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Introduction à la psychanalyse/II/12

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Chapitre XII
ANALYSE DE QUELQUES EXEMPLES DE RÊVE


Ne soyez pas déçus si, au lieu de vous inviter à assister à l’interprétation d’un grand et beau rêve, je ne vous présente encore cette fois que des fragments d’interprétations. Vous pensez sans doute qu’après tant de préparation vous avez le droit d’être traités avec plus de confiance et qu’après l’heureuse interprétation de tant de milliers de rêves on aurait dû pouvoir, depuis longtemps, réunir une collection d’excellents exemples de rêves offrant toutes les preuves voulues en faveur de tout ce que nous avons dit concernant le travail d’élaboration et les idées des rêves. Vous avez peut-être raison, mais je dois vous avertir que de nombreuses difficultés s’opposent à la réalisation de votre désir.

Et avant tout, je tiens à vous dire qu’il n’y a pas de personnes faisant de l’interprétation des rêves leur occupation principale. Quand a-t-on l’occasion d’interpréter un rêve ? On s’occupe parfois, sans aucune intention spéciale, des rêves d’une personne amie, ou bien on travaille pendant quelque temps sur ses propres rêves, afin de s’entraîner à la technique psychanalytique ; mais le plus souvent on a affaire aux rêves de personnes nerveuses, soumises au traitement psychanalytique. Ces derniers rêves constituent des matériaux excellents et ne le cèdent en rien aux rêves de personnes saines, mais la technique du traitement nous oblige à subordonner l’interprétation des rêves aux exigences thérapeutiques et à abandonner en cours de route un grand nombre de rêves, dès qu’on réussit à en extraire des données susceptibles de recevoir une utilisation thérapeutique. Certains rêves, ceux notamment qui se produisent pendant la cure, échappent tout simplement à une interprétation complète. Comme ils surgissent de l’ensemble total des matériaux psychiques que nous ignorons encore, nous ne pouvons les comprendre qu’une fois la cure terminée. La communication de ces rêves nécessiterait la mise sous vos yeux de tous les mystères d’une névrose ; ceci ne cadre pas avec nos intentions, puisque nous voyons dans l’étude du rêve une préparation à celle des névroses.

Cela étant, vous renoncerez peut-être volontiers à ces rêves, pour entendre l’explication de rêves d’hommes sains ou de vos propres rêves. Mais cela n’est guère faisable, vu le contenu des uns et des autres. Il n’est guère possible de se confesser soi-même ou de confesser ceux qui ont mis en vous leur confiance, avec cette franchise et cette sincérité qu’exigerait une interprétation complète de rêves, lesquels, ainsi que vous le savez, relèvent de ce qu’il y a de plus intime dans notre personnalité. En dehors de cette difficulté de se procurer des matériaux, il y a encore une autre raison qui s’oppose à la communication des rêves. Le rêve, vous le savez, apparaît au rêveur comme quelque chose d’étrange : à plus forte raison doit-il apparaître comme tel à ceux qui ne connaissent pas la personne du rêveur. Notre littérature ne manque pas de bonnes et complètes analyses de rêves ; j’en ai publié moi-même quelques-unes à propos d’observations de malades ; le plus bel exemple d’interprétation est peut-être celui publié par Otto Rank. Il s’agit de deux rêves d’une jeune fille, se rattachant l’un à l’autre. Leur exposé n’occupe que deux pages imprimées, alors que leur analyse en comprend soixante-seize. Il me faudrait presque un semestre pour effectuer avec vous un travail de ce genre. Lorsqu’on aborde l’interprétation d’un rêve un peu long et plus ou moins considérablement déformé, on a besoin de tant d’éclaircissements, il faut tenir compte de tant d’idées et de souvenirs surgissant chez le rêveur, s’engager dans tant de digressions qu’un compte rendu d’un travail de ce genre prendrait une extension considérable et ne vous donnerait aucune satisfaction. Je dois donc vous prier de vous contenter de ce qui est plus facile à obtenir, à savoir de la communication de petits fragments de rêves appartenant à des personnes névrosées et dont on peut étudier isolément tel ou tel élément. Ce sont les symboles des rêves et certaines particularités de la représentation régressive des rêves qui se prêtent le plus facilement à la démonstration. Je vous dirai, à propos de chacun des rêves qui suivent, les raisons pour lesquelles il me semble mériter une communication.

1. Voici un rêve qui se compose de deux brèves images : Son oncle fume une cigarette, bien qu’on soit un samedi. — Une femme l’embrasse et le caresse comme son enfant.

À propos de la première image, le rêveur, qui est Juif, nous dit que son oncle, homme pieux, n’a jamais commis et n’aurait jamais été capable de commettre un péché pareil 25. À propos de la femme qui figure dans la seconde image, il ne pense qu’à sa mère. Il existe certainement un rapport entre ces deux images ou idées. Mais lequel ? Comme il exclut formellement la réalité de l’acte de son oncle, on est tenté de réunir les deux images par la relation de dépendance temporelle. « Au cas où mon oncle, le saint homme, se déciderait à fumer une cigarette un samedi, je devrais me laisser caresser par ma mère. » Cela signifie que les caresses échangées avec la mère constituent une chose aussi peu permise que le fait pour un Juif pieux de fumer un samedi. Je vous ai déjà dit, et vous vous en souvenez sans doute, qu’au cours du travail d’élaboration toutes les relations entre les idées des rêves se trouvent supprimées, que ces idées mêmes sont réduites à l’état de matériaux bruts et que c’est la tâche de l’interprétation de reconstituer ces relations disparues.

2. À la suite de mes publications sur le rêve, je suis devenu, dans une certaine mesure, un consultant officiel pour les affaires se rapportant aux rêves, et je reçois depuis des années des épîtres d’un peu partout, dans lesquelles on me communique des rêves ou demande mon avis sur des rêves. Je suis naturellement reconnaissant à tous ceux qui m’envoient des matériaux suffisants pour rendre l’interprétation possible ou qui proposent eux-mêmes une interprétation. De cette catégorie fait partie le rêve suivant qui m’a été communiqué en 1910 par un étudiant en médecine de Munich. Je le cite pour vous montrer combien un rêve est en général difficile à comprendre, tant que le rêveur n’a pas fourni tous les renseignements nécessaires. Je vais également vous épargner une grave erreur, car je vous crois enclins à considérer l’interprétation des rêves qui souligne l’importance des symboles comme l’interprétation idéale et à refouler au second plan la technique fondée sur les associations surgissant à propos des rêves.

13 juillet 1910 : Vers le matin je fais le rêve suivant : Je descends à bicyclette une rue de Tubingue, lorsqu’un basset noir se précipite derrière moi et me saisit au talon. Je descends un peu plus loin, m’assieds sur une marche et commence à me défendre contre l’animal qui aboie avec rage. ( Ni la morsure ni la scène qui la suit ne me font éprouver de sensation désagréable.) Vis-à-vis de moi sont assises deux darnes âgées qui me regardent d’un air moqueur. Je me réveille alors et, chose qui m’est déjà arrivée plus d’une fois, au moment même du passage du sommeil à l’état de veille, tout mon rêve m’apparaît clair.

Les symboles nous seraient ici de peu de secours. Mais le rêveur nous apprend ceci : « J’étais, depuis quelque temps, amoureux d’une jeune fille que je ne connaissais que pour l’avoir rencontrée souvent dans la rue et sans jamais avoir eu l’occasion de l’approcher. J’aurais été très heureux que cette occasion me fût fournie par le basset, car j’aime beaucoup les bêtes et croyais avec plaisir avoir surpris le même sentiment chez la jeune fille. » Il ajoute qu’il lui est souvent arrivé d’intervenir, avec beaucoup d’adresse et au grand étonnement des spectateurs, pour séparer des chiens qui se battaient. Nous apprenons encore que la jeune fille qui lui plaisait était toujours vue en compagnie de ce chien particulier. Seulement, dans le rêve manifeste cette jeune fille était écartée et seul y était maintenu le chien qui lui était associé. Il se peut que les dames qui se moquaient de lui aient été évoquées à la place de la jeune fille. Ses renseignements ultérieurs ne suffisent pas à éclaircir ce point. Le fait qu’il se voit dans le rêve voyager à bicyclette constitue la reproduction directe de la situation dont il se souvient : il ne rencontrait la jeune fille avec son chien que lorsqu’il était à bicyclette.

3. Lorsque quelqu’un perd un parent qui lui est cher, il fait pendant longtemps des rêves singuliers dans lesquels on trouve les compromis les plus étonnants entre la certitude de la mort et le besoin de faire revivre le mort. Tantôt le disparu, tout en étant mort, continue de vivre, car il ne sait pas qu’il est mort, alors qu’il mourrait tout à fait s’il le savait ; tantôt il est à moitié mort, à moitié vivant, et chacun de ces états se distingue par des signes particuliers. On aurait tort de traiter ces rêves d’absurdes, car la résurrection n’est pas plus inadmissible dans le rêve que dans le conte, par exemple, où elle constitue un événement ordinaire. Pour autant que j’ai pu analyser ces rêves, j’ai trouvé qu’ils se prêtaient à une explication rationnelle, mais que le pieux désir de rappeler le mort à la vie sait se satisfaire par les moyens les plus extraordinaires. Je vais vous citer un rêve de ce genre, qui paraît bizarre et absurde et dont l’analyse vous révélera certains détails que nos considérations théoriques étaient de nature à vous faire prévoir. C’est le rêve d’un homme qui a perdu son père depuis plusieurs années.

Le père est mort, mais il a été exhumé et a mauvaise mine. Il reste en vie depuis son exhumation et le rêveur fait tout son possible pour qu’il ne s’en aperçoive pas. (Ici le rêve passe à d’autres choses, très éloignées en apparence.)

Le père est mort : nous le savons. Son exhumation ne correspond pas plus à la réalité que les détails ultérieurs du rêve. Mais le rêveur raconte : lorsqu’il fut revenu des obsèques de son père, il éprouva un mal de dents. Il voulait traiter la dent malade selon la prescription de la religion juive : « Lorsqu’une dent te fait souffrir, arrache-la », et se rendit chez le dentiste. Mais celui-ci lui dit : « On ne fait pas arracher une dent ; il faut avoir patience. Je vais vous mettre dans la dent quelque chose qui la tuera. Revenez dans trois jours : j’extrairai cela. »

C’est cette « extraction », dit tout à coup le rêveur, qui correspond à l’exhumation.

Le rêveur aurait-il raison ? Pas tout à fait, car ce n’est pas la dent qui devait être extraite, mais sa partie morte. Mais c’est là une des nombreuses imprécisions que, d’après nos expériences, on constate souvent dans les rêves. Le rêveur aurait alors opéré une condensation, en fondant en un seul le père mort et la dent tuée et cependant conservée. Rien d’étonnant s’il en est résulté dans le rêve manifeste quelque chose d’absurde, car tout ce qui est de la dent ne peut pas s’appliquer au père. Où se trouverait en général entre le père et la dent, ce tertium comparationis qui a rendu possible la condensation que nous trouvons dans le rêve manifeste ?

Il doit pourtant y avoir un rapport entre le père et la dent, car le rêveur nous dit qu’il sait que lorsqu’on rêve d’une dent tombée, cela signifie qu’on perdra un membre de sa famille.

Nous savons que cette interprétation populaire est inexacte ou n’est exacte que dans un sens spécial, c’est-à-dire en tant que boutade. Aussi serons-nous d’autant plus étonnés de retrouver ce thème derrière tous les autres fragments du contenu du rêve.

Sans y être sollicité, notre rêveur se met maintenant à nous parler de la maladie et de la mort de son père, ainsi que de son attitude à l’égard de celui-ci. La maladie du père a duré longtemps, les soins et le traitement ont coûté au fils beaucoup d’argent. Et, pourtant, lui, le fils, ne s’en était jamais plaint, n’avait jamais manifesté la moindre impatience, n’avait jamais exprimé le désir de voir la fin de tout cela. Il se vante d’avoir toujours éprouvé à l’égard de son père un sentiment de piété vraiment juive, de s’être toujours rigoureusement conformé à la loi juive. N’êtes-vous pas frappés de la contradiction qui existe dans les idées se rapportant aux rêves ? Il a identifié dent et père. À l’égard de la dent il voulait agir selon la loi juive qui ordonnait de l’arracher dès l’instant où elle était une cause de douleur et contrariété. À l’égard du père, il voulait également agir selon la loi qui, cette fois, ordonne cependant de ne pas se plaindre de la dépense et de la contrariété, de supporter patiemment l’épreuve et de s’interdire toute intention hostile envers l’objet qui est cause de la douleur. L’analogie entre les deux situations aurait cependant été plus complète si le fils avait éprouvé à l’égard du père les mêmes sentiments qu’à l’égard de la dent, c’est-à-dire s’il avait souhaité que la mort vînt mettre fin à l’existence inutile, douloureuse et coûteuse de celui-ci.

Je suis persuadé que tels furent effectivement les sentiments de notre rêveur à l’égard de son père pendant la pénible maladie de celui-ci et que ses bruyantes protestations de piété filiale n’étaient destinées qu’à le détourner de ces souvenirs. Dans des situations de ce genre, on fait généralement le souhait de voir venir la mort, mais ce souhait se couvre du masque de la pitié : la mort, se dit-on, serait une délivrance pour le malade qui souffre. Remarquez bien cependant qu’ici nous franchissons la limite des idées latentes elles-mêmes. La première intervention de celles-ci ne fut certainement inconsciente que pendant peu de temps, c’est-à-dire pendant la durée de la formation du rêve ; mais les sentiments hostiles à l’égard du père ont dû exister à l’état inconscient depuis un temps assez long, peut-être même depuis l’enfance, et ce n’est qu’occasionnellement, pendant la maladie, qu’ils se sont, timides et marqués, insinués dans la conscience. Avec plus de certitude encore nous pouvons affirmer la même chose concernant d’autres idées latentes qui ont contribué à constituer le contenu du rêve. On ne découvre dans le rêve nulle trace de sentiments hostiles à l’égard du père. Mais si nous cherchons la racine d’une pareille hostilité à l’égard du père en remontant jusqu’à l’enfance, nous nous souvenons qu’elle réside dans la crainte que nous inspire le père, lequel commence de très bonne heure à réfréner l’activité sexuelle du garçon et continue à lui opposer des obstacles, pour des raisons sociales, même à l’âge qui suit la puberté. Ceci est également vrai de l’attitude de notre rêveur à l’égard de son père : son amour était mitigé de beaucoup de respect et de crainte qui avaient leur source dans le contrôle exercé par le père sur l’activité sexuelle du fils.

Les autres détails du rêve manifeste s’expliquent par le complexe de l’onanisme. « Il a mauvaise mine » : cela peut bien être une allusion aux paroles du dentiste que c’est une mauvaise perspective que de perdre une dent en cet endroit. Mais cette phrase se rapporte peut-être également à la mauvaise mine par laquelle le jeune homme ayant atteint l’âge de la puberté trahit ou craint de trahir son activité sexuelle exagérée. Ce n’est pas sans un certain soulagement pour lui-même que le rêveur a, dans le contenu du rêve manifeste, transféré la mauvaise mine au père, et cela en vertu d’une inversion du travail d’élaboration que vous connaissez déjà. « Il continue à vivre » : cette idée correspond aussi bien au souhait de résurrection qu’à la promesse du dentiste que la dent pourra être conservée. Mais la proposition : « le rêveur fait tout son possible, pour qu’il (le père) ne s’en aperçoive pas », est tout à fait raffinée, car elle a pour but de nous suggérer la conclusion qu’il est mort. La seule conclusion significative découle cependant du « complexe de l’onanisme », puisqu’il est tout à fait compréhensible que le jeune homme fasse tout son possible pour dissimuler au père sa vie sexuelle. Rappelez-vous à ce propos que nous avons toujours été amenés à recourir à l’onanisme et à la crainte du châtiment pour les pratiques qu’elle comporte, pour interpréter les rêves ayant pour objet le mal de dent.

Vous voyez maintenant comment a pu se former ce rêve incompréhensible. Plusieurs procédés ont été mis en œuvre à cet effet : condensation singulière et trompeuse, déplacement de toutes les idées hors de la série latente, création de plusieurs formations substitutives pour les plus profondes et les plus reculées dans le temps d’entre ces idées.

4. Nous avons déjà essayé à plusieurs reprises d’aborder ces rêves sobres et banals qui ne contiennent rien d’absurde ou d’étrange, mais à propos desquels la question se pose : pourquoi rêve-t-on de choses aussi indifférentes ? Je vais, en conséquence, vous citer un nouvel exemple de ce genre, trois rêves assortis l’un à l’autre et faits par une jeune femme au cours de la même nuit.

a) Elle traverse le salon de son appartement et se cogne la tête contre le lustre suspendu au plafond. Il en résulte une plaie saignante.

Nulle réminiscence ; aucun souvenir d’un événement réellement arrivé. Les renseignements qu’elle fournit indiquent une tout autre direction. « Vous savez à quel point mes cheveux tombent. Mon enfant, m’a dit hier ma mère, si cela continue, ta tête sera bientôt nue comme un derrière. » La tête apparaît ici comme le symbole de la partie opposée au corps. La signification symbolique du lustre est évidente : tous les objets allongés sont des symboles de l’organe sexuel masculin. Il s’agirait donc d’une hémorragie de la partie inférieure du tronc, à la suite de la blessure occasionnée par le pénis. Ceci pourrait encore avoir plusieurs sens ; les autres renseignements fournis par la rêveuse montrent qu’il s’agit de la croyance d’après laquelle les règles seraient provoquées par les rapports sexuels avec l’homme, théorie sexuelle qui compte beaucoup d’adeptes parmi les jeunes filles n’ayant pas encore atteint la maturité.

b) Elle voit dans la vigne une fosse profonde qui, elle le sait, provient de l’arrachement d’un arbre. Elle remarque à ce propos que l’arbre lui-même manque. Elle croit n’avoir pas vu l’arbre dans son rêve, mais toute sa phrase sert à l’expression d’une autre idée qui en révèle la signification symbolique. Ce rêve se rapporte notamment à une autre théorie sexuelle d’après laquelle les petites filles auraient au début les mêmes organes sexuels que les garçons et que c’est à la suite de la castration (arrachement d’un arbre) que les organes sexuels de la femme prendraient la forme que l’on sait.

c) Elle se tient devant le tiroir de son bureau dont le contenu lui est tellement familier qu’elle s’aperçoit aussitôt de la moindre intervention d’une main étrangère. Le tiroir du bureau est, comme tout tiroir, boîte ou caisse, la représentation symbolique de l’organe sexuel de la femme. Elle sait que les traces de rapports sexuels (et, comme elle le croit, de l’attouchement) sont faciles à reconnaître et elle avait longtemps redouté cette épreuve. Je croîs que l’intérêt de ces trois rêves réside principalement dans les connaissances dont la rêveuse fait preuve : elle se rappelle l’époque de ses réflexions enfantines sur les mystères de la vie sexuelle, ainsi que les résultats auxquels elle était arrivée et dont elle était alors très fière.

5. Encore un peu de symbolisme. Mais cette fois je dois au préalable exposer brièvement la situation psychique. Un monsieur, qui a passé une nuit dans l’intimité d’une dame, parle de cette dernière comme d’une de ces natures maternelles chez lesquelles le sentiment amoureux est fondé uniquement sur le désir d’avoir un enfant. Mais les circonstances dans lesquelles a eu lieu la rencontre dont il s’agit étaient telles que des précautions contre l’éventuelle maternité durent être prises, et l’on sait que la principale de ces précautions consiste à empêcher le liquide séminal de pénétrer dans les organes génitaux de la femme. Au réveil qui suit la rencontre en question, la dame raconte le rêve suivant :

Un officier vêtu d’un manteau rouge la poursuit dans la rue. Elle se met à courir, monte l’escalier de sa maison ; il la suit toujours. Essoufflée, elle arrive devant son appartement, s’y glisse et referme derrière elle la porte à clef. Il reste dehors et, en regardant par la fenêtre, elle le voit assis sur un banc et pleurant.

Vous reconnaissez sans difficulté dans la poursuite par l’officier au manteau rouge et dans l’ascension précipitée de l’escalier la représentation de l’acte sexuel. Le fait que la rêveuse s’enferme à clef pour se mettre à l’abri de la poursuite représente un exemple de ces inversions qui se produisent si fréquemment dans les rêves : il est une allusion au non-achèvement de l’acte sexuel par l’homme. De même, elle a déplacé sa tristesse en l’attribuant à son partenaire : c’est lui qu’elle voit pleurer dans le rêve, ce qui constitue également une allusion à l’émission du sperme.

Vous avez sans doute entendu dire que d’après la psychanalyse tous les rêves auraient une signification sexuelle. Maintenant vous êtes à même de vous rendre compte à quel point ce jugement est incorrect. Vous connaissez des rêves qui sont des réalisations de désirs, des rêves dans lesquels il s’agit de la satisfaction des besoins les plus fondamentaux, tels que la faim, la soif, le besoin de liberté, vous connaissez aussi des rêves que j’ai appelés rêves de commodité et d’impatience, des rêves de cupidité, des rêves égoïstes. Mais vous devez considérer comme un autre résultat de la recherche psychanalytique le fait que les rêves très déformes (pas tous d’ailleurs) servent principalement à l’expression de désirs sexuels.

6. J’ai d’ailleurs une raison spéciale d’accumuler les exemples d’application de symboles dans les rêves. Dès notre première rencontre, je vous ai dit combien il était difficile, dans l’enseignement de la psychanalyse, de fournir les preuves de ce qu’on avance et de gagner ainsi la conviction des auditeurs. Vous avez eu depuis plus d’une occasion de vous assurer que j’avais raison. Or, il existe entre les diverses propositions et affirmations de la psychanalyse un lien tellement intime que la conviction acquise sur un point peut s’étendre à une partie plus ou moins grande du tout. On peut dire de la psychanalyse qu’il suffit de lui tendre le petit doigt pour qu’elle saisisse la main entière. Celui qui a compris et adopté l’explication des actes manqués doit, pour être logique, adopter tout le reste. Or, le symbolisme des rêves nous offre un autre point aussi facilement accessible. Je vais vous exposer le rêve, déjà publié, d’une femme du peuple, dont le mari est agent de police et qui n’a certainement jamais entendu parler de symbolisme des rêves et de psychanalyse. Jugez vous-mêmes si l’interprétation de ce rêve à l’aide de symboles sexuels doit ou non être considérée comme arbitraire et forcée.

«… Quelqu’un s’est alors introduit dans le logement et, pleine d’angoisse, elle appelle un agent de police. Mais celui-ci, d’accord avec deux « larrons », est entre dans une église à laquelle conduisaient plusieurs marches. Derrière l’église, il y avait une montagne couverte d’une épaisse forêt. L’agent de police était coiffé d’un casque et portait un hausse-col et un manteau. Il portait toute sa barbe qui était noire. Les deux vagabonds, qui accompagnaient paisiblement l’agent, portaient autour des reins des tabliers ouverts en forme de sacs. Un chemin conduisait de l’église à la montagne. Ce chemin était couvert des deux côtés d’herbe et de broussailles qui devenaient de plus en plus épaisses et formaient une véritable forêt au sommet de la montagne. »

Vous reconnaissez sans peine les symboles employés. Les organes génitaux masculins sont représentés par une trinité de personnes, les organes féminins par un paysage, avec chapelle, montagne et forêt. Vous trouvez ici les marches comme symbole de l’acte sexuel. Ce qui est appelé montagne dans le rêve porte le même nom en anatomie : mont de Vénus.

7. Encore un rêve devant être interprété à l’aide de symboles, remarquable et probant par le fait que c’est le rêveur lui-même qui a traduit tous les symboles, sans posséder la moindre connaissance théorique relative à l’interprétation des rêves, circonstance tout à fait extraordinaire et dont les conditions ne sont pas connues exactement.

« Il se promène avec son père dans un endroit qui est certainement le Prater 26, car on voit la rotonde et devant celle-ci une petite saillie à laquelle est attaché un ballon captif qui semble assez dégonflé. Son père lui demande à quoi tout cela sert ; la question l’étonne, mais il n’en donne pas moins l’explication qu’on lui demande. Ils arrivent ensuite dans une cour dans laquelle est étendue une grande plaque de fer blanc. Le père voudrait en détacher un grand morceau, mais regarde autour de lui pour savoir si personne ne le remarque. Il lui dit qu’il lui suffit de prévenir le surveillant : il pourra alors en emporter tant qu’il voudra. De cette cour un escalier conduit dans une fosse dont les parois sont capitonnées comme, par exemple, un fauteuil en cuir. Au bout de celle fosse se trouve une longue plate-forme après laquelle commence une autre fosse. »

Le rêveur interprète lui-même : « La rotonde, ce sont mes organes génitaux, le ballon captif qui se trouve devant n’est autre chose que ma verge dont la faculté d’érection se trouve diminuée depuis quelque temps. » Pour traduire plus exactement : la rotonde, c’est la région fessière que l’enfant considère généralement comme faisant partie de l’appareil génital ; la petite saillie devant cette rotonde, ce sont les bourses. Dans le rêve, le père lui demande ce que tout cela signifie, c’est-à-dire quels sont le but et la fonction des organes génitaux. Nous pouvons, sans risque de nous tromper, intervertir les situations et admettre que c’est le fils qui interroge. Le père n’ayant jamais, dans la vie réelle, posé de question pareille, on doit considérer cette idée du rêve comme un désir ou ne l’accepter que conditionnellement : « Si j’avais demandé à mon père des renseignements relatifs aux organes sexuels… » Nous retrouverons bientôt la suite et le développement de cette idée. La cour dans laquelle est étendue la plaque de fer blanc ne doit pas être considérée comme étant essentiellement un symbole : elle fait partie du local où le père exerce son commerce. Par discrétion, j’ai remplacé par le fer blanc l’article dont il fait commerce, sans rien changer au texte du rêve. Le rêveur, qui assiste son père dans ses affaires, a été dès le premier jour choqué par l’incorrection des procédés sur lesquels repose en grande partie le gain. C’est pourquoi on doit donner à l’idée dont nous avons parlé plus haut la suite suivante : « (Si j’avais demandé à mon père), il m’aurait trompé, comme il trompe ses clients. » Le père voulait détacher un morceau de la plaque de fer blanc : on peut bien voir dans ce désir la représentation de la malhonnêteté commerciale, mais le rêveur lui-même en donne une autre explication : il signifie l’onanisme. Cela, nous le savons depuis longtemps, mais, en outre, cette interprétation s’accorde avec le fait que le secret de l’onanisme est exprimé par son contraire (le fils disant au père que s’il veut emporter un morceau de fer blanc, il doit le faire ouvertement, en demandant la permission au surveillant). Aussi ne sommes-nous pas étonnés de voir le fils attribuer au père les pratiques onaniques, comme il lui a attribué l’interrogation dans la première scène du rêve. Quant à la fosse, le rêveur l’interprète en évoquant le mou capitonnage des parois vaginales. Et j’ajoute de ma part que la descente, comme dans d’autres cas la montée, signifie l’acte du coït.

La première fosse, nous disait le rêveur, était suivie d’une longue plate-forme au bout de laquelle commençait une autre fosse : il s’agit là de détails biographiques. Après avoir eu des rapports sexuels fréquents, le rêveur se trouve actuellement gêné dans l’accomplissement de l’acte sexuel et espère, grâce au traitement, recouvrer sa vigueur d’autrefois.

8. Les deux rêves qui suivent appartiennent à un étranger aux dispositions polygamiques très prononcées. Je les cite pour vous montrer que c’est toujours le moi du rêveur qui apparaît dans le rêve alors même qu’il se trouve dissimulé dans le rêve manifeste. Les malles qui figurent dans ces rêves sont des symboles de femmes.

a) Il part en voyage, ses bagages sont apportés à la gare par une voiture. Ils se composent d’un grand nombre de malles, parmi lesquelles se trouvent deux grandes malles noires, dans le genre « malles à échantillons ». Il dit à quelqu’un d’un ton de consolation : Celles-ci ne vont que jusqu’à la gare.

Il voyage en effet avec beaucoup de bagages, mais fait aussi intervenir dans le traitement beaucoup d’histoires de femmes. Les deux malles noires correspondent à deux femmes brunes, qui jouent actuellement dans sa vie un rôle de première importance. L’une d’elles voulait le suivre à Vienne ; sur mon conseil, il lui a télégraphié de n’en rien faire.

b) Une scène à la douane : Un de ses compagnons de voyage ouvre sa malle et dit en fumant négligemment sa cigarette : il n’y a rien là-dedans. Le douanier semble le croire, mois recommence à fouiller et trouve quelque chose de tout à fait défendu. Le voyageur dit alors avec résignation : rien à faire. — C’est lui-même qui est le voyageur ; moi, je suis le douanier. Généralement très sincère dans ses confessions, il a voulu me dissimuler les relations qu’il venait de nouer avec une dame, car il pouvait supposer avec raison que cette dame ne m’était pas inconnue. Il a transféré sur une autre personne la pénible situation de quelqu’un qui reçoit un démenti, et c’est ainsi qu’il semble ne pas figurer dans ce rêve.

9. Voici l’exemple d’un symbole que je n’ai pas encore mentionné :

Il rencontre sa sœur en compagnie de deux amies, sœurs elles-mêmes. Il tend la main à celles-ci, mais pas à sa sœur à lui.

Ce rêve ne se rattache à aucun événement connu. Ses souvenirs le reportent plutôt à une époque où il avait observé pour la première fois, en recherchant la cause de ce fait, que la poitrine se développe tard chez les jeunes filles. Les deux sœurs représentent donc deux seins qu’il saisirait volontiers pourvu que ce ne soit pas les seins de sa sœur.

10. Et voici un exemple de symbolisme de la mort dans le rêve :

Il marche sur un pont de fer élevé et raide avec deux personnes qu’il connaît, mais dont il a oublié les noms au réveil. Tout d’un coup ces deux personnes disparaissent, et il voit un homme spectral portant un bonnet et un costume de toile. Il lui demande s’il est le télégraphiste… Non. S’il est le voiturier. Non. Il continue son chemin, éprouve encore pendant le rêve une grande angoisse et, même une fois réveillé, il prolonge son rêve en imaginant que le pont de fer s’écroule et qu’il est précipité dans l’abîme.

Les personnes dont on dit qu’on ne les connaît pas ou qu’on a oublié leurs noms sont le plus souvent des personnes très proches. Le rêveur a un frère et une sœur ; s’il avait souhaité leur mort, il n’eût été que juste qu’il en éprouvât lui-même une angoisse mortelle. Au sujet du télégraphiste, il fait observer que ce sont toujours des porteurs de mauvaises nouvelles. D’après l’uniforme, ce pouvait être aussi bien un allumeur de réverbères, mais les allumeurs de réverbères sont aussi chargés de les éteindre, comme le génie de la mort éteint le flambeau de la vie. À l’idée du voiturier il associe le poème d’Uhland sur le voyage en mer du roi Charles et se souvient à ce propos d’un dangereux voyage en mer avec deux camarades, voyage au cours duquel il avait joué le rôle du roi dans le poème. À propos du pont de fer, il se rappelle un grave accident survenu dernièrement et l’absurde aphorisme, la vie est un pont suspendu,

11. Autre exemple de représentation symbolique de la mort, un monsieur inconnu dépose à son intention une carte de visite. bordée de noir.

12. Le rêve suivant qui a d’ailleurs, parmi ses antécédents, un état, névrotique, vous intéressera sous plusieurs rapports.

Il voyage en chemin de fer. Le train s’arrête en pleine campagne. Il pense qu’il s’agit d’un accident, qu’il faut songer à se sauver, traverse tous les compartiments du train et tue tous ceux qu’il rencontre : conducteur, mécanicien, etc.

À cela se rattache le souvenir d’un récit fait par un ami. Sur un chemin de fer italien on transportait un fou dans un compartiment réservé, mais par mégarde on avait laissé entrer un voyageur dans le même compartiment. Le fou tua le voyageur. Le rêveur s’identifie donc avec le fou et justifie son acte par la représentation obsédante, qui le tourmente de temps à autre, qu’il doit « supprimer tous les témoins ». Mais il trouve ensuite une meilleure motivation qui forme le point de départ du rêve. Il a revu la veille au théâtre la jeune fille qu’il devait épouser, mais dont il s’était détaché parce qu’elle le rendait jaloux. Vu l’intensité que, peut atteindre chez lui la jalousie, il serait réellement devenu fou s’il avait épousé cette jeune fille. Cela signifie : il la considère comme si peu sûre qu’il aurait été obligé de tuer tous ceux qu’il aurait trouvés sur son chemin, car il eût été jaloux de tout le monde. Nous savons déjà que le fait de traverser une série de pièces (ici de compartiments) est le symbole du mariage.

À propos de l’arrêt du train en pleine campagne et de la peur d’un accident, il nous raconte qu’un jour où il voyageait réellement en chemin de fer, le train s’était subitement arrêté entre deux stations. Une jeune dame qui se trouvait à côté de lui déclare qu’il va probablement se produire une collision avec un autre train et que dans ce cas la première précaution à prendre est de lever les jambes en l’air. Ces « jambes en l’air » ont aussi joué un rôle dans les nombreuses promenades et excursions à la campagne qu’il fit avec la jeune fille au temps heureux de leurs premières amours. Nouvelle preuve qu’il faudrait qu’il fût fou pour l’épouser à présent. Et pourtant la connaissance que j’avais de la situation me permet d’affirmer que le désir de commettre cette folie n’en persistait pas moins chez lui.