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Initiation musicale (Widor)/ch18

La bibliothèque libre.
Librairie Hachette (p. 96-109).


CHAPITRE XVIII

LES ORIGINES DE LA MUSIQUE

EN ÉGYPTE. ║ EN GRÈCE. ║ À ROME.
L’ANTIPHONAIRE.
LA MUSIQUE RELIGIEUSE AU MOYEN ÂGE.
L’ÉVOLUTION DE LA MUSIQUE À TRAVERS LES SIÈCLES.



En Égypte. ↔ Nous connaissons mal les origines de la musique. La sculpture égyptienne représente quantité d’instruments ; nous en avons exhumé un certain nombre des tombes royales ; le Louvre possède des flûtes de quinze siècles antérieures à notre ère, des tambours sans doute moins âgés, trois harpes dont l’une, la plus complète et la plus élégante, est un prodige de conservation… Malheureusement aucun papyrus, aucun bas-relief, aucune inscription ne nous livre le secret des cantilènes soupirées par ces flûtes, rythmées par ces tambours, accompagnées par ces harpes. En vain, place de la Concorde, interrogeons-nous ce contemporain de Moïse qui les a entendues : l’obélisque reste muet.

En Grèce. ↔ Un peu plus de lumière nous vient de la Grèce. Platon, Aristote, Aristoxène ont expliqué la tonalité, les modes, la syntaxe de la langue musicale de leur temps, mais, hélas ! sans nous laisser d’exemples a l’appui. Qu’avons-nous de ce passé ?

Trois hymnes : à Calliope, à Némésis, à Apollon.

Des lambeaux d’un chœur d’Euripide.

Les deux hymnes de Delphes découverts en 1894. (Voir p. 144).

Quelques fragments énigmatiques, parmi lesquels un bout de papyrus provenant de l’église grecque d’Alexandrie (iiie siècle de notre ère), le début d’une ode de Pindare et quelques mesures de petites pièces instrumentales…

Enfin, une chanson gravée sur le tombeau de Tralles (bords du Méandre).

Ironique destinée !

De tout le lyrisme musical du pays d’Homère, il n’y a guère que cette chanson qui laisse deviner, chez son auteur, la notion des sons naturels :


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  mi4\fermata fad8 la[ dod si] \bar "|" la[ si la] fad4 sold8 \bar "|" mi4 fad8 la[ sold si] \bar "|" dod[ la fad] fad4 fad8 \bar "|" \stemUp re dod4\fermata
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Les trois hymnes à Calliope, à Némésis, à Apollon sont attribués à un cithariste célèbre sous le règne d’Antonin le Pieux, Mésomède.

À Vienne, un papyrus, provenant de la bibliothèque de l’archiduc Regnier, nous conserve quelques dramatiques accents de l’Oreste[1].

Des deux hymnes de Delphes, le plus important est inscrit sur les assises d’un temple aujourd’hui disparu ; l’autre a été péniblement reconstitué en rajustant les morceaux d’une stelle meurtrie.

Quant aux papyrus d’Alexandrie (de 10 centimètres carrés), au recto, c’est un fragment d’hymne en l’honneur de la Trinité ; au verso, un compte courant, quelques chiffres. — Bibliothèque de l’Université d’Oxford

Avouons-le : loin de nous éclairer, ces pauvres épaves ne font que jeter le trouble dans nos esprits, car elles concordent mal avec les écrits des philosophes. Chaque jour, sur l’Agora, devant le théâtre, les actes officiels, les édits des archontes, les convocations de tout genre se faisaient au son des trompettes, de leurs sonneries naturelles, octaves, quintes, quartes, tierces, l’arpège consonant.

Comment la vérité harmonique que proclamaient ces fanfares semble-t-elle avoir été ignorée des compositeurs d’alors ? Comment choisir le sombre maquis des demi-tons quand il s’agit de chanter l’idéal de beauté, de grandeur, d’éclatante lumière, Phébus-Apollon ?

Évidemment, nous sommes mal préparés à pénétrer un art si distant du nôtre, où tout nous semble décor et façade, alors que nous jugeons tout au point de vue « construction », en ramenant tout au concept symphonique, à la basse, à la fondamentale.

Puis, que croire, lorsque Platon, Aristote, Aristoxène et les autres nous parlent consonance et dissonance, tandis que, dans nos épaves, il ne se trouve pas la moindre preuve de l’emploi collectif de ces intervalles ?

On s’accorde à nous dire que l’Antiquité ne chantait qu’a l’unisson… Il ne suffit pas à l’unisson d’un chœur d’être soutenu par un même unisson instrumental, pour s’acquitter honorablement de sa tâche. Or, même pour un soliste, les intonations de l’hymne de Delphes présentent des difficultés : il a été exécuté en chœur par les artistes dionysiaques d’Athènes, assure-t-on… bien ou mal, Apollon seul le sait.

Chez nous, à une première répétition d’orchestre, si l’œuvre est d’un maître, chacun devine son rôle dans la symphonie ; premier, second on troisième plan, chacun le sent, parce qu’il y a une basse, un centre de gravité d’après lequel tout s’échafaude et tout se comprend. Mais, s’il n’y a ni basse, ni centre de gravité, mais seulement une mince ligne mélodique plus ou moins pure, que comprendre, où se repérer ?

Aristote l’a dit et nous le redisons : « Pourquoi, de tous les instruments, le plus beau, la voix, devient-elle inférieure à eux tous, quand elle n’a pas le secours de la parole ? »

La parole devait donc être, pour les chanteurs d’alors, ce qu’est dans nos bains froids la perche tendue aux élèves de natation. « Les anciens, dit très justement M. Th. Reinach, n’avaient recours à la notation des durées que lorsque les valeurs rythmiques ne résultaient pas avec évidence du mètre poétique, et celui-ci de la quantité naturelle des syllabes. » Chez le poète musicien, le musicien était naturellement aux ordres du poète.

Une question maintenant : « Sommes-nous assurés de l’exacte interprétation des « hiéroglyphes » de Delphes et d’ailleurs ? »

C’est Alypius, de l’époque romaine, qui nous en a livré le secret. Sur le rapport entre les degrés de la gamme et leur figuration ancienne, il y a peu de divergence. Simon sur les valeurs rythmiques, du moins sur celle de ces degrés, les traducteurs sont généralement d’accord.

Les notes de la gamme étaient représentées par les lettres de l’alphabet et certains signes spéciaux, quelquefois même par la même lettre sous différents aspects : le kappa, par exemple, tantôt droit, tantôt couché, tantôt retournés
Κ . Κ
Un trait ( ─ ) valait deux temps ; deux traits a angle droit ( _| ), trois temps.

Les rares pièces dont nous avons hérité semblent, presque toutes, rythmées à trois-huit, six-huit, trois ou cinq temps (ce dernier mouvement très élastique, déterminé par le vers, la volute de la phrase, l’importance du mot, la sonorité des voyelles). En déduire une théorie, conclure à l’exclusivisme d’autres rythmes, serait absurde. Aucun exemple d’un deux-quatre, du pas cadencé, de nos marches militaires[2]

On le voit, malgré les efforts, les recherches, nous ne saurions rien de ce passé, si, leur territoire envahi, les Grecs n’avaient à leur tour envahi celui du vainqueur et transplanté dans Rome le génie de leur race, la règle de leur art.

Et l’église latine, pénétrée de cet esprit, va bientôt nous transmettre les plus précieux témoignages de la mélopée antique, avec leurs tonalités et leur doctrine[3]. C’est elle qui mettra de l’ordre et de la méthode dans ces tonalités et qui, inconsciemment attirée par la vérité harmonique, comme l’aveugle par le soleil, préparera l’unification.

À Rome. ↔ Déjà, cinquante ans avant notre ère, Cicéron se plaignait de l’immigration hellénique : « Trop de Grecs chez nous, notre bel canto, notre accent, la pureté de notre prononciation se perdent… »

Qu’aurait-il dit un siècle plus tard ? Que dirait-il aujourd’hui en entendant le charabia italico-latin de nos chantres montmartrois ?

Bientôt, à Rome, dans le monde intellectuel et dans l’autre, on ne compte que des compatriotes de Démosthène : philosophes, rhéteurs, poètes, écrivains publics, virtuoses du chant et de la danse, acteurs, chorégraphes, précepteurs, coiffeurs, bonnes d’enfants, nourrices, tous Grecs. Au théâtre, Eschyle, Sophocle, Euripide, Aristophane, tiennent l’affiche. Les empereurs donnent le ton. Auguste, Trajan, Adrien, Commode, créent des institutions de propagande artistique, des sortes de conservatoires, des troupes qui, de ville en ville, de théâtre en théâtre, parcourent l’immense empire. Sur les frontières, sur les points choisis pour la défense, en même temps que des retranchements, se construisent des théâtres[4].

La Grèce romaine, dit Gevaert, « ne déploya jamais une activité intellectuelle comparable à celle des iie et iiie siècles, et le dernier art de la société païenne fut précisément la musique… ».

On croit généralement que c’est par intérêt politique que Néron fit empoisonner Britannicus : la légende prétend que c’est par jalousie artistique, rivalité de chanteurs. Néron avait une voix de baryton-basse, rugueuse et peu malléable ; Britannicus, un ténorino charmeur.

Avec le règne de Dioclétien finirent les persécutions. Par l’édit de Milan (313), Constantin fait la paix religieuse. Les chrétiens sortent des catacombes et, sans crainte du gendarme, crient leur joie au grand soleil, Alleluia !

Dès le milieu du ive siècle, les arts helléniques ont suivi l’Empereur à Constantinople, nouvelle capitale du monde ; les peuples de Gaule, d’Italie, d’Espagne, ne chantent plus qu’en latin, et la traditionnelle notation par lettres de l’alphabet grec tombe peu à peu en désuétude.

L’Antiphonaire. La musique religieuse au Moyen Âge. ↔ Alors les évêques s’efforcent de constituer un formulaire du chant ecclésiastique, l’Antiphonaire. Ils font le tri des mélopées anciennes pour n’en conserver que les plus caractéristiques, celles qui « restent », celles qui, une fois entendues, ne s’oublient plus.

Aux textes grecs ils substituent des paroles latines.

Une légende nous dit que saint Ambroise et saint Augustin adaptèrent le poème du Te Deum à la mélopée improvisée, le soir de Salamine, par un distingué cythariste, chef des chœurs, le jeune Sophocle.

Une autre légende attribue l’œuvre immortelle à Nicétas, évêque de Rémésiana[5] (province du Danube), ive siécle.

Nous l’avons constaté ailleurs : deux courants se sont rencontrés pour former l’Antiphonaire, l’un venant de Grèce, l’autre de Judée.

Les Grecs ne vocalisaient point[6] ; par conséquent tout ce qui n’est pas syllabe contre note, note contre syllabe, est d’origine hébraïque. Exemples : les Graduel, les Alleluia de la messe.

Le Graduel, verset qui succède à l’Épître, était jadis vocalisé par un soliste sur les marches de l’ambon, petite tribune surélevée de quelques « degrés ».

C’était aussi un soliste qui vocalisait l’Alleluia.

L’ensemble du chant liturgique a été constitué entre les vie et viie siècles. Les plus anciens manuscrits datent du ixe siècle. Pendant deux cents ans, la mélopée liturgique s’est transmise oralement, de vieux à jeune clerc, chacun pouvant ajouter, retrancher, modifier suivant ses moyens, suivant la coquetterie propre aux solistes, suivant la nécessité d’en user librement avec la ligne musicale, quand il s’agit de l’adapter à de nouvelles paroles. Que valait l’interprétation de ces clercs ? Une chronique du temps en compare l’effet à celui d’un chariot dégringolant l’escalier… Dans l’espoir d’assouplir les cordes vocales de ses chantres, Charlemagne engage deux maîtres italiens qui leur enseignent l’art des tremblés, des fioriturés, des répercutés, mais sans y réussir…

Ainsi, c’est par les hurlements des uns et les mièvreries des autres que la tradition parvient à Saint-Gall, à Saint-Maur, à Saint-Denys, dans tous les monastères où l’on cherche à la fixer.

Comment, à ce moment, n’en revint-on pas à la vieille notation ? Il est difficile de comprendre cet oubli des signes alphabétiques pour leur substituer la chinoiserie des neumes[7], vagues linéaments assez semblables aux bacilles de la typhoïde ? Les Bénédictins les ont déchiffrés et traduits avec une patience et une conscience presque exagérée, car leurs éditions reproduisent le bien et le mal, le vrai et le faux, jusqu’aux tremblés, aux fioriturés, aux répercutés d’antan.

Archivistes, ils ont collationné des textes, et les musiciens les en remercient ; mais ces textes sont de la musique, et c’est aux musiciens de les juger. Or ce dernier travail, commencé au XIIIe siècle, a duré trois cents ans. Il a été accompli par des hommes éminents, élevés à l’ombre des cloîtres, ne parlant que la langue de l’Antiphonaire. Pour construire le magnifique édifice de la polyphonie vocale, ils ont examiné et vérifié les textes anciens en les expurgeant des scories ridicules, des tremblés, fioriturés, répercutés, etc…. Et ainsi nous ont-ils laissé leur magnifique Canto Firmo, le Plain-Chant de nos pères

La polyphonie vocale est l’épanouissement de la mélopée antique. Si l’on veut se pénétrer de l’esprit latin, il faut commencer par étudier à fond cette polyphonie que résume l’art du contrepoint, avec ses règles basées sur la tradition, l’expérience et la logique.

Les musiciens réclament, dans les éditions modernes, contre tout ce qui porte atteinte à ces règles. Ils n’admettent pas, sous prétexte qu’elle figure dans un vieux manuscrit, la mutilation du Te Deum au retour du verset Et laudamus.

Le temps fait les chefs-d’œuvre.

Musique et architecture, on ne saurait trop le redire, obéissent aux mêmes lois d’équilibre et de proportion. Le sentiment architectural est inné en nous ; il l’était au siècle de Périclès comme au temps de Léon X. Pour preuve, la plus ancienne cantilène qui nous soit parvenue sans altération d’aucune sorte, le Credo du Concile de Nicée (325),


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La ligne mélodique n’excède pas les limites de la sixte mineure, et cependant il ne s’en dégage aucune monotonie. C’est un chef-d’œuvre d’unité, de simplicité, de vérité. La note « humaine » se traduit, au temps fort, par l’expressif retour des deux liées + ; et ces deux liées reviennent sur le mot final synthétiser l’admirable morceau.

Beethoven, le grand architecte, n’eût pas fait mieux. Quant au Te Deum, il est construit comme le sont nos cathédrales : deux tours encadrant un portique. À qui viendrait l’idée de jeter bas l’une des deux ?

Faut-il rappeler les grands Papes qui ont particulièrement favorisé le développement de la mélopée religieuse : saint Grégoire, Serge Ier, Grégoire II, Adrien Ier, Serge II, Léon IV, Léon IX ?…

Un roi de France ? Robert le Pieux qui dirigeait volontiers le chœur de Saint-Denys avec son sceptre comme bâton de mesure.

Les grands évêques ? saint Ambroise, saint Augustin, saint Hilaire de Poitiers.

Nous n’avons malheureusement que la partie littéraire du traité de l’évêque d’Hippone ; la partie musicale, qu’il se projetait d’écrire et qui eût été d’un prix inestimable pour nous, n’existe pas.

Les théoriciens, écrivains, poètes ?

L’évêque de Mayence, Maur, contemporain de Charlemagne, Aurélien, Hucbald, René d’Auxerre, Abélard, Adam de Saint-Victor, etc., et plus tard, successeurs des Ambroise et des Augustin, Thomas d’Aquin, Thomas de Celano.

À quelles époques attribuer les cantilènes les plus populaires ?

Au xe siècle, le Libera de l’office des morts (sauf le Dies iræ certainement postérieur). Au xie siècle, le Victimæ Paschali, l’Inviolata, le Salve Regina. Au xiiie siècle, l’Ave verum, le Veni Sancte Spiritus, le Lauda Sion (que je crois de dix siècles plus vieux). Au xive siècle, le Stabat (qui me semble de deux siècles plus jeune).

Est-il vrai que les croisés de Godefroy de Bouillon, cheminant vers Constantinople, chantaient et rechantaient les quatre-vingt strophes d’une complainte, devenue plus tard l’Ave Maris Stella ?

N’oublions pas que la musique de la plupart de ces mélopées est de beaucoup plus ancienne que les paroles. Aux textes païens plus ou moins antiques, ont été substitués, le plus souvent, des versets de l’Écriture.

Homophone de Sophocle à Guy d’Arezzo, polyphone avec Josquin des Prés, Jannequin, Goudimel, Roland de Lassus, Vittoria, Palestrina, l’esprit antique disparaît tout à coup devant une tonalité nouvelle, l’unification des modes, la symphonie, mais il se retranche dans l’église, où il est de notre devoir de le défendre, car il reste à la base de notre enseignement musical, comme est le latin pour le français.

Ancien ou moderne, depuis que le monde est monde, le chant appartient aux musiciens, et particulièrement le Plain-Chant.

C’est ce que comprenait si bien le vénérable et vénéré Pontife, musicien lui-même, auteur du Motu proprio : « Qu’ai-je voulu ? me disait Pie X. Séparer la musique d’église de la musique de théâtre, et mettre un peu d’ordre dans le chant ecclésiastique. » (15 novembre 1909.) Et il se plaignait du sectarisme des idées qu’on lui prêtait, du désordre anarchique de ces congrès qui se multipliaient en raison directe de leur inutilité : « On ne m’écoute point, » concluait-il assez tristement…

L’évolution de la musique à travers les siècles. ↔ Avant de pénétrer le monde nouveau de la polyphonie orchestrale, de la symphonie, du chant avec orchestre, du théâtre, jetons un dernier regard sur le passé.

Du pays d’Aristote que nous reste-t-il ? De nombreux écrits, d’insuffisants exemples.

De la période romaine ? Peu de littérature, mais un riche héritage mélodique dont la tonalité, faite des sons naturels, s’accorde avec la théorie des Grecs.

Le mélos du Credo de Nicée s’appuie sur les harmoniques 2 et 3.

Celui du Lauda Sion, sur les harmoniques 5 +, 6 +, 8 + :


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La magnifique cadence du Te Deum gagne la tonique en groupant, de tierce en tierce, quintes et modes :


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Aux mêmes lois obéissent la Puer natus est, de l’Introït de Noël, dont la tonalité est si naturelle qu’on pense à Mozart en écoutant le morceau, et l’Hæc dies de Pâques :


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  fad2. \breathe \phrasingSlurDown mi8[\( fad] la4 \slurUp \tuplet 3/2 { sold!8[( la si]) } \stemUp \slurDown dod2( dod8)[ la fad sold!] fad2\)
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C’est déjà notre gamme moderne : deux tons relatifs : ré majeur, fa ♯ mineur.

Le sentiment d’une vérité tonale dont avaient conscience les philosophes grecs, mais qui ne se manifeste guère dans ce qui reste de leur art, nous le constatons ainsi dès les premiers siècles du christianisme.

Il ne fera que s’accentuer avec le temps et surtout à la Renaissance, sous l’influence des maîtres de la polyphonie vocale.

Et d’ailleurs, Trouvères et Troubadours, chanteurs et instrumentistes laïcs, contribuèrent singulièrement à ce mouvement d’unification modale, et aussi la Réforme.

Luther n’avait rien d’un iconoclaste[8] ; loin de détruire, il construisait avec des matériaux tirés du Graduel et de l’Antiphonaire[9]. Ses Chorals appartiennent à la tonalité moderne, et c’est sans évocation quelconque des anciens modes que, deux cents ans plus tard, Bach les harmonisera.

  1. Comme tous les poètes ses compatriotes, comme Eschyle et Sophocle, Euripide écrivait la musique de ses drames. On ne concevait pas alors qu’une œuvre d’art pût naître d’une collaboration. Pindare, dit la légende, rythmait parfois ses vers d’après le mouvement du « mélos » qu’il entendait chanter en lui.
  2. Dans les cortèges, en avant et autour du César victorieux, il devait y avoir, comme dans nos défilés militaires, des coportes en ordre réglé et sans doute rythmé… Mais la foule qui chantait l’hymne de gloire, le Lauda Sion peut-être, suivait sans discipline, sans chef de chœurs, piétinant comme la foule qui accompagne à sa dernière demeure un citoyen de marque.
  3. La Grèce conquise avait conquis son vainqueur. Un texte de Juvénal illustre cette vérité historique :
    xxx« Romains, une chose me révolte, c’est que Rome soit devenue une ville grecque. Les voilà, ces Grecs, qui partent de tous les points de la Grèce, de la haute Sicyone, d’Amydone, d’Andros, de Samos, de Tralles, d’Alabanda. Tous marchent droit aux Esquilies, et vers le mont Viminal. Les voilà au cœur des grandes maisons et bientôt ils en seront les maîtres. Esprit prompt, aplomb imperturbable, parole facile, ils ont tout pour eux. En voici un ! Quelle profession lui supposes-tu ? Toutes celles que tu peux désirer. C’est un homme universel. Grammairien, rhéteur, géomètre, peintre, baigneur, augure, saltimbanque, médecin, sorcier. Un Grec, quand il a faim, sait tous les métiers. Tu lui dirais : « Monte au ciel, » il y monterait. » (Juvenal, Satire III, traduction E. Despois.)
  4. Dernièrement, le maréchal Lyautey s’émerveillait de l’habileté stratégique qui avait déterminé le choix de ces points : « Quels admirables tracés de chemins de fer ces gens-là nous auraient laissés ! »
  5. Aujourd’hui Neo Palenka (Serbie).
  6. Rappelons-nous, ci-devant page 99, le témoignage d’Aristote.
  7. Neumes, du grec πνεῦμα (souffle), disent les uns, de « νομος » (règle, mode, cantilène), disent les autres.
  8. On attribue souvent au maitre d’Eisenach la paternité de ses Chorals. Dans les Passions saint Mathieu et saint Jean, ainsi que dans toute son œuvre, seules les harmonisations sont de lui. Le thème de la mélopée, d’origine plus ou moins ancienne, appartient toujours à la liturgie luthérienne.
    xxxCelui du choral d’orgue O Mensch bewein’ dein’ Sünde gross est, paraît-il, dû à un chantre de Strasbourg.
    xxxLa biothèque de Munich possède l’unique exemplaire de l’édition parue en 1539 (Strasbourg) des Psaumes et Cantiques, la plupart avec des paroles de Clément Marot, quelques-unes de Calvin.
    xxxLes lansquenets, descendant sur Pavie pour y combattre François Ier, chantaient un vieux refrain de taverne aux paroles peu liturgiques. Luther en fit son Choral de l’Avent (Ch.-M. W. Sinfonia sacra).
  9. Le Graduel est le recueil des messes ; l’Antiphonaire, celui des antiennes.