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L’Âme qui vibre/Les Ânes

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E. Sansot et Cie (p. 62-63).

LES ÂNES

Je trouve qu’il est doux de caresser les ânes
Parce qu’ils ont des yeux résignés et navrants ;
Parce que sous le bât qui leur sangle les flancs,
Ils vont, par les chemins, comme de pauvres âmes.
Je trouve qu’il est bon de les aimer beaucoup,
De promener sa main doucement sur leur cou,
De leur faire en nos cœurs une légère place
Parce qu’ils sont chargés des péchés de leur race.
Ô pauvres ânes lents et dédaignés ! je crois
Qu’en vous plaignant je plains ma pauvre âme à la fois !
Qu’en adorant chez vous l’attitude soumise,
Je ne fais qu’adorer la douceur qui me grise !
Qu’en contemplant vos yeux pleins de renoncement,
Je contemple mon cœur intérieurement !
Ô pauvres ânes lents et soumis ! je vous aime
Comme tous les vaincus de la bataille humaine,
Comme ceux que le sort a battu sans raison,
Et qui ne connaîtront pas de belle saison.

Comme mon âme, enfin, si douce qu’elle semble
Avoir, avec la vôtre, erré longtemps ensemble.
Je vous aime ô bien lents ! bien doux ! et bien soumis !
Comme les mieux aimés de mes plus près amis ;
À cause de vos yeux d’esclave et de la selle
Qui courbe tous les jours votre échine et la pèle.