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L’Âme qui vibre/Madame

La bibliothèque libre.
E. Sansot et Cie (p. 36-38).
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Madame

MADAME

I

Puisque vous m’avez fait le plaisir d’être belle
Et qu’au soleil vous promenez votre œuvre d’art,
Et qu’ainsi vous payez largement votre part
Au chanteur de Beauté qui vous confond en Elle.

Puisque vous avez fait parler le moins bavard
Des faiseurs de sonnets, et que vous êtes telle
Que rien de plus parfait n’a frappé sa prunelle,
Et qu’il s’en fût troublé, même étant un vieillard.

Puisqu’il crut voir en vous, ma belle châtelaine,
Un de ces beaux amours de fine porcelaine ;
Puisqu’il sait ne trouver, dans aucun parchemin,

Rondeaux ni triolets vantant plus belle main,
Le rimeur, entre nous, pouvait bien, quoique sage
De ce coup de crayon marquer votre passage.

II

Quoique sachant n’avoir pas grand’chose à vous dire,
N’étant, vous le savez, beau parleur pour un sou,
Je me prends du besoin incorrigible et fou
De venir vous causer, vous permettant d’en rire.

Mais vous causer de quoi, mon Dieu ? Causer de tout
Pour ne rien vous apprendre ? Ou causer pour médire
D’un rival ambigu guettant votre sourire ?
Cette besogne là ne me plaît pas beaucoup.

Alors, de quoi causer ? N’étant ni gentilhomme
Pour vous entretenir de vains propos galants,
Ni hâbleur, ni phtisique et n’étant rien en somme.

N’ayant, pour me bercer, que mes espoirs dolents ;
’Pour assoupir mon cœur, entouré de disgrâces,
Que vos regards discrets, calculés, vagues, lents,

Comme d’abord il sied à l’Élue aux sept grâces.

III

Mais vous causer d’amour, pardieu ! ma belle dame ;
De quoi peut-on causer quand on a devant soi
La femme la plus belle et plus jeune qui soit ?
De quoi peut-on causer si ce n’est de son âme.

Si ce n’est de son cœur, si ce n’est de sa foi,
Si ce n’est du complot que son mari nous trame,
Et de la joie où nous allons à pleine rame,
Si ce n’est de l’amour et si ce n’est de toi ?

Si ce n’est de toi seule et de toi seule au monde,
Et si ce n’est aussi des mots dont tu me grondes
Pour t’oser tutoyer sans ton assentiment.

Mon Dieu ! que je suis sot tout en étant poète !
De chercher ce qu’on peut se dire en bien s’aimant,
Quand on est tous deux jeune et tous deux pas trop bête.