Aller au contenu

Légendes chrétiennes/Les deux frères et leur sœur

La bibliothèque libre.


XIII


les deux frères et la sœur.



Il y avait une fois un roi de France qui avait un fils, lequel n’aimait rien autant que la chasse.

Un jour qu’il était à la chasse, le jeune prince vit une paysanne qu’il trouva si belle, qu’il en devint amoureux sur le champ et voulait l’épouser. Son père fit tout ce qu’il put pour l’en détourner ; mais ce fut en vain.

Il se maria donc à la belle paysanne, qui se nommait Marguerite, et l’emmena avec lui à Paris, au palais de son père. Une sœur qu’elle avait, et qui se nommait Jeanne, y vint aussi avec elle ; mais Jeanne était jalouse de Marguerite, en la voyant mariée au fils du roi de France, pendant qu’elle restait fille (et il faut dire aussi qu’elle n’était pas belle du tout), et elle ne cherchait que l’occasion de lui faire du mal et de la perdre.

Six mois après le mariage, la guerre fut déclarée au roi de France par un autre roi, et le prince fut obligé de partir à la tête des armées, son père étant trop vieux pour les commander. Il regretta vivement de quitter si tôt sa jeune femme, qu’il aimait plus que jamais et qu’il laissait enceinte.

Jeanne gagna la sage-femme de sa sœur, à force d’argent, et obtint d’elle que, aussitôt la princesse accouchée, elle substituerait un petit chien à l’enfant nouveau-né.

Quand son temps fut venu, la princesse donna le jour à un fils, un enfant superbe ; mais la sage-femme traîtresse le jeta aussitôt par la fenêtre et présenta à la mère un petit chien, qu’elle avait eu soin de se procurer à l’avance[1].

— Dieu ! que me montrez-vous là ? s’écria Marguerite à cette vue.

— Hélas ! madame, c’est la volonté de Dieu, et le mieux est d’accepter sans murmurer ce qu’il nous envoie, répondit la diablesse.

— Et que dira mon mari, grand Dieu ? Il faudra ne lui rien dire de ceci avant son retour de la guerre.

Et voilà la pauvre mère bien désolée. Quant à Jeanne et à la sage-femme, elles ne perdirent pas de temps pour écrire au prince, à l’armée, et lui dire que sa femme était accouchée d’un petit chien. Le prince se contenta de dire :

— Puisque c’est la volonté de Dieu !

Puis il écrivit à sa femme, pour la rassurer et la consoler.

L’enfant, que la sage-femme avait jeté par la fenêtre, aussitôt après sa naissance, était tombé sur un buisson de roses et n’avait éprouvé d’autre mal que quelques légères écorchures. Un ermite, en passant près du palais, au point du jour, entendit des gémissements. Il s’approcha et fut étonné de trouver un petit enfant qui venait de naître.

— Pauvre créature du bon Dieu ! s’écria-t-il. Si je n’étais venu à passer, tu allais mourir là, sans baptême.

Et il l’emporta dans un pli de sa robe, le fit baptiser et le mit en nourrice dans le voisinage.

Quand la guerre fut terminée, le prince revint à la maison. Il embrassa sa femme bien tendrement, et ne lui parla jamais du malheur qui lui était arrivé.

Mais la guerre se ralluma peu de temps après, et il lui fallut partir encore. Il laissait, comme la première fois, sa femme enceinte. Quand son temps fut arrivé, elle donna le jour à un second fils, aussi beau que le premier. La sage-femme lui substitua encore un petit chien, et ce second enfant fut jeté par la fenêtre, comme le premier, et les deux couleuvres, Jeanne et la sage-femme, écrivirent encore au prince que sa femme avait, pour la seconde fois, donné le jour à un petit chien.

La douleur du prince fut grande à cette nouvelle ; mais, comme la première fois, il se contenta de dire :

— Puisque c’est la volonté de Dieu !

Et il écrivit encore à sa femme, pour la rassurer et la consoler. Mais sa lettre fut interceptée par Jeanne et la sage-femme.

Le second enfant avait été recueilli par le même ermite, qui passait tous les matins sous les fenêtres du château.

— Ah ! s’écria-t-il, indigné, voilà donc les mœurs des habitants des palais !

Et il emporta la petite créature dans un pli de son manteau, la fit baptiser et la mit en nourrice, comme l’autre.

Lorsque la guerre fut terminée, le prince revint à Paris, et il revit sa femme avec la même joie que la première fois ; mais, quelques mois après, il lui fallut la quitter pour la troisième fois, car la guerre s’était rallumée, et il la laissait encore enceinte.

Elle donna le jour à un troisième enfant, une fille, cette fois. La sage-femme la jeta par la fenêtre, comme les autres, et montra à la mère une petite chatte, en lui assurant que c’était là le fruit qu’elle avait porté. Pour le coup, la pauvre femme se crut maudite de Dieu, et sa douleur était extrême.

Le même ermite recueillit encore l’enfant et la fit baptiser, lui servit de parrain et lui donna pour marraine la sainte Vierge. Elle fut nommée Marie.

Cependant la sage-femme et Jeanne, ces deux couleuvres de l’enfer, écrivirent au prince, qui était toujours à l’armée, et lui marquèrent que sa femme menait mauvaise vie, et qu’après avoir eut deux petits chiens, elle venait encore de donner le jour à une chatte, tout cela par la vertu de l’esprit malin, qui avait tout empire sur elle.

— C’en est trop, à la fin ! s’écria le prince, furieux.

Et il écrivit pour donner l’ordre de renfermer sa femme dans une basse-fosse, avec du pain et de l’eau pour toute nourriture, jusqu’à son retour.

Quand la guerre fut terminée, le prince revint à la maison, et sa belle-sœur et la sage-femme lui dirent tant de mal de la princesse, qu’il refusa de l’aller voir dans sa prison. Il ordonna même de l’y laisser mourir de faim, et se maria à Jeanne.

Personne ne parlait plus à la cour de la pauvre princesse, et tout le monde la croyait morte. Mais le vieux roi, qui avait le cœur bon et qui soupçonnait quelque noire trahison, chargea, une femme de faire parvenir à la prisonnière quelque nourriture par un trou qu’il fit pratiquer dans le mur de la prison.

Cependant, l’ermite élevait et instruisait de son mieux les trois enfants. Comme il ne vivait que d’aumônes, il allait tous les jours mendier pour eux de porte en porte ; mais le monde jasa bientôt sur son compte. On se demandait si ces enfants n’étaient pas ses propres enfants à lui, et, autres choses semblables, et la charité s’attiédissait sensiblement, et le pauvre ermite s’en revenait tous les jours avec sa besace moins lourde. Enfin, il se vit un jour obligé de se séparer de ses enfants. Il les aimait comme s’il eût été leur vrai père ; aussi, son cœur en fut-il navré de douleur. En leur faisant ses adieux, il dit à Marie :

— Tenez, mon enfant, voici une baguette blanche que je vous donne et qui vous sera utile plus d’une fois. Gardez-la précieusement, et ne vous en dessaisissez jamais. Quand vous direz : « Par la vertu de ma baguette blanche et la protection de ma marraine, je désire telle ou telle chose ! » aussitôt votre souhait s’accomplira, quel qu’il puisse être, à la condition pourtant que vous ne demandiez rien de mal.

Marie prit la baguette blanche des mains de l’ermite, et les trois enfants partirent, les larmes aux yeux. Ils prirent la première route qui s’offrit à eux et marchèrent à la grâce de Dieu.

La nuit les surprit dans un grand bois. Les voilà bien embarrassés, car ils ne voyaient aucune habitation, aucune hutte de sabotier ou de charbonnier. Ils avaient grand’peur des loups. Un des deux garçons monta sur un arbre, et il aperçut une lumière au loin.

— Il faut nous diriger sur cette lumière, dit-il.

— Et si c’est une caverne de brigands ? dit Marie.

— Allons toujours, à la grâce de Dieu, car si nous restons ici, nous serons mangés par les loups.

Ils marchèrent donc vers la lumière, et arrivèrent à une hutte faite de branchages et d’herbes sèches. Ils regardèrent par une fente de la porte et virent une petite vieille femme qui mêlait de la bouillie dans un bassin sur le feu. Ils n’osaient pas entrer. Enfin, après avoir hésité quelque temps, ils poussèrent la porte, qui céda facilement.

— Bonsoir, grand’mère, dit l’aîné du seuil de la hutte.

— Bonsoir, mes enfants, répondit la vieille.

— Auriez-vous la bonté de nous donner l’hospitalité pour la nuit ?

— Je n’ai rien à vous donner à manger, mes pauvres enfants, qu’un peu de bouillie d’avoine que je prépare pour mon souper, et il y en a si peu ! Je n’ai aussi qu’un seul lit.

— Si vous vouliez nous loger quand même, nous passerions la nuit sur la pierre du foyer.

— Entrez alors, mes pauvres enfants, car j’ai pitié de vous.

Les enfants entrèrent et racontèrent leur histoire à la vieille. Celle-ci les écouta avec intérêt, puis elle leur dit :

— Vous êtes bien jeunes, mes pauvres enfants, pour être ainsi seuls par les chemins ; mais, si vous voulez rester ici avec moi, je partagerai avec vous le peu que je possède.

Les enfants acceptèrent.

Le lendemain matin, l’aîné, qui s’appelait Fanch (l’autre avait nom Allain), dit à Marie :

— Écoute, sœur, tu n’as encore fait aucun usage de la baguette blanche de notre père l’ermite ; si tu demandais deux fusils, un pour Allain et l’autre pour moi, nous irions chasser tous les jours dans le bois, pendant que toi tu resterais à la maison avec la vieille, pour l’aider à nous préparer à manger le gibier que nous prendrions.

— Tu as ma foi raison, frère, répondit Marie, et je vais suivre ton conseil.

Et prenant à la main sa baguette, elle dit :

— Par la vertu de ma baguette blanche et la protection de ma marraine, je désire avoir deux bons fusils de chasse pour mes deux frères.

Et aussitôt deux beaux fusils de chasse se trouvèrent par enchantement aux mains des deux frères. Ils allèrent à la chasse, et s’en revinrent le soir, chargés de gibier.

Le lendemain, ils partirent encore de bonne heure ; mais, la vieille leur dit auparavant :

— Ne vous aventurez pas trop loin dans le bois, mes enfants, et si vous voyez un château, gardez-vous bien d’y entrer.

Il y avait quinze jours que les deux frères chassaient dans le bois et revenaient, chaque soir, chargés de gibier ; ils approvisionnaient la cabane de la vieille, qui en était fort contente.

Enfin, un jour, ils ne rentrèrent pas à leur heure ordinaire. Il y avait longtemps que le soleil était couché, et ils n’arrivaient pas, et leur sœur et la vieille aussi en étaient inquiètes.

— Hélas ! dit la vieille, je sais bien ce qui leur est arrivé : ils seront entrés dans le château, malgré mes recommandations.

Marie ne fit que pleurer toute la nuit. Le lendemain matin, voyant que ses frères n’étaient pas encore rentrés, elle dit :

— Je veux aller les chercher au château.

— Hélas ! ma pauvre enfant, lui répondit la vieille, cela n’est pas aussi facile que vous le croyez ; mais, comme vous avez été bonne et charitable pour moi, je ne vous abandonnerai pas dans la peine et le chagrin. Écoutez bien ce que je vais vous dire, et si vous m’obéissez de tout point, vous pourrez sauver vos frères, et même d’autres avec eux. Beaucoup sont déjà allés dans ce château, des princes, des ducs et des comtes, des gens de toute condition, et, depuis trois mille ans que je suis ici, je n’en ai vu personne revenir.

— Jésus mon Dieu ! s’écria Marie.

— Ne tremblez pas ainsi, mon enfant, reprit la vieille, car avec mon aide vous pourrez en revenir, vous, si vous suivez mes conseils de point en point. Dans ce château habite une princesse belle comme le jour. Tous les jours, elle va se baigner dans une fontaine qui est dans le jardin du château, sous un laurier. Elle reste une heure entière, dans l’eau, et, pendant ce temps, la porte est grande ouverte, et chacun peut y entrer. Mais quand la princesse sort de la fontaine, la porte se referme aussitôt d’elle-même, et personne ne peut plus sortir, et tous ceux qui sont entrés sont retenus là, enchantés sous différentes formes. Il faut qu’à midi juste vous soyez à la porte du château. Aussitôt que la porte s’ouvrira, vous entrerez dans la cour. D’abord vous ne verrez personne. Aller vite dans le jardin, et ne vous arrêtez pas à admirer les belles choses que vous verrez partout par là. Courez à la fontaine, qui est sous un buisson de laurier. Vous y verrez la princesse se baignant, son corps sous l’eau et ses beaux cheveux d’or flottant au-dessus. Saisissez promptement une poignée de ses cheveux ; enroulez-la autour de votre main, et secouez fortement la princesse. Elle jettera les hauts cris et pleurera, et vous priera de la lâcher ; mais ne l’écoutez pas. Alors elle aura recours à la menace ; ne vous effrayez pas, et ne lâchez prise que lorsqu’elle aura promis de vous rendre vos frères ; sains et saufs. N’ayez pas peur non plus des chiens que vous verrez attachés dans la cour, quand vous entrerez. Voilà ce qu’il vous faudra faire exactement avant d’avoir vos deux frères et de sauver avec eux une infinité d’autres qui, comme eux, sont retenus sous des charmes dans ce maudit château. Si vous ne suivez pas de point en point mes instructions, vos frères sont perdus à tout jamais, et vous-même le serez avec eux.

Marie écouta attentivement les recommandations de la vieille, puis elle se mit en route.

Elle arriva au château ; elle y entra à l’heure de midi, et pénétra jusqu’au jardin, sans se laisser effrayer par une foule de chiens de toute dimension et de toute couleur, qui se mirent à aboyer après elle, quand elle traversa la cour. Elle alla droit à la fontaine et vit la princesse qui s’y baignait, ses beaux cheveux d’or flottant sur l’eau.

Elle saisit une poignée de ses cheveux, l’enroula autour de sa main droite et secoua fortement la princesse. Celle-ci cria, supplia, puis menaça, mais le tout en vain, car la jeune fille ne lâchait pas prise et disait :

— Rendez-moi mes frères ! rendez-moi mes frères !

Elle finit par promettre de les rendre, et Marie lâcha prise alors. La princesse sortit de la fontaine, s’habilla et dit à Marie :

— Mille bénédictions soient sur vous, car vous m’avez délivrée, moi et une foule d’autres qui, depuis tant d’années, étions retenus ici enchantés par un magicien. Tout à l’heure, quand vous arriverez dans la cour où vous avez vu tant de chiens enchaînés quand vous êtes entrée, au lieu de chiens, vous verrez autant de princes, de ducs, de seigneurs et de gens de toute condition, qui étaient venus ici pour me délivrer, et que le magicien a changés en chiens. Ils s’empresseront autour de vous, pour vous remercier de les avoir délivrés, puis ils partiront dans toutes les directions, pour se rendre à leur pays, car à partir de ce moment, le magicien aura perdu tout pouvoir sur eux. Quand ils seront tous partis, nous monterons tous les quatre, vos deux, frères et nous deux, dans le char du magicien, qui vole dans l’air, comme un oiseau, et nous partirons aussi.

Marie fit tout comme lui avait recommandé la princesse, et quand les autres furent tous partis, ils montèrent tous les quatre sur le char du magicien et s’envolèrent aussi.

Chemin faisant, la princesse révéla à ses trois compagnons le secret de leur naissance et la trahison dont ils étaient victimes.

En passant au-dessus d’une grande plaine, elle dit à Marie :

— Voici la plaine où votre père passe la revue de son armée ; demandez que, par la vertu de votre baguette blanche, il s’y élève instantanément un château plus beau que celui du roi, et moi, par mon pouvoir, je ferai que la toiture en soit toute constellée d’étoiles brillantes.

Marie, qui avait toujours sa baguette blanche avec elle, dit :

— Par la vertu de ma baguette blanche et la protection de ma marraine, qu’il s’élève sur le champ, dans cette plaine, un château plus beau que celui du roi mon père.

Et aussitôt un château magnifique s’éleva par enchantement sur la plaine, et alors la princesse, qui était aussi magicienne, en sema la toiture d’étoiles aussi belles et aussi brillantes que celles qui brillent au firmament, par une belle nuit d’été.

— Que signifie ceci ? s’écria le roi à cette vue, et qui donc a été assez hardi pour élever un pareil château en face du mien, sans ma permission ?

Et il appela son premier général et lui dit :

— Allez vite saisir le maître de ce château, et amenez-le devant moi.

Il était bien en colère, le roi.

Le général partit, accompagné de cinq cents soldats. Quand ils furent à cinquante pas du château, ils mirent leurs fusils en joue, pour tirer dessus. La princesse en voyant cela, dit à Marie :

— Dites à présent : « Par la vertu de ma baguette blanche et la protection de ma marraine, qu’ils restent tous immobiles, dans cette position, à l’exception de deux d’entre eux, qui pourront en aller avertir le roi. »

Marie prononça les paroles, et aussitôt les soldats, avec leurs capitaines et le général lui-même, restèrent immobiles, comme des statues de pierre, chacun dans la posture où il se trouvait au moment où les paroles furent prononcées. Deux seulement conservèrent la liberté de leurs mouvements et coururent avertir le roi de ce qui se passait.

— Que signifie ceci ? dit le roi en colère ; vous moquez-vous de moi ? Il faut que j’aille voir moi-même.

Mais, au moment où il sortait de son palais, la princesse dit à Marie :

— Dites à présent ; « Par la vertu de ma baguette blanche et la protection de ma marraine, que la mer entoure de tous côtés le palais du roi et l’y retienne prisonnier. »

Marie prononça les paroles, et quand le roi voulut sortir, il recula de frayeur en voyant la mer au seuil de son palais. Il voulut fuir par une porte de derrière ; mais, là encore, il trouva la mer, qui l’arrêta court. Sa frayeur était extrême.

La princesse dit encore à Marie :

— Dites à présent : « Par la vertu de ma baguette blanche et la protection de ma marraine, que la mer se retire, afin que le roi puisse venir jusqu’à nous. »

Et Marie prononça les paroles, et la mer se retira aussitôt. Alors le roi se dirigea vers le château merveilleux.

En passant près de ses soldats, qui étaient toujours immobiles comme des statues, le fusil à l’épaule, il leur cria :

— Tirez donc, imbéciles !

Mais les soldats restaient toujours immobiles, et pas un coup ne partait.

La princesse, Marie et ses deux frères s’avancèrent au devant du roi, en riant de le voir tant en colère.

— Vous avez là de bien mauvais soldats, sire, lui dit la princesse. Mais comme ils sont immobiles sous les armes ! Commandez-leur donc de tirer ; Il y a assez longtemps qu’ils visent, il me semble !

Et le roi, furieux, commanda : Feu !... feu !...

Mais rien ne bougea.

— Comment ! vos soldats ne vous obéissent donc pas, sire ? reprit la princesse ; je parie qu’ils préfèrent être commandés par cette jeune fille, à qui ils obéiront certainement.

Et elle fit signe à Marie, qui dit :

« Par la vertu de ma baguette blanche et la protection de ma marraine, que ces soldats puissent tirer et recouvrent la liberté de leurs mouvements.

Et aussitôt tous les fusils partirent à la fois, et les soldats recouvrèrent la liberté de leurs mouvements.

Le roi n’en revenait pas de son étonnement ; mais toute sa colère était tombée à la vue de la princesse et de Marie. Il se sentait attiré vers cette dernière surtout ; son cœur battait plus fort, et il lui semblait que son sang parlait. Il en devint amoureux fou et voulait l’épouser sur le champ.

— Quand vous connaîtrez la vérité, sire, lui dit la princesse, vous changerez de langage. Demain, nous irons tous les quatre vous rendre visite dans votre palais, et je vous dirai des choses qui vous étonneront.

Le roi ne pouvait se décider à s’en aller ; il se sentait attiré vers Marie et ses frères par quelque puissance secrète et qu’il ne s’expliquait pas. Il partit pourtant, mais à regret.

Le lendemain, les habitants du nouveau château vinrent lui rendre visite dans son palais, comme ils le lui avaient promis ; et comme il parlait toujours de se marier à Marie, la princesse lui dit :

— Ah ! sire, si vous saviez !... Vous marier à votre fille !...

— Comment ! ma fille ?...

— Oui, votre fille. Regardez-la bien, ainsi que ces deux jeunes princes, ses frères. Eh bien ! tous les trois sont vos enfants. Voici les deux chiens que votre femme mit au monde d’abord, — et elle lui montra les deux jeunes princes, — et voici la chatte dont elle accoucha ensuite, — et elle lui montrait Marie.

— Serait-ce possible ?

— Oui, je vous le dis, voilà vos enfants !

Et le vieux roi les embrassa, en pleurant de joie et de bonheur.

— Oh ! ma pauvre femme ! s’écria-t-il alors.

— Votre femme, que vous croyez morte depuis longtemps, vit encore, reprit la princesse. Allons tous ensemble la voir dans la prison où vous l’avez fait enfermer.

Et ils se rendirent ensemble à la prison, et y trouvèrent la reine vivante et en bonne santé. Alors ils tombèrent dans les bras les uns des autres et pleurèrent de joie de se trouver réunis.

— À chacun suivant ses œuvres ! s’écria alors le roi.

Et il donna l’ordre d’écarteler entre quatre chevaux la sage-femme et Jeanne, la sœur de la reine et qui était aussi devenue sa femme.

L’ordre fut exécuté sur le champ.

La reine Jeanne mourut presque aussitôt sortie de sa prison, et le roi épousa alors la princesse du château enchanté, et il y eut un grand festin.

Quand tout le monde était assis à table, on vit entrer dans la salle une petite vieille femme, toute courbée sur son bâton. Marie reconnut aussitôt la vieille femme du bois, qui l’avait recueillie avec ses frères et conseillée, et elle se leva et alla la recevoir. Mais, dès qu’elle lui eut touché la main, la vieille devint une jeune femme très-belle, et elle parla ainsi à Marie :

— Je suis la sainte Vierge, votre marraine : c’est moi qui vous ai conseillée et protégée dans le danger. Ne m’oubliez pas ; vivez sagement ; soyez charitable envers les pauvres, et nous nous reverrons encore ailleurs.

Puis elle disparut.


(Conté par Catherine Doz, femme Colcanab, mendiante.
Plouaret, 1869.)


Ce conte a été altéré par l’introduction de l’élément chrétien, car il devait être, à l’origine, complètement païen, et la sainte Vierge était tout simplement une fée, reconnaissable, du reste, à sa baguette magique.

Je ne l’ai compris dans la catégorie des Légendes chrétiennes ainsi que le précédent et les deux suivants, que comme exemple de la manière dont les fables païennes ont été souvent christianisées par le peuple.





  1. Cette substitution de petits chiens ou petits chats à des enfants nouveau-nés, faite par des marâtres ou des traîtres, en l’absence du mari qui est à la guerre, est très-fréquente dans les traditions populaires.