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L’Âme nue/Le Nazaréen

La bibliothèque libre.
G. Charpentier et Cie, éditeurs (p. 93-95).
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LES CULTES









LE NAZARÉEN


à madame m. haraucourt





À quoi sert d’insulter une figure douce ?

— Ô Christ, va ton chemin, et pose sur la mousse
Tes pieds blancs où fleurit la corolle de sang ;
Ouvre, dans la bonté d’un geste bénissant,
Tes deux bras et tes mains que les clous ont trouées,
Et lève, vers la foule errante des nuées,
Ton front aux cheveux roux et tes longs regards bleus…

Tu vins, rêveur épris de bonheurs fabuleux,

Dans un siècle d’ennui qui ressemblait au nôtre,
Poète, âme de vierge, et tu te fis apôtre
Pour chanter la douceur, les pardons et la mort.

Tes paroles d’enfant semaient le réconfort
Dans les cœurs épuisés de l’infirme et du triste :
Tu leur parlais d’un monde où la justice existe,
Où les bons sont guéris de tous les maux soufferts,
Et les méchants livrés au remords des Enfers.
Les vieillards s’asseyaient sous ton ombre, dans l’herbe,
Et les femmes pleuraient en écoutant ton verbe.
Tel tu passais, allant de bourgade en cité,
Versant autour de toi la paix et la clarté,
Consolant la douleur et pardonnant la faute....
 
Puis, un soir, tu montas sur la colline haute,
Doutant du ciel, croyant au repos du trépas,
Et priant vers un Dieu qui ne répondait pas ;
Et tu mourus, dans la torture et dans l’insulte.
 
Qu’importe, si ma race a dépravé ton culte

Et dressé des bûchers en l’honneur de ta croix ?
Qu’importent la fureur des papes ou des rois,
Les murs croulants, le choc des masses sur les heaumes,
Et les peuples entiers râlant au chant des psaumes ?

Tu ne soupçonnais rien du soir, toi l’Orient !
Barde éploré, mystique et ténébreux Voyant,
Poète du tombeau, poète du martyre,
C’est sur nous seuls qu’il faut pleurer, sans te maudire !