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Ingres d’après une correspondance inédite/LXXIV

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LXXIV
10 janvier 1855.

Je suis charmé de t’entendre parler musique. Tu parais bien la sentir. Quel art divin et honnête on cultive, avec de la musique honnête ; car la musique aussi a ses mœurs. L’italienne n’en a que de mauvaises. Je n’ai pas à te dire ce que tu sens si bien, avec ton aimable cousin. J’aime qu’un jeune homme aime la musique ; cela ne peut que le rendre plus doux, plus sage et, (selon Plutarque sur ce chapitre), plus capable en toutes choses de s’élever jusques aux plus belles actions. Sans doute, c’est un grand avantage d’entendre ces belles symphonies, pour les bien comprendre ; mais ce qui est si beau est facile à deviner, rien qu’en le déchiffrant bien au piano. On peut en tirer de nobles jouissances. Ces symphonies sont grandes, terribles, mais aussi d’une grâce et d’une sensibilité exquises, — celle en ut surtout. Mais elles sont toutes belles, et les petites se font toujours plus grandes. Le plaisir de les entendre à Paris, vaut le voyage.

Tu trouveras dans mon Musée de bons modèles ; car, bien que la nature soit le meilleur de tous, il faut s’y préparer par l’étude des grands maîtres. M. Combes te mettra la palette à la main, e viva !

À son Excellence Monsieur le Ministre d’État.
Ce 6 avril 1855.


Monsieur le comte, je vous remercie d’avoir bien voulu donner des ordres nécessaires pour faire clore par des tapisseries la portion de galerie qui m’est destinée. Mais je viens encore vous prier de faire activer ce travail, pour que je puisse l’occuper prochainement de placer quelques-uns de mes tableaux.

Je vous demanderai aussi de dire à M. Soult de me procurer une bordure assez grande pour laisser voir une portion de la peinture du plafond d’Homère, qui était cachée dans le cadre. Enfin j’espère qu’on apportera bientôt de la Galerie du Luxembourg la bordure du tableau du Christ et saint Pierre. Excusez, je vous prie, monsieur le comte, mon importunité, mais je n’ai aucun pouvoir pour ordonner ces différents travaux et je ne puis qu’avoir recours à votre obligeance.

Veuillez recevoir, monsieur le comte, l’assurance de la considération distinguée avec laquelle j’ai l’honneur d’être votre très dévoué serviteur.

J. Ingres.

Apostille : Les ordres sont donnés. Nous n’attendons plus que les tapisseries et M. Williamson. Classez.

(Fonds Paul Bonnefon).

Monsieur le Ministre, permettez-moi de recommander à votre bienveillance mon jeune parent et ami M. Cambon, peintre d’histoire.


Trois de ses tableaux font partie de l’Exposition universelle et y figurent à très juste titre ; l’un représente le Christ et les anges, un autre les jardins d’Alcine, délicieux ouvrage qui mérite tous les éloges ; et enfin son portrait, qui est aussi très remarquable.

Je ne crains pas d’affirmer que ces ouvrages dénotent un talent très distingué.

S’il vous était possible, Monsieur le Ministre, d’y jeter les yeux, je ne doute pas que vous ne rendiez justice à ces ouvrages et que vous ne soyez disposé à en favoriser le placement, lorsqu’une occasion vous en sera offerte.

Dans cette espérance, veuillez recevoir, Monsieur le Ministre, l’assurance de ma gratitude particulière, ainsi que l’expression de la haute considération avec laquelle j’ai l’honneur d’être, de Votre Excellence, le très obéissant serviteur.

J. Ingres.

(Fonds Paul Bonnefon).