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Introduction à l’étude de la paléontologie stratigraphique/Tome 2/Chapitre VI

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CHAPITRE VI


ORGANISMES INFÉRIEURS


Observations générales.


L’influence des produits de la vie sur la composition et la formation même des dépôts sédimentaires ne s’arrête pas aux animaux déjà si petits qui élèvent les îles et les récifs de polypiers ; en descendant encore dans l’échelle des êtres et suppléant à l’insuffisance de notre vue par le secours de la loupe et du microscope, nous atteignons tout un nouveau monde d’organismes infiniment petits, d’une richesse et d’une variété de formes inimaginables, dont les uns peuplent les eaux marines, les autres les eaux douces et les eaux saumâtres.

Comme dans les classes plus élevées, il y en a qui, composés seulement de parties molles, sont complètement détruits après la mort, tandis qu’un grand nombre, dont les tissus sont revêtus ou consolidés par une substance inorganique, calcaire ou siliceuse, laissent après eux des traces incontestables de leur passage et du rôle qu’ils ont joué dans l’économie de la nature. Ils ne construisent point, à la vérité, de roches solides comme les polypes, mais, par leur prodigieuse multiplication dans toutes les mers, les lacs et les marais et sous toutes les latitudes, ils constituent de véritables dépôts à eux seuls ou entrent comme partie essentielle dans les vases et les sables qui s’accumulent journellement au fond ou sur le bord des eaux.

Mais ici se présente une difficulté que nous n’avions pas encore rencontrée, c’est l’absence d’une classification et d’une terminologie qui soient généralement adoptées et suffisamment connues pour n’avoir pas besoin d’explication. Aussi, avant de rapporter ce que les voyageurs et les naturalistes nous apprennent de plus important, croyons-nous nécessaire de dire quelques mots de l’état de la science relativement aux êtres placés à la base de la série organique, soit animale, soit végétale.

Jusque dans ces derniers temps les zoologistes et les botanistes micrographes se sont disputé la possession de certains groupes de formes auxquels ils attribuaient des organes et des fonctions qui les faisaient placer par les uns dans le règne végétal, par les autres dans le règne animal. L’exposition sommaire des principes auxquels nous nous rattachons pour ceux, de ces organismes qui nous intéressent est nécessaire afin d’éviter autant que possible au lecteur l’embarras où il se trouverait placé en face de faits présentés, tantôt suivant une opinion, tantôt suivant une autre, sans avoir un point de départ auquel il puisse se reporter. On conçoit d’ailleurs que nous ne puissions pas songer à coordonner tous ces matériaux suivant une méthode naturelle qui est encore à créer, et qu’en outre nous ne puissions pas, dans l’état de la science, accepter des déterminations extrêmement variées et souvent contradictoires.

Nous espérons que cette digression paraîtra d’autant mieux motivée que nous ne connaissons rien qui puisse y suppléer dans les ouvrages de géologie et de paléontologie publiés en France ; et, lorsque ce sujet a été traité dans ceux publiés à l’étranger, ce qui d’ailleurs est assez rare, c’est avec une brièveté qui n’est nullement en rapport avec son importance. Nous nous aiderons fréquemment des recherches si spéciales de M. W. B. Carpenter, et nous ferons de nombreux emprunts à son excellent livre intitulé : Le microscope et ses révélations[1], d’où nous avons extrait, avec l’assentiment de son éditeur, les figures destinées à éclaircir nos explications.

Cette section se divisera donc en deux parties : dans la première, nous présenterons, sous la forme d’une Introduction, les éléments qui servent à établir les distinctions que nous adoptons ; dans la seconde, nous énumérerons les principaux gisement : de corps organisés microscopiques, en nous conformant aux dénominations employées par les auteurs. On comprend que nous ne puissions pas renvoyer à une autre section l’examen des végétaux microscopiques, dont l’histoire se trouve si intimement liée à celle des animaux également les plus inférieurs.


§ 1. Introduction.


La distinction et la détermination des êtres organisés les plus simples, quant à leur classement dans le règne végétal ou dans le règne animal, ont été et sont encore vivement controversées ; les caractères sur lesquels elles doivent reposer sont encore discutés, mais nous nous arrêterons aux suivants avec les physiologistes micrographes, qui, dans ces derniers temps, nous semblent avoir fait faire le plus de progrès à cette partie si délicate de la science. Ainsi nous rejetons avec eux le mouvement comme étant le signe absolu de la vie animale, et, en nous reportant au principe énoncé au commencement de ce. livre, aux résultats chimiques des fonctions comparées des animaux et des végétaux dans l’acte de la nutrition, le plus essentiel de tous dans les phénomènes de la vie, peut-être y trouverons-nous un moyen naturel et tout à fait philosophique de tracer la limite si longtemps cherchée entre les deux règnes.

Les animaux, avons-nous dit, se nourrissent exclusivement de matières organiques déjà formées qu’ils introduisent, d’une manière ou de l’autre, à l’intérieur du corps ; les végétaux seuls ont la faculté de se nourrir en absorbant de l’extérieur des substances inorganiques. Si ce principe est absolu, une étude très-attentive du mode de nutrition et de la nature des éléments dont un être organisé s’alimente pourrait donc toujours conduire à sa classification dans l’un ou l’autre règne. Malgré les difficultés d’une pareille recherche sous la lentille du microscope, on est arrivé à reconnaître que les corps qui peuvent être regardés comme les animaux les plus simples, qui ne sont guère composés que d’une masse gélatineuse et auxquels on a donné le nom de protozoaires, sont alimentés soit par d’autres protozoaires plus petits, soit par des organismes végétaux les plus simples, désignés sous le nom de protophytes, de la même manière que les animaux les plus élevés se nourrissent de la chair des autres animaux ou bien des plantes cryptogames et phanérogames ; en même temps, ces protophytes firent leur nourriture, comme les plantes les plus élevées, des éléments de l’air, et sont caractérisées par le pouvoir de dégager l’oxygène de l’acide carbonique sous l’influence de la lumière solaire.

Cela posé, nous examinerons successivement les plantes inférieures ou protophytes et les animaux inférieurs ou protozoaires.
Protophytes.

La cellule est le point de départ de tous les végétaux, demeurant simple et semblable à elle-même dans les protophytes, se différenciant au contraire de mille manières pour former les divers organes dans les végétaux plus élevés. La cellule se compose d’une enveloppe et d’un liquide contenu dans cette enveloppe. Celle-ci est composée à son tour de deux parties : l’une intérieure, l’utricule primordiale constituée par une substance albuminoïde (oxygène, hydrogène, carbone et azote) ; l’autre extérieure, plus forte, essentiellement composée de cellulose qui ne contient pas d’azote et est semblable à l’amidon. Le liquide intérieur, plus ou moins coloré, ou endochrome, consiste en une couche de substance moins colorée ou protoplasme, en contact avec l’utricule primordiale et en parties ou grains de chlorophylle, disséminés dans toute la masse. Parmi les tribus les plus simples de protophytes, les desmidiacées et surtout les diatomacées sont celles qui doivent nous intéresser le plus. Toutes deux ont été rangées, par M. Ehrenberg et par d’autres naturalistes, avec les animalcules microscopiques, comme les Palmoglæa, les Protococcus, les Volvox, etc., qui doivent aussi rentrer dans le règne végétal.
Desmidiacées.

Les desmidiées ou desmidiacées sont de petites plantes de couleur verte, croissant dans les eaux douces, dont les cellules sont généralement indépendantes les unes des autres et revêtues d’une enveloppe cornée. Les fonctions de nutrition et de reproduction de ces corps sont celles des végétaux et non celles des animaux auxquels ont pu seulement les faire rapporter les mouvements du fluide observés dans les Closterium, principalement entre la cellulose et l’utricule primordiale, mouvements qui semblent être entretenus par une action ciliaire. Les Desmidiées n’ayant rien dans leur composition qui les fasse résister à une complète destruction après la mort, nous ne nous y arrêterons pas davantage.
Diatomacées

Caractères généraux.

Les diatomées ou diatomacées sont comme les desmidiacées de simples cellules pourvues d’une enveloppe extérieure solide, dans laquelle est comprise une masse d’endochrome dont la couche superficielle semble être consolidée en une sorte d’utricule primordiale. L’enveloppe extérieure est endurcie par la présence de la silice qui est un des caractères les plus prononcés de ce groupe de petits corps. On peut supposer qu’elle imprègne complètement la cellulose. L’endochrome, au lieu d’être d’un vert clair, est brun jaunâtre, couleur due au fer, que ces plantes ont la propriété de s’assimiler aussi et que l’on retrouve même dans les enveloppes siliceuses les moins colorées. L’endochrome, comme dans les autres plantes, est un protoplasme visqueux où flottent les granules de matière colorante. Les parties granulaires de cette masse gélatineuse sont douées d’un mouvement de circulation comme dans les desmidiées.

Les diatomées sont ainsi nommées à cause de la propriété qu’ont les masses qu’elles forment de se diviser facilement en fragments réguliers, bacillaires ou rectangulaires, simples, désignés sous le nom de frustules (fig. 6 et 7).

L’enveloppe de chacune de ces parties se compose de deux valves ou plaques, ordinairement symétriques, parfaitement ajustées l’une sur l’autre comme les valves d’un mollusque acéphale. Chaque valve étant plus ou moins concave, elles laissent entre elles l’espace occupé par la cellule.

Fig. 6. — Diatoma vulgare. Fig. 7. — Grammataphora serpentina
a. Frustule vue de côté. — b. Frustule commençant à se diviser. a. Frustule vue de face et de côté. — b, b. Frustule divisée vue de face et par l’extrémité. — c. Frustule commençant à se diviser. — d. Frustule complètement divisée.

Cette cavité présente toutes sortes de formes : carrée, triangulaire, cordiforme, en bateau ou fort allongée, etc. Le long de la suture des valves sont des ouvertures qui mettent l’intérieur en communication avec le liquide ambiant.

M. Carpenter[2] divise l’ordre des diatomacées en deux tribus : la première renfermant celles dont les frustules sont nues, c’est-à-dire ni imbibées de substance gélatineuse, ni enfermées dans un tube membraneux ; la seconde, les formes dont les frustules ont au contraire une enveloppe gélatineuse ou membraneuse.

La division de la première tribu, dans laquelle les frustules sont entièrement discontinues et séparées après leur bissection, comprend un grand nombre de formes discoïdales, fort élégantes, qui semblent constituer un groupe naturel.

Fig. 8. — Diatomacées, etc., d’Oran.

a, a, a. Coocinodiscus. — b, b, b, Actinocyclus. ─ c. Dictyochya fibula. — f. Lithasteriscus radiatus. — a. Spongiolithis acicularlis. — f, f’. Graamatophora parallela vue de côté. — g, g. G. angulosa vue de face.

Le genre Coscinodiscus entre autres (ftg. 8, a) est d’un grand intérêt par son abondance dans les dépôts siliceux de Richmond (Virginie), des Bermudes, d’Oran, et du guano. Beaucoup d’espèces sont marines ou d’eau saumâtre, attachées aux herbes ou aux zoophytes. Des espèces rapportées de l’île Melleville paraissent être identiques avec celles de Richmond. Les Actinocyclus (fig. 8, b) genre voisin du précédent, dont les valves sont ondulées au lieu d’être planes, se trouvent aussi dans les terres à fossiles siliceux comme dans les diverses mers du globe et le guano. La terre des Bermudes renferme l’Heliopelta et le guano l’Arachnoidiscus, deux des formes les plus élégantes par la richesse des détails qu’elles présentent. Les Triceratium abondent dans les Bermudes et autres terres siliceuses, dans l’Océan et les rivières où remonte la marée ; le T. favus, l’une des plus grandes espèces, est très-répandu dans la Tamise et d’autres estuaires des côtes d’Angleterre. Le genre Campylodiscus a des espèces marines et d’autres d’eau douce. L’une d’elles constitue la terre de Soos, près Ezer, en Bohême.

Fig. 9. ─ Diatomacées fossiles, etc., de la montagne de Mourne (Irlande).

a, a, a. Gaillonella (Meloseira) procera et granulata. — d, d, d. G. biseriata vue de côté. — b, b. Surirella plicata — c. S. cralicula. — k. S. caledonica. — c. Gomphonema gradeide — f. Cacronema fusidum. — g. Tabelleria vulgaris. — h. Pinnularia dactylas — i P. nobilis. — l. Synedra alu.

Le plus grand nombre des Surirella (fig. 9, b, c, k) habitent les eaux douces et saumâtres, et quelques-unes sont marines. Elles abondent au fond des lacs d’Irlande. Les Navicules et les sous-genres Pinnularia et Pleurosigma sont caractérisés par la forme allongée et lancéolée de leurs valves. Les Navicula et les Pinnularia (fig. 9, h) habitent presque toutes les eaux douces et constituent la plus grande partie des terres dites à infusoires, déposées au fond des lacs. Tels sont les schistes à polir de Bilin, en Bohême. Les Pleurosigma sont au contraire presque tous marins ou d’eau saumâtre. Les Gomphonema (fig. 9, e) sont presque exclusivement d’eau douce.

Fig. 10. — Meridion circulare.


Fig. 11. — Bacillaria paradoxa.

Le Meridion circulare (fig ; 10) forme à lui seul une couche au fond des ruisseaux des environs de West-Point. Aux premiers jours du printemps, il constitue une matière muqueuse ferrugineuse recouvrant les pierres, les branches, les herbes qui occupent le lit de ces cours d’eau. Le Bacillaria paradoxa (fig. 11), la seule espèce remarquable parle mouvement des frustules glissant les unes sur les autres, tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre, habite les eaux salées et les eaux saumâtres. Le genre Diatoma (fig. 6, p. 355), qui donne le nom à tout l’ordre, est le plus simple et celui où la séparation des frustules s’opère le plus facilement. Le genre Grammatophora (fig. 7, p. 355), voisin du précèdent, montre très-difficilement ses stries transverses, et les frustules vues de face sont marquées de bandes particulières, ordinairement sinueuses. Les Biddulphia sont exclusivement marines comme les Isthmia ; les unes et les autres montrent à leur surface une structure aréolaire. Les Gaillonella ou Meloseira (fig. 9, a, p. 357), longtemps rangées parmi les plantes et reportées dans le règne animal par M. Ehrenberg, est un des genres les plus remarquables qui constituent des dépôts, par la propriété très-développée qu’ont ses espèces de s’assimiler une grande quantité de fer, particulièrement la M. ochracea, qui se développe dans les marais. On en connaît aussi des espèces marines.

Quant à la seconde tribu des diatomacées, dont les frustules sont enveloppées d’une substance gélatineuse ou membraneuse, elle contient moins de formes intéressantes que la précédente, et ce que nous venons de dire peut suffire pour donner une idée des vrais caractères de ces corps.
Habitat des diatomacées.

Les diatomacées, dit M. W. Smith, dans la monographie qu’il en a donnée, habitent l’eau salée et l’eau douce, mais les espèces de l’une ne se trouvent jamais vivantes dans l’autre. Un certain nombre habitent aussi les eaux saumâtres. Souvent elles y sont très-nombreuses et très-variées, sur les points accidentellement exposés à l’envahissement des eaux salées, tels que les marais voisins de la mer, les deltas où s’effectue le mélange des eaux douces et des eaux salées à l’époque des grandes marées. Un autre habitat favori des diatomacées sont les pierres, les rochers et les cailloux des courants qui descendent des montagnes, les rochers des rapides et les marais peu profonds que laissent les marées à l’embouchure des rivières ; il y en a également dans les fossés le long des chemins, dans les citernes et les puits.

Dans les régions antarctiques, suivant M. W. J. Hooker, ces petits êtres deviennent surtout apparents quand ils sont enveloppés dans la glace nouvellement formée, puis entraînés par myriades dans la mer sur les glaçons et la neige qu’ils revêtent partout de teintes ocracées. Un dépôt vaseux, principalement formé des dépouilles siliceuses de diatomacées, a été reconnu le long des côtes de la Terre Victoria, par 78° latitude S., s’étendant de 60 à 120 mètres de profondeur, sur 400 milles de long et 120 de large, mais sans qu’on puisse avoir une idée exacte de son épaisseur, qui doit être fort grande et s’accroître indéfiniment, puisque la silice qui la compose ne se détruit pas. Un fait d’un intérêt particulier, en rapport avec ce dépôt, c’est son prolongement qui recouvre les pentes sous-marines du mont Érebus, volcan en activité, s’élevant à 3769 mètres d’altitude. S’il y avait une communication entre les eaux de l’Océan et l’intérieur du volcan, opinion adoptée par quelques personnes, on aurait une explication toute naturelle de la présence des diatomacées dans les cendres volcaniques, comme nous le dirons ci-après.

L’universalité de cette végétation invisible dans toute la région polaire australe, supplée à l’absence de végétaux élevés ; sans elle il n’y aurait pas de nourriture pour les animaux aquatiques, et, en supposant que ceux-ci pussent se maintenir en se suffisant entre eux, les eaux de l’Océan ne pourraient être purgées de l’excès d’acide carbonique qu’y verseraient continuellement la respiration et la décomposition des animaux.

Certaines espèces de diatomacées se retrouvent sous toutes les latitudes, depuis le Spitzberg, au nord, jusqu’à la Terre Victoria, au sud, tandis que d’autres sont limitées à des régions particulières. Le gisement le plus singulier de ces corps est sans doute le guano dont les espèces ont dû passer des intestins des poissons, nourriture des Guanaès, dans ceux de ces oiseaux pour être rejetées avec leurs excréments.

On conçoit d’ailleurs que, par l’inaltérabilité de leur enveloppe siliceuse, les diatomacées doivent contribuer à former des dépôts considérables au fond des mers et des lacs de nos jours comme ils en ont fait dans les temps géologiques.
Protozoaires.

Caractères généraux.

Si des protophytes, qui devaient le plus nous intéresser, nous passons actuellement aux protozoaires (Siebold) ou animaux les plus inférieurs, qui ont aussi droit de fixer notre attention, nous verrons dans ceux-ci des mouvements consistant, non plus en de simples vibrations de cils comme chez les plantes, mais dépendant des altérations de la substance contractile du corps entier et ressemblant par conséquent à ceux des animaux élevés. Nous avons dit en outre que les plus simples protozoaires paraissaient être privés de la faculté de former de la matière organique et dépendaient, pour leur alimentation, d’autres organismes, soit végétaux, soit animaux, dont la substance devait être introduite à l’intérieur, au lieu d’être absorbée par la surface extérieure, comme dans les protophytes ; de sorte qu’ici la différence des fonctions physiologiques les plus essentielles permettrait de séparer des corps si semblables à d’autres égards.

C’est ainsi, dit M. Carpenter[3], qu’une cellule de Protococcus décompose l’acide carbonique sous l’influence de la lumière, forme de la chlorophylle et les composés de protéine comme les cellules des feuilles des plantes les plus parfaites, tandis que l’Amæba, le plus humble des protozoaires, reçoit à l’intérieur et digère des aliments d’origine végétale ou animale et s’en nourrit aussi bien que l’animal pourvu de l’appareil digestif et de circulation le plus complet.

La cellule animale, comparable aussi à celle des plantes à beaucoup d’égards, en diffère par l’absence de l’enveloppe de cellulose que rien ne remplace. La cellule est comprise dans une seule membrane dont la composition albumineuse indique qu’elle correspond à l’utricule primordial. La matière semi-fluide interne ne renferme point de granules de chlorophylle. Comme celle de végétaux, elle se multiplie par des subdivisions. Le sarcode, ainsi que l’a nommée Dujardin, est la masse semi-fluide qui forme la base de l’organisme entier.
Classification.

Infusoires, Rhizopodes, Sopongiaires.

Parmi ces animaux inférieurs nous n’avons point à nous occuper de ceux qui doivent rester avec les infusoires proprement dits et qui étaient compris dans la division fort hétérogène et si étrangement caractérisée par M. Ehrenberg, sous la dénomination de polygastriques. Tels sont les Vorticelles, les Enchélies, les Paramécies, les Kerona, les Trichodes, etc., et il en est de même du groupe plus élevé des Rotifères. Nous n’avons à considérer que les rhizopodes (pieds semblables à des racines), désignation sous laquelle certains micrographes réunissent des animaux assez différents, mais que nous restreindrons tout à l’heure en la ramenant à sa première application. Ils consistent en une masse sarcodique, se prolongeant à l’extérieur en de longs filaments extrêmement déliés, transparents comme du verre filé et appelés pseudopodes. La coquille est formée, soit par la consolidation de la partie externe, du sarcode, qui s’imprègne d’une substance étrangère minérale, soit, plus rarement, par l’agglutination mécanique de particules de sable très-fin avec une exsudation visqueuse de la surface. La carapace des Arcelles et des Difflugies ressemble. assez à l’enveloppe des desmidiacées et d’autres à celle des diatomacées, mais au lieu de cellulose elle montre une substance cornée plus analogue à la chitine des insectes.

Nous venons de dire que divers naturalistes comprenaient sous le nom de rhizopodes plusieurs séries de formes presque toutes marines, revêtues d’une enveloppe solide, qui résiste à la décomposition après la mort de l’animal et dont l’accumulation peut former des couches, plus ou moins considérables : ce sont 1° les rhizopodes proprement dits, ainsi désignés par Dujardin qui le premier les a bien caractérisés ; 2° les éponges, 3° les polycystinées.

Les rhizopodes sont revêtus d’une coquille ou d’une enveloppe calcaire entourant le sarcode et perforée d’un plus ou moins grand nombre d’ouvertures donnant passage aux pseudopodes, d’où le, nom de foraminifêres que leur avait donné, en 1823, Alc. d’Orbigny, qui d’ailleurs n’en soupçonnait pas l’usage, et auquel on doit préférer celui qui exprime plus exactement le caractère général des animaux eux-mêmes. Nous donnons ci-contre (fig. 12), d’après M. Carpenter, un dessin de la Rosalina ornata, vivante, avec ses pseudopodes était dus ; nous avons pris cet exemple parmi les coquilles hélicostègues nautiloïdes, à cause de l’application qu’on en peut faire aux genres fossiles les plus importants. Plusieurs auteurs, tels que Bronn et M. Bailey, ont conservé la dénomination de polythalames, doit être rejetée comme pouvant contribuer à entretenir l’ancienne erreur que ces corps étaient des coquilles de mollusques céphalopodes. Les éponges ou porifères ont un squelette ordinairement composé d’un réseau de fibres cornées, consolidé par des spicules calcaires ou siliceuses de formes diverses, et la masse molle animale est composée de cellules agrégées, comme celle des Amæba, remplissant les interstices. Enfin les polycystinées sont pourvus d’une coquille perforée par de nombreuses ouvertures, mais siliceuse au lieu d’être calcaire.


Fig. 11. — Bacillaria paradoxa.
Fig. 12. — Rosalina omata, avec ses pseudopodes étendus.

Nous croyons devoir réserver, dans ce qui suit, le nom de rhizopodes aux animaux microscopiques à test calcaire, caractérisés comme ils l’ont été par Dujardin, en 1855, et en séparer complètement les éponges. Quant aux polycystinées, ce sont des rhizopodes à test siliceux et ce seront les seuls dont nous parlerons en ce moment comme étant les moins généralement connus de ces petits animaux.

D’après les observations récentes de M. Müller, ces très-petites coquilles siliceuses contiennent un sarcode de couleur brun olive se prolongeant au dehors par des pseudopodes qui ressemblent à ceux des Actinophrys et qui passent par les ouvertures dont la coquille est percée. Celle-ci offre souvent des prolongements spiniformes qui lui donnent l’aspect le plus singulier, comme on peut en juger par la figure ci-dessous représentant des polycistinées mêlées à des diatomacées et à quelques rhizopodes, dans un échantillon de la terre siliceuse de la Barbade (Podocyrtis, Lychnocanium, Encyrtidium, Diclyospyris, etc, ).

Fig. 13. — Polycystinées fossiles, etc., de la Barbade.

a Podocyrtis mitra. — b. Rhabdolilhun sceptrum. — c. Lychnocaniun fulciferum. — d. Encyrtidium tubulus. — e. Flustrella concentrica. — f. Lychnocanium lucerna. — g. Encyrtidium elegans. — h. Dictyospyris clathrus. — i Encyrtidium Mongolfieri — k Stephanolithis spineacens. — l. S. nodosa. — m. Lilhocyclia ocellus. — n. Cephalaliths sylvina. — o. Podocyrtis cothurnata. — p. Rhabdolithis pipa.

Les polycystinées sont aussi répandues dans la nature que les rhizopodes ou foraminifères, et elles y jouent, en réalité, un rôle tout aussi important ; mais elles ont été longtemps méconnues à cause de leur extrême petitesse. Découvertes d’abord par M. Ehrenberg, à Cuxhaven, dans la mer du Nord, on n’a pas tardé à les retrouver dans les mers antarctiques associées à des rhizopodes et à des diatomacées, à 1800 et 3600 mètres de profondeur. Elles ont été peut-être plus abondantes encore dans les périodes précédentes, comme on peut en juger par la figure ci-jointe, représentant un échantillon du dépôt de la Barbade dont la roche s’étend sur une grande partie de l’île. Il fut découvert, en 1846, par M. Schomburgk, et M. Ehrenberg y a reconnu 282 formes, qu’il considère comme des espèces distinctes, puis 25 diatomacées et rhizopodes, et 54 formes indéterminées (geolitharia, phytolitharia), en tout 361 formes microscopiques dont plus de 300 étaient inconnues auparavant. Peu de sujets soumis au microscope, dit M. Carpenter (p. 522), sont plus remarquables que la réunion de toutes ces polycystinées de la Barbade, surtout si on les examine éclairées avec une vive lumière et placées sur une surface noire[4].

Les polycystinées ont été trouvées en grande quantité, non seulement dans les mers froides du Kamtschatka et dans l’Atlantique du Nord, mais aussi dans l’océan Pacifique du Sud, dans l’Atlantique du Sud, dans la Méditerranée et autour des îles Nicobar, où 100 espèces distinctes ont, en partie, leurs analogues dans le dépôt de la Barbade.


§ 2. Gisements principaux[5]·


Rhizopodes.

Le sable de tout le littoral des mers, dit Alc. d’Orbigny, est tellement riche en coquilles microscopiques des formes les plus variées et les plus élégantes, que souvent il en est composé pour plus de moitié. Déjà nous avons vu que Plancus en comptait 6000 dans une once de sable de l’Adriatique, et j’en à trouvé, continue l’auteur que nous venons de citer, jusqu’à 480,000 dans trois grammes de sable choisi provenant des mers des Antilles. Si l’on remarque qu’il en est de même sur la plupart des côtes, on reconnaîtra qu’aucune autre série d’êtres organisés n’est comparable à celle-ci. Ces corps, dont beaucoup n’ont que 1/2 ou 1/6 de millimètre de diamètre, constituent une grande partie des bancs de sable qui gênent la navigation, obstruent les golfes, les détroits et comblent les. ports, comme celui d’Alexandrie. Ce rôle, que les rhizopodes jouent dans les mers actuelles, ils l’ont également rempli dans la plupart des périodes géologiques.

Des nombreux genres établis par Alc. d’Orbigny, parmi les rhizopodes ou ses foraminifères, 13 seulement n’existent pas à l’état fossile. Ils ne sont pas d’ailleurs distribués aujourd’hui indifféremment dans toutes les mers. Certains genres sont propres aux régions chaudes, d’autres aux régions froides, et chaque espèce est généralement cantonnée dans des régions particulières. Des 68 genres qui ont des représentants dans les mers actuelles, l’auteur avait distingué environ 1000 espèces, dont il mentionne 575 dans la zone torride, 350 dans les zones tempérées et 75 seulement dans les zones froides, de sorte que pour ces petits organismes, comme pour les plus élevés, ils seraient d’autant plus nombreux et variés dans leurs formes spécifiques que les mers où ils vivent sont plus chaudes[6].
Organismes divers

Nord de l’Allemagne et bords de la mer Baltique.

Les animaux microscopiques marins remontent dans le bassin de l’Elbe jusqu’au-dessus de Hambourg, et en général aussi loin que la marée. Suivant M. Ehrenberg[7], l’encombrement du lit inférieur de ce fleuve est dû au mélange de l’eau salée et de l’eau douce qui occasionne en cet endroit la mort des animaux marins, dont les dépouilles s’accumulent en prodigieuse quantité. La terre des marais qui avoisinent l’embouchure est le résultat de la même action, et souvent le test des coquilles est mélangé de sable siliceux plus ou moins fin.

Beaucoup de ces formes si abondantes sur les côtes, dans le sol cultivé et les marais le long de la mer du Nord, de même que sur son fond, manquent cependant sur les bords de la Baltique, dont le bassin ne semble pas avoir eu anciennement de communication plus directe avec l’Océan qu’il n’en a aujourd’hui. Plusieurs de ces formes du Nord se retrouvent, au contraire, dans les vases marines et les rivières des environs de Liverpool et de Dublin. Un certain nombre d’entre elles existent aussi dans la Méditerranée, quoique, en général, les formes de cette dernière soient très-distinctes.

Les recherches de M. Ehrenberg sur les infusoires siliceux, tant marins que d’eau douce, ont ouvert un vaste champ d’études intéressantes, bien peu cultivées avant lui, et surtout dans une direction aussi utile à la paléontologie. Ses découvertes avaient porté d’abord sur ceux des dépôts antérieurs à notre époque, mais il n’a pas tardé à les étendre au sol, pour ainsi dire, vivant, sur lequel repose la ville de Berlin et ensuite au delà.
Environ de Berlin.

Une tourbe argileuse, qui se trouve à 7 mètres environ au-dessous de la capitale de la Prusse et à 2m,50 au-dessous du niveau de la Sprée, est remplie d’infusoires vivants. Des Gaillonelles ont été rencontrées jusqu’à 20 mètres plus bas. Les cellules étaient remplies de globules verts et ces petits êtres n’étaient ainsi en contact avec l’oxygène de l’air que par l’intermédiaire de l’eau qui pénètre la tourbe[8]. Les Navicules y affectent des mouvements spontanés plus lents que celles qui habitent la surface du sol. Le plus grand nombre des formes de la couche souterraine ne se montrent ni près de Berlin ni dans la Baltique, mais on les retrouve près de Plieger, dans les couches à infusoires fossiles qui alternent avec des lignites et des grès. La présence dans cette même tourbe des spicules siliceuses d’éponges indiquerait une origine marine que, d’un autre côté, ces corps vivants ne permettent pas de ranger ailleurs que dans l’époque moderne.
Environs de Luneourg, de Wismar, de Pillau, de Swinemunde., etc.

Dans le pays de Lunebourg, dit ailleurs le même savant, une couche composée de débris d’infusoires, dont un grand nombre vit encore, n’a pas moins de 14 mètres d’épaisseur. Elle semble, il est vrai, résulter plutôt d’un dépôt de source que d’un sédiment fluviatile ou lacustre.

À Wismar il se serait déposé, dans l’espace d’un siècle, avec le schlam ou vase des ports et de l’embouchure des rivières, 64,800 mètres cubes de corps organisés microscopiques siliceux, ou 648 mètres par an. Dans les ensablements de Pillau, également sur la Baltique, il se sépare chaque année des eaux courantes 7200 à 14,400 mètres cubes de ces mêmes organismes, et, dans un siècle, de 720,000 à 1,440,000 mètres cubes.

On doit donc reconnaître que le schlam des ports, de même que l’accumulation et la fertilité du limon du Nil, et sans doute tous les dépôts fluviatiles, ne proviennent pas seulement de la destruction et du transport mécanique des parties solides de la surface désagrégée du sol, mais encore de l’activité vitale si remarquable productrice d’organismes non discernables à la vue simple. Ainsi, en 1839, on a retiré du bassin du port de Swinemuude, à l’embouchure de l’Oder, 2,592,000 et, en 1840, 1,728,000 pieds cubes de matières vaseuses, et la moitié ou le tiers au moins de ce volume se composait d’organismes microscopiques. La vase de la Vistule, près de Dantzig, le limon du Nil, de l’Islande, du Labrador, du Spitzberg même renferment des organismes vivants qui composent depuis 1/10 jusqu’à 1/2 de la masse sédimentaire.

Dans presque tous les marais du Jutland, de la Hollande, de la Flandre et de l’Angleterre on trouve, à 5 ou 10 mètres de profondeur, un limon noir, de 0m,30 à 0m,60 d’épaisseur, composé de débris de plantes marines, de Fucus, de Zostera, avec 21 espèces d’animaux microscopiques marins tant siliceux que calcaires. Dans les marais du Holstein, M. Ehrenberg signale 34 espèces, presque toutes vivantes, dans la mer du Nord.

On doit à M. P. Harting[9] des recherches curieuses sur les soumis. rhizopodes et les diatomacées de la Hollande et qu’on observe dans les vases apportées par les rivières ou dans les boues marines. Tous les dépôts qui se forment encore, soit dans les eaux douces, soit dans les eaux salées, renferment, à l’état vivant, les espèces trouvées à l’état fossile. Tous les foraminifères ont été observés dans les localités où certainement la mer avait accès. Les diatomacées se trouvent, au contraire, dans les vases d’eau douce, à l’exception de la Navicella lamprocampa, qui existe également dans l’eau salée. Là où il y a un mélange d’eau de la mer avec l’eau de la rivière, comme dans la Meuse, à Schiedam, jusqu’où remonte le flux, on trouve à la fois des formes marines et d’eau douce. L’auteur mentionne 15 espèces de rhizopodes et 87 diatomacées. Celles-ci forment, au-dessous de la ville même d’Amsterdam, une couche de 2 mètres d’épaisseur, à la profondeur de 37m,52, mais appartenant sans doute à l’époque quaternaire.

Une substance, désignée sous le nom de Ouate naturelle, a été observée au mois d’août 1839, près de Sabor, en Silésie, après un débordement de l’Oder. Cette masse, qui avait plusieurs centaines de pieds carrés, était composée de Conferva rivularis, de Navicularia avec beaucoup de Fragillaria, en tout 15 espèces. La substance contenait surtout du charbon, une grande quantité de silice et de carbonate de chaux.
Localités diverses.

Des vases de la mer Noire et du Bosphore, recueillies par M. Kock, ont présenté à M. Ehrenberg 49 formes organiques différentes. C’étaient 51 polygastriques à test siliceux, 9 phytolitharia et 9 rhizopodes à test calcaire. Parmi les polygastriques, 12 seulement étaient marins et fort abondants.

Une foule de polygastriques siliceux ont été reconnus dans les eaux qu’a prises le capitaine Ross sous les glaces du pôle antarctique, de même que dans celles des mers tropicales. Les coquilles microscopiques auxquelles la Caroline du Sud doit, en partie, son existence, vivent encore, dit M. Bailey, le long de la côte, remplissant les ports et formant des atterrissements. La vase dont se compose le fond du port de Charleston est complètement formée de rhizopodes calcaires et d’infusoires siliceux.
Répartition générale.

De 1839 à 1849, M. Ehrenberg a publié une multitude de recherches sur la distribution des infusoires vivant dans les diverses parties du globe, dans les eaux douces comme dans les eaux salées, dans les sources thermales et ordinaires, et il a fait voir l’identité d’un grand nombre d’entre eux dans les formations tertiaires et même secondaires. Nous puiserons dans ces publications les résultats suivants.

Les formes organiques microscopiques des grandes îles de l’Australie et de la Nouvelle-Hollande présentent moins de particularités qu’on n’aurait pu s’y attendre, d’après les caractères si remarquables des animaux supérieurs qui les habitent. Un seul genre nouveau y a été reconnu. Les autres se montrent dans les diverses parties du globe, de sorte que la vie dans ses produits les plus inférieurs se manifesterait de la même manière sur tous les points de la terre, offrant ainsi une uniformité de distribution géographique qu’on ne rencontre point dans les autres classes.

Dans toutes les zones, sous tous les climats, dans les parties basses du sol et les plus grandes profondeurs de l’Océan, comme sur les montagnes, jusqu’à 3000 mètres d’altitude, dans les Nilgherries de l’Inde et sur le plateau de Mexico, les parties les plus ténues des sédiments et de la terre végétale montrent une exubérance remarquable et constante d’êtres microscopiques animaux et végétaux. La planche 35b de la Microgéologie de M. Ehrenberg[10] nous fait connaître les formes des organismes microscopiques qui s’élèvent, dans les Alpes, jusqu’à 3200 et même 3600 mètres dialtitude, et celles qui ont été ramenées de 4450 mètres de profondeur au-dessous du niveau des mers, montrant ainsi que ces formes peuvent vivre sur une échelle verticale de 8 kilomètres, faculté qu’on ne retrouve dans aucune autre classe des deux règnes.

L’organisme microscopique de l’Europe est si voisin de celui des autres parties du globe, qu’on n’y observe point de familles ni d’ordres particuliers. Les formes appartiennent toutes aux infusoires siliceux (diatomacées et peut-être polycystinées ? végétaux et animaux). On trouve en outre partout, dans le sol et dans les couches calcaires, une multitude de petits fragments siliceux ou calcaires provenant d’animaux et de végétaux (geolithoria, phytolitharia, etc.), affectant des caractères semblables, quelles que soient la faune et la flore du pays.

Quelques genres cependant, peu nombreux à la vérité, sont propres à certaines localités, tandis que beaucoup d’espèces, restreintes à quelques régions, appartiennent à des genres qui affectent une grande extension géographique. Certaines espèces d’Eunotia, par exemple, n’ont encore été observées qu’en Suède, en Finlande, dans le nord de l’Amérique, depuis New-York jusqu’au Labrador. Des espèces de ce même genre et de Ximantidium se montrent seulement sur les côtes méridionales de l’Asie, au Sénégal et à Cayenne. Le genre Tetragramma n’a été observé qu’en Libye et dans les îles des Larrons.

On peut se faire une idée de cette distribution géographique des formes microscopiques de nos jours en étudiant la planche 35° du magnifique atlas de M. Ehrenberg que nous avons déjà cité. On y voit représentées des formes provenant du fond de la mer autour des îles Cockburn, de Kerguelen, de la Terre-de-Feu, de l’île Melleville, des alluvions du Mississipi, du Yantfe-Kiang, du Nil, du Rhin, du Gange, des côtes de l’île d’Elbe, du Groenland, du Spitzberg, des glaces des mers boréales et australes et du fond de ces dernières.
Organismes microscopi-
ques des volcans.

Mais une application plus curieuse encore de ces recherches, et que l’on était loin de prévoir, est venue établir un lien resté jusqu’alors inaperçu entre les produits des phénomènes ignés et ceux qui ont lieu sous les eaux. Les conclusions auxquelles le savant micrographe de Berlin est arrivé sont les suivantes :

L’observation microscopique fait connaître l’existence de masses d’infusoires qui ont éprouvé l’action du feu ou ont été frittées. Dans les gisements qui ont subi cette action, tels que ceux qui sont restés à l’état de schistes à polir (Polischiefer), on ne trouve aucune trace de pollen de conifères ni de corps carbonisables, qui ailleurs y sont fréquemment mélangés.

Dans d’autres masses apportées des profondeurs des volcans, on trouve des corps organisés microscopiques qui, comme ceux de la moya de Quito, au Pérou, renferment des débris de plantes imparfaitement carbonisés, ou bien qui sont dans un état complet de carbonisation, comme dans les ponces et les tufas. Toutes les ponces ne sont cependant pas constituées par des êtres organisés, et celles qui en présentent n’auraient conservé le caractère des petits tests cellulaires siliceux qu’en l’absence du mélange d’un fondant assez énergique pour les faire passer à l’état vitreux. La ponce qui à cette origine présente des cellules fines et arrondies.

Près d’un grand nombre de volcans qui rejettent ou ont rejeté des ponces, il y a des gisements considérables d’infusoires désignés sous le nom impropre de terre à porcelaine et sous ceux de cendres volcaniques, de schistes à polir (Kieselguhr, Sangschiefer[11]), de demi-opale, de porphyre désagrégé, etc., dont les éléments ont été apportés de grandes profondeurs par l’action des volcans. Des roches phonolithiques se trouvent aussi en relation avec des animalcules à test siliceux.

Une circonstance bien remarquable, ajoute M. Ehrenberg, c’est que dans tous les cas, d’ailleurs fort nombreux, que nous connaissons en Europe, en Asie, en Afrique et en Amérique, où les organismes microscopiques peuvent avoir exercé ou exercent encore une influence directe sur les volcans, ils appartiennent, une seule localité exceptée dans la Patagonie, aux formes d’eau douce, ce qui autoriserait à penser que des masses de tourbe et de vase des marais ont été englouties dans l’intérieur de ces volcans, y ont été frittées et rejetées ensuite sous forme de tufas, de ponces, de trass, etc.

L’île de l’Ascension, continue l’auteur, dépourvue d’arbres et de sources, offre un énorme amas de cendres volcaniques presque entièrement composées de débris organiques. Ce sont, pour la plupart, des portions fibreuses de plantes, beaucoup de denticules marginales de graminées mélangées d’infusoires siliceux de formes exclusivement d’eau douce (diatomacées ? ).

Lors de l’éruption de l’Hekla, en Islande, le 2 septembre 1845, les cendres volcaniques furent portées, par les courants aériens, jusque sur les îles Shetland et Orcades. Dans le trajet il en tomba sur le pont et les voiles d’un vaisseau danois, l’Helena, à 9 heures du matin, par un vent de nord-ouest et à la distance de 533 milles du volcan. Ces cendres avaient dû parcourir 46 milles à l’heure, et, soumises à l’examen microscopique, elles montrèrent, parmi des fragments de substances minérales ressemblant à du verre pilé très-fin, d’un brun vert foncé et qui étaient peut-être de l’obsidienne, des carapaces d’infusoires siliceux (Navicella silicula, Cocconneis, etc.), des phytolitharia siliceux et 2 corps combustibles.

Ces formes étant toutes d’eau douce ou terrestres ne permettent pas de croire qu’elles aient pu être mélangées à la poussière volcanique pendant leur trajet. Elles étaient d’ailleurs très-uniformément disséminées dans toute la masse pulvérulente. En outre, des cendres prises en Islande au pied même du volcan, et provenant sans doute de la même éruption, ont offert les mêmes formes que celles qui furent recueillies aux Orcades. Ainsi des circonstances qui ont accompagné le phénomène et de l’état même des corps, on ne peut se refuser à admettre mettre que le mélange des substances organiques et inorganiques a dû avoir lieu dans l’intérieur même du volcan et qu’il ne résulte pas de l’introduction accidentelle et postérieure de particules étrangères.

Des échantillons de ces mêmes cendres, examinés ultérieurement, y ont fait distinguer jusqu’à 32 espèces de corps organisés, dont 3 dans la poussière tombée aux Orcades. 15 des espèces déterminées ont été décrites comme étant d’eau douce et se retrouvent dans la tourbe d’Hussavic et dans les eaux saumâtres de Rykiavik. Plusieurs autres ont leurs analogues au Labrador, au détroit de Kotzbue, mais aucune n’est nouvelle. Leur origine d’eau douce prouve aussi que la mer n’est pour rien dans la formation de ces cendres.

La planche 38 du grand ouvrage de M. Ehrenberg est consacrée à représenter, vues sous le microscope, les organismes rejetés par les volcans dans les cendres, les vases, les tufs, les ponces, etc., de Kammerbühl, de Pompéi, de Civita-Vecchia, de Tollo (Chili), d’Arequipa, de l’Hekla, de la moya de Quito, puis dans le tuf de l’Ascension, la Palagonite, un tuf de Patagonie, un autre de Lipari, des cendres d’Imbaru, la moya de la Guadeloupe, les cendres du volcan de Scheduba (Inde), etc.
Poussières atmosphériques.

Outre la terre, les eaux douces, saumâtres, salées et les profondeurs des volcans, l’atmosphère est encore, sinon un habitat normal et permanent pour les organismes microscopiques, du moins un milieu à travers lequel ils sont souvent transportés, par les vents, de contrées fort éloignées pour venir tomber, sous forme de poussière, à d’immenses distances du lieu de leur origine. C’est ainsi que la planche 39 du même ouvrage nous permet de juger des formes transportées avec les poussières à travers l’Atlantique, puis celles du sirocco, la neige rouge, les pluies colorées, la poussière météorique de la mer Noire, une pluie colorée de l’Islande, tombée en 1849, une poussière de la mer Noire et de l’Atlantique, tombée en 1834, une autre en 1838, celle de Santiago, au cap Vert, en 1833, qui couvrit plus d’un million de milles carrés ; celle du sirocco de Gènes, tombée le 16 mai 1846 ; celle d’un ouragan de Lyon, le 17 octobre de la même année. Le poids total de cette poussière fut évalué à 720,000 livres, et celui des organismes qu’elle contenait à 1/8 ou 90,000 livres. M. Ehrenberg y put distinguer 39 espèces. Une poussière météorique de la Calabre, remontant à l’année 1803, donna 49 espèces d’organismes ; une autre, de 1813, en donna 64, et 28 espèces leur étaient communes, entîn vient celle du sirocco de Malte, tombée en 1850.

M. Ehrenberg fait remonter la connaissance de ces chutes de poussières jusqu’au temps d’Homère.

Les espèces microscopiques contenues dans les poussières précédentes ne viennent point d’Afrique, à ce qu’il paraît ; 15 seraient du sud de l’Amérique et l’origine de ces poussières n’est pas connue. On sait seulement que la zone dans laquelle on en observe comprend le midi de l’Europe, le nord de l’Afrique avec les parties adjacentes de l’Atlantique, et les latitudes correspondantes de l’Asie occidentale et centrale.
Amériques du Nord

Recherches de M. Bailey. Organismes marins.

Aux États-Unis, M. Bailey[12] poursuit depuis longtemps, et avec non moins de persévérance, des recherches analogues à celles de M. Ehrenberg. Pour ne parler ici que de celles qui se rapportent aux organismes microscopiques de l’époque actuelle, nous rappellerons que, dans les divers sondages exécutés sur les côtes du New-Jersey, depuis une profondeur de 93 mètres au sud-est de la pointe Montaux jusqu’à 164 mètres au sud-est du cap Henlopen, on a reconnu un grand développement de ces organismes, particulièrement des polythalames (rbizopodes) aussi abondants que ceux des marnes qui portent la ville de Charleston et de formes analogues. Il ya une ressemblance générale entre les espèces qui proviennent de profondeurs considérables, mais chaque localité paraît avoir ses formes dominantes. Les infusoires (ce sont ici des diatomacées) existent dans ces mêmes profondeurs aussi bien que les rhizopodes, mais en moins grande quantité. Ce sont des Gaillonella, des Coscinodiscus, etc. Les sondages profonds n’ont pas fait connaître un seul des rhizopodes agatistègues, qui abondent, au contraire, dans les eaux peu profondes des côtes de la Floride et des Antilles. Ces formes étant plus récentes que la craie permettraient de penser que les dépôts tertiaires où elles sont répandues se sont formés sous une faible profondeur d’eau.

Les grands sondages exécutés près du Gulf-stream ont fai voir son influence sur le développement de la vie microscopique, et M. Bailey présume que le substratum de Charleston peut avoir été formé sous une semblable action. L’abondance des rhizopodes dans les eaux profondes donne lieu à un fond calcaire, tandis que la prédominance des diatomées sur les rivages produit un fond siliceux. Aucun de ces sondages, à l’exception de ceux de la petite anse de Rockaway (Long-Island) n’a d’ailleurs présenté rien qui ressemblât à ces vastes accumulations d’infusoires des marnes de la Virginie et du Maryland, qui appartiennent à la période tertiaire moyenne, et si remarquables par la variété des espèces.

Des sondages exécutés dans la mer du Kamtschatka, à 1638 et 1914 mètres, ont prouvé qu’à ces grandes profondeurs le fond de la mer était aussi dans ces parages en partie composé d’organismes microscopiques. M. Bailey[13] a constaté 22 espèces de diatomacées siliceuses, 1 infusoire (Cadium marinum),1 Diflugie (D. marina), 13 polycystinées, 6 zoolitharia et des spicules siliceuses d’éponges comprises dans les phytolitharia d’Ehrenberg, sans un seul fragment de rhizopode à test calcaire. Toutes ces espèces étaient également abondantes.
Origine organique de certains sables verts.

origine Mais une découverte plus curieuse encore de M. Bailey[14] est d’avoir constaté que de nos jours se produisent aussi les grains de sable vert siliceux que M. Ehrenberg avait reconnus dans divers terrains pour n’être que des moules intérieurs de coquilles microscopiques. M. F. Pourtalès[15], en exécutant des sondages dans le voisinage du Gulf-stream et dans le courant lui-même, par 31"32′ lat. N. et 79° 35′ longit., à la profondeur de 273 mètres, a reconnu que le fond était un mélange, à parties égales, de Globigerina et de sable noir ou vert foncé. Ce sable, comme celui du fond du golfe du Mexique, est composé de grains qui affectent souvent la forme bien caractérisée de moules intérieurs de coquilles de rhizopodes, de petits mollusques et de tubes branchus. La silice qui a servi au moulage se présente ici comme dans les sables verts ou glauconieux des formations tertiaires ou plus anciennes ; quelquefois ces grains sont rouges, brunâtres ou presque blancs. Parmi ces moules siliceux microscopiques, M. Bailey en a observé un de coquille multiloculaire spirale, dont une seule loge était remplie par de la silice verte et les autres par la même substance rouge ou blanche, et vice versa.

Il est facile de s’assurer que ces moules appartiennent aux espèces qui vivent encore sur les lieux et qui constituent la plus grande partie du sable rapporté par le sondage. Celles-ci ont conservé leurs teintes rouges et tout leur brillant, et montrent encore la plus grande partie de leur sarcode lorsqu’on les traite par un acide étendu. On ne peut donc pas supposer que ni les coquilles pourvues de leur test, ni les moules siliceux proviennent d’une couche ancienne d’où ils auraient été arrachés. Ainsi se formeraient dans les mers actuelles et par les mêmes procédés des sables glauconieux analogues à ceux qu’on trouve jusque dans les roches siluriennes.

Les grains verts n’ont pas toujours, à la vérité, des formes organiques reconnaissables ; ils sont souvent arrondis, et l’auteur croit y reconnaître des formes coprolithiques ; mais tous auraient la même origine, c’est-à-dire que les changements chimiques qui accompagnent la destruction de la matière organique auraient favorisé dans les cavités le dépôt de silicate de fer vert et rouge, et même de la silice pure incolore. Quoique ce fait se présente au fond du Gulf-stream et du golfe du Mexique, où sont aussi de nombreux organismes naturellement siliceux, tels que les diatomacées, les polycystinées, les spongiolithes, il ne paraît pas que ces derniers exercent aucune influence directe sur les résultats du moulage des coquilles calcaires de rhizopodes.
Rizières.

Dans les rizières des bords de la Savannah, fréquemment submergées, dans les eaux saumâtres ou salées des marais qui avoisinent la côte, les infusoires (diatomées) sont nombreux. Le grand Triceratium favus, Ehrenb., et les disques circulaires de Coscinodiscus subtilis, id., se trouvent dans les rizières de l’Ogechee avec 15 autres espèces, du pollen de Pins et des phylolitharia. Dans le comté de Glyn, on trouve de même des desmidiées, des diatomées, des infusoires, des algues, etc.

275 espèces de ces mêmes corps sont en outre indiquées sur des points où jusque-là on n’en avait pas signalé. 31 ou 1/9 sont nouvelles, et les autres étaient connues soit dans le pays, soit en Europe, d’où l’auteur conclut que les organismes microscopiques d’eau douce sont moins affectés par les différences de climat que la plupart des autres êtres organisés, ce qui s’accorde avec ce qui a été dit précédemment. Les eaux douces comme les eaux marines sont d’ailleurs peuplées même au milieu de l’hiver.

Les espèces des rizières sont les mêmes que celles qui vivent dans les estuaires de la côte ; mais celles du fond des fossés de ces mêmes rizières et des forts près de Savannah doivent avoir été déposées depuis un temps fort considérable et seraient peut-être quaternaires.
Marais salants.

Les vastes marais salants des côtes de la Caroline du Sud, de la Géorgie et de la Floride abondent en diatomées, dont les coquilles entassées successivement dans la vase nous montrent comment se sont formés dans la Virginie et le Maryland les dépôts tertiaires de composition analogue et tout aussi étendus, quoique ordinairement plus sableux. Certaines diatomées de l’Océan vivent aussi dans les estuaires et les rivières dont l’eau est douce à la surface, mais elles ne se rencontrent jamais dans les lacs et les marais exclusivement d’eau douce et sans aucune communication avec la mer. Parmi les espèces les plus cosmopolites, on peut citer le Therpsinoë musica, Ehr., du Mexique, du Texas, de la Jamaïque, des rivières des États-Unis et dont les îles Philippines ont offert des formes très-voisines.

Enfin nous rappellerons que déjà dans la section 6 du chapitre IV, p. 276 et suivantes, nous avons rapporté les résultats des recherches les plus récentes sur ce sujet dus à M. Maury et. M. Wallich ; nous ne pouvons donc qu’y renvoyer le lecteur.
Farines fossiles, terre édules.

Nous devons encore mentionner ici, comme probablement contemporaines, ces substances terreuses que certaines populations sauvages ou vivant sous des climats rudes et improductifs prennent et emploient comme aliment. En 1833, un paysan de Degersfors, dans la Bothnie occidentale, sur les confins de la Laponie suédoise, découvrit, en abattant un arbre, une matière terreuse qui fut mélangée avec de la farine de seigle, puis pétrie et cuite au four comme du pain. Elle est particulièrement composée de silice, et sous le microscope paraît ne renfermer que de petits corps allongés, ovoïdes, bacillaires, cylindriques, aciculaires, etc., provenant d’infusoires, suivant M. Ehrenberg, tandis que M. Greville n’y voit que des algues. L’analyse de cette substance a donné à M. T. Stewart Trail[16] :

Matières organiques destructibles par la chaleur 22,00
Silice 71,13
Alumine 5,31
Oxyde de fer 0,15
Perte 1,41
──────
Total 100,00

Cet usage de certaines terres comme aliment est, comme on sait, répandu chez les populations indigènes de l’Amérique méridionale et centrale, ainsi que dans l’Australie. Les corps organisés microscopiques qu’on y rencontre ont été représentés sur la planche 35a de l’atlas de la Microgéologie de M. Ehrenberg. L’un des échantillons figurés provient de Java. Mais cet emploi des terres à infusoires est sans importance,

comparé au rôle que jouent les animalcules vivants et les végétaux microscopiques dans l’alimentation des animaux aquatiques, tels que les polypiers, les bryozoaires, les mollusques et autres animaux sédentaires qui vivent dans les eaux profondes au delà de la zone des algues et même au-dessus[17].
Résumé.

On voit, ainsi que nous l’avons dit en commençant ces études, et on ne peut trop le répéter, parce que c’est une idée avec laquelle on n’est pas assez familiarisé, que ce sont les animaux inférieurs qui, de nos jours comme de tout temps, contribuent seuls à former, par leurs débris, des couches ou des dépôts d’une certaine importance. Les coquilles des mollusques marins, accumulées avec les sables le long des côtes, ou ensevelies dans la vase et les autres sédiments, à une faible profondeur au-dessous du niveau de la mer, les restes solides de bryzoaires, de crustacés, d’annélides, de radiaires, les iles de polypiers, les récifs qui accompagnent les côtes à une certaine distance et ceux qui les bordent immédiatement, puis les rhizopodes calcaires et siliceux, enfin les diatomacées, dont les dépouilles innombrables occupent le fond de toutes les mers sur des épaisseurs inconnues, tels sont les produits de la vie marine dont nous avons esquissé les résultats, résultats d’autant plus prononcés en général, que l’on considère des zones de température plus élevée dans lesquelles l’énergie des forces de la nature se manifeste aussi par une plus grande variété et une plus grande richesse de formes.

Nous avons fait remarquer en outre que c’était sous les zones chaudes que la consolidation des roches modernes se produisait le plus rapidement et sur une plus grande échelle. Y aurait-il une relation entre cette dernière circonstance et la plus grande quantité de carbonate de chaux, fixée d’abord par les polypiers, les mollusques, les annélides et les radiaires de ces régions, puis, redevenue libre en partie par la destruction permanente d’une certaine quantité de ces mêmes produits organiques ? C’est ce qui semble assez probable, sans qu’aucune observation directe soit cependant encore venue le continuer.

Les produits animaux des eaux douces sont peu considérables lorsqu’on fait abstraction des organismes microscopiques à test siliceux. Ce n’est qu’aux États-Unis de l’Amérique du Nord que nous avons vu les coquilles lacustres former à elles seules au fond des étangs et des marais des dépôts de marne blanche d’une certaine épaisseur, et qui n’ont encore été signalés nulle part avec un développement comparable.


Appendice.


Guano

Origines, gisements.


Le guano est un dépôt dans lequel l’intervention de l’eau n’entre pour rien, qui se forme à découvert dans des lieux secs, mais non loin de lamer, et encore le plus ordinairement dans les régions tropicales. Il ne pouvait pas être omis dans ces études, d’abord à cause de son importance actuelle, et ensuite parce que nous aurons à mentionner à l’état fossile des substances d’origine à peu près semblable. Ce produit de l’organisme, mais non organisé par lui-même, est le résultat direct de l’action vitale, du à l’accumulation séculaire d’excréments et de cadavres de certains oiseaux qui habitent en très-grand nombre les côtes et les îles voisines du Pérou, divers points de l’Amérique du Sud, les îles Gallapagos et le Chili, dans quel-ques îles de l’Amérique du Nord, la côte occidentale d’Afrique et l’Australie. Ces dépôts ont de 12 à 20 et quelquefois jusqu’à 50 mètres d’épaisseur.
Pérou.

Les gisements de guano, dans les îlots et sur les côtes de l’océan Pacifique, sont répartis, dit M. Boussingault[18], entre le 2° et le 21° degré de lat. S., depuis la baie de Payta jusqu’à l’embouchure du Rio-Loa. En dehors, de ces limites, il s’en rencontre encore, mais dépourvu de sels ammoniacaux et des principes organiques auxquels cette substance doit en grande partie ses propriétés fertilisantes. Cette différence de composition tient à ce que dans cette zone, depuis Tumbu jusqu’au désert d’Atacama, les pluies sont presque inconnues, tandis qu’au delà elles sont plus ou moins fréquentes.

Le guano, ainsi nommé des oiseaux qui le déposent, appelés Guanaes par les habitants du pays, et qui sont des Alcatraz, des Phénicoptéres et des Ardéas, se trouve sur de petits promontoires ; sur des falaises, ou remplit les anfractuosités du sol, en général, sur des points où les oiseau ; trouvent un abri contre les fortes brises du sud. Les roches de la côte sont cristallines, granitiques ou porphyriques, et supportent le guano disposé en couches horizontales ou quelquefois inclinées. Les localités fréquentées par les Guanaes se nomment, à cause de cela, Huaneras, et les Incas, qui utilisaient ce produit, avaient défendu, sous des peines très-sévères, de tuer les oiseaux. Aujourd’hui encore, les lois les protègent contre une destruction qui ferait grand tort à l’agriculture.

Sur certains points, on y observe un mélange d’excréments d’oiseaux et d’autres de poissons et de cétacés. À Punta-Lobos, des lits de guano gris foncé sont surmontés d’autres lits presque noirs, de Om,60, avec de petites pierres de porphyre, luisantes, elliptiques, que les phoques ont l’habitude d’avaler et qui accompagnent toujours leurs déjections. Au-dessus sont de nouveaux lits de teintes variées. Les dépôts de guano sont ordinairement surmontés d’une couche de sable et de substance saline appelée caliche par les ouvriers, et que ceux-ci enlèvent avant de commencer l’exploitation, lorsqu’elle a lieu à ciel ouvert, ce qui est le cas le plus ordinaire. Le guano blanc est le produit de l’année ; le guano brun, plus ancien, d’une odeur fétide, n’était pas employé par les habitants avant la conquête ; tous deux sont essentiellement ammoniacaux.
Îles Chincha.

Les trois îles de Chincha, au nord d’Iquique, par 12° lat. S., sont la localité la plus riche en guano ammoniacal. Elles sont basses, granitiques, recouvertes de couches de guano, généralement horizontales, dont les fissures sont remplies de cristaux de sels ammoniacaux. On y trouve des œufs pétrifiés, des plumes, des ossements et même des oiseaux momifiés.
Compositions.

La composition du guano, que Fourcroy et Vauquelin avaient fait connaître, d’après des échantillons rapportés par Alex. de Humboldt, serait aujourd’hui, suivant M. Nesbit, pour celui de ces îles :

Matières organiques et sels ammoniacaux 52,52
Phosphate de chaux 19,52
Acide phosphorique 3,12
Sels alcalins 7,56
Silice et sable. 1,46
Eau 15,82
──────
Total 100,00

Pour que le guano ait été accumulé en si énorme quantité dans les Huanéras, dit M. Boussingault, il a fallu à la fois le concours de circonstances aussi favorables à sa production qu’à sa conservation : un climat d’une sécheresse toute exceptionnelle, sous lequel les oiseaux n’aient pas à se garantir de la pluie, des accidents du sol offrant des crevasses, des anfractuosités où ils pussent reposer, pondre et couver à l’abri des fortes brises du sud, enfin une nourriture telle qu’ils la trouvent dans les eaux qui baignent la côte. Or, nulle part au monde le poisson n’est plus abondant que dans ces parages, et la pêche qu’en font ces oiseaux a été décrite, d’une manière très-curieuse, par D. Antonio d’Ulloa, qui accompagnait les astronomes français lors de leur mission au Pérou.
Quantité.

On n’estime pas à moins de 578 millions de quintaux métriques le volume du guano du Pérou, non compris celui qui se trouve au sud du Rio-Loa, et au nord des îles de Chincha jusqu’à Payta. Aussi Alex. de llumboldt ne pensait-il pas que ces dépôts fussent tous de l’époque actuelle. M. de Bivèro, qui en a fait une étude spéciale, croit, au contraire, que la quantité prodigieuse des oiseaux qui y contribuent, seulement pour les îles Chincha, où il estime leur nombre à 264,000 ; l’aurait pu, dans un laps de temps de 6000 ans, produire la masse du dépôt en question, estimée à 561 millions de quintaux et à raison de une once par nuit pour chaque Guanaes. Cette masse est entièrement formée aux dépens des animaux marins et plus particulièrement des poissons.
Éléments enlevés à l’atmosphère.

Évaluant ensuite à 2,3 0/0 la quantité d’azote que contient le poisson frais, et le guano du Pérou en renfermant 14 0/0, M. Boussingault en déduit que 100 kilogrammes de guano représentent l’azote de 600 kilogrammes de poissons de mer, et que les 378 millions de guano dont on vient de parler proviennent de 2 milliards 268 millions de quintaux de poissons de mer, et les 53 millions de quintaux d’azote ont dû être pris à l’atmosphère, puisqu’on ne connaît pas à ce gaz d’autre gisement primitif.

Le guano terreux, celui qui est privé de substances ammoniacales enlevées par les eaux pluviales et qui se trouve au nord et au sud de la zone que nous venons d’indiquer, est presque entièrement formé de phosphate de chaux ; et si l’on estime à 95 millions de quintaux métriques le phosphate de chaux des divers gisements de guano, soit à 1/4 de la masse totale, on trouve, suivant une-remarque de M. Jgbert de Lamballe, qu’il y aurait de quoi composer le système osseux de 4,000,000,000 d’hommes, c’est-à-dire quatre fois la population actuelle du globe telle qu’on la suppose.

Nous ferons observer d’un autre côté que l’azote soustrait à l’atmosphère et fixé dans le guano ne retourne plus à sa source et qu’il n’y a dans ces conditions aucun agent naturel pour le lui restituer. Cette action des Guanaes, en se prolongeant indéfiniment ou jusqu’à leur disparition dans la suite inconnue des temps, doit augmenter aussi indéfiniment la quantité de leur produit et par conséquent diminuer d’autant la masse de l’azote qui constitue un élément si essentiel de notre atmosphère, et finir à la longue par modifier la constitution de celle-ci. Il en donc est ici pour ce gaz absolument comme pour le carbone fixé dans les dépôts de combustibles végétaux, et de même aussi l’action de l’homme, quoique indirecte, vient contribuer, par suite de son industrie, à restituer à l’atmosphère cet azote accumulé depuis des siècles et celui qui journellement encore est enlevé à la masse générale de l’air. Il est évident aussi que sans les progrès de la navigation, cette action eût été insuffisante, puisque les peuples indigènes, quoique utilisant le guano, en avaient laissé des masses si considérables que toutes les nations civilisées s’empressent aujourd’hui de le faire entrer dans leur culture.
Patagonie.

Sur la côte de la Patagonie, par 48° latitude S., entre la pointe-Sea-bear-bay et Port-Désiré, est un groupe de petites iles d’où l’on extrait du guano. M. Malaguti[19] y distingue le guano de l’île Shag, formé d’excréments et de débris de Cormorans, très-riche en azote, le guano de Lion, formé par les Phoques (Lions de mer) et d’autres amphibies, et renfermant des cristaux de struvite et de chaux phosphatée, le guano de Pingoins, également composé de détritus et d’excréments de ces oiseaux et d’amphibies, avec struvite et une argile phosphatée, enfin le guano de carrière, qui est fort ancien et modifié dans ses caractères par la suite des temps.
Substances minérales.

Dans le guano de la baie de Saldanha, sur la côte occidentale d’Afrique, la struvite, qui est un phosphate d’ammoniaque et de magnésie, a aussi été rencontrée. On sait que l’origine de cette substance, trouvée pour la première fois dans un sol au-dessus duquel il y avait eu pendant longtemps un abattoir, a été un sujet de discussion parmi les minéralogistes, qui semblent la regarder actuellement comme un résultat de la réaction de matières organiques sur les éléments du sol environnant. M. Ad. Strecker[20] a extrait du guano une substance particulière à laquelle il a donné le nom de Guanine.
Organismes micro-
cospiques.

Nous avons déjà vu (antè, p. 360) que M. Ebrenberg avait représenté sur la planche 35a de l’Atlas de sa Microgéologie des organismes microscopiques du guano du Pérou et de la côte d’Adrique, de son côté M. Bailey[21] a constaté que les infusoires récents abondent dans les vases bleues de la baie de New-Haven, dans celles de Charleston, etc., et sont tous des espèces marines qu’on retrouve dans le guano.
Cuica.

Séb. Wisse[22] a décrit, sous le nom local de Cuica, un dépôt composé de boules de terre, qui paraît être le résultat du travail et l’habitation d’un ver d’une grande dimension et très-répandu dans toute la haute vallée des Andes de l’Équateur, sur 70 lieues de long et 7 de large. La limite nord du dépôt coïncide avec celle des républiques de l’Équateur et de la Nouvelle-Grenade. On l’observe particulièrement sur les roches tuffacées de remblai d’origine trachytique, dans le voisinage des volcans. Il existe depuis 2000 jusqu’à 3200 mètres d’altitude ; au pied du Pichinca même il se forme encore. L’épaisseur de la couche qu’il constitue varie de 1 à 20 mètres, mais il iy en à qui paraît avoir commencé à se déposer avant l’époque actuelle, si l’on en juge par les sédiments de transport argileux, sableux, caillouteux dont on les voit recouverts sur plusieurs points.

D’après l’auteur, le ver qui construit ces boules aurait 60 à 70 centimètres de long ; il vit dans les endroits argileux et humides, se forme une demeure creuse en dedans, sphérique, de 6 à 8 centimètres de diamètre et dans laquelle il se retire pendant la saison sèche. Après la mort de l’animal l’intérieur se remplit de sable ou de terre, mais l’orifice reste toujours reconnaissable. Ce dépôt singulier, propre à la haute région comprise entre les deux Cordillères, ne s’observe plus lorsqu’on descend vers l’océan Pacifique, ni à l’est, ni au nord dans la Nouvelle-Grenade.

Si S. Wisse n’était pas aussi connu pour un observateur instruit et sérieux, peut-être pourrait-on soupçonner dans son récit quelque exagération de voyageur revenant de loin, mais outre une description très-circonstanciée du fait en lui-même, bien que le ver constructeur n’ait pas, à ce qu’il semble, été observé directement par lui, le mémoire de cet observateur est y encore accompagné d’une carte géologique de toute la haute vallée comprise entre les Cordillères. À cette carte, à l’échelle de 1/700000, est jointe une coupe générale proportionnelle et des coupes de détail où les relations stratigraphiques et la distribution géographique du Cuica sont parfaitement indiquées, ainsi que celles des autres roches du pays. Il n’est donc pas permis de douter de l’exactitude du fait, mais ou doit désirer une description plus complète de l’animal lui même qui y donne lieu.


  1. The Microscope and its revelations. In-12, 1856.
  2. The Microscope, etc., p. 315.
  3. The Miroscope, etc., p. 470.
  4. Voy. la pl. 36 de l’atlas de l’ouvrage de M. Ehrenberg intitulé : Microgéologie ; elle est consacrée a représenter le plus grand nombre des formes observées dans les marnes à polycystinées.
  5. Ainsi que nous l’avons dit, nous nous conformerons dans ce qui suit aux dénominations d’infusoires, de polygastriques, de phytolitharia, etc., telles qu’elles sont employées par les divers auteurs et sans y attacher un sens absolu en rapport avec les définitions que nous venons de donner pour fixer les idées d’une manière générale. Une classification systématique fondée sur ces principes eût exigé un travail tout à fait impossible ici.
  6. Ces nombres, empruntés à l’ouvrage d’Alc. d’Orbigny intitulé : Forminiféres fossiles du bassin de Vienne, sont plus élevés que ceux que l’auteur a mis dans le Dictionnaire universel d’histoire naturelle, vol. V, p. 662-671, et dans le Cours de géologie, etc., vol. II, p. 189.
  7. Acad. de Berlin, 1843.
  8. M. Ehrenberg, il faut se le rappeler, prenait ces Gaillonelles pour des animaux, et les grains verts de chlorophylle pour des œufs. Il en est de même des Navicules.
  9. Bull. Soc. géol. de France. 2e série, vol. XI, p. 34-35 ; 1853. ─ Voy. aussi un ouvrage de M. Harting : De Magt van het Kleine Zigtbaar, etc. Utrecht, 1849, p. 201.
  10. Zur Mikrogeologie. 2 vol. in-f° avec 40 pl. Berlin, 1854.
  11. Voy. pl. 3 et 4 de l’atlas de l’ouvrage de M, Ehrenberg : Microgéologie.
  12. Smithsonian contributions to knowledge, vol. II, 1851.
  13. The amer. Journal de Silliman, vol. XII, n° 64, p. 1 ; 1856.
  14. Ibid., p. 280-96.
  15. Rep. U.-S. Coast-Survey in the Explor of the Gulf-stream. Feb. 1853. Appendix, p. 83.
  16. Transact. of the R. Soc. of Edinburgh, vol. XV, p. 145, 1841.
  17. Outre les ouvrages et les auteurs que nous avons cités, on peut signaler pour des recherches récentes sur les corps organisés microscopiques : — Ralf, British Desmidiæ, où l’on trouve des descriptions détaillées et de bonnes figures des espèces ; — Rützing, Diatomaceen oder Bacillarien ouvrage contenant aussi beaucoup de figures ; — Pritchard, History of infusoria recent and fossil, contenant des descriptions abrégées et des figures réduites du grand ouvrage de M. Ehrenberg : Die Infusionsthierschen — W. Smith, Sur la détermination des Diatomacées (Quart. Journ of microscop. science, vol. III, p. 130) ; — W. Gregory, Sur, id., Transact. Microscop. Soc. 2e sér., vol. III.
  18. Comptes rendus de l’Acad. des sciences, vol. LI, p. 844 ; 1860. ─ Ibid., vol. L, p. 887.
  19. Comptes rendus de l’Acad. des sciences, vol. LIII, p. 436 ; 1861.
  20. Comptes rendus, vol. LII, p. 1218 ; 1861.
  21. The Amer. Journ. de Silliman, vol. XLVIII, p. 336 ; 1845.
  22. Bull. Soc. géol. de France. 2e sér., vol. XI, p. 460 ; 1854.