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Journal de l’expédition du chevalier de Troyes/009

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Texte établi par La Compagnie de L’Éclaireur,  (p. 108-113).

appendice e


… Messieurs le Marquis de Denonville et de Champigny Noroy arrivèrent à Québec pour relever Monsieur Delabarre. Peu de jours après il reçut des lettres des commandants de Misilimakinack ; ent’autres, M. Deladurantaye lui mandait que trois Français ayant eu la curiosité de connaitre les routes de la Baye de Husson, où ils furent rendre visite aux Anglais qui y faisaient le commerce. Les Anglais les recurent gracieusement pendant quelques jours. Ayant pris congé d’eux, ils se retiraient le long de la mer. Le troisième jour, comme ils se reposaient, ayant laissé leur canot échoué, ne se doutant point de la marée. Lorsque le canot fut en flotte, un petit vent de terre le poussa au large sans qu’ils s’en aperçurent. Ainsi ils se trouvèrent dégradés, ce qui les détermina à retourner par terre chez les Anglais. Il y avait des Anglais sur la route qui chassaient Lorsqu’ils aperçurent ces trois Français ils en furent donner avis au commandant, qui les soupçonna de mauvais dessein et les fit arrêter, desquels il en envoya deux à l’Ile Charleston, à dix lieux au large, et garda le Sieur Péré au fort. Les deux qui étaient à l’ile avec des Anglais n’étaient point gênés, avaient la liberté de chasser et pêcher, ce qui les facilita à fabriquer un canot d’écorce et d’épinette, avec lequel ils traversèrent en terre ferme, où ils trouvèrent des sauvages qui les ramenèrent aux Outaouais, où ils racontèrent leur aventure à M. Deladurantaye, qui en informa M. le Gouverneur général.

Aussitôt les négociants de Québec et Montréal proposèrent de faire un armement pour enlever les trois forts que les Anglais occupaient à la Baye de Husson. La chose conclue on fit l’armement l’hiver de 86, composé de trente soldats et soixante-dix Canadiens, commandés par M. Detrois, (de Troyes) capitaine des troupes, Ducheny (Duchesnay) et Catalogne pour commander les soldats ; les Sieurs de St. Hilaire, (Ste-Hélène) D’Iberville, Maricour, tous trois frères, et le Sieur Lanoue, (pour commander les Canadiens).

Le cortège se rendit en traines sur les glaces (au bout) du long sault au commencement d’Avril, et le premier jour de Mai nous arrivâmes à Mataouan, où les deux rivières se séparent, la plus petite vers les (Outaouais), et la plus grande au Lac des Temiscamingues. Du lac de Temiscamingues, nous prîmes à droite, montant une petite rivière, où les portages sont fréquents, et de petite baie en petite baie nous gagnâmes la hauteur des teres, où se trouve un petit lac qui décharge dans le lac des abitibis, à l’entrée duquel nous fîmes un fort de pieux et y laissâmes trois Canadiens ; et ensuite traversâmes le lac qui se décharge par une rivière extrêmement rapide à la Baye de Husson, où nous arrivâmes le 18 Juin avec tous les préparatifs pour prendre un fort. Deux sauvages nous informèrent de la situation du fort, qui était à 4 bastions, un canon de 8e de balles, à chaque flancs ; ils nous dirent aussi qu’il y avait dedans un petit vaisseau. Nous partimes à minuit close mais nous fûmes surpris dans ce climat, en ce que le crépuscule n’était pas fermé que l’aurore parut ; le temps était fort serein, ce qui nous obligea à nous retirer dans un cric de marée haute, où nous restâmes toute la journée, après avoir laissé deux vedettes dans l’île où était le fort.

Dès le soir nous partîmes et furent à nos vedettes, qui nous dirent que le vaisseau était parti. Les Sieurs de St. Hélène et d’Iberville furent à la découverte de si près qu’ils sondèrent les canons qui n’étaient point chargés ; cela n’empêcha pas que l’on ne suivit le premier projet, qui était de couper la palissade pour faire une brèche, où les soldats étaient destinés que je commandais.

En outre nous avions fait un bélier, porté par les Canadiens qui en deux coups rompirent les pentures des portes, ce qui fit cesser la brèche. Etant maitres du fort nous ne l’étions pas du bâtiment, qui était carré, de pièces sur pièces, de vingt pieds de hauteur ; le dessus fait en pont de navire, avec un garde-corps avec des petits canons de 2e ; au-devant de la porte il y avait un tambour de pieux qui empêchait la jouissance du bélier, lequel il fallut démontrer et ensuite la porte fut enfoncée. Néanmoins répoussés et retenue par les assiégés, en sorte que le Sieur d’Iberville était pressé entre la porte et le poteau, sans que nous puissions le dégager, ayant un pistolet à la main le tira à tout hasard, ce qui épouvanta les assiégés, qui nous abandonnèrent la porte. On apporta en peu de temps de la lumière que nous avions dans les lantermes, et fûmes dans les appartements, où les Anglais nous demandèrent cartier. Ils étaient au nombre de quinze. Il n’y eu que leur canonnier de tué, à qui M. de St. Hélène donna un coup de fusil au milieu du front, par un des sabards d’en haut, où il chargeait un canon avec des morceaux de gros verre cassé. L’action dura environ deux heures, pendant laquelle on ne cessa de fusiller les fenêtres et sabords.

Devant le port il y avait un bâtiment échoué, qui avait été pris sur les Français de Québec ; on se détermina à le mettre en état de naviguer, pour nous en servir à transporter les canons pour la prise des autres forts. Après, huit jours de séjour, pendant lesquels nombre de sauvages vinrent en traite, nous partîmes par la droite de la baie, en sortant, pour aller prendre le fort Rupert, distant de celui-ci de quarante lieues, afin de tacher de surprendre le vaisseau qui y faisait route. En effet, comme nous étions sur une pointe, nous vîmes le vaisseau à travers les glaces flottantes. Comme elles étaient au vent à nous, nous en ressentions la fraîcheur comme au plus fort de l’hiver. Le vent ayant cessé le 2e jour, 27 Juin, nous trâversâmes cette baie à travers les glaces qui était comme des iles flottantes, qui étaient au gré du vent, sur lesquelles et aux environs il y avait un nombre infini de loups-marins et de canage (canard) de mer. La traversée faite, nous y trouvâmes trois sauvages qui voulaient s’enfuir, nous ayant pris pour des Iroquois, ayant beaucoup de crainte de cette nation quoi qu’ils ne les aient jamais vus. Nous continuâmes notre route, gardant à vue le vaisseau, qui fut mouillé devant le fort, à la portée du fusil. Les officiers Canadiens furent le soir à la découverte, à travers les bois, et sur leurs opinions, M. D’Iberville demanda deux canots armés de 7 hommes chacun, avec lesquels il aborderait le vaisseau, et que le reste du détachement, en cas de résistance, ferait feu sur les Anglais. Nous n’en fumes pas à la peine, car M. D’Iberville monta sur le vaisseau sans opposition, tout le monde, au nombre de quinze, étaient endormis. Le Général Brigur (Bridgar) était dessus et un capitaine d’un vaisseau qui, l’automne précédente avait fait naufrage dans ces côtes, lequel saisit M. D’Iberville au collet ; mais comme M. D’Iberville était fort et vigilant, lui fendit la tête d’un coup de sabre, et tomba mort sur son lit ; un matelot fut aussi tué en dormant. Comme l’action fut courte et que le signal fut donné, nous fûmes au fort, duquel nous enfonçâmes la porte d’un coup de bélier. Quoique nous fussions maîtres du fort (batiment) nous ne l’étions pas du bâtiment, (fort) car s’il y avait eu dix bons hommes ils nous auraient battus, parce que, comme je vous l’ai dit, leurs maisons sont de pièces en pièces. A celle-ci il y avait quatre guérittes pendantes, et un degré de rampe pour monter au plan-pied ; par conséquent le bélier mutilé, notre mousqueterie ne cessait de tirer aux embrassurs des fenêtres. Deux petits canons que nous avions apportés furent braqués sur la porte, sans que les assiégés fissent aucun mouement. Il y avait une échelle qui portait sur la maison, un soldat et un Canadien y montèrent avec des grenades, après avoir fait ouverture avec une hache, par laquelle ils jettèrent des grenades qui tombaient dans une grande salle où toutes les chambres répondaient, avec un effet admirable. Une dame échappée du naufrage du vaisseau dont j’ai parlé, s’y était réfugiée ; croyant que le feu était à la maison par l’éclat des grenades, se hasarda d’entreprendre de vouloir ouvrir la porte, à la lueur d’un éclat de grenade. Le commandant l’aperçut, et lui cria de se retirer, qu’il allait ouvrir la porte ; ce qu’il fit effectivement en passant devant une fenêtre où la mousqueterie ne cessait de tirer, sans qu’il en fut atteint. La porte ouverte, j’étais avec M. D’Iberville et plusieurs autres ; nous entrâmes.

Je m’étais muni d’une chandelle, et monté dans les apartements, c’est-à-dire dans la salle, sans trouver personne. Une voix plaintive me fit ouvrir la porte d’un cabinet, où je trouvai cette Anglaise en chemise, toute ensanglanté, par l’effet d’un éclat de grenade, dans la hanche. Ma présence, si l’on en juge par son cri piteux, lui fit autant impression que le bruit de la grenade, puisque nous ressemblions à des bandits. Par ces cris elle demandait M. Docte (Doctor), que je repetai à grands cris. Aussitôt parut le chirugien qui me demanda cartier. Je le menai au cabinet de la dame. Quoique ma figure ne lui fut point agréable, elle eut la reconnaissance, en ce que je mis un fauteuil devant sa porte pour que personne n’y entrât que les officiers. La scène étant finie, et le jour venu, chacun courait à la pitance. On amena du vaisseau le Général Brigeur, (Bridgar) qui proposa à M. DeTroys de lui rendre son vaisseau avec ses 14 hommes, qu’il le défiait de le prendre avec tout ie qu’il avait de Français. On le turlupina un peu et y ayant près le fort un hiak, on mit deux ouvriers Anglais à le radouber, pour leur servir à paser en Angleterre ou au port Nelson. M. D’Iberville amarina sa prise : et après quatre jours de séjour nous partîmes pour retourner par notre chemin, et M. D’Iberville mena le vaisseau pour aller charger huit pièces de canon pour canonner les trois forts, distants du premier de 40 lieus. Lorsque nous fûmes à la traversé où nous avions trouvé les glaces en allant, il n’y en avait plus. Nous commençâmes la traversé comme le soleil se levait. Deux heures après il fit une brûme si épaisse avec le vent devant que deux canots ne pouvant pas se voir, par conséquent sauve qui peut.

Comme j’étais maître de mon canot, je ne changeai point ma route, et nous arrivâmes au bout de notre traversée, où un autre canot nous suivit au bruit des coups de fusil. Le soir nous trouvâmes deux autres canots, mais pour M. DeTroys et ceux qui étaient avec lui nous ne savions ce qu’ils étaient devenus. Deux jours après, nous arrivâmes à notre fort, où M. DeTroys arriva aussi trois jours après nous, et le vaisseau en même temps, sur lequel on chargea les canons et les amonitions, mais fort peu de vivres. Nous partîmes en canot, à gauche, le long de la mer. Nous fûmes 5 jours à nous rendre devant le fort Quiquitchiouan, distant de 40 lieus du premier. Ce fort est à un grand quart de lieue avant dans une petite rivière qui ne porte que des petits bâtiments ; au-devant il y a une île, où nous disposâmes une batterie pour huit canons. Pour y parvenir il fallut couper une partie de la terre à coups de hache, tant elle était gelée. Ls Anglais qui voyaient tous ces mouvements n’en faisaient aucun de leur côté. Lorsque la batterie fut achevée quoique nous n’eussions pas les canons, M. DeTroys envoya un tambour avec un interprète pour sommer le gouverneur de rendre le Sieur Peré qu’il avait retenu, que faute de quoi il lui demandait la place. Le gouverneur répondit qu’il avait envoyé le Sieur Péré en France par l’Angleterre et que l’on avait tort de l’insulter, puisqu’il n’y avait point de guerre entre les deux Couronnes. La chose en demeura là attendant toujours nos canons ; les vents n’étaient point favorables pour amener le vaisseau, nous n’avions plus de vivres, point de chasse dans cette saison, ni d’autres ressources qu’un persil de Macédoine ? ou à périr, ou prendre le fort par escalade.

Le conseil tenu, on commença des échelles, mais par bonheur la surveille de la Ste. Anne le vaisseau entra, on déchargea les canons ; le lendemain on les mit en batterie ; dès le soir on fit une décharge, à laquelle les assiégés répondirent par une des leurs. Le lendemain, jour de Ste. Anne, on recommença à canonner, les assiégés de même, mais notre canon leur en démontra du leur, et ne tirait que lentement. Nos boulets diminuaient fort, on résolut d’en faire de plomb mais il fallut observer la proportion du poid et du calibre. Pour cet effet on fit un moule, dans le centre duquel on mettait de petites boules de bois, soutenues par le millieu par de petites chevilles ; ce qui nous réussit. Comme, vers midi, nous laissions refroidir les canons, les assiégés envoyèrent un canot ou était le ministre, à qui M. DeTroys dit qu’il voulait absolument que la place lui fut rendue. Le ministre lui dit qu’en pareil cas il fallait qu’il confèrât avec le gouverneur ; ainsi, s’il voulait faire la moitié du chemin avec son canot, que le gouverneur s’y rendrait ; ce qui fut effectué. Les articles signés M. D’Iberville fut prendre possession du fort. Les Anglais sortirent, le gouverneur, sa femme, son fils, le ministre, sa servante, et trente hommes ; et moi, avc nos soldats, je gardais le camp où je fis la recherche des vivres, et n’y en trouvai en tout que pour faire diner quinze hommes. M. DeTroyes qui était resté au camp avec moi, m’envoya chercher au vaisseau la dame Anglaise de qui j’ai ci-devant parlé, qui avait été guérie par un de nos chirugiens. Le détachement fut pour garder le fort, où M. D’Iberville resta commandant, qui ne suivait pas les articles de la capitulation, de quoi se sont plaint les Anglais.

Le M. DeTroys partit sans faire observer aucun ordre de route à sauve qui peut, avec très peu de vivres, c’est-à-dire de l’orge germée, avec laquelle les Anglais faisaient de la bière. Nous nous rendîmes à Montréal au mois d’octobre, où les derniers n’arrivèrent qu’un mois après les premiers.

Recueil de ce qui s’est passé en Canada au sujet de la guerre, tant des Anglais que des Iroquois, depuis l’année 1682 jusqu’en 1712.