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L’Âme nue/En Crète

La bibliothèque libre.
G. Charpentier et Cie, éditeurs (p. 184-187).
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MIDI








EN CRÈTE


à victor d’auriac





Midi ! Le ciel profond est d’un cobalt intense.
Comme une lampe d’or pendue au zénith bleu,
Le soleil qui montait s’arrête et se balance :
Ses rayons verticaux vibrent dans l’air en feu.


Les monts, les champs, baignés de clartés odorantes,
Rêvent languissamment dans leur vaste sommeil.
L’île nage au milieu des vagues transparentes,
Dont chacune miroite et reflète un soleil.



La mer chante : le flot tiède et blanchi d’écume
Lèche le sable ardent qui fume dans le port.
Le parfum lourd des fleurs pèse, comme une brume,
Dans l’atmosphère épaisse où la brise s’endort.


La sève bout ; le fruit est mûr ; la vie éclate :
Les muscats jaunissants cuisent sur les coteaux ;
Le pâtre, désertant la lande aride et plate,
Sous les blancs oliviers a conduit ses troupeaux.


Et dans le bois sacré, sa royale retraite,
Sous les myrtes neigeux du temple d’Astarté,
La fille du Soleil, Pasiphaë de Crète,
Moule dans les coussins sa brune nudité.


Les tons mats de sa chair ont des reflets d’ivoire ;
Ses cheveux sur son sein roulent comme des flots,
Et l’éclair brille au fond de sa prunelle noire,
Sous le voile lascif des cils à demi-clos.
.



La voilà : c’est la Reine aux fureurs hystériques !
Pour éteindre l’ardeur de ses sens allumés,
La voilà se cabrant, frottant ses chairs lubriques
Sur le baiser soyeux des tissus parfumés.


Hélios ! Tu la vois, crispant ses membres lisses,
Mordant ses propres bras et tordant ses cheveux ;
Une peau de lion serrée entre ses cuisses,
Elle s’arque, du cou jusqu’aux jarrets nerveux !


En vain trente guerriers, les plus beaux de la Grèce,
Ont sous leurs reins musclés pétri son torse nu :
Surexcités par leur impuissante caresse,
Ses flancs inassouvis ont rêvé d’inconnu.


En vain, pour la calmer, Bacchantes et Tribades
De leurs touchers savants ont énervé son corps ;
Elle a pris en dégoût ces voluptés trop fades :
La Fille du Soleil veut des muscles plus forts !



Or, elle a vu là-bas, sur les fauves lagunes,
Dans la fureur du rut passer un taureau blanc :
Il allait, bondissant près des génisses brunes,
Et ses rouges naseaux aspiraient l’air brûlant.


Et la Reine le veut, le fier taureau de Crète !
Elle veut son amour superbe et vigoureux…
— Dédale l’a comprise et la statue est prête :
La Génisse de bronze entr’ouvre ses flancs creux.