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L’Âme des saisons/Epitaphe

La bibliothèque libre.
Veuve Fred. Larcier, Editeur (p. 101-103).
ÉPITAPHE


À la mémoire du poète
Charles de Sprimont.


Arrète-toi, passant. C’est ici que repose
Un jeune homme nourri de rêves et de roses,
Qui, tantôt paladin couvert de son écu,
Et tantôt ménestrel au luth d’argent, vécut
Dans un songe nacré de teintes opalines
Comme un lever de lune au-dessus des collines.
Il marchait, souriant et calme, sous les cieux.
Il prononçait souvent des mots harmonieux.
Il errait dans les bois, attentif aux murmures
Du vent mystérieux dans les sombres ramures.
Plusieurs, en le voyant passer, disaient : « On sent
Que celui-ci charrie un astre dans son sang ;

Car, à travers le songe étrange qui les voile,
On voit poindre en ses yeux une lueur d’étoile.
Il est de ceux qui vont, au loin, sur les flots bleus,
Ravir la Toison d’or aux monstres fabuleux.
De son aile de feu, quand la Muse le touche,
Un poème immortel hésite sur sa bouche,
Et son front pur, nimbé d’un éclat singulier,
Appelle le baiser auguste du laurier. »
Il aimait les oiseaux, les fleurs et les fontaines.
Il entendait souvent des musiques lointaines.
Parfois, les yeux mi-clos, il voyait à travers
Les lilas lumineux et le feuillage vert
Ruisselant de soleil et bourdonnant d’abeilles,
S’allonger un pays de songe et de merveilles,
Planté de palmiers d’or et de glaïeuls de feu,
Où l’air subtil tremblait comme l’eau d’un lac bleu,
Où les oiseaux frôlaient des harpes dans les branches,
Où de l’encens fumait parmi les roses blanches,
Où des palais de marbre aux portiques légers
Jaillissaient çà et là des bosquets d’orangers,
Où allaient et venaient des figures étranges,
Des elfes aux cheveux d’émeraude, des anges
Faisant signe et traînant leurs robes dans l’azur,
Et des fées de lumière aux bras calmes et purs,
Et quelquefois, au son de mystiques musiques,

Des séraphins tendant des roses hiératiques.
Mais lui, rêveur, assis à l’ombre des lilas,
Souriait doucement et ne comprenait pas…
 
Maintenant il comprend ! Dans l’extase divine
Le poème aux cris d’or jaillit de sa poitrine ;
Et le voici debout dans la grande clarté,
Vêtu de neige ardente et d’immortalité,
La lyre aux doigts, parmi les lis et les colombes…
 
Passant, il ne faut pas pleurer sur cette tombe.


1903.