonférence à onze ou douze, dans l’endroit le plus gros de son corps[2]. Une femelle, dont parle Ascagne, avoit vingt-deux mètres de longueur. La note suivante donnera quelques-unes des dimensions les plus remarquables d’un rorqual de vingt-six mètres de long[3].

La mâchoire inférieure du cétacée que nous décrivons, au lieu de se terminer en pointe, comme celle de la jubarte, forme une portion de cercle quelquefois foiblement festonnée ; celle d’en-haut, moins longue et beaucoup moins large, s’emboîte dans celle d’en-bas.

La langue est molle, spongieuse, et recouverte d’une peau mince. La base de cet organe présente de chaque côté un muscle rouge et arrondi, qui rétrécit l’entrée du gosier, au point que des poissons un peu gros ne pourroient pas y passer. Mais si cet orifice est très-étroit, la capacité de la bouche est immense : elle s’ouvre à un tel degré, dans plusieurs individus de l’espèce du rorqual, que quatorze hommes peuvent se tenir debout dans son intérieur, et que, suivant Sibbald, on a vu une chaloupe et son équipage entrer dans la gueule ouverte d’un rorqual échoué sur le rivage de l’Océan.

On pourra avoir une idée très-juste de la forme et de la grandeur de cette bouche énorme, en jetant les

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1. Tête osseuse d’une Baleinoptère Rorqual.
yeux sur les dessins que nous avons fait graver, et qui représentent la tête d’un rorqual pris sur les côtes de la Méditerranée, et dont nous allons reparler dans un moment.

Ces mêmes dessins montrent la conformation des fanons de cette espèce de baleinoptère.

Ces fanons sont noirs et si courts, que le plus souvent on n’en voit pas qui aient plus d’un mètre de longueur, et plus d’un tiers de mètre de hauteur. On en trouve même auprès du gosier qui n’ont que seize ou dix-sept centimètres de longueur, et dont la hauteur n’est que de trois centimètres ; mais ces fanons sont bordés ou terminés par des crins alongés, touffus, noirs et inégaux.

L’œil est situé au-dessus et très-près de l’angle que forment les deux lèvres en se réunissant ; et comme la mâchoire inférieure est très-haute, que la courbure des deux mâchoires relève presque toujours l’angle des deux lèvres un peu plus haut que le bout du museau, et que le dessus de la tête, même auprès de l’extrémité du museau, est presque de niveau avec la nuque, l’œil se trouve placé si près du sommet de la tête, qu’il doit paroître très-souvent au-dessus de l’eau, lorsque le rorqual nage à la surface de l’océan. Ce cétacée doit donc appercevoir très-fréquemment les objets situés dans l’atmosphère, sans que les rayons réfléchis par ces objets traversent la plus petite couche aqueuse, pour arriver jusqu’à son œil, pendant que ces mêmes rayons passent presque toujours au travers d’une couche d’eau très-épaisse pour parvenir jusqu’à l’œil de la baleine franche, du nordcaper, du gibbar, etc. L’œil du rorqual admet donc des rayons qui n’ont pas subi de réfraction, pendant que celui du gibbar, du nordcaper, de la baleine franche, n’en reçoit que de très-réfractés. On pourroit donc croire, d’après ce que nous avons dit en traitant de l’organe de la vue de la baleine franche, que la conformation de l’œil n’est pas la même dans le rorqual que dans la baleine franche, le nordcaper, le gibbar ; on pourroit supposer, par exemple, que le cristallin du rorqual est moins sphérique que celui des autres cétacées que nous venons de nommer : mais l’observation ne nous a encore rien montré de précis à cet égard ; tout ce que nous pouvons dire, c’est que l’œil du rorqual est plus grand à proportion que celui de la baleine franche, du gibbar et du nordcaper.

D’après la position de l’œil du rorqual, il n’est pas surprenant que les orifices des évents soient, dans le cétacée que nous décrivons, très-près de l’organe de la vue. Ces orifices sont placés dans une sorte de protubérance pyramidale.

Le corps est très-gros derrière la nuque ; et comme, à partir de la sommité du dos, on descend d’un côté jusqu’à l’extrémité de la queue, et de l’autre jusqu’au bout du museau, par une courbe qu’aucune grande saillie ou aucune échancrure n’interrompt, on ne doit appercevoir qu’une vaste calotte au-dessus de l’océan,

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1. Vertèbres d’une Baleinoptère Rorqual.
2. Fanons d’une Baleinoptère Rorqual.

lorsque le rorqual nage à la surface de la mer, au lieu d’en voir deux, comme lorsque la baleine franche sillonne la surface de ce même océan.

L’ensemble du rorqual paroît donc composé de deux cônes réunis par leur base, et dont celui de derrière est plus alongé que celui de devant.

Les nageoires pectorales sont lancéolées, assez éloignées de l’ouverture de la gueule, et attachées à une hauteur qui égale presque celle de l’angle des lèvres. Nous n’avons pas besoin de faire voir comment cette position peut influer sur certaines évolutions du cétacée[4].

La dorsale commence au-dessus de l’ouverture de l’anus. Elle est un peu échancrée, et se prolonge souvent par une petite saillie jusqu’à la caudale.

Cette dernière nageoire se divise en deux lobes ; et chaque lobe est échancré par-derrière.

La couche de graisse qui enveloppe le rorqual a communément plus de trois décimètres d’épaisseur sur la tête et sur le cou ; mais quelquefois elle n’est épaisse que d’un décimètre sur les côtés du cétacée. Un seul rorqual peut donner plus de cinquante tonnes d’huile. Lorsqu’un individu de cette espèce s’engage dans quelque golfe de la Norvége dont l’entrée est très-étroite, on s’empresse, suivant Ascagne, de la fermer avec de gros filets, de manière que le cétacée ne puisse pas s’échapper dans l’océan, ni se dérober aux coups de lance et de harpon dont il est alors assailli, et sous lesquels il est bientôt forcé de succomber.

Tout le dessous de la tête et du corps, jusqu’au nombril, présente des plis longitudinaux, dont la largeur est ordinairement de cinq ou six centimètres, et qui sont séparés l’un de l’autre par un intervalle égal, ou presque égal, à la largeur d’un de ces sillons. On voit l’ensemble formé par ces plis longitudinaux remonter de chaque côté, pour s’étendre jusqu’à la base de la nageoire pectorale. Ces sillons annoncent l’organe remarquable que nous avons indiqué en parlant de la jubarte, et dont nous allons nous occuper de nouveau dans l’article de la baleinoptère museau-pointu.

En septembre de l’année 1692, un rorqual long de vingt-six mètres échoua près du château d’Abercorn. Depuis vingt ans, les pêcheurs de harengs, qui le reconnoissoient à un trou qu’une balle avoit fait dans sa nageoire dorsale, le voyoient souvent poursuivre les légions des clupées.

Le 30 ventôse de l’an 6 de l’ère françoise, un cétacée de vingt mètres de longueur fut pris dans la Méditerranée sur la côte occidentale de l’île Sainte-Marguerite, municipalité de Cannes, département du Var. Les marins le nommoient souffleur. Le citoyen Jacques Quine, architecte de Grasse, en fit un dessin, que le président de l’administration centrale du département du Var envoya au Directoire exécutif de la République. Mon confrère le citoyen Révellière Lépaux, membre de l’Institut national, et alors membre du Directoire, eut la bonté de me donner ce dessin, que j’ai fait graver ; et bientôt après, les fanons, les os de la tête et quelques autres os de cet animal ayant été apportés à Paris, je reconnus aisément que ce cétacée appartenoit à l’espèce du rorqual.

C’est à cette même espèce, qui pénètre dans la Méditerranée, qu’il faut rapporter une partie de ce qu’Aristote et d’autres anciens naturalistes ont dit de leur mysticetus et de leur baleine. Il sembleroit qu’à beaucoup d’égards le mysticetus et la baleine des anciens auteurs sont des êtres idéaux, formés par la réunion de plusieurs traits, dont les uns appartiennent à notre baleine franche, et les autres au gibbar, ou au rorqual, ou à notre cachalot macrocéphale.

Daléchamp, savant médecin et naturaliste, mort à Lyon en 1588, parle, dans une de ses notes sur Pline[5], d’un cétacée qu’il avoit vu, et qui avoit été jeté sur le rivage de la Méditerranée, auprès de Montpellier. Il donne le nom d’orque à ce cétacée ; mais il paroît que c’est un rorqual qu’il avoit observé.


  1. Balænoptera rorqual.
    Rorqual à ventre cannelé.
    Souffleur.
    Capidolio, par les Italiens.
    Steype-reydus, par les Islandois.
    Steipe-reydur, ibid.
    Rengis fiskar, nom donné par les Islandois aux cétacées qui ont des fanons, et dont le dessous du ventre présente des plis.
    Rorqual, par les Norvégiens.
    id. par les Groenlandois.
    Balæna musculus. Linné, édition de Gmelin.
    Balæna fistulâ duplici in fronte, maxillâ inferiore multò latiore. Artedi, gen. 78, syn. 107.
    Balæna tripinnis, maxillam inferiorem rotundam et superiore multò latiorem habens. Sibbald.
    Balæna tripinnis, ventre rugoso, rostro rotundo. Brisson, Regn. anim. pag. 353, n. 6.
    Raj. Syn. pisc. p. 17.
    Φαλενα, balæna, etc. Italis capidolio. Bellon, Aquat. p. 46.
    Balæna Bellonii. Aldrovand. Pisc. p. 676.
    Baleine rorqual. Bonnaterre, planches de l’Encyclopédie méthodique.
    id. Édition de Bloch, publiée par R. R. Castel.
    Oth. Fabric. Faun. Groenland, p. 39.
    Adel. 394.
    Mull. Prodrom. Zoolog. Dan. 49.
    Rorqual. Ascagne, pl. d’hist. natur. cah. III, p. 4, pl. 26.
  2. MM. Olafsen et Povelsen disent, dans la relation de leur voyage en Islande (tome III, page 231 de la traduction françoise), que le rorqual est le plus grand des cétacées, et a une longueur de plus de cent vingt aunes danoises, ou de plus de quatre-vingts mètres. Mais c’est à la baleine franche qu’il faut rapporter cette dimension, qui n’a été attribuée au rorqual que par erreur.
  3. Longueur de la mâchoire inférieure, quatre mètres et demi ou environ.
    Longueur de la langue, un peu plus de cinq mètres.
    Largeur de la langue, cinq mètres.
    Distance du bout du museau à l’œil, quatre mètres un tiers ou à peu près.
    Longueur des nageoires pectorales, trois mètres un tiers.
    Plus grande largeur de ces nageoires, cinq sixièmes de mètre.
    Distance de la base de la pectorale à l’angle formé par la réunion des deux mâchoires, un peu plus de deux mètres.
    Longueur de la nageoire du dos, un mètre.
    Hauteur de cette nageoire, deux tiers de mètre.
    Distance qui sépare les deux pointes de la caudale, un peu plus de six mètres.
    Longueur du balénas, un mètre deux tiers.
    Distance de l’insertion du balénas à l’anus, un mètre deux tiers.
  4. Rappelez ce que nous avons dit de la natation de la baleine franche.
  5. Balænarum plana et levis cutis est, orcarum canaliculatim striata, qualem vidimus in littus ejectam, prope Monspesulum. (Note de Daléchamp sur le chapitre 6 du livre IX de Pline, édition de Lyon, 1606.)