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Impressions de mes voyages aux Indes/La ville blanche d’Odaipure

La bibliothèque libre.
Sturgis & Walton company (p. 5-).

LA VILLE BLANCHE D’ODAIPURE


La ville d’Odaipure est surtout très remarquable et unique dans l’Inde, par son caractère des plus antiques, par la beauté de ses magnifiques lacs artificiels et pour la pureté de sa race rajpoute, première caste aux Indes après le brahmanisme, qui est la caste de prêtres la plus élevée, dont le peuple est si fier. — (Rajpout signifiant fils de Prince.) Son Altesse le Maharana est considéré comme le descendant direct du soleil, on a pour lui la même vénération que pour un Dieu ; très aimé de ses sujets, il est reconnu le plus grand parmi toute la noblesse des Indes.

Le Maharana est un grand sportman ; il emploie la plus grande partie de son temps à la chasse et jusqu’à aujourd’hui, il tient le record de la chasse aux tigres.

Nous avons fait une délicieuse promenade sur le joli lac (Pétrola), un des plus grands de ce pays, il a quatre kilomètres de circonférence et est entouré d’un côté, par des montagnes abruptes, de l’autre par la ville et par le palais du Maharana. L’architecture de ce palais est une des plus remarquables parmi les œuvres hindoues, sa blancheur et l’éclat du marbre de ses dômes se reflètent dans les eaux, comme un enchantement.

À côté du Palais, s’élève une multitude de temples, tous du même genre, sculptés d’un travail à la main très artistique et toujours d’une blancheur scintillante. Par centaines, les habitants viennent prier matin et soir, après avoir pris leur bain au bord du lac ; l’ensemble des couleurs des costumes et des turbans, nous donne l’impression de fleurs vivantes, par tant de vie qui s’harmonise avec la belle nature.

Les femmes du peuple ont une démarche très fière ; elles portent tout sur la tête et sont très gracieuses lorsqu’elles viennent remplir au bord du lac, leurs cruches en cuivre. Elles sont généralement toujours couvertes d’innombrables bijoux et garnissent leurs jolis bras de bracelets en verre aux couleurs très brillantes, qui leur montent jusqu’au coude.

S. A. Le Maharana d’Odaipure

S. A. Le Maharana d’Odaipure


Elles sont coquettes et piquantes, trouvent toujours le moyen de passer leur temps à discuter au sujet de leurs costumes, n’ayant vraiment aucun souci, ignorant ce qu’est une vie d’intérieur, bien différent de nous, qui ne vivons que pour cela et notre bien-être.

Au milieu de ce lac s’élèvent deux jolis palais, entièrement construits en marbre du pays, et de travail pur style hindou. Le premier est appelé « Jag-Nanas. » Son intérieur est décoré d’immenses glaces qui garnissent les murs sur toute leur longueur, le parterre et ce qui encadre les glaces est fait d’une composition de mosaïque, donnant une grande fraîcheur pendant les fortes chaleurs d’été. Un jardinet très coquet, aux allées creusées et maçonnées tout autour, qu’on remplit d’eau, rend la température plus fraîche et agréable. On y trouve des plantes très parfumées, aux couleurs très vives et variées, qu’on voit rarement, même dans ce pays-ci. Le second palais, plus grand que le précédent, est surmonté d’énormes éléphants en marbre ; il est ancien et historique. Nous avons visité l’unique pavillon qui ne se composait que d’une chambre assez grande, au plafond très élevé : C’est là que le Prince Héritier, « Shahi-Gaman, » fils de l’Empereur Jahangir de Delhi, se réfugia pendant plusieurs années que durèrent les intrigues entre lui et son père causées par les Officiers de la Cour, dont les partis étaient devenus très divisés. Il ne retourna dans ses états qu’après la mort de l’Empereur, là il prit ses droits de souverain et monta sur le trône, en se faisant proclamer Empereur par ses partisans. Ce pavillon a été si bien conservé, qu’on ne peut croire que plusieurs siècles se soient écoulés, que tant de faits ineffaçables et historiques s’y soient passés. Ils resteront éternellement gravés dans l’histoire d’Odaipure, qui a toujours été le centre de toutes les hostilités guerrières et religieuses.

Ensuite, nous prîmes un thé copieux, spécialement préparé pour nous sur une de ces magnifiques terrasses, d’où la vue générale du lac et de la ville était d’une beauté féerique, sous un soleil couchant d’un rouge vif, qui nous transforma subitement cette ville blanche d’Odaipure, en rose.

Plus tard nous reprîmes un petit bateau à rames et l’on nous conduis-it au pied d’une petite montagne. Lorsque nous en fîmes l’ascension, nous fûmes heureux de trouver une maisonnette, dans laquelle nous était réservé un spectacle bien curieux. Du haut de la terrasse qui domine un terrain desséché et sauvage, nous vîmes des centaines de sangliers qui couraient de tous côtés, à l’appel d’un homme qui leur jetait des grains de maïs, dont ils sont très friands.

Ils crient, se disputent à qui aura la plus grosse part. Les chacals, les paons, les pigeons, et les tourterelles mangent tous ensemble avec grande avidité et gloutonnerie.

Nous les croyions très apprivoisés en les voyant tout près de nous, mais à notre grand étonnement d’entendre qu’avec ces sangliers, on organise de grands « pigstickings », sport très aimé des Anglais, et très connu aux Indes, pour lequel les Indiens tiennent le record étant le vrai sport de leur pays. Ces animaux sont assez redoutables et très durs à mettre hors de combat.

S. A. Le Maharana vient deux fois par semaine pour se distraire et assister à leurs repas.

Toutes les montagnes que nous voyions sont peuplées d’animaux sauvages, comme le tigre, le léopard, la panthère et l’hyène. Notre chauffeur nous raconta qu’un soir après nous avoir reconduit, en rentrant chez lui, une hyène se mit à poursuivre son automobile, et il ne put s’en débarrasser qu’en prenant une vitesse vertigineuse pendant un long trajet.

De tous côtés, on voyait disséminées dans les montagnes, de petites tours bâties en briques, réservées pour la chasse. C’est là que pour ces chasses dangereuses, les chasseurs s’abritent en attendant des heures entières un de ces animaux qui doit passer.

Les rabatteurs les poursuivent dans la direction des chasseurs qui les tirent sans être vus, lorsqu’ils sont à portée de leurs fusils.

Les rabatteurs ont beaucoup de sangfroid, car on ne peut jamais prévoir par où l’animal sortira du fourré ; ils sont ainsi toujours exposés au danger.

Le repas des sangliers

Le repas des sangliers