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Journal de l’expédition du chevalier de Troyes/016

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Texte établi par La Compagnie de L’Éclaireur,  (p. 127-129).

appendice l


17 Novembre 1689

COPIE D’UNE LETTRE DU SR. D’IBERVILLE COMMANDANT DE LA BAIE DU NORD EN CANADA A SES ASSOCIES A PARIS.

Québec, le 17 Novembre 1689.

Le Capitaine Bonnaventure[1] a relaché ici ayant parti trop tard de France. S’il fut arrivé au mois d’Aout ou de Septembre à la Baie, il se fut chargé des Castors que j’ai apportés ici et j’aurais avec le Navire que j’ai pris sur les Anglais, été hiverner au Fort Nelson avec quarante hommes et m’en serais rendu maître cet hyver sans qu’il eût coûté vingt mille livres. Pour vous faire un petit détail de ce que j’ai fait depuis que vous avez eu de nos nouvelles par les premiers vaisseaux, je vous dirai que le 1r. Juillet étant au fort St. Anne je sus par des sauvages venant de la guerre des Esquimaux qu’il avaient trouvé une chaloupe anglaise qui venait avec quatre hommes de reconnaître le fort St. Louis où elle n’a trouvé que quatre hommes qu’elle s’en retournait à Ruper où était son vaisseau distant du fort Ste. Anne de 50 lieus et du fort St.  Louis de trente lieus ; qu’ils le devaient venir prendre, ayant pris le plus grand des bâtiments Anglais, je fus contraint de partir pour aller à Charleston quérir nos yivres qui y avaient resté en automne, je partis sur le champ le’er. de Juillet avec onze de mes gens et laissa au fort mon frère de Maricour avec 9 hommes et 58 Anglais et me rendis à Charleston. Après avoir passé au fort St. Louis pour voir si l’anglais n’y serait point. J’y arrivai le 2 au soir ou j’ai trouvé des quatre hommes que mon frère y avait laissés un de mort et deux autres brûlés par la poudre, hors de service, le 3, je changeai tout ce qu’il y avait dans la maison et laissai les caches et en repartis la même nuit pour Ruper où je me rendis de vent contraire, le 7 je fis reconnaître le vaisseaux et le 8 au matin je m’en allai avec quatre hommes et un de mes frères pour les sommer de me rendre leur vaisseau et les effets, à demie lieue de leur navire, de brume, je rencontrai leur chaloupe avec huit hommes dont quatre se trouvèrent sauvages.

Je l’abordai leur parlant Anglais et me saisis d’eux ils firent peu de résistance, voyant que nous allions mieux qu’eux et que nous étions les plus forts ou plus résolus de nous battre. Je pris le capitaine du vaisseau avec moi dans ma chaloupe et envoyai la sienne à mon bord avec trois de ses hommes conduits par un de mes frères. Je fus sommer le pilote du vaisseaux de se rendre, qui ne voulut faire quoiqu’ils ne fussent que cinq hommes, à moins que je ne leur payasse leurs gages, ce que je leur accordai, ne voulant pas faire entrer mon vaisseau dans cette Rivière et étant toujours pressé de m’en retourner à Charleston quérir cent barriques de grain que j’avais en cache approvisionner le fort St. Louis et me rendre au fort Sainte Anne où j’avais beaucoup de travail tant qu’à mettre nos barques à l’eau que les glaces avaient jetées sur les côtés, que beaucoup d’autres travaux que mon frère ne pouvait faire avec si peu de monde et en avoir tant à garder, ce qui m’obligea de leur promettre de sortir aussitôt de cette rivière et ne me pus rendre au fort Ste. Anne que le 15 Août (1689) à cause des Sautes de vent.

Mon frère de Ste. Hélène m’y joignit avec un secours de trente huit hommes et m’apporta des ordres de m’en revenir à Québec avec le plus grand des vaisseaux de vingt quatre pièces de canon chargées de castor, ce que je fis le 12, 7bre (1689) que je suis parti du fort Ste.  Anne et mon frère de Ste. Hélène aussi avec deux hommes pour s’en revenir à Montréal en canot. Je laissai mon frère de Maricour en ma place avec trente six hommes dans trois endroits en cas de l’arrivée du navire Anglais qu’ils attendaient cette année, de trente pièces de canon qui n’est pas venu, mon frère Ste. Hélène étant parti du fort St. Louis le 18 Septembre, l’on en a aucune nouvelles et moi qui ai rencontré un navire de 14 pièces de canon dans l’ntrée du détroit venant du port Nelson où il avait hyverné et en était parti le 12 du mois. On nous dit qu’il n’avait point eu cette année de navire d’Europe et on était bien en peine, je parus Anglais à ces gens là, ne faisant parler que les Anglais, et portant le pavillon de Roi et de la Compagnie d’Angleterre.

Nous nous promîmes de nous garder compagnie et que pour cela je porterai le feu, ce que je fis pendant 120 lieues durant lequel temps nous nous parlâmes cinq fois attendant un vent favorable pour nous visiter en chaloupe, j’aurais bien voulu leur attraper une chaloupe et tâcher de les prendre après leur avoir ôté 8 ou 10 hommes, quoiqu’ils fussent 25 de compte fait, mais le temps ne nous permit pas de nous visiter Chouar étant avec eux que je reconnus. Ainsi nous nous quitâmes au bout du détroit, eux faisant route vers l’Angleterre, et nous vers Belle-Isle et arrivâmes heureusement à Québec le 28 Octobre (1689). Il me reste à vous marquer notre résolution pour notre entreprise que la Compagnie a résolu d’acheter un vaisseau de 18 à 20 pièces de canon, de 120 ou 150 tonneaux qui partira de LaRochelle le 15 de Mars afin de se rendre ici en Mai et je serai tout prêt pour partir dans le bâtiment que j’ai ici et un autre que nous y joindrons, mais nous avons bon besoin que celui de France ne nous manque pas ; c’est pourquoi tâchez d’obtenir un ordre particulier à M. l’Intendant pour avoir des boulets environ 2 000 petits et gros, c’est de quoi nous ne pouvons nous passer, n’en ayant point ici, il faut nous faire joindre à cela un mortier et des bombes, nous serions sûre de notre coup, puisque si nous les avions pas d’une manière nous les aurions de l’autre et quatre pièces de canon de fonte de campagne et 6 ou 3 livres de balles. Je vous assure bien de les rapporter moi-même s’il plait à Dieu. On nous a dit que le Roi veut que l’on se saississe de ce Poste. Qu’il aye donc la bonté de nous assister de ce petit secours et je suis sûr que nous nous en rendrons les maîtres avec soixante Canadiens pendant qu’ils sont environ cinquante hommes dans leur fort entouré de bons fossés de 10 pieds de large et plein d’eau avec trente pièces de canon et que nous n’avons que des fusils et des petits canon de fer de notre navire que nous serons peut-être obligés de porter au travers des bois, s’ils ont des vaissaux qui nous empêchent l’entrée de leurs Rivières enfin je ne fais nul doute que si on nous veut secourir de ce que je vous demande, nous viendrons à bout de nos desseins où y périrons.

Arch. Canad. Corr. générale, Canada, Vol 10 fol. 499 à 504.




  1. Simon Pierre Denys, Sieur de Bonaventure, fils de Pierre Denys, sieur de la Ronde, et de Catherine LeNeuf, de la Potherie, baptisé à Québec, le 24 juin, 1659. Marié, en 1686, à Geneviève Couillard de Québec, il épousa, en secondes noces, en 1693, à La Rochelle, Jeanne Jeannière, épouse de feu François Bourdon, Sieur de Dombourg.

    Lieutenant de frégate d’abord, il devint capitaine en 1689, et fut aussi lieutenant du roi en Acadie.