Aller au contenu

Introduction à la psychanalyse/III/28

La bibliothèque libre.
TROISIÈME PARTIE. THÉORIE GÉNÉRALE DES NÉVROSES


Chapitre XXVIII
LA THÉRAPEUTIQUE ANALYTIOUE


Vous savez quel est le sujet de notre entretien d’aujourd’hui. Vous m’avez demandé pourquoi nous ne nous servons pas, dans la psychothérapie analytique, de la suggestion directe, dès l’instant où nous reconnaissons que notre influence repose essentiellement sur le transfert, c’est-à-dire sur la suggestion ; et, en présence de ce rôle prédominant assigné à la suggestion, vous avez émis des doutes concernant l’objectivité de nos découvertes psychologiques. Je vous ai promis de vous répondre d’une façon détaillée.

La suggestion directe, c’est la suggestion dirigée contre la manifestation des symptômes, c’est la lutte entre votre autorité et les raisons de l’état morbide. En recourant à la suggestion, vous ne vous préoccupez pas de ces raisons, vous exigez seulement du malade qu’il cesse de les exprimer en symptômes. Peu importe alors que vous plongiez le malade dans l’hypnose ou non. Avec sa perspicacité habituelle, Bernheim avait d’ailleurs déjà fait remarquer que la suggestion constitue le fait essentiel de l’hypnotisme, l’hypnose elle-même était un effet de la suggestion, un état suggéré, et il avait de préférence pratiqué la suggestion à l’état de veille, comme susceptible de donner les mêmes résultats que la suggestion dans l’hypnose.

Or, dans cette question, qu’est-ce qui vous intéresse le plus : les données de l’expérience ou les considérations théoriques ? Commençons par les premières. J’ai été élève de Bernheim dont j’ai suivi l’enseignement à Nancy en 1899 et dont j’ai traduit en allemand le livre sur la suggestion. J’ai, pendant des années, appliqué le traitement hypnotique, associé d’abord à la suggestion de défense et ensuite à l’exploration du patient selon la méthode de Breuer. J’ai donc une expérience suffisante pour parler des effets du traitement hypnotique ou suggestif. Si, d’après un vieux dicton médical, une thérapeutique idéale est celle qui agit rapidement, avec certitude et n’est pas désagréable pour le malade, la méthode de Bernheim remplissait au moins deux de ces conditions. Elle pouvait être appliquée rapidement, beaucoup plus rapidement que la méthode, analytique, sans imposer au malade la moindre fatigue, sans lui causer aucun trouble. Pour le médecin cela devenait a la longue monotone d’avoir recours dans tous les cas aux mêmes procédés, au même cérémonial, pour mettre fin à l’existence de symptômes des plus variés, sans pouvoir se rendre compte de leur signification et de leur importance. C’était un travail de manœuvre, n’ayant rien de scientifique, rappelant plutôt la magie, l’exorcisme, la prestidigitation ; on n’en exécutait pas moins ce travail, parce qu’il s’agissait de l’intérêt du malade. Mais la troisième condition manquait à cette méthode, qui n’était certaine sous aucun rapport. Applicable aux uns, elle ne l’était pas à d’autres ; elles se montrait très efficace chez les uns, peu efficace chez les autres, sans qu’on sût pourquoi. Mais ce qui était encore plus fâcheux que cette incertitude capricieuse du procédé, c’était l’instabilité de ses effets. On apprenait au bout de quelques temps la récidive de la maladie ou son remplacement par une autre. On pouvait avoir de nouveau recours à l’hypnose, mais des autorités compétentes avaient mis en garde contre le recours fréquent à l’hypnose : on risquait d’abolir l’indépendance du malade et de créer chez lui l’accoutumance, comme à l’égard d’un narcotique. Mais même dans les cas, rares il est vrai, où l’on réussissait, après quelques efforts, à obtenir un succès complet et durable, on restait dans l’ignorance des conditions de ce résultat favorable. J’ai vu une fois se reproduire tel quel un état très grave que j’avais réussi à supprimer complètement à la suite d’un court traitement hypnotique ; cette récidive étant survenue à une époque où la malade m’avait pris en aversion, j’avais réussi à obtenir une nouvelle guérison plus complète encore lorsqu’elle fut revenue à de meilleurs sentiments à mon égard ; mais une troisième récidive s’était déclarée lorsque la malade me fut devenue de nouveau hostile. Une autre de mes malades que j’avais, à plusieurs reprises, réussi à débarrasser pas l’hypnose de crises nerveuses, se jeta subitement à mon cou pendant que j’étais en train de lui donner mes soins au cours d’une crise particulièrement rebelle. Des faits de ce genre nous obligent, qu’on le veuille ou non, à nous poser la question concernant la nature et l’origine de l’autorité suggestive.

Telles sont les expériences. Elles nous montrent qu’en renonçant à la suggestion directe, nous ne nous privons pas de quelque chose d’indispensable. Permettez-moi maintenant de formuler à ce sujet quelques considérations. L’application de l’hypno-thérapeutique n’impose au malade et au patient qu’un effort insignifiant. Cette thérapeutique s’accorde admirablement avec l’appréciation des névroses qui a encore cours dans la plupart des milieux médicaux. Le médecin dit au nerveux : « Rien ne vous manque, et ce que vous éprouvez n’est que de nature nerveuse et je puis en quelques mots et en quelques minutes supprimer vos troubles. » Mais notre pensée énergique se refuse à admettre qu’on puisse par un léger effort mobiliser une grande masse en l’attaquant directement et sans l’aide d’un outillage spécial. Dans la mesure où les conditions sont comparables, l’expérience nous montre que cet artifice ne réussit pas plus dans les névroses que dans la mécanique. Je sais cependant que cet argument n’est pas inattaquable, qu’il y a aussi des « déclenchements ».

Les connaissances que nous avons acquises grâce à la psychanalyse nous permettent de décrire à peu près ainsi les différences qui existent entre la suggestion hypnotique et la suggestion psychanalytique. La thérapeutique hypnotique cherche à recouvrir et à masquer quelque chose dans la vie psychique ; la thérapeutique analytique cherche, au contraire, à le mettre à nu et à l’écarter. La première agit comme un procédé cosmétique, la dernière comme un procédé chirurgical. Celle-là utilise la suggestion pour interdire les symptômes, elle renforce les refoulements, mais laisse inchangés tous les processus qui ont abouti à la formation des symptômes. Au contraire, la thérapeutique analytique, lorsqu’elle se trouve en présence des conflits qui ont engendré les symptômes, cherche à remonter jusqu’à la racine et se sert de la suggestion pour modifier dans le sens qu’elle désire l’issue de ces conflits. La thérapeutique hypnotique laisse le patient inactif et inchangé, par conséquent sans plus de résistance devant une nouvelle cause de troubles morbides. Le traitement analytique impose au médecin et malade des efforts pénibles tendant à surmonter des résistances intérieures. Lorsque ces résistances sont vaincues, la vie psychique du malade se trouve changée d’une façon durable, élevée à un degré de développement supérieur et reste protégée contre toute nouvelle possibilité pathogène. C’est ce travail de lutte contre les résistances qui constitue la tâche essentielle du traitement analytique, et cette tâche incombe au malade auquel le médecin vient en aide par le recours à la suggestion agissant dans le sens de son éducation. Aussi a-t-on dit avec raison que le traitement psychanalytique est une sorte de post-éducation.

Je crois vous avoir fait comprendre en quoi notre manière d’appliquer la suggestion dans un but thérapeutique diffère de celle qui est seule possible dans la thérapeutique hypnotique. Grâce à la réduction de la suggestion au transfert, vous êtes aussi à même de comprendre les raisons de cette inconstance qui nous a frappés dans le traitement hypnotique, alors que le traitement analytique peut être calculé jusque dans ses ultimes effets. Dans l’application de l’hypnose, nous dépendons de l’état et du degré de la faculté du transfert que présente le malade, sans pouvoir exercer la moindre action sur cette faculté. Le transfert de l’individu à hypnotiser peut être négatif ou, comme c’est le cas le plus fréquent, ambivalent ; le sujet peut, par certaines attitudes particulières, s’être prémuni contre son transfert : de tout cela, nous ne savons rien. Avec la psychanalyse, nous travaillons sur le transfert lui-même, nous écartons tout ce qui s’oppose à lui, nous dirigeons vers nous l’instrument à l’aide duquel nous voulons agir. Nous acquérons ainsi la possibilité de tirer un tout autre profit de la force de la suggestion, qui devient docile entre nos mains ; ce n’est pas le malade seul qui se suggère ce qui lui plaît : c’est nous qui guidons sa suggestion dans la mesure où, d’une façon générale, il est accessible à son action.

Or, direz-vous, que nous appelions la force motrice de notre analyse « transfert » ou « suggestion », peu importe. Il n’en reste pas moins que l’influence subie par le malade rend douteuse la valeur objective de nos constatations. Ce qui est utile à la thérapeutique est nuisible à la recherche. C’est l’objection qu’on adresse le plus fréquemment à la psychanalyse, et le dois convenir que, tout en portant à faux, elle ne peut cependant pas être repoussée comme absurde. Mais si elle était justifiée, il ne resterait de la psychanalyse qu’un traitement par la suggestion, d’un genre particulièrement efficace, et toutes ses propositions relatives aux influences vitales, à la dynamique psychique, à l’inconscient n’auraient rien de sérieux. Ainsi pensent en effet nos adversaires, qui prétendent qu’en ce qui concerne plus particulièrement nos propositions se rapportant à l’importance de la vie sexuelle, à cette vie elle-même, elles ne sont que le produit de notre imagination corrompue, et que tout ce que les malades disent à ce sujet, c’est nous qui le leur avons fait croire. Il est plus facile de réfuter ces objections par l’appel à l’expérience que par des considérations théoriques. Celui qui a fait lui-même de la psychanalyse a pu s’assurer plus d’une fois qu’il est impossible de suggestionner un malade à ce point. Il n’est naturellement pas difficile de faire d’un malade un partisan d’une certaine théorie et de lui faire partager une certaine erreur du médecin. Il se comporte alors comme n’importe quel autre individu, comme un élève ; seulement, en cette occurrence on a influé, non sur sa maladie, mais sur son intelligence. La solution de ses conflits et la suppression de ses résistances ne réussit que lorsqu’on lui a donné des représentations d’attente qui chez lui coïncident avec la réalité. Ce qui, dans les suppositions du médecin, ne correspondait pas à cette réalité se trouve spontanément éliminé au cours de l’analyse, doit être retiré ci remplacé par des suppositions plus exactes. On cherche par une technique appropriée et attentive à empêcher la suggestion de produire des effets passagers ; mais alors même qu’on obtient de ces effets, le mal n’est pas grand, car on ne se contente jamais du premier résultat. L’analyse n’est pas terminée, tant que toutes les obscurités du cas ne sont pas éclaircies, toutes les lacunes de la mémoire comblées, toutes les circonstances des refoulements mises au jour. On doit voir dans les succès obtenus trop rapidement plutôt des obstacles que des circonstances favorables au travail analytique, et l’on détruit ces succès en supprimant, en dissociant le transfert sur lequel ils reposent. C’est au fond ce dernier trait qui différencie le traitement purement suggestif et permet d’opposer les résultats obtenus par l’analyse aux succès dus à la simple suggestion. Dans tout autre traitement suggestif, le transfert est soigneusement ménagé, laissé intact ; le traitement analytique, au contraire, a pour objet le transfert lui-même qu’il cherche à démasquer et à décomposer, quelle que soit la forme qu’il revêt. À la fin d’un traitement analytique, le transfert lui-même doit être détruit, et si l’on obtient un succès durable, ce succès repose, non sur la suggestion pure et, simple, mais sur les résultats obtenus grâce à la suggestion : suppression des résistances intérieures, modifications internes du malade.

À mesure que les suggestions se succèdent au cours du traitement, nous avons à lutter sans cesse contre des résistances qui savent se transformer en transferts négatifs (hostiles). Nous n’allons d’ailleurs pas tarder à invoquer la confirmation que beaucoup de résultats de l’analyse, qu’on est tenté de considérer comme des produits de la suggestion, empruntent à une source dont l’authenticité ne peut être mise en doute. Nos garants ne sont autres que les déments et les paranoïaques qui échappent naturellement au soupçon d’avoir subi ou de pouvoir subir une influence suggestive. Ce que ces malades nous racontent concernant leurs traductions de symboles et leurs fantaisies coïncident avec les résultats que nous ont fournis nos recherches sur l’inconscient dans les névroses de transfert et corrobore ainsi l’exactitude objective de nos interprétations si souvent mises en doute. Je crois que vous ne risquez pas de vous tromper en accordant sur ces points toute votre confiance à l’analyse.

Complétons maintenant l’exposé du mécanisme de la guérison en l’exprimant dans les formules de la théorie de la libido. Le névrosé est incapable de jouir et d’agir : de jouir, parce que sa libido n’est dirigée sur aucun objet réel ; d’agir, parce qu’il est obligé de dépenser beaucoup d’énergie pour maintenir sa libido en état de refoulement et se prémunir contre ses assauts. Il ne pourra guérir que lorsque le conflit entre son moi et sa libido sera terminé et que le moi aura de nouveau pris le dessus sur la libido. La tâche thérapeutique consiste donc à libérer la libido de ses attaches actuelles, soustraites au moi, et à la mettre de nouveau au service de ce dernier. Où se trouve donc la libido du névrotique ? Il est facile de répondre : elle se trouve attachée aux symptômes qui, pour le moment, lui procurent la seule satisfaction substitutive possible. Il faut donc s’emparer des symptômes, les dissoudre, bref faire précisément ce que le malade nous demande. Et pour dissoudre les symptômes, il faut remonter à leurs origines, réveiller le conflit qui leur a donné naissance et orienter ce conflit vers une autre solution, en mettant en œuvre des facteurs qui, à l’époque où sont nés les symptômes, n’étaient pas à la disposition du malade. Cette révision du processus qui avait abouti au refoulement ne peut être opérée qu’en partie, en suivant les traces qu’il a laissées. La partie décisive du travail consiste, en partant de l’attitude à l’égard du médecin, en partant du « transfert », à créer de nouvelles éditions des anciens conflits, de façon à ce que le malade s’y comporte comme il s’était comporté dans ces derniers, mais en mettant cette fois en œuvre toutes ses forces psychiques disponibles, pour aboutir à une solution différente. Le transfert devient ainsi le champ de bataille sur lequel doivent se heurter toutes les forces en lutte.

Toute la libido et toute la résistance à la libido se trouvent concentrées dans la seule attitude à l’égard du médecin ; et à cette occasion, il se produit inévitablement une séparation entre les symptômes et la libido, ceux-là apparaissant dépouillés de celle-ci. À la place de la maladie proprement dite, nous avons le transfert artificiellement provoqué ou, si vous aimez mieux, la maladie du transfert ; à la place des objets aussi variés qu’irréels de la libido, nous n’avons qu’un seul objet, bien qu’également fantastique : la personne du médecin. Mais la suggestion à laquelle a recours le médecin amène la lutte qui se livre autour de cet objet à la phase psychique la plus élevée, de sorte qu’on ne se trouve plus en présence que d’un conflit psychique normal. En s’opposant à un nouveau refoulement, on met fin à la séparation entre le moi et la libido, et l’on rétablit l’unité psychique de la personne. Lorsque la libido se détache enfin de cet objet passager qu’est la personne du médecin, elle ne peut plus retourner à ses objets antérieurs : elle se tient à la disposition du moi. Les puissances qu’on a eu à combattre au cours de ce travail thérapeutique sont : d’une part, l’antipathie du moi pour certaines orientations de la libido, antipathie qui se manifeste dans la tendance au refoulement ; d’autre part, la force d’adhésion, la viscosité pour ainsi dire de la libido qui n’abandonne pas volontiers les objets sur lesquels elle se fixe.

Le travail thérapeutique se laisse donc décomposer en deux phases : dans la première, toute la libido se détache des symptômes pour se fixer et se concentrer sur les transferts ; dans la deuxième, la lutte se livre autour de ce nouvel objet dont on finit par libérer la libido. Ce résultat favorable n’est obtenu que si l’on réussit, au cours de ce nouveau conflit, à empêcher un nouveau refoulement, grâce auquel la libido se réfugierait dans l’inconscient et échapperait de nouveau au moi. On y arrive, à la faveur de la modification du moi, qui s’accomplit sous l’influence de la suggestion médicale. Grâce au travail d’interprétation qui transforme l’inconscient en conscient, le moi s’agrandit aux dépens de celui-là ; sous l’influence des conseils qu’il reçoit, il devient plus conciliant à l’égard de la libido et disposé à lui accorder une certaine satisfaction, et les craintes que le malade éprouvait devant les exigences de la libido s’atténuent, grâce à la possibilité où il se trouve de s’affranchir par la sublimation d’une partie de celle-ci. Plus l’évolution et la succession des processus au cours du traitement se rapprochent de cette description idéale, et plus le succès du traitement psychanalytique sera grand. Ce qui est susceptible de limiter ce succès, c’est, d’une part, l’insuffisante mobilité de la libido qui ne se laisse pas facilement détacher des objets sur lesquels elle est fixée ; c’est, d’autre part, la rigidité du narcissisme qui n’admet le transfert d’un objet à l’autre que jusqu’à une certaine limite. Et ce qui vous fera peut-être encore mieux comprendre la dynamique du processus curatif, c’est le fait que nous interceptons toute la libido qui s’était soustraite à la domination du moi, en en attirant sur nous, à l’aide du transfert, une bonne partie.

Il est bon que vous sachiez que les localisations de la libido survenant pendant et à la suite du traitement, n’autorisent aucune conclusion directe quant à sa localisation au cours de l’état morbide. Supposons que nous ayons constaté, au cours du traitement, un transfert de la libido sur le père et que nous ayons réussi à la détacher heureusement de cet objet pour l’attirer sur la personne du médecin. nous aurions tort de conclure de ce fait que le malade ait réellement souffert d’une fixation inconsciente de sa libido à la personne du père. Le transfert sur la personne du père constitue le champ de bataille, sur lequel nous finissons par nous emparer de la libido ; celle-ci n’y était pas établie dès le début, ses origines sont ailleurs. Le champ de bataille sur lequel nous combattons ne constitue pas nécessairement une des positions importantes de l’ennemi. La défense de la capitale ennemie n’est pas toujours et nécessairement organisée devant ses portes mêmes. C’est seulement après avoir supprimé le dernier transfert qu’on peut reconstituer mentalement la localisation de la libido pendant la maladie même.

En nous plaçant au point de vue de la théorie de la libido, nous pouvons encore ajouter quelques mots concernant le rêve. Les rêves des névrosés nous servent, ainsi que leurs actes manqués et leurs souvenirs spontanés, à pénétrer le sens des symptômes et à découvrir la localisation de la libido. Sous la forme de réalisations de désirs, ils nous révèlent les désirs qui avaient subi un refoulement et les objets auxquels était attachée la libido soustraite au moi. C’est pourquoi l’interprétation des rêves joue dans la psychanalyse un rôle important et a même constitué dans beaucoup de cas et pendant longtemps son principal moyen de travail. Nous savons déjà que l’état de sommeil comme tel a pour effet un certain relâchement des refoulements. Par suite de cette diminution du poids qui pèse sur lui, le désir refoulé peut dans le rêve revêtir une expression plus nette que celle que lui offre le symptôme pendant la vie éveillée. C’est ainsi que l’étude du rêve nous ouvre l’accès le plus commode à la connaissance de l’inconscient refoulé dont fait partie la libido soustraite à la domination du moi.

Les rêves des névrosés ne diffèrent cependant sur aucun point essentiel de ceux des sujets normaux ; et non seulement ils n’en diffèrent pas, mais encore il est difficile de distinguer les uns des autres. Il serait absurde de vouloir donner des rêves des sujets nerveux une explication qui ne fût pas valable pour les rêves des sujets normaux. Aussi devons-nous dire que la différence qui existe entre la névrose et la santé ne porte que sur la vie éveillée dans l’un et dans l’autre de ces états, et disparaît dans les rêves nocturnes. Nous sommes obligés d’appliquer et d’étendre à l’homme normal une foule de données qui se laissent déduire des rapports entre les rêves et les symptômes des névrosés. Nous devons reconnaître que l’homme sain possède, lui aussi, dans sa vie psychique, ce qui rend possible la formation de rêves et celle de symptômes, et nous devons en tirer la conclusion qu’il se livre, lui aussi, à des refoulements, qu’il dépense un certain effort pour les maintenir, que son système inconscient recèle des désirs réprimés, encore pourvus d’énergie, et qu’une partie de sa libido est soustraite à la maîtrise de son moi. L’homme sain est donc un névrosé en puissance, mais le rêve semble le seul symptôme qu’il soit capable de former. Ce n’est là toutefois qu’une apparence, car en soumettant la vie éveillée de l’homme normal à un examen plus pénétrant, on découvre que sa vie soi-disant saine est pénétrée d’une foule de symptômes, insignifiants, il est vrai, et de peu d’importance pratique.

La différence entre la santé nerveuse et la névrose n’est donc qu’une différence portant sur la vie pratique et dépend du degré de jouissance et d’activité dont la personne est encore capable. Elle se réduit probablement aux proportions relatives qui existent entre les quantités d’énergie restées libres et celles qui se trouvent immobilisées par suite du refoulement. Il s’agit donc d’une différence d’ordre quantitatif et non qualitatif. Je n’ai pas besoin de vous rappeler que cette manière de voir fournit une base théorique à la conviction que nous avons exprimée, à savoir que les névroses sont curables en principe, bien qu’elles aient leur base dans la prédisposition constitutionnelle.

Voilà ce que l’identité qui existe entre les rêves des hommes sains et les rêves des névrosés nous autorise à conclure concernant la caractéristique de la santé. Mais en ce qui concerne le rêve lui-même, il résulte de cette identité une autre conséquence, à savoir que nous ne devons pas détacher le rêve des rapports qu’il présente avec les symptômes névrotiques, que nous ne devons pas croire que nous avons suffisamment, traduit la nature du rêve en déclarant qu’il n’est autre chose qu’une forme d’expression archaïque de certaines idées et pensées, que nous devons enfin admettre qu’il révèle des localisations et des fixations de la libido réellement existantes.

Je touche à la fin de mon exposé. Vous êtes peut-être déçus de constater que je n’ai consacré qu’à des considérations théoriques le chapitre relatif au traitement psychanalytique, que je ne vous ai rien dit des conditions dans lesquelles on aborde le traitement, ni des résultats qu’il vise à obtenir. Je me suis borné à la théorie, parce qu’il n’entrait nullement dans mes intentions de vous offrir un guide pratique pour l’exercice de la psychanalyse, et j’ai des raisons particulières de ne pas vous parler des procédés et des résultats de celle-ci. Je vous ai dit, dès nos premiers entretiens, que nous obtenons, dans des conditions favorables, des succès thérapeutiques qui ne le cèdent en rien aux plus beaux résultats qu’on obtient dans le domaine de la médecine interne, et je puis ajouter que les succès dus à la psychanalyse ne peuvent être obtenus par aucun autre procédé de traitement. Si je vous disais davantage, je pourrais faire naître en vous le soupçon de vouloir couvrir par une réclame tapageuse le chœur devenu trop bruyant de nos dénigreurs. Certains collègues avaient menacé les psychanalystes, même au cours de réunions professionnelles publiques, d’ouvrir les yeux du public sur la stérilité de notre méthode de traitement, en publiant la liste de ses insuccès et même des résultats désastreux dont elle se serait rendue coupable. Mais abstraction faite du caractère odieux d’une pareille mesure, qui ne serait qu’une dénonciation haineuse, la publication dont on nous menace n’autoriserait aucun jugement adéquat sur l’efficacité thérapeutique de l’analyse. La thérapeutique analytique, vous le savez, est de création récente ; il a fallu beaucoup de temps pour établir sa technique, et encore n’a-t-on pu le faire qu’au cours du travail et par réaction à l’expérience immédiate. Par suite des difficultés que présente l’enseignement de cette branche, le médecin qui débute dans la psychanalyse est, plus que tout autre spécialiste, abandonné à ses propres forces pour se perfectionner dans son art, de sorte que les résultats qu’il peut obtenir au cours des premières années de son exercice ne prouvent rien ni pour, ni contre l’efficacité du traitement analytique.

Beaucoup d’essais de traitement ont échoué aux débuts de la psychanalyse, parce qu’ils ont été faits sur des cas qui ne relèvent pas de ce procédé et que nous excluons aujourd’hui du nombre de ses indications. Mais ce n’est que grâce à ces essais que nous avons pu établir nos indications. On ne pouvait pas savoir d’avance que la paranoïa et la démence précoce, dans leurs formes prononcées, étaient inaccessibles à la psychanalyse, et on avait encore le droit d’essayer cette méthode sur des affections très variées. Il est cependant juste de dire que la plupart des insuccès de ces premières années doivent être attribués, moins à l’inexpérience du médecin ou au choix inadéquat de l’objet, qu’à des circonstances extérieures défavorables. Nous n’avons parlé jusqu’ici que des résistances intérieures : celles-ci, qui nous sont opposées par le malade, sont nécessaires et surmontables. Mais il y a aussi des obstacles extérieurs : ceux-ci découlant du milieu dans lequel vit le malade, créés par son entourage, n’ont aucun intérêt théorique, mais présentent une très grande importance pratique. Le traitement psychanalytique peut être comparé à une intervention chirurgicale et ne peut, comme celle-ci, être entrepris que dans des conditions où les chances d’insuccès se trouvent réduites au minimum. Vous savez toutes les précautions dont s’entoure un chirurgien : pièce appropriée, bon éclairage, assistance expérimentée, élimination des parents du malade, etc. Combien d’opérations se termineraient favorablement, si elles devaient être faites en présence de tous les membres de la famille entourant le chirurgien et le malade et criant à chaque coup de bistouri ? Dans le traitement psychanalytique la présence de parents est tout simplement un danger, et un danger auquel on ne sait pas parer. Nous sommes armés contre les résistances intérieures qui viennent du malade et que nous savons nécessaires ; mais comment nous défendre contre ces résistances extérieures ? En ce qui concerne la famille du patient, il est impossible de lui faire entendre raison et de la décider à se tenir à l’écart de toute l’affaire ; d’autre part, on ne doit jamais pratiquer une entente avec elle, car on court alors le danger de perdre la confiance du malade qui exige, et avec raison d’ailleurs, que l’homme auquel il se confie prenne toujours et dans toutes les occasions son parti. Celui qui sait quelles discordes déchirent souvent une famille ne sera pas étonné de constater, en pratiquant la psychanalyse, que les proches du malade sont souvent plus intéressés à le voir rester tel qu’il est qu’à le voir guérir. Dans les cas, fréquents d’ailleurs, où la névrose est en rapport avec des conflits entre membres d’une même famille, le bien portant n’hésite pas lorsqu’il s’agit de choisir entre son propre intérêt et le rétablissement du malade. Il ne faut donc pas s’étonner qu’un époux n’accepte pas volontiers un traitement qui comporte, comme il s’en doute avec raison, la révélation de ses péchés. Aussi, nous autres psychanalystes ne nous en étonnons pas ; et nous déclinons tout reproche lorsque notre traitement reste sans succès ou doit être interrompu, parce que la résistance du mari vient renforcer celle de la femme. C’est que nous avons entrepris quelque chose qui, dans les circonstances données, était irréalisable.

Je ne vous citerai, parmi tant d’autres, qu’un seul cas, dans lequel des considérations purement médicales m’avaient imposé un rôle de victime silencieuse. Il y a quelques années, j’avais entrepris le traitement psychanalytique d’une jeune fille atteinte depuis un certain temps d’une angoisse telle qu’elle ne pouvait ni sortir dans la rue ni rester seule à la maison. Peu à peu la malade avait fini par m’avouer que son imagination avait été frappée par la constatation qu’elle fit de relations amoureuses entre sa mère et un riche ami de la maison. Mais elle fut assez maladroite, ou raffinée, pour faire comprendre à sa mère ce qui se passait pendant les séances de psychanalyse : elle changea notamment d’attitude à son égard, ne voulut plus, pour se défendre contre l’angoisse de la solitude, avoir d’autre société que celle de sa mère et s’opposait à chacune des sorties de celle-ci. La mère, qui avait elle-même été atteinte de nervosité autrefois, avait été soignée avec succès dans un établissement hydrothérapique. Ajoutons que c’est dans cet établissement qu’elle avait fait la connaissance du monsieur avec lequel elle eut dans la suite des relations fort satisfaisantes à tous égards. Frappée par les violentes exigences de la jeune fille, la mère comprit subitement ce que signifiait l’angoisse de celle-ci. Elle comprit que sa fille s’était laissé atteindre par la maladie pour rendre la mère prisonnière et la priver de la possibilité de revoir son amant aussi souvent qu’elle le voudrait. Par une décision brusque, la mère mit fin au traitement. La jeune fille fut placée dans un établissement pour malades nerveux où on l’a, pendant des années, présentée comme une « pauvre victime de la psychanalyse ». M’a-t-on, à cette occasion, assez reproché la malheureuse issue du traitement ! J’ai gardé le silence, parce que je me sentais lié par le devoir de la discrétion professionnelle ! Ce n’est que longtemps après que j’ai appris par un collègue qui visite cet établissement et a eu l’occasion de voir la jeune fille agoraphobique, que les rapports entre la mère et le riche ami de la famille étaient de notoriété publique et probablement favorisés par le mari et père. C’est donc à ce soi-disant « secret » qu’on avait sacrifié le traitement.

Dans les années qui ont précédé la guerre, alors que le grand afflux d’étrangers m’avait rendu indépendant de la faveur ou de la défaveur de ma ville natale, je m’étais imposé la règle de ne jamais entreprendre le traitement d’un malade qui ne fût pas sui juris, dans les relations essentielles de sa vie, indépendant de qui que ce soit. C’est là une règle que tout psychanalyste ne peut ni s’imposer ni suivre. Mais comme je vous mets en garde contre les proches du malade, vous pouvez être tentés de conclure que les malades justiciables de la psychanalyse doivent être séparés de leur famille et que notre traitement n’est applicable qu’aux pensionnaires d’établissements pour malades nerveux. En aucune façon : il est beaucoup plus avantageux pour les malades, lorsqu’ils ne se trouvent pas dans un état d’épuisement grave, de rester pendant le traitement dans les conditions mêmes dans lesquelles ils ont à résoudre les problèmes qui se posent à eux. Il suffit alors que les proches ne viennent pas neutraliser cet avantage par leur attitude, et qu’ils ne manifestent en général aucune hostilité à l’égard des efforts du médecin. Mais que ces choses-là sont difficiles à obtenir ! Et vous ne tarderez naturellement pas à vous rendre compte dans quelle mesure le succès ou l’insuccès du traitement dépend du milieu social et de l’état de culture de la famille.

Ne trouvez-vous pas que tout cela n’est pas fait pour nous donner une haute idée de l’efficacité de la psychanalyse comme méthode thérapeutique, alors même que la plupart de nos insuccès ne dépendent que de facteurs extérieurs ? Des amis de la psychanalyse m’avaient engagé à opposer une statistique de succès à la collection des insuccès qui nous sont reprochés. Je n’ai pas accepté leur conseil. J’ai fait valoir, à l’appui de mon refus, qu’une statistique est sans valeur, lorsque les unités juxtaposées dont elle se compose ne sont pas assez ressemblantes, et les cas d’affections névrotiques qui avaient été soumis au traitement psychanalytique différaient en effet entre eux sous les rapports les plus variés. En outre, l’intervalle dont on pourrait tenir compte était trop bref pour qu’on pût affirmer qu’il s’agissait de guérisons durables, et dans beaucoup de cas on ne pouvait même hasarder aucune affirmation sur ce point. Ces derniers cas étaient ceux de personnes qui cachaient aussi bien leur maladie que leur traitement et dont il fallait également tenir secrète la guérison. Mais ce qui m’a, plus que toute autre considération, fait décliner ce conseil, c’est l’expérience que j’avais de la manière irrationnelle dont les hommes se comportent dans les choses de la thérapeutique et du peu de possibilités de les convaincre à l’aide d’arguments logiques, même tirés de l’expérience et de l’observation. Une nouveauté thérapeutique est acceptée ou avec un enthousiasme bruyant, comme ce fut le cas de la première tuberculine de Koch, ou avec une méfiance décourageante, comme ce fut le cas de la vaccination vraiment bienfaisante de Jenner qui a encore de nos jours des adversaires irréductibles. La psychanalyse se heurtait à un parti pris manifeste. Lorsqu’on parlait de la guérison d’un cas difficile, on nous répondait : cela ne prouve rien, car à l’heure qu’il est votre malade serait guéri, même s’il n’avait pas subi votre traitement. Et lorsqu’une malade, qui avait déjà accompli quatre cycles de tristesse et de manie et subi, pendant une pause consécutive à la mélancolie, le traitement psychanalytique, se trouva, trois semaines après celui-ci, au début d’une nouvelle période de manie, tous les membres de sa famille, approuvés en cela par une haute autorité médicale appelée en consultation, exprimèrent la conviction que cette nouvelle crise ne pouvait être que la conséquence du traitement essayé. Contre les préjugés, il n’y a rien à faire. Il faut attendre et laisser au temps le soin de les user. Un jour vient où les mêmes hommes pensent sur les mêmes choses autrement que la veille. Mais pourquoi n’ont-ils pas pensé la veille comme ils pensent aujourd’hui ? C’est là pour nous et pour eux-mêmes un obscur et impénétrable mystère.

Il se peut toutefois que le préjugé contre la thérapeutique analytique soit en voie de régression, et J’en verrais une preuve dans la diffusion continue des théories analytiques et dans l’augmentation, dans certains pays, du nombre de médecins pratiquant la psychanalyse. Jeune médecin, j’avais vu les cercles médicaux accueillir le traitement par la suggestion hypnotique avec la même tempête d’indignation avec laquelle les « raisonnables » d’aujourd’hui accueillent la psychanalyse. Mais en tant qu’agent thérapeutique, l’hypnotisme n’a pas tenu. ce qu’il avait promis au début ; nous autres psychanalystes devons nous considérer comme ses héritiers légitimes, et nous n’oublions pas tous les encouragements et toutes ’es explications théoriques dont nous lui sommes redevables. Les préjudices qu’on reproche à la psychanalyse se, réduisent au fond à ces phénomènes passagers produits par l’exagération des conflits dans les cas d’analyse faite maladroitement ou brusquement interrompue. À présent que vous savez comment nous nous comportons à l’égard des malades, vous pouvez juger si nos efforts sont de nature à leur causer un préjudice durable. Certes, l’analyse se prête à toutes sortes d’abus, et le transfert constitue plus particulièrement un moyen dangereux entre les mains d’un médecin non consciencieux. Mais connaissez-vous un moyen ou un procédé thérapeutique, qui soit à l’abri d’un abus ? Pour être un moyen de guérison, un bistouri doit couper.

J’ai fini, et sans vouloir user d’un artifice oratoire, je vous dirai que je reconnais en les regrettant tous les défauts et toutes les lacunes des leçons que vous venez d’entendre. Je regrette surtout de vous avoir souvent promis de revenir sur tel sujet que j’effleurais en passant et de n’avoir pu tenir ma promesse par suite de l’orientation que prenait mon exposé. J’avais entrepris de vous initier à une matière encore en plein développement, encore très incomplète, et à force de vouloir la résumer, mon exposé est devenu lui-même incomplet. Plus d’une fois, j’avais réuni tous les matériaux en vue d’une conclusion que je me suis abstenu de tirer moi-même. Mais je n’avais pas l’ambition de faire de vous des spécialistes ; je voulais seulement vous éclairer et vous stimuler.