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Journal (Eugène Delacroix)/27 avril 1824

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Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 1p. 102-103).

Mardi 27. — Discussions intéressantes sur le génie et les hommes extraordinaires chez Leblond.

Dimier pensait que les grandes passions étaient la source du génie ! Je pense que c’est l’imagination seule, ou bien, ce qui revient au même, cette délicatesse d’organes qui fait voir là où les autres ne voient pas, et qui fait voir d’une façon différente. Je disais même que les grandes passions jointes à l’imagination conduisent le plus souvent au dévergondage d’esprit, et Dufresne dit une chose fort juste : que ce qui faisait l’homme extraordinaire était radicalement une manière tout à fait propre à lui de voir les choses. Il l’étendait aux grands capitaines et enfin aux grands esprits de tous les temps et de tous les genres. Ainsi, point de règles pour ces grandes âmes : elles sont pour les gens qui n’ont que le talent qu’on acquiert. La preuve, c’est qu’on ne transmet pas cette faculté. Il disait : « Que de réflexions pour faire une belle tête expressive ! Cent fois plus que pour un problème, et pourtant ce n’est, au fond, que de l’instinct, car il ne peut rendre compte de ce qui le détermine. » Je remarque maintenant que mon esprit n’est jamais plus excité à produire que quand il voit une médiocre production sur un sujet qui me convient.

— À l’atelier à huit heures. Mal disposé. Champmartin venu à la fin. — Dîné chez Rouget ensemble et puis rencontré Fieiding. Chez Leblond ensemble.