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Jean Talon, intendant de la Nouvelle-France/Chapitre XII

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CHAPITRE XII


Le budget de la Nouvelle-France. — Talon aborde une grave question. — La compagnie des Indes Occidentales et le revenu public. — Le droit du quart et la traite de Tadoussac. — Le domaine du roi. — La compagnie est mise en possession du revenu à condition d’acquitter les charges ordinaires. — À quel chiffre ces charges devaient-elles s’élever ? — Talon lutte pour élever ce chiffre. — Il réussit en partie. — Le budget ordinaire du Canada. — Le droit du dix pour cent et la dette publique. — Le budget militaire. — Le budget de la colonisation. — Le budget des hauts fonctionnaires et du culte. — Le budget total. — La valeur comparative de l’argent au 17ème siècle et de nos jours. — Coup d’œil d’ensemble sur le système financier de la Nouvelle-France


Dans sa lettre au ministre, du 4 octobre 1665, Talon abordait une importante question budgétaire : « Je n’insiste présentement, disait-il, que sur l’article du quart des pelleteries, prétendu par l’agent général de la compagnie, comme une chose cédée sans réserve pour quarante ans, terme de la concession que Sa Majesté lui a faite ; ce droit faisant, comme je l’ai observé, tout le fonds des deniers publics sur lequel s’empruntent les charges indispensables du pays, et dans les besoins pressants, les secours essentiels à son salut, j’ai cru qu’il fallait vous demander pour l’avenir une explication des intentions de Sa Majesté à cet égard, et cependant je demanderai à M. de Tracy qu’il soit au moins établi un contrôleur pour tenir registre de la recette qui se fera des dits droits, pour que, si Sa Majesté trouve à propos de se les conserver, voulant bien faire passer par ses mains l’acquit des charges du pays, on puisse lui en faire rendre un compte fidèle ; en tout cas, si Sa Majesté la veut absolument abandonner, elle aura au moins une connaissance plus parfaite du bénéfice que la compagnie en aura reçu. Et je ne dis pas ceci sans raison, puisque j’ai déjà remarqué qu’encore qu’il nous paraisse à MM. de Tracy, de Courcelle et à moi que ce quart a déjà beaucoup produit, l’agent de la compagnie ne convient pas trop qu’elle en profite beaucoup, et même il fait difficulté d’acquitter certaines charges qu’il dit n’être pas comprises dans l’état de celles qu’on doit emprunter sous ce nom[1]. »

Ce droit du quart des pelleteries, dont parlait Talon, avait été imposé en 1645, quand la compagnie des Cent-Associés avait cédé la traite aux habitants, moyennant une redevance de mille livres de castor. Par son acte d’établissement elle possédait le monopole du commerce des fourrures, et devait subvenir à toutes les dépenses nécessaires pour l’administration et la protection de la colonie. En vertu de l’arrangement de 1645, les Cent-Associés renoncèrent à leur monopole, mais la communauté des habitants, mise en possession de la traite, dut s’engager à solder les dépenses publiques. À cette fin, on décréta qu’il serait prélevé une contribution d’un quart sur tout le castor apporté aux magasins, et d’un dixième, ou de deux sous par livre, sur les peaux d’orignaux. Subséquemment, sous M. de Lauson, le privilège de la traite dans la région de Tadoussac[2] fut ajouté à ces droits du quart et du dixième, pour former ce que l’on appela « le fonds du pays. » Il était employé à payer les appointements des gouverneurs, des officiers publics, la solde des pauvres garnisons de Québec, de Montréal et des Trois-Rivières, les pensions aux communautés, et autres charges permanentes et annuelles. Le tout pouvait s’élever à trente-cinq mille livres. En 1660, la recette des droits et la traite de Tadoussac furent affermés à la compagnie Rozée, de Rouen[3]. Au printemps de 1663, M. d’Avaugour, irrégulièrement et sans l’avis de son conseil, en donna le bail à dix-sept particuliers. Quelques mois plus tard, lorsque M. de Mésy eut remplacé M. d’Avaugour, ce bail fut annulé par le Conseil Souverain nouvellement créé, et la recette des droits ainsi que la traite de Tadoussac furent adjugées à M. Charles Aubert de la Chesnaye, après de très vives enchères. Enfin en 1665, la compagnie des Indes Occidentales, organisée l’année précédente, et prenant possession des droits de propriété et de seigneurie qui lui étaient concédés par ses lettres patentes, réclamait ces revenus comme siens. Au mois de juillet, le sieur Mille-Claude LeBarroys, agent général de la compagnie avait adressé au marquis de Tracy une requête dans laquelle il demandait l’autorisation de visiter et faire visiter les navires dans la rade, pour prévenir l’embarquement des pelleteries en fraude des droits ; et le lieutenant général y avait consenti[4].

Dans le passage plus haut cité, Talon soulevait deux questions. D’abord, la compagnie avait-elle droit de s’approprier ces revenus ? Et ensuite, si vraiment le roi avait eu la volonté de les lui abandonner, fallait-il lui permettre de fixer à un chiffre trop bas les charges qu’elle devait acquitter en retour ? Dès le début de son intendance, Talon montrait ses couleurs ; il ne dissimulait ni son peu d’enthousiasme pour la compagnie des Indes, ni son désir de fortifier le gouvernement et d’assurer à l’administration les moyens d’être efficace et progressive. La réponse de Colbert fut favorable à la compagnie, dont il avait été l’initiateur et dont il désirait vivement le succès. Le 5 avril 1666, il écrivit à l’intendant : « Quant à la jouissance du droit du quart sur les castors, et du dixième sur les orignaux, dont la compagnie a été mise en possession, le Roi lui ayant concédé le Canada, ainsi que tous autres pays de sa concession, en toute seigneurie et propriété, ne s’en étant réservé que la souveraineté, Sa Majesté n’a pas lieu de former aucune prétention sur ces deux droits, non pas même sur les mines qui ne peuvent regarder que la compagnie ou la communauté du pays, comme les ayant établis sur elle, pour satisfaire aux charges dont elle était tenue en vertu du traité fait avec l’ancienne compagnie de la Nouvelle-France… Sur quoi il écheoit néanmoins à considérer que, comme par les nouveaux établissements qui sont faits, et par l’augmentation du nombre des colons, la traite augmentera aussi de valeur, il est juste que non seulement elle acquitte avec régularité les charges ordinaires, mais qu’elle supplée de quelque chose aux extraordinaires, convenant déjà de faire un fonds annuel de deux mille livres pour subvenir aux parties inopinées, et même que si le Roi forme quelque entreprise dans laquelle son propre avantage et celui du pays se rencontrent également, de fournir aux frais qu’il sera nécessaire de faire[5]. » Conformément à ces vues, le ministre présenta au Conseil d’État du roi et fit adopter un arrêt dont voici le dispositif : « Ouï le rapport du sieur Colbert, conseiller ordinaire au Conseil royal, contrôleur général des finances de France, Sa Majesté, étant en son conseil, a maintenu et maintient la dite compagnie des Indes Occidentales en la jouissance du droit de quart sur les castors, dixième sur les orignaux, et traite de Tadoussac réservée. Et a ordonné et ordonne qu’elle en jouira à l’avenir comme de son domaine ainsi qu’a fait la communauté jusqu’à présent : à la charge par la dite compagnie de payer et acquitter annuellement les charges ordinaires du pays, sur le pied qu’elles ont été acquittées par l’ancienne compagnie et par la dite communauté, laquelle jouira par ce moyen de la liberté entière de la traite, et demeurera quitte et déchargée des dites charges et de la redevance annuelle du millier de castor qu’elle devait à la dite compagnie. Enjoint Sa Majesté au sieur de Tracy, lieutenant-général de Sa dite Majesté en Amérique, et aux sieurs de Courcelle, gouverneur de la Nouvelle-France, et Talon, intendant pour Sa Majesté aux dits pays, chacun en droit soi, de tenir la main à l’exécution du présent arrêt, et de faire jouir pleinement et paisiblement la dite compagnie de l’effet d’icelui[6]. »

La compagnie se trouvait donc en possession incontestable du revenu des droits sur les pelleteries et de la ferme de Tadoussac. Elle allait percevoir des sommes relativement considérables, mais qu’allait-elle donner en compensation ? Comment allaient se traduire, dans le langage des chiffres, les termes de l’arrêt : « acquitter annuellement les charges ordinaires du pays » ? Car telle était l’obligation imposée à la compagnie, comme corollaire de la concession et des privilèges accordés. Il lui fallait subvenir aux « charges ordinaires. » Immédiatement un débat s’ouvrit sur le quantum de ces charges, Talon plaidant la cause du Canada, Le Barroys défendant les intérêts des associés dont il était le mandataire. Le dix-huit août 1666, l’agent général présenta à MM. de Tracy, de Courcelle et Talon des articles contenant comme un résumé des droits et des obligations de la compagnie. À l’article quatre il était dit : « Que le commis général de la dite compagnie paye toutes les charges et gages des officiers, suivant l’état arrêté par messieurs les directeurs généraux de la dite compagnie, en date du trentième jour de mars dernier. » Comme toutes les questions de finance relevaient de l’intendant, MM. de Tracy et de Courcelle demandèrent à ce dernier d’émettre son avis, et alors il rédigea cette note : « Le roi voulant par l’arrêt de son conseil que la compagnie jouisse du quart du castor, dixième d’orignaux et traite de Tadoussac, à condition que les charges du pays de Canada soient acquittées sur le même pied que l’ancienne compagnie ou la communauté les payait ci-devant, qui montent à quarante-huit mille neuf cent cinquante livres, conformément au mémoire qui en a été donné à Sa Majesté par monsieur Dupont Gaudais, il semble juste que le commis général de la dite compagnie fournisse cette même somme aux termes de l’arrêt, vu d’ailleurs que les dépenses augmentent de beaucoup par la guerre et la multiplicité des forts qu’il faut soutenir[7]. » M. Talon touchait du doigt le nœud de la controverse. L’arrêt du Conseil disait que la compagnie acquitterait les charges ordinaires « sur le pied qu’elles étaient acquittées par l’ancienne compagnie et par la dite communauté. » Eh bien, quelle somme celles-ci avaient-elles payée ? La réponse se trouvait dans le rapport de M. Dupont Gaudais ; elles avaient payé jusqu’à 48,950 livres. C’était donc, soutenait Talon, au moins cette somme que la compagnie des Indes devait donner. Mais M. Le Barroys ne l’entendait point ainsi, et il essayait de disputer le terrain à son redoutable adversaire : « Remontre humblement le dit agent général, disait-il, que la somme de quarante-huit mille neuf cent cinquante livres, que monsieur l’intendant demande par sa réponse au quatrième article ci-devant proposé par le dit agent, ne peut être payée par le commis général de la compagnie sans ordre exprès de messieurs les directeurs généraux d’icelle, attendu l’état par eux fourni, qui ne monte qu’à la somme de vingt-neuf mille deux cents livres, qui est la plus grande somme qui ait été ci-devant payée pour les charges indispensables du pays, faisant abstraction des gages de monsieur le gouverneur, dont le roi a eu la bonté de décharger la compagnie, tout ainsi que des autres dépenses qu’il convient de faire pour le soutien de la guerre ; c’est pourquoi l’on ne se doit pas arrêter au mémoire présenté par monsieur Dupont Gaudais à Sa Majesté, puisqu’il excède le prix auquel les droits ont été ci-devant affermés, de quatre mille livres, sur lesquels il y aura une perte notable pour l’année courante, faisant diminution du millier de castors qui est dû de droit à la compagnie qui entre aux droits de l’ancienne[8]. » Monsieur Le Barroys commettait ici, volontairement ou non, une grave inexactitude. D’après lui, le chiffre indiqué par M. Dupont Gaudais, — soit 48,950 livres, — excédait de quatre mille livres le prix auquel les droits avaient été ci-devant affermés. Ce prix n’aurait donc été que de 44,950 livres. Or des pièces officielles établissaient qu’en 1660 la compagnie Rozée avait affermé les droits et la traite de Tadoussac pour une somme de 50,000 livres[9], que le 4 mars 1663, dix-sept associés les avaient affermés au même prix[10], et que, le 23 octobre de la même année, cette recette avait été adjugée à M. Charles Aubert de la Chesnaye sur une enchère finale de 46,500 livres[11]. Le trafic et la traite étant maintenant mieux protégés par suite des secours venus de France, la recette des droits devait être plus fructueuse, et cette augmentation probable dans le rendement justifiait une demande d’augmentation corrélative dans la contribution aux charges publiques.

La prétention de Talon était juste ; cependant il ne fit triompher ses vues que partiellement. La compagnie des Indes Occidentales, comme celle des Indes Orientales, était l’œuvre de Colbert ; il en attendait de grands résultats pour le développement du commerce maritime et le progrès colonial ; il lui avait fait conférer de vastes privilèges, et tenait à lui assurer toutes les chances possibles de réussite. Ce fut sous l’empire de cette prédisposition qu’il répondit à Talon, le 5 avril 1667 : « Quant au produit de la ferme du droit qui se lève sur les castors, et du dixième des orignaux, je comprends bien que par l’action des troupes et l’occasion de la guerre que l’on a portée jusques aux habitations des Iroquois, il vous a été impossible de vous dispenser de le consommer entièrement, mais comme il est bien juste que la compagnie qui fait beaucoup de frais pour soutenir la Nouvelle-France tire quelque avantage de la concession que le Roi lui en a faite, il est de conséquence, et c’est l’intention de Sa Majesté, que vous réduisiez ci-après toute la dépense qui s’est jusqu’ici prise sur cette ferme, à la somme de trente-six mille livres[12] par chacun an, sans vous arrêter au règlement qui a été ci-devant fait par le sieur du Pont Gaudais, hors des nécessités pressantes et indispensables, comme dans la rencontre d’une nouvelle entreprise pour la destruction des Iroquois ; bien entendu que vous prendrez grand soin d’en faire faire l’emploi avec une exacte économie, d’autant plus qu’avant cette concession ces charges du pays qui étaient prises sur le même fonds ne montaient pas à vingt mille francs… »

Cette dernière affirmation de Colbert était inexacte. Dès 1648, en vertu du règlement du 5 mars de cette année, les charges annuelles et indispensables à prendre sur le « fonds du pays » avaient été fixées à 35,000 livres[13]. Et subséquemment on avait dépassé ce chiffre. Dans sa lettre du 27 octobre 1667, Talon représenta à Colbert qu’on l’avait mal informé ; qu’au lieu de 20,000 livres, c’était 46,500 livres, c’est-à-dire le produit entier du bail de la ferme, qui avaient été affectées aux dépenses du pays en 1664-1665, outre 30,000 à 40,000 livres de fonds extraordinaires fournis par le roi. Telle était la situation quand il était arrivé au Canada. Et durant les deux premières années de son administration, il n’avait pu faire autrement que d’absorber tout le revenu du bail des droits, comme cela se faisait avant lui. Dès l’automne de 1666, il en avait informé le ministre. « Je me suis trouvé nécessité, lui avait-il dit, d’employer la même somme du produit de la ferme que le Conseil employait les années précédentes, tant pour acquitter les pensions et charges indispensables du pays que pour les autres dépenses pour le service du roi et la conservation de la colonie. J’ai même été obligé d’employer à cet effet le fonds du droit de dix pour cent qui s’est trouvé reçu[14]. » En 1666-1667, Talon avait également dépensé pour le service public la même somme de 46,500 livres. Mais à partir de 1667, il promettait à Colbert de réduire ces dépenses à la somme de 36,000 livres conformément aux instructions du ministre. Par sa fermeté il avait toujours gagné pour la colonie 6,800 livres de plus que M. Le Barroys ne voulait payer. Le revenu ordinaire de la Nouvelle-France, assigné sur le fonds du pays, ou en d’autres termes, sur la recette des droits et la ferme de Tadoussac, se trouvait donc fixé à 36,000 livres par année.

On peut avoir une idée du budget de l’époque en consultant la pièce intéressante intitulée : « État des charges du pays de Canada, le paiement desquelles s’est toujours fait des deniers publics provenant du droit du quart[15]. » C’est une sorte d’estimation budgétaire, portant en marge des observations de Talon. Jetons-y un coup d’œil pour nous renseigner sur ce que pouvaient être les dépenses d’administration de notre pays en 1665 : Pour appointements au gouverneur la somme de 8,000 livres[16] ; appointements du capitaine de la garnison 2,400[17] ; appointements de quarante soldats, à raison de 300 livres chacun, 12,000[18] ; au gouverneur de Montréal avec dix soldats, 4,000 ; au gouverneur des Trois-Rivières, avec dix soldats, 4,000 ; aux R. P. Jésuites, 5,000 ; pour la paroisse 1,000[19] ; pour l’hôpital, 800[20] ; pour les Ursulines, 400[21] ; pour le chirurgien de Québec, 150 ; pour un chirurgien aux Trois-Rivières, 150 ; pour le commis du magasin, 500[22] ; à cinq conseillers du Conseil Souverain, à raison de 300 livres chacun, 1,500[23] ; au secrétaire du Conseil, 600 ; au procureur-général, 500 ; à l’exécuteur de haute justice, 300 ; au contrôleur du magasin, 300[24] ; au juge royal de Montréal, 200 ; au procureur du roi de Montréal, 50 ; au juge royal des Trois-Rivières, 200 ; au procureur du roi des Trois-Rivières, 50 ; les ouvrages et réparations et parties inopinées évaluées par estimations à 12,000 livres se pourraient réduire étant bien dispensées à la somme de 6,000[25] ; pour l’entretènement d’un brigantin et un matelot, 6,000[26]. » En additionnant les chiffres de cet état, on arrivait à un total de 54,100 livres, qui pouvait être réduit à environ 42,000 par les économies réalisables sur les trois premiers articles. D’un autre côté, les augmentations désirables indiquées par l’intendant étaient assez fortes pour absorber, au moins partiellement, le bénéfice des réductions possibles. Talon avait donc bien raison d’insister pour qu’une recette de 48,950 livres ou, au pis aller, de 46,500 livres, fût affectée aux dépenses courantes de la colonie.

Ce que nous venons d’étudier, c’est ce que l’on pourrait appeler le budget ordinaire de la Nouvelle-France. Mais il y avait en outre un budget extraordinaire, dont le roi fournissait le fonds, sur lequel devaient être prises les dépenses pour la construction des forts, des bateaux destinés à transporter les troupes, pour les expéditions de guerre, pour certaines gratifications spéciales, etc. Le chiffre de ce budget variait suivant les nécessités du moment, et aussi suivant la condition des finances royales. En 1665 il fut de 20,000 livres ; en 1667 encore de 20,000 livres ; en 1668 de 37,500 livres. En 1666 il n’y eut pas de recettes extraordinaires[27], mais Talon s’en dédommagea, comme on l’a vu plus haut par sa lettre à Colbert, en absorbant tout le revenu des droits, et même le produit du 10 pour cent. Pour cette période de quatre ans le roi avait donc consacré 77,500 livres au budget extraordinaire de la Nouvelle-France. Comment avait été dépensée cette somme ? Nous pouvons l’indiquer d’une manière précise, sans toutefois déterminer absolument la proportion de dépenses imputable à chaque exercice annuel. Le régime de la spécialité des budgets et de la rigoureuse distinction des exercices n’était pas encore commencé pour le Canada. Ne subit-il d’ailleurs aucune atteinte de nos jours ?

En 1665, l’intendant affecta 6,000 livres au fret et au transport de vivres, vêtements, ustensiles des troupes dans les postes. En 1666, il eut à payer 4,500 livres pour l’expédition d’hiver de M. de Courcelle au pays des Iroquois, pour achat ou confection de raquettes, souliers, etc. ; 3,000 livres pour l’expédition d’automne de M. de Tracy ; 7,500 livres pour le fret des vivres, munitions, vêtements, ustensiles et autres effets destinés aux troupes dans les postes avancés ; et 800 livres pour le coût de deux canons. En 1667, il y eut encore une dépense de 7,500 livres, et de pareille somme en 1668, pour fret et transport, comme les années précédentes. Durant les années 1665, 1666, 1667 et 1668, on déboursa 15,000 livres pour la construction et l’entretien des forts Richelieu, Saint-Louis, Sainte-Thérèse, Saint-Jean et Sainte-Anne ; 7,500 livres pour cent cinquante-deux bateaux plats destinés au transport des troupes ; 1,500 livres pour des canots d’écorce ; 1,500 livres pour le débarquement et le déchargement des munitions de guerre et de bouche ; 4,600 livres pour les gages des commis dans les magasins du roi ainsi que des boulangers officiels ; 1,000 livres pour des réparations au château Saint-Louis et le commencement d’un magasin à poudre. Enfin, pendant la même période, 3,500 livres furent absorbées par les gratifications suivantes : 1,600 livres au sieur de la Mothe, 1,200 au sieur de Saint-Denis, 800 livres au sieur de Tilly[28] ; et l’on distribua 6,000 livres pour favoriser le mariage de pauvres demoiselles, et 6,000 livres pour aider à l’établissement dans la colonie de quatre capitaines, trois lieutenants, cinq enseignes et quelques bas officiers. Toutes ces dépenses formaient un total de 83,500 livres[29]. C’était 8,000 livres de plus que la somme des fonds extraordinaires accordés par Louis XIV. Talon avait fait face à cet excédent en y affectant le produit de certaines marchandises qui se trouvaient dans les magasins du roi[30].

Les recettes ordinaires de la Nouvelle-France furent donc de 46,500 livres, de 1665 à 1667 inclusivement, et de 36,000 en 1668 ; les recettes extraordinaires furent de 20,000 livres en 1665, de 20,000 livres en 1667, et de 37,500 livres en 1668 ; soit un maximum de recettes annuelles totales de 73,500 livres en 1668, et un minimum de 46,500 en 1666, année durant laquelle le roi n’ajouta rien au fonds du pays[31].

Il y avait bien une autre source de revenus mentionnée par Talon dans sa lettre du 13 novembre 1666, que nous avons plus haut citée. C’était ce que l’on appelait le droit du 10 pour 100. En 1660, la communauté des habitants, à qui la compagnie des Cent-Associés avait cédé le privilège de la traite des pelleteries depuis 1645, se trouvait considérablement endettée. Ses créanciers, tant de France que du Canada, insistant pour le paiement des sommes qui leur étaient dues, on décida d’établir un droit d’entrée de 10 pour 100 sur toutes les marchandises et denrées importées au pays. Le produit de cette taxe fut spécialement affecté au remboursement des dettes de la communauté, et elle ne devait pas subsister au delà du temps nécessaire à cette libération[32]. En 1664, les dettes n’étaient pas encore payées, mais les habitants de la Nouvelle-France se plaignant vivement de cette imposition qu’ils représentaient comme trop lourde, le Conseil Souverain abolit le 10 pour 100 sur les importations de marchandises et denrées, et ordonna « que le payement des créanciers serait dorénavant imputé sur les vins et eaux-de-vie selon et en la manière qui serait jugée le plus raisonnable par le dit Conseil[33]. » Cependant en 1665 le droit fut remis sur les marchandises, et il continua à être perçu durant plusieurs années[34]. Mais comme il était affecté au paiement de la dette publique, nous ne l’avons pas inclu dans l’énoncé des recettes applicables aux dépenses courantes de la colonie.

Voilà bien des chiffres, et nous nous rendons parfaitement compte du risque que nous courons de rebuter nos lecteurs. Notre travail serait pourtant incomplet si nous n’en ajoutions quelques-uns encore, afin de donner une idée juste de ce que coûtaient à ce moment l’administration, la colonisation, le peuplement, et la défense de la colonie. En effet, à part le budget extraordinaire dont nous avons détaillé l’emploi, le roi consacrait d’assez fortes sommes à l’entretien et à la solde des troupes, ainsi qu’à des envois de colons, et à des expéditions d’animaux domestiques. Disons quelques mots de chacun de ces deux chapitres.

De 1665 à 1668 il y eut au Canada vingt-quatre compagnies de soldats, dont vingt du régiment de Carignan, et quatre détachées des régiments de Poitou, d’Orléans, de Champbellé et de Broglie. Ces compagnies étaient en moyenne de cinquante hommes chacune. Elles formaient donc un corps de troupes d’environ douze cents hommes. Nous avons sous les yeux un état de la dépense encourue par le trésor royal pour l’armement et le maintien de ces vingt-quatre compagnies durant l’année 1665-1666[35]. Il serait fastidieux d’entrer dans tous les détails de cette pièce de comptabilité administrative. En résumé, les paiements faits par le « trésorier de l’extraordinaire » se récapitulaient comme suit : « Vivres, 70,084 livres ; habits et autres commodités, 38,037 ; fournitures pour officiers, 40,061 ; ustensiles, etc., 10,355 ; soit 158,537. À cela s’ajoutaient divers autres paiements faits par le trésorier de la marine et s’élevant à 74,535. Ces deux sommes formaient un total de 234,074 livres. Ce chiffre était très élevé. Il dut être réduit durant les deux années suivantes, car les frais de premier équipement pour l’expédition d’un corps de troupes dans un lointain pays entraînent naturellement des déboursés extraordinaires qui ne se renouvellent pas immédiatement. Dans tous les cas, l’état que nous venons d’analyser nous donne une idée assez exacte de ce que coûta au roi de France l’entretien de la petite armée confiée à MM. de Tracy et de Courcelle, pendant les années 1666, 1667 et 1668.

Outre les soldats, Louis XIV envoya au Canada des colons : il se préoccupa même d’y expédier les animaux domestiques nécessaires à son développement, tels que chevaux, cavales, brebis. Le trésor royal déboursa pour ces fins 55,810 livres en 1665, 41,700 livres en 1667 et 36,000 en 1668[36]. Soit un total de 133,510 pour cette période. Durant l’année 1666 il ne fut envoyé pour le compte du roi ni hommes ni animaux. On a vu précédemment qu’il n’y avait pas eu non plus, cette année-là, de fonds pour les dépenses extraordinaires. C’était le moment de la courte guerre avec la Grande-Bretagne, où Louis XIV avait été entraîné presque malgré lui en vertu de ses arrangements avec la Hollande. Le traité de Bréda termina ces hostilités en 1667. Ces fluctuations de la politique européenne expliquent pourquoi l’année 1666 fut marquée par un ralentissement de l’activité colonisatrice de Louis XIV et de Colbert.

Aux chiffres que nous avons donnés ci-dessus, il faut ajouter ceux des émoluments de M. de Tracy, — 15 à 20,000 livres, — de MM. de Courcelle et Talon, — 12,000 livres chacun — ; ceux de leurs secrétaires ; les gratifications à l’évêque et au clergé[37] ; soit une somme variant de 45,000 à 50,000 livres, payée par le trésor royal.

Nous pouvons maintenant nous faire une idée du budget des dépenses totales de la Nouvelle-France. Durant les douze mois qui s’écoulèrent du 15 juin 1665 au 15 juin 1666, le roi y consacra environ 358,000 livres[38]. Et le fonds du pays, ou le revenu des droits perçus au Canada fournit 46,500 : en tout 404,500 livres.

Quelques lecteurs se demanderont peut-être à quel chiffre de notre monnaie actuelle équivalait cette somme. La question n’est pas aussi simple qu’elle paraît de prime abord. La monnaie de compte officielle en usage sous Louis XIV était la livre tournois, qui valait vingt sols. Elle existait depuis plusieurs siècles, mais sa valeur intrinsèque avait suivi les fluctuations de valeur du marc d’argent fin, — unité de poids des métaux précieux, — aux diverses périodes de l’histoire de France. Ces variations furent considérables. Sous Philippe-le-Bel, en 1200, la livre tournois valait 21 francs et 77 centimes de la monnaie française actuelle. Durant la période de 1650 à 1675, elle ne valait plus que 1 franc 63 centimes[39]. Étant donné ce rapport de la livre tournois au franc actuel, 100 livres en 1666 représentaient 163 francs, 1000 livres 1630 francs, et ainsi de suite. Les 404,000 livres, chiffre du budget total de la Nouvelle-France à ce moment, représentaient donc 658,520 francs, monnaie actuelle. Mais le pouvoir d’achat de l’argent était alors double de ce qu’il est aujourd’hui[40]. Ces 404,000 livres équivalaient par conséquent à 1,317,040 francs[41], si l’on tient compte : premièrement, de la plus-value de la livre tournois comparée au franc contemporain ; et secondement, du pouvoir d’achat de l’argent alors deux fois plus considérable qu’aujourd’hui. Lorsqu’on veut apprécier justement les revenus, les capitaux, les salaires de cette époque, il importe de se rappeler toujours ce double élément d’augmentation comparative. À ce point de vue les savantes études de M. d’Avenel sont du plus vif intérêt[42].

Évaluées suivant les données scientifiques que nous venons d’indiquer, et réduites en piastres et centins, — le cours monétaire actuel du Canada, — les 404,000 livres du budget total de la Nouvelle-France, en 1666, équivalant à 1,317,040 francs, représentaient environ $258,000 de notre monnaie[43]. C’était un chiffre assez modeste comparé aux $60,000,000 de nos budgets actuels. Mais, il ne faut pas l’oublier, la population du Canada n’était alors que de 6,222 âmes.

La part du roi dans cette somme était de $228,000[44]. Moins d’un quart de million de piastres, tel était le maximum de secours financier atteint par le grand roi, au moment de son plus puissant effort pour galvaniser sa colonie lointaine. Hâtons-nous de le dire, cette somme, quelque peu élevée qu’elle puisse nous paraître aujourd’hui, était alors tenue pour considérable, et elle assura le salut du Canada. Les années suivantes, la dépense totale fut moins forte, mais de 1665 à 1669 elle ne fut jamais de beaucoup inférieure à 300,000 livres, en exceptant l’année 1666-1667.

Beaucoup de lecteurs seront sans doute d’avis que nous aurions dû supprimer ce chapitre trop aride. Nous en avons été tenté. Mais, après réflexion, nous nous sommes dit que ces détails d’administration, laissés jusqu’ici dans l’ombre, pouvaient contribuer à mieux faire connaître la situation de la colonie, sous le triumvirat de Tracy, Courcelle et Talon, en exposant l’économie du système fiscal et budgétaire de la Nouvelle-France à ce moment décisif. Ce système peut se résumer comme suit. Pour les recettes, quatre sources différentes : la taxe désignée sous le nom de droit du quart, qui comprenait le dixième sur les originaux ; la traite de Tadoussac ; l’impôt du 10 pour cent ; et les subventions royales ou les recettes extraordinaires. Le « droit du quart » et la ferme de Tadoussac donnèrent d’abord pour les fins administratives 46,500, puis 36,000 livres annuellement. Le 10 pour cent était légalement affecté au paiement de la dette ; cependant Talon fut forcé de l’appliquer aux dépenses courantes, en 1666. Les subventions royales varièrent de 358,000 à 300,000 livres par année. C’est-à-dire que le budget extraordinaire était dix fois plus considérable que le budget ordinaire. Pour les dépenses, cinq chefs principaux : les frais ordinaires de l’administration, assignés sur le « fonds du pays », ou, en d’autres termes sur le « droit du quart », et la ferme de Tadoussac ; le budget extraordinaire proprement dit, pour construction de forts, de bateaux, pour fret, gratifications, primes, etc. ; le budget militaire, — entretien des troupes, armes, munitions, approvisionnements, etc ; le budget de la colonisation et de l’agriculture, — expédition de colons, d’animaux domestiques, etc ; enfin le budget spécial, comprenant les émoluments des hauts fonctionnaires, l’aide accordée au culte et au clergé, etc.

Voilà de quelle manière, au moyen de quelle organisation, avec quelles ressources, Louis XIV, Colbert et Talon relevèrent, fortifièrent et sauvèrent la Nouvelle-France durant ces années mémorables de notre histoire.



  1. Talon à Colbert, 4 octobre 1665. Arch. prov., Man. N. F., 1ère série, vol. I.
  2. — C’est ce qu’on appela la ferme de Tadoussac, et plus tard le « domaine du roi. » Le privilège de la traite dans cette région réservée fut affermé successivement à plusieurs compagnies, et il finit par être joint à l’adjudication des fermes unies de France et du domaine d’occident. En 1733 l’intendant Hocquart rendit une ordonnance délimitant d’une manière précise et certaine le « domaine du roi ». (Voir Édits et Ordonnances, vol. II, p. 361). Ce domaine comprenait alors quatre-vingt-quinze lieues de front sur la côte nord du fleuve St-Laurent, depuis la pointe est de l’Île-aux-Coudres jusqu’au Cap des Cormorans ; il s’étendait, en suivant une ligne tracée à partir des Éboulements, en gagnant la hauteur des terres, jusqu’à l’ouest du lac St-Jean ; dans ses limites se trouvaient renfermés « les postes de Tadoussac, la Malbaie, Bondésir, Papinachois, Islets de Jérémie et Pointe-des-Bersiamites, Chekoutimy, Lac St-Jean, Nekoubau, Chomonthouane, Mistassins et derrière les Mistassins jusqu’à la Baie d’Hudson, » et à l’est, du Cap des Cormorans jusqu’à la hauteur des terres, « la rivière Moisy, le lac des Kichestigaux, le lac des Naskapis et autres rivières et lacs qui s’y déchargent. »
  3. — Ce marché conclu par M. René Robineau, sieur de Bécancourt, pour les habitants, et le sieur Toussaint Guenet pour la compagnie Rozée, fut ratifié par le Conseil d’État du roi le 26 février 1660. Un autre arrêt le révoqua le 10 mars 1662. (Voir Supplément au Rapport du Dr Brymner sur les Archives canadiennes pour 1899, par M. Édouard Richard).
  4. Édits et Ordonnances, vol. I, p. 52.
  5. Colbert à Talon, 5 avril 1666 — Nouvelle-France, documents historiques, Québec, 1893, pp. 196, 197.
  6. — Arrêt du Conseil d’État, 8 avril 1666. — Édits et ordonnances royaux, Québec, 1854, vol. I, p. 61.
  7. Édits et ordonnances, vol, I, p. 53.
  8. Édits et ordonnances, vol, I, p. 59.
  9. Articles accordés entre René Robineau, écuyer, sieur de Bécancourt, et Toussaint Guenet. — Man. N. F., Arch. prov., 2ème série, vol. I.
  10. Jugements du Conseil Souverain, vol. I, p. 10.
  11. Ibid, p. 40.
  12. — Colbert tenait à ce que ce chiffre de 36,000 livres ne fût pas dépassé. En 1677, M. l’abbé Dudouyt écrivait de Paris à Mgr de Laval : « Les 36,000 livres sont remplies sans que l’on ait augmenté notre article, car tout ce que nous pouvons espérer est qu’on remette la chose sur le pied qu’était l’état de la compagnie… Je ne sais encore ce qu’on fera, car M. Colbert est fort arrêté à ne pas vouloir que l’état excède 36,000 livres. » — Archives canadiennes, Brymner 1885, p. XCVIII.
  13. Arrêt portant règlement en faveur des habitants de la Nouvelle-France ; Arch., prov., Man. N. F., 2ème série, vol. I.
  14. — Lettre de Talon au ministre, 13 novembre 1666 — Arch. féd. Canada, corr. gén., vol. II.
  15. — Arch. féd. Ibid.
  16. — Note de Talon : « cette dépense est réduite à 3,000. » — Les appointements du gouverneur étaient de 12,000 livres, mais ils étaient payés par le roi. Les 3,000 livres mentionnées par Talon étaient un supplément de salaire payé à M. de Courcelle à titre de gouverneur particulier de Québec.
  17. — Note de Talon : « celle-ci peut être modérée. »
  18. — Note de Talon : « celle-ci pareillement si Sa Majesté continue d’entretenir des troupes en Canada. »
  19. — Note de Talon : « il y a nécessité de fortifier cet article. »
  20. — Note de Talon : « pareille nécessité. »
  21. — Note de Talon : « pareille nécessité. »
  22. — Note de Talon : « cet article est trop faible de 1000 livres. »
  23. — Note de Talon : « On ne peut moins donner que 500 livres au premier conseiller. »
  24. — Note de Talon : « Cet article demande le double au moins. »
  25. — Note de Talon : « Comme il y a des troupes en Canada qui demandent beaucoup de magasins, de fours, de logements, de corps de garde, cet article de 12,000 livres est de beaucoup trop faible. »
  26. — Note de Talon : « Comme il y a deux barques, outre le brigantin, qui appartiennent au roi et au pays, et qu’on en fait encore d’autres pour Sa Majesté, cette dépense augmentera à proportion du nombre de bâtiments. » — À la fin de cette estimation budgétaire, Talon ajoutait une dernière observation : « Dans cet état les ecclésiastiques ne sont pas compris, les parties inopinées du pays, les pilotes de rivières qu’il faudra entretenir à l’avenir pour la sûreté des vaisseaux, les appointements d’un garde de port absolument nécessaire et d’autres dépenses qu’on ne peut prévoir et que le temps seul fera connaître. »
  27. — « Vous pouvez, Monseigneur, juger quelles peuvent être les autres dépenses du Canada, pour lesquelles je n’ai pas reçu un sou cette année. » (Talon à Colbert, 13 novembre 1666).
  28. — Le sieur de la Mothe était capitaine, et s’établissait dans le pays ; les sieurs de Saint-Dénis et de Tilly étaient respectivement père de dix-neuf et de dix enfants, et c’était là le motif de la gratification.
  29. — État abrégé des fonds faits pour le Canada et de l’emploi qui en a été ordonné en 1665, 1666, 1667 et 1668 Arch. prov. Man. N.-F., 2ème série, vol. II.
  30. — « Je trouve que dans l’envoi que monsieur Terron nous a fait en denrées il peut y avoir du surabondant en quelques-unes ; je les ménagerai, pour en faire les dépenses plus pressées, quelque instance que puissent faire les officiers des troupes, pour que je donne le tout au soldat. J’en ai usé ainsi l’an passé, et j’ai vendu et converti quelque eau-de-vie en blé et je m’en suis bien trouvé. » (Talon à Colbert, 13 nov. 1666).

    Au sujet des dépenses considérables auxquelles il lui fallait subvenir, Talon écrivait dans la même lettre : « Je devrais vous faire un détail des dépenses auxquelles ce pays engage, mais je n’ose, à la vérité, tant j’ai de confusion de celles que j’y ai faites et tant j’ai de crainte de ne paraître pas bon économe des biens du roi. Depuis mon arrivée j’ai été obligé de fournir pour la guerre à M. de Tracy et à M. de Courcelle cent cinquante-deux bateaux capables de porter quinze hommes avec leurs vivres ; et le seul fret des munitions de guerre et de bouche qu’il faut faire remonter par les lacs et les rapides, à tous les postes avancés, coûte par an près de 12,000 livres. » (Talon à Colbert, Ibid.).

  31. — Cependant à ces 46,500 livres de 1666, il faudrait ajouter le produit de la recette du 10 pour cent que Talon s’appropria, vu l’urgence, pour le service public.
  32. — En 1662, sous M. d’Avaugour, le chiffre de la dette publique était de 170,000 livres.
  33. Jugements du Conseil Souverain, vol. I, p. 193.
  34. — En 1670 le 10 pour 100 sur les marchandises fut encore aboli, et le Conseil décréta que le fonds pour payer les dettes serait pris seulement sur les liqueurs et sur le tabac, savoir : sur le vin, dix livres par barrique, sur l’eau-de-vie, vingt-cinq livres par barrique, et cinq sols sur chaque livre de tabac. — Jugements du C. S., I, p. 637. — Mais on continua toujours à appeler ces droits, le 10 pour 100. En 1674, le roi se chargea des dettes de l’ancienne communauté et prit l’imposition à son bénéfice. — Voir au sujet de ce droit la requête de Jean Lemire, syndic des habitants, 27 août 1672, (Archives provinciales, Manuscrits de la Nouvelle-France, 2ème série, vol. II, et un mémoire de M. d’Auteuil, Ibid. vol. XI).

    Talon avait été chargé de la liquidation de cette dette, spécialement en ce qui concernait les créanciers du Canada ; et le conseiller Pussort, oncle de Colbert, devait s’occuper des créanciers de France. Le 10 novembre 1670, Talon demandait une extension du droit de 10 pour cent « afin d’éteindre de son temps, ou le tout, ou la meilleure partie de la dette. »

    En 1676, la dette avait été complètement payée, moins 24,000 livres qui restaient dues à M. de la Chesnaye. (Articles présentés au roi par Nicolas Oudiette, avril 1676).

  35. — Cette pièce est intitulée : État général de toute la dépense faite à cause des troupes en Canada en 1666. — Dépense au 15 juin 1666. — Arch. féd., Can., corr. gén., vol. II.
  36. Observations faites par Talon sur l’état présenté à Colbert par la compagnie des Indes Occidentales portant l’emploi des deniers fournis par le roi pour faire passer au Canada. Arch. prov., Man. N. F., 2ème série, vol. II.
  37. — En 1667, Mgr de Laval reçut 6,000 livres pour subvenir aux besoins de son église. (Lettre de Colbert à ce prélat, du 6 avril 1667. Archives de l’archevêché, de Québec). Même gratification en 1669.
  38. — Cette somme peut se décomposer comme suit :

    Fonds extraordinaire 
    20,000
    Entretien des troupes 
    233,000
    Envoi de colons et d’animaux domestiques 
    55,000
    Émoluments, de Tracy, Courcelle, Talon, etc 
    50,000

    358,000

    Nous avons choisi cette période de juin 1665 à juin 1666, non parce qu’elle constitue précisément ce qu’on appelle de nos jours un exercice financier, mais parce que nous avons le chiffre exact des dépenses militaires faites entre ces deux dates, et que tous les autres articles du budget que nous venons d’énoncer rentrent également dans le cadre de ces douze mois.

  39. La fortune privée à travers sept siècles, par le vicomte G. d’Avenel, Paris, chez Armand Colin et Cie, 1895, p. 70.
  40. Ibid., p. 37. — Le pouvoir d’achat de l’argent c’est le rapport de l’argent avec le prix des marchandises, des denrées, des objets nécessaires à la vie, de la main d’œuvre, etc. En 1665, pour un franc on pouvait acheter à peu près le double de ce que l’on peut acheter aujourd’hui avec la même somme. Une fortune d’alors égale comme expression monétaire à un million de francs d’aujourd’hui, valait le double à cause du pouvoir d’achat.
  41. — Le calcul est très simple :

    1 livre = 1.63 francs
    10 livres = 16.30 francs
    100 livres = 163.00 francs
    1000 livres = 130.00 francs

    Pour avoir en francs la valeur de 404,000 livres, il n’y a donc qu’à multiplier 1630 par 404. Vous constatez ainsi que 404,000 livres équivalaient à 658,520 francs de la monnaie actuelle. Multipliez cette somme par deux, à cause du pouvoir d’achat de l’argent qui était, en 1666, deux fois plus considérable qu’aujourd’hui, et vous avez comme résultat 1,317,040 francs.

  42. — Nous tenons à faire observer que ces calculs ne sont qu’approximatifs. Et ils sont d’une exactitude plus certaine pour la France que pour le Canada. Car ici le prix des denrées et de la main-d’œuvre n’était pas le même qu’en France : il était plus élevé. Par contre l’argent avait ici plus de valeur que là-bas à cause de la rareté ; l’écu blanc de trois livres ou de 60 sols équivalait ici à quatre livres ou à 80 sols. En somme les formules de M. d’Avenel peuvent nous donner une base de comparaison assez satisfaisante entre la livre tournois du dix-septième siècle et le franc contemporain, même lorsqu’il s’agit du Canada.
  43. — Notre piastre vaut 5 francs et 10 centimes ; par conséquent 25.50 frs. valent $5.00. Si vous voulez connaître à combien de piastres équivalent 1,317,040 francs, divisez tout simplement ce dernier chiffre par 25.50, et multipliez le quotient par 5. Vous obtiendrez comme quotient 51,648.62 ; ce chiffre multiplié par 5 vous donnera comme produit $258,243.
  44. — Les subventions royales s’étaient élevées en 1666 à 358,000 livres environ ; en opérant comme nous l’avons indiqué plus haut, on trouve que cette somme équivalait à $228,000.