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Journal (Eugène Delacroix)/18 septembre 1854

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Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 2p. 455-456).

18 septembre. — J’ai passé une partie de la nuit sans dormir, et l’état où je me trouvais n’avait rien de désagréable. La puissance de l’esprit est incroyable la nuit. J’ai pensé à la conversation d’hier sur l’esprit et la matière.

Dieu a mis l’esprit dans le monde comme une des forces nécessaires. Il n’est pas tout, comme le disent ces fameux idéalistes et platoniciens ; il y est comme l’électricité, comme toutes les forces impondérables qui agissent sur la matière.

Je suis composé de matière et d’esprit : ces deux éléments ne peuvent périr.

J’ai écrit toute la matinée des brouillons faisant suite à mes réflexions qui sont ici sur l’état militaire. Sorti allègrement. Vu à la jetée de fort belles vagues. J’ai trouvé là, je crois, Isabey.

A une heure, chez Mme Manceau. Elle m’a mené dans sa voiture par Arques, la forêt et Saint-Martin l’Église. Très beau temps, mais assez froid, et la nécessité de soutenir la conversation devenue fatigante. J’ai moins joui de toutes les belles choses que j’ai vues. Magnifique vallée dans le genre de celle de Valmont, et plus grande au sortir de la forêt. Cette forêt très originale ; ce sont des hêtres, pour la plupart, qui forment des colonnades sur des fonds sombres. Il est fâcheux que ce ne soit pas plus près.

Le soir, trouvé Chenavard à sept heures. Il m’a mené chez lui, pour reprendre les photographies que je lui ai prêtées. Toujours sur la prééminence de la littérature, pour laquelle il tient bon. Aussi sur la métaphysique. Il me dit que je suis de la famille des Napoléon…, des gens qui ne voient qu’idéologies dans ceux qui ne sont pas des hommes d’action.

Conversation sur le style. Il croit que c’est quelque chose à retrancher de la manière commune. Il me croit partial. Il m’avait raconté sur la plage des anecdotes sur Voltaire, son évasion de Berlin, etc. Il me quitte le soir, prévoyant qu’il partira le lendemain.