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Journal (Eugène Delacroix)/27 mars 1854

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Texte établi par Paul Flat, René PiotPlon (tome 2p. 323-324).

27 mars. — Premier acte de la Vestale[1] dans la loge de Mme Barbier. J’ai été frappé, à travers la vétusté, d’un souffle original et qui a dû ressortir bien davantage à l’origine. Je ne sais si Cherubini est un plus grand musicien, mais il ne me donne pas cette impression. Il me semble qu’il est le calque des formes qu’il a trouvées établies : ainsi le Requiem de Mozart serait la règle dont il n’est pas sorti.

En sortant, vu deux actes d’Ulysse[2] qui m’a paru encore affaibli. Cette musique mince ne va pas aux temps héroïques. Le dialogue est bien puéril, et cependant, quand on l’interrompt pour intercaler un morceau de musique, on est dans la situation d’un voyageur qui fait une route insipide, mais qui voudrait n’arrêter qu’au bout de sa carrière ; en un mot, c’est un genre bâtard : bâtard quant au poème par la niaise imitation de mœurs qui ne nous touchent pas, bâtard par cette musique d’opera-comique, et qui certes n’a rien d’antique pour faire chanter des porchers. Mieux aurait valu du plain-chant, puisqu’on était en train d’archaïsme.

  1. Tragédie lyrique de Spontini, qui avait été représentée pour la première fois à l’Académie impériale de musique le 11 décembre 1807 ; elle fut reprise à l’Opéra le 16 mars 1854, avec Roger, Obin, Bonnehée, Mlles Poinsot et Sophie Cruvelli. Cette reprise n’obtint pas le succès qu’on avait espéré.
  2. Ulysse, tragédie en trois actes et en vers, mêlée de chœurs, par Ponsard, qui fut représentée pour la première fois au Théâtre-Français le 18 juin 1852.