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Introduction à la vie dévote (Brignon)/Avertissement

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Texte établi par Jean BrignonCuret (p. v-viii).


AVERTISSEMENT
Sur l’Édition nouvelle de ce Livre.

L’ON voit avec douleur périr, presque entre les mains des fidèles, le seul livre de piété qui ait été composé en notre langue par un Saint, l’Introduction à la Vie dévote, Ouvrage qui depuis plus d’un siècle a été également cher et utile à toute la France. L’estime s’en est conservée jusqu’à nos temps, et deux choses y ont contribué, le zèle prudent des directeurs qui en ont toujours conseillé la lecture, et l’approbation universelle des personnes avancées en âge, qui en avaient pris une haute idée dès leurs premières années. Mais si nous considérons les fidèles qui sont entre deux âges, nous ne trouverons parmi eux que l’estime de ce livre, sans presque aucun usage ; et à l’égard de ce que l’on peut appeler le jeune monde de l’un et de l’autre sexe, à peine même y est-il connu.

C’est un malheureux effet de la délicatesse de notre siècle sur les livres de dévotion qui ne sont pas raisonnablement bien écrits ; et par conséquent sur ceux auxquels les grands changemens de la langue ont fait perdre leur agrément. Il est vrai, et l’on peut ajouter que cette délicatesse sert à beaucoup de gens, pour excuser leur indévotion ; cependant il ne faut blâmer ni la délicatesse du siècle, ni son indévotion par cet endroit-là, d’autant que la raison de ne rebuter la piété de personne par le dégoût d’un mauvais style, et principalement de ne pas mettre entre les mains de la jeunesse des livres qui puissent lui apprendre à parler mal français, aura toujours son poids et son autorité. Quoi qu’il en soit, on était dans la nécessité ou de laisser périr cet excellent livre, ou de l’accommoder aux usages présens de la langue, pour condescendre à la délicatesse du siècle, et ne laisser aucune excuse à son indévotion.

Hé ! pourquoi souffrir patiemment que cet admirable ouvrage nous devienne inutile ? Pourquoi nous priver d’un bien que la divine Providence nous a youlu rendre propre ? Pourquoi les nations étrangères, riches de notre bien, par la traduction de ce saint livre en leurs langues, nous reprocheraient-elles notre négligence à le faire valoir pour nous-mêmes ? Pourquoi la piété recevrait-elle avec plaisir tant de traductions des livres étrangers, renouvelées et retouchées à proportion des changemens considérables de notre langue, et n’oserait-on toucher à celui-ci ?

L’on dira peut-être que le respect qu’on doit à l’ouvrage d’un Saint demande qu’on n’y touche pas plus qu’à ses reliques ; mais je réponds à cela : le respect infini qu’on doit à la sainte Écriture empêche-t-il qu’on ne la donne en français aux fidèles, pour s’en édifier, et qu’on n’en renouvelle les anciennes traductions ? Péchera-t-on plus contre la vénération due à saint François de Sales, en changeant quelques termes et expressions de son Introduction, qu’en la traduisant, en une langue étrangère ? Et vaut-il mieux qu’il parle Italien à Rome, Allemand à Vienne, ou Espagnol à Madrid, que de parler comme nous parlons maintenant en France ? Un tel respect seroit tout semblable à celui qu’un homme auroit pour un riche trésor qu’il laisseroit enfoui, plutôt que de s’en servir utilement : et cette respectueuse piété ne seroit guère agréable à ce grand Saint, ni conforme à ses intentions. Il a écrit pour sanctifier non- seulement son siècle, mais encore les siècles suivans ; et comme il ne pouvoit ignorer que la langue française ne fût sujette à beaucoup de mutations, ne doit-on pas raisonnablement présumer qu’il a laissé la liberté de faire à son livre les changemens qui paroitroient nécessaires pour en conserver l’utilité ? En effet, qui peut douter que si nous possédions encore sur la terre ce grand Saint, qui fut aimé de Dieu et des hommes, il n’y mit lui-même la main ? E ton doit le croire d’autant plus sûrement, qu’il ne s’est en quelque manière excusé dans sa préface, avec beaucoup d’humilité, de n’avoir pas ménagé en cet Ouvrage tout l’ordre et toute l’exactitude de la composition, ni les ornemens de la langue, que parce qu’il n’en a pas eu le temps.

Le véritable respect qu’on devoit à l’ouvrage de saint François de Sales, étoit premièrement de n’y faire aucun changement essentiel ; et en second lieu de n’y en faire aucun, quelque petit qu’il pût être, sans quelque sorte de nécessité : or, c’est une respectueuse fidélité dont on croit avoir suivi les lois les plus rigoureuses, et le Saint se reconnoîtroit tout entier lui-même dans cette nouvelle édition de son livre, pour tout ce qui est de l’ordre de la doctrine, des sentences, des tours, de l’expression commune, aussi-bien que des paroles, et de la douce simplicité et naïveté de son style, qu’on a retenue autant qu’on a pu.

C’est dans cette pensée qu’on n’a pas fait de difficulté de se servir du simple titre d’Introduction à la Vie dévote. Mais parce que les autres ne jugent pas toujours comme nous, et que le public pourroit penser qu’on se serait trop éloigné de l’original, on s’est encore servi de ce titre plus respectueux pour le Saint et pour le jugement que le lecteur a droit d’en porter : La Conduite des personnes du monde à la perfection chrétienne, fidèlement extraite de l’Introduction à la Vie dévote.

Daigne la divine bonté y donner sa bénédiction pour sa gloire et celle de saint Francois de Sales, pour l’utilité des fidèles, et la satisfaction de l’illustre et saint ordre des Filles de Sainte-Marie, à l’égard de qui l’on se contente d’avoir dans le cœur l’estime et le respect que la ferveur de leur premier esprit, qu’elles ont conservé jusqu’à présent, leur mérite dans toute l’Église de Jésus-Christ.