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L’Écho foutromane/04

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Aux dépens des fouteurs démagogues (Gay et Doucé) (p. 50-69).
La Solitude instructive de Mme Convergeais

L’Écho foutromane, 1880, Bandeau de début de chapitre
L’Écho foutromane, 1880, Bandeau de début de chapitre

LA SOLITUDE INSTRUCTIVE

DE MADAME CONVERGEAIS,
CI-DEVANT COMTESSE DE BRANLEMONT.


Madame Convergeais qui, avant les sublimes opérations du Manège, s’étoit élevée au titre magnifique de comtesse de Branlemont ; madame Convergeais, puisque Convergeais y a, est l’une de ces femmes sensibles qu’on croiroit au premier aperçu voluptueuses par sentiment, plus que par besoin, qui cherchent le plaisir dans la nature du plaisir même, l’appellent sans cesse, le demandent à leurs actions, le font naître à chaque pas, l’enchaînent enfin à leurs caprices et à leur volonté.

Sous des traits dessinés par un pinceau mâle, se déploie une physionomie ouverte et dégagée ; un extérieur sévère au premier abord, tempéré par un sourire modeste, mais gracieux, adoucit la fierté d’un maintien qui n’est dépourvu ni de grâces, ni de noblesse. Livrée dès sa plus tendre jeunesse au tourbillon du monde, le manteau factice de la décence n’a pas toujours voilé rigoureusement sa conduite publique ; mais elle a eu soin de bannir de ses boudoirs cet argus importun, sans cesse prêt à s’opposer à des jeux qui font notre délire et qu’il ose improuver, avec une rigidité glaciale qui effarouche les plaisirs les plus avoués de la nature. Voilà le portrait et les principes de madame Convergeais : nous allons les mettre en action.

Madame Convergeais a longtemps associé ses plaisirs privés à ceux des hommes ; mais soit que la foiblesse des uns et l’inconséquence des autres l’aient trop contrariée, ou peut-être, en effet, soit qu’elle ait voulu déférer aux conseils d’une amie, elle s’est tout à coup détachée de leur société. Avec un tempérament de feu, qu’il sembleroit à l’entendre qu’elle eût voulu étouffer, et qui s’en est irrité davantage, elle a emprunté les dehors d’un maintien rigoureux, qui n’est au fond qu’une espèce de pruderie. Ce nouveau masque qui la cache à elle-même en impose à ceux qui l’ont eue au point de leur faire douter si c’est avec son con vermeil et lascif qu’ils ont connu l’ivresse de l’amour dans toute son étendue, tant elle a le secret de se déguiser à leurs yeux, en éludant leurs propos sémillans, et en se mettant en garde avec tout l’art imaginable contre leurs quolibets gesticulateurs.

D’ailleurs, sans avoir conçu de l’aversion pour les hommes, sensuelle à l’excès, elle a cherché vainement dans le nombre de ses amans, le prix de ce qu’un tempérament ardent, joint aux autres raisons qu’on vient de développer, leur faisoit éprouver, et son dépit l’a portée à s’abstenir désormais de leurs vits insuffisans ; elle a eu la folle présomption de croire pouvoir les suppléer par elle-même. Sa présomption est grande, en effet, et singulière, ou du moins est-ce un problème que nous allons donner à résoudre ?

Mais nous pensons qu’il est nécessaire, avant, et même en quelque sorte indispensable, de présenter ici le tableau de cette rupture si étrange et des circonstances qui l’ont amenée. Un pareil divorce est fait pour intéresser sous tous les rapports.

Trois jeunes élégans du siècle étoient les derniers favorisés qui se disputoient l’empire de madame Convergeais, ou plutôt qui en partageoient les tendres fonctions. Chacun deux aspiroit en particulier à la nomination absolue, et ils espéroient, pour parvenir à ce but, de consolider, en les confirmant de nouveau, leurs droits respectifs, tombés, pour ainsi dire ou à ce qu’ils croyoient, en désuétude.

Ils étoient habitués à cultiver sa société assez régulièrement tous les jours, et à goûter avec elle la fraîcheur des soirées d’un été brûlant dans l’un de ces jardins où le luxe de l’art se marie si magnifiquement avec la majesté de la nature ; où des fleurs de toute espèce par un mélange enchanteur d’odeurs et de couleurs chatouillent les sens si délicieusement ; où des berceaux odorans, élevés par la main de Flore et parsemés dans des bosquets étendus, isolés, invitent si impérieusement à toutes les voluptés renfermées dans la capacité de l’âme.

Le galant triumvirat se rend, selon sa coutume, individuellement chez madame Convergeais. Ils avoient toujours été admis sur-le-champ auprès d’elle, surtout au moment de la toilette où des amans, quel que soit leur nombre, ne sont jamais inutiles. Il fallut, pour cette fois, subir un ordre rigoureux. Madame étoit, par cas fortuit, en petit conciliabule avec une ancienne amie, et elle avoit fait dire que dès que ses trois complaisans arriveroient on les priât de passer dans le jardin, où elle iroit les rejoindre. Ils parurent successivement l’un après l’autre, et on leur signifia cette nouvelle loi qui n’étoit pas excessivement cruelle ; mais elle se montra telle à leur empressement, et ils en murmurèrent tout bas.

Ils furent donc parcourir le bois, un peu étonnés, dis-je, des dispositions récentes qu’on prenoit à leur égard, et cependant ne soupçonnant pas le motif qui les faisoit imposer. Ils se rencontrent, ils s’abordent alternativement, se font part de ce changement étrange que leur amour-propre, d’intelligence avec leur cœur, caractérise de caprice, et chacun se félicite en secret et tressaille de voir que ce n’est par aucune raison de prédilection pour l’un d’eux. Un certain dépit qu’ils avoient conçu et qu’ils tenoient concentré s’évapore après ce léger éclaircissement.

Un amant heureux est toujours injuste. Il semble qu’une femme, non contente de lui avoir sacrifié son honneur, doit encore immoler à son imprudence sa réputation entière ; c’est-à-dire lui déférer continuellement les yeux fermés. Mais une femme comme madame Convergeais qui, n’importe par quelle raison, s’étoit promis de mettre plus de régularité dans sa conduite extérieure avoit besoin de se former un plan ; et c’est ce qu’à l’instant même elle étoit occupée à faire avec une ancienne amie de couvent. Laissons pour un instant notre triumvirat amoureux rêver dans le jardin aux moyens de posséder personnellement le domaine commun où les désirs réunis de tous les trois ont exercé jusqu’ici l’empire de la volupté, tandis que nous allons jeter les yeux sur les résultats d’un plan destructeur de tout vrai plaisir, quoique imaginé par deux femmes qui l’ont connu, l’ont idolâtré, et qui s’étudient sans cesse à le fixer autour d’elles.

L’amie de madame Convergeais est remarquable par un embonpoint prodigieux, qui ne laisse pas que d’avoir ses prosélytes en amour. Elle porte sur l’empreinte de ses traits l’une de ces physionomies froides que semble démentir un œil vif et tendre par intervalle ; du moins sa vie printanière a à peu près justifié notre jugement. Elle est aujourd’hui sur le retour de l’âge, et un sentiment coupable, mais trop naturel dans une femme qui a joui, et qui se voit survivre à elle-même, l’a portée à envier, dans sa jeune amie, des plaisirs dont un abandon prématuré la prive impitoyablement.

Elle a d’abord tenté de lui reprocher le scandale de la trop grande publicité de ses aventures galantes avec différentes personnes qu’elle nomme. Madame Convergeais l’écoutoit et n’étoit point émue de ce propos qui n’atteignoit point ses principes, et qui ne pouvoit par conséquent la blesser. Alors cette amie croit entrevoir qu’elle a fait une fausse attaque, et feignant, par une subtile correction de se reprendre, elle lui dit que tous les plaisirs sont le domaine de la société entière ; que chacun peut à son gré en faire la moisson ; que les uns les puisent dans les douces sensations qui émanent de la nature par l’union voluptueuse de deux êtres de différent sexe ; d’autres vont le chercher dans d’autres affections.

— Et ceux-là, reprend-elle, ne m’ont jamais fait envier leurs goûts, et le temps où ils les ont satisfaits.

Je m’arrête au plaisir des cœurs, et je prétends que pour le connaître dans toute son énergie il ne faut point qu’il soit environné des regrets, qui sont quelquefois le résultat d’une vie trop indépendante et trop ordinairement les suites de l’inconséquence de l’objet qui ne peut en être l’instrument qu’en le partageant. Vous croyez recevoir des mains d’un amant la coupe du plaisir, comme les dieux recevoient le nectar des mains de Ganymède, et ce n’est qu’une liqueur emmiellée à la vérité, mais dont le fond n’est que de l’absinthe. Son amertume ne tarde pas à se déceler et à abreuver votre cœur.

Il est des moyens de se livrer au plaisir que la nature nous commande, sans que la flétrissure de l’opinion publique puisse le poursuivre, sans qu’une indiscrétion meurtrière puisse nous assassiner, sous le fer de la médisance.

— Ainsi, répliqua tranquillement madame Convergeais, vous me conseilleriez de renoncer désormais aux meilleurs amis de mon cœur.

— Ah ! interrompit madame de Gersai, dites plutôt vos plus mortels ennemis.

— Eh bien ! je vous l’accorde ; mais s’ils m’ont fait bien des maux, je leur dois bien des plaisirs, et je suis entièrement résolue à n’en plus recevoir d’eux.

— Embrassez-moi, ma chère et digne amie, je vois avec attendrissement que vous appréciez le vrai plaisir, le plaisir pur et que vous saurez le puiser à sa source.

Et elle la baise tendrement au passage de la parole.

— Ne croyez pas, reprend madame Convergeais, après cette affectueuse accolade, m’avoir séduite. Soit devoir ou fantaisie, la résolution que j’ai prise étoit dans mon âme antérieurement à notre entretien et s’y trouve conforme pour l’effet ; mais elle va peut-être en différer pour le fond.

Ces trois mortels dont la société, vous le savez, me fut longtemps chère et qui m’attendent dans les bosquets du jardin, qui peut-être ont préparé, sous l’un des berceaux, le théâtre de leurs plaisirs ; eh bien ! ils vont me voir paroître ; le sentiment trompeur du plaisir va les faire tressaillir ; il va gonfler leurs veines, il va gonfler surtout cette partie si puissante qui, semblable à la verge de Moïse, répand en s’agitant cette manne liquéfiée, cet aliment de nos cœurs qu’elle plonge dans des torrens de délices : et moi je ne veux plus connoître ces plaisirs, cette jouissance si douce ; elle m’est devenue fastidieuse, j’y renonce, et pour toujours.

Je vais les désespérer par cet aveu ; mais ils pourront donner un champ libre à leur flamme abusée, ils pourront espérer de me reconquérir ; ils continueront, s’ils veulent, à me porter leurs vœux, leurs hommages, leur ardeur, auxquels je serai insensible, et satisfaite de ma propre estime, si c’est vraiment un mérite réel qui puisse me servir d’égide, je braverai encore l’opinion qui ne manquera pas de me poursuivre et de calomnier peut-être encore l’innocence de mes actions. C’est là le dernier vœu auquel je m’arrête. Je vais le remplir. Vous, mon amie, restez dans le salon ; je ne tarderai pas à m’y rendre et à vous convaincre de la solidité de mes principes et de la confiance que vous me devez.

Elle s’élance aussitôt vers le jardin, et laisse madame Gersai dans un profond étonnement ; elle traverse le parterre en fredonnant un air tendre, et se rend sous un berceau qui se trouve le plus voisin d’elle. L’un des chevaliers de la dame qui étoit aux aguets et qui l’avoit aperçue, y vole : la voir, la saisir dans ses bras, la presser étroitement contre son sein, l’accabler de baisers furent l’objet d’une seule action.

Aussitôt que son agitation un peu calmée lui eut permis de pouvoir balbutier quelques sons, ce fut pour lui demander le prix d’une ardeur toujours plus renaissante et plus vive, et, en même temps, il se disposoit à réaliser ce que, pour la première fois, on ne voulut pas consentir d’effectuer.

Il la presse, mais elle persiste, et lui dit que telle est la loi qu’elle s’est imposée à elle-même ; elle ne veut plus partager avec les hommes une jouissance qui cependant fut longtemps son unique pensée, le seul mobile de son existence, et le seul plaisir qu’elle voulût connoître.

— Quoi ! répliqua cet amant infortuné, vous croyez me résoudre à la nécessité de penser que je vous ai connue pour ne plus revoir en vous que la plus cruelle des femmes, qui ne pourrait avoir d’autre but que celui de me sacrifier !

Non, je ne vous crois pas, vous ne sauriez être injuste à ce point. Eh ! comment aurois-je démérité ces tendres faveurs qui m’ont tant de fois élevé au-dessus des facultés humaines, lorsque je puisois dans votre sein ce plaisir si pur qui ne peut émaner que de vous seule ou du ciel ? Je ne fais point un pas dans ces bosquets délicieux, sous ces dômes de verdure, sans y rencontrer des monumens ineffaçables de nos épanchemens mutuels. Ici est un arbrisseau jeune encore qui porte l’empreinte de nos feux. Elle survivra à notre souvenir, cette empreinte fidèle de mon bonheur, aux siècles qui la perpétueront. Je vois d’ici ce gazon que le choc des plus tendres ébats, la chaleur des désirs les plus pressans et les plus satisfais n’a pas encore permis de s’élever au niveau de cet autre gazon qui l’avoisine, et qu’a épargné notre tendresse.

En lui peignant ainsi l’expression de ses sentimens, il lui serroit la main et la conduisoit vers cet endroit qui par l’énergie de sa position garantissoit l’authenticité de son ardeur. Qu’il étoit séduisant en ce moment et par conséquent difficile d’échapper à tant de pièges ! Il le faut confesser, c’étoit le plus jeune, le plus beau et sans contredit le plus aimable des trois. Sa main commençoit déjà à s’égarer furieusement, et elle, toujours en état de défense, commençoit à ne plus avoir des forces suffisantes, ni au moral, ni au physique, pour se défendre.

Tout à coup surviennent les autres soupirans, qui s’attendent à être traités au mieux, ainsi qu’ils présument que leur rival vient de l’être. L’un des deux reste seul, comme c’étoit convenu, et l’autre se retire avec celui qui vient d’être remplacé dans le temple du bonheur dont ils se disent les trois principaux desservans. Celui-ci qui n’a pu réussir à y officier, comme on vient de le voir, ne goûte point cette allégorie, et ne répond que par un air morne ; ce qui fait penser à son rival que la jalousie domine dans son âme, et que vraisemblablement il désireroit ne point faire de partage avec ses deux compagnons de tendresse.

Doublement malheureux et par ce soupçon, et par la cruauté de leur commune maîtresse, il déclare ce qui vient de lui arriver ; mais on refuse de le croire. Bientôt après l’incrédule lui-même va subir le même destin. Le second arrive, et se croyant seul dédaigné, n’ose d’abord confier son mauvais succès ; mais enfin enhardi par la tristesse de celui qu’il vient de rejoindre, ce qui semble lui indiquer une pareille aventure, il lui déclare que madame Convergeais catéchisée apparemment par quelques réfractaires, s’est coiffée de leur sotte morale, et que par un égoïsme effroyable, digne des préceptes consignés dans leur doctrine aristocratique, on lui aura interdit de continuer à faire des heureux.

— C’est ce que, du moins, ajoute-t-il, j’ai cru démêler dans la résistance entière que je viens d’essuyer ; car ne m’ayant donné aucune raison de son refus, j’induis de là qu’elle auroit eu honte de m’avouer la véritable cause de celui dont elle s’est rendue coupable, au mépris de nos sermens ; et je juge à votre chagrin que pareille chose vous est arrivée.

— Ah ! reprend celui-ci, je reste moins étonné de son procédé indigne, puisqu’elle vous le fait partager ; mais je ne puis tomber d’accord avec vous qu’un prêtre ou laïc, soit réfractaire, soit constitutionnel, ait pu rien changer à ses principes. Je connois trop la trempe de son caractère ; la volupté en étoit le souverain mobile, elle n’existoit que pour jouir, et elle avoit reconnu que la première des jouissances et la plus parfaite n’avoit sa source que dans le mélange, la réunion intime des deux sexes.

Elle s’étoit choisi trois athlètes pour lutter alternativement, et remporter trois victoires contre une, sur chacun d’eux ; et voilà que, tout à coup, démentant ses principes, son caractère, elle renonce à ce plaisir qui fut sa suprême loi, et qu’elle a reconnu ne pouvoir être mieux senti qu’en le distillant dans trois différens alambics, où elle en puisoit la quintessence, à moins que notre rival commun… Il s’interrompt tout à coup en le voyant venir à eux.

Celui-ci arrive outré.

— Quoi ! dit-il, une femme, qui a réuni toutes mes pensées, qui a dirigé toutes mes actions, qui fit toute mon ambition, que j’aimais sans doute, pourra se jouer aujourd’hui de moi, de vous peut-être, et nous priver d’un plaisir dont la douce faveur n’existe véritablement qu’en elle ! Je vois à vos fronts consternés qu’elle vous a aussi mal reçus que moi. Et je suis d’avis que nous lui en demandions raison tous ensemble. Le procédé ne sera pas généreux, mais il sera juste, et nous ne ferons qu’user du droit de représailles.

Il finissoit de parler lorsque madame Convergeais entre : ils étoient tous les trois résolus de mettre à exécution la proposition peu loyale qu’on vient d’entendre. Elle se présente à eux d’un air fort gracieux, affectant une grande retenue, et leur dit que le nouveau genre de vie qu’elle a embrassé ne lui permet plus de se livrer à des épanchemens voluptueux qu’ils lui ont fait partager tant de fois avec tant de sensibilité, mais qu’elle en conservera un long souvenir. En même temps elle les embrasse, en leur disant qu’elle ne peut rester plus longtemps avec eux, et elle les invite à continuer à la voir.

Cet aveu les rend stupéfaits ; cependant le baiser qu’elle leur a donné est au moment de les enhardir ; néanmoins aucun d’eux n’ose rien entreprendre malgré ce dont ils étoient convenus. Ils alloient demander des explications ; déjà son beau sein étoit en proie à leurs mains furtivement téméraires ; déjà pressée entre les bras de l’un et par les baisers de l’autre, qui, craignant l’ascendant d’un mot rigoureux sorti de sa bouche vermeille, avoit pris la précaution de la lui tenir fermée avec la sienne, tandis que le troisième s’égaroit volontairement où l’on se doute bien ; ils étoient au moment peut-être d’exécuter leur projet incivil et contraire à la déclaration des droits qu’elle peut enfin réclamer, ce qui les arrêta : car fort heureusement elle étoit entre les mains d’amis de la constitution jacobite.

— Quoi ! leur dit-elle, dès qu’elle les eut désarmés, vous, dont les procédés m’ont été si agréables, vous pourriez avoir le dessein de ravir par la force un bien que je vous ai livré de gré à gré, et que tant de fois vous avez mis au rang de vos plus douces jouissances ! Vous ne pouvez vous faire cette injure à vous-mêmes, et ceux que j’admis à mes plaisirs les plus secrets ne peuvent en aucune circonstance perdre la confiance qu’ils m’avoient inspirée.

Ce sont les dernières paroles qu’elle proféra en les quittant brusquement. Ils furent quelque temps immobiles, et finirent par prendre leur parti et par se retirer, se promettant bien en particulier de la revoir et de tâcher de démêler en elle les motifs d’une rigueur si désespérante.

Elle rejoint son amie : celle-ci court au-devant d’elle et ne peut croire qu’elle n’ait succombé.

— À la vérité, peu s’en est fallu, dit-elle, ce n’est pas sans de furieux combats que je leur ai résisté ; mais enfin je suis venue à bout de me tenir parole à moi-même, et je vous prouve qu’une femme n’est pas toujours aussi foible qu’on le pense.

— Je ne sais, répond l’amie, si je dois tout à fait vous en croire, du moins vous ne pouvez refuser à mes yeux la conviction d’un fait que je regardois comme impossible chez vous.

En même temps elle l’étend sur un canapé et la trousse jusqu’au nombril. Surprise de ne trouver autour de la porte des plaisirs secrets aucune trace de l’action conjonctive dont elle ne la croyoit pas capable d’avoir pu se priver, au milieu des différentes attaques qu’elle a essuyées, elle veut lui donner le prix de cette triple victoire qu’elle venoit de remporter, en la manuélisant ; mais elle s’y refuse, en lui disant qu’elle ne borne pas là sa conquête : qu’elle veut aujourd’hui triompher des hommes et des femmes.

Cette amie parut un peu piquée ; mais réflexion faite, prit le parti de dissimuler, et lui dit que c’étoit une nouvelle preuve qui lui confirmoit de plus en plus qu’elle ne lui en imposoit pas. Elle loua ce qu’elle appela son héroïsme, et la laissa bientôt après, toujours un peu choquée de son refus, qu’elle eut bien de la peine à lui pardonner par la suite.

Le premier soin de madame Convergeais, après le congé général qu’elle a signifié à ses trois amans, et surtout après les combats qu’elle vient d’essuyer, a été de se retirer dans son appartement ; et là, après avoir quelque temps rêvé à ce qu’elle alloit faire, son imagination enflammée par les désirs les plus chauds et les plus pressans, lui a suggéré l’idée la plus ingénieuse. Elle passe dans son boudoir, saisit son miroir de toilette, et assise sur un fauteuil d’osier, le coude droit appuyé sur la table où est le miroir qu’elle tient dressé sous ses yeux avec sa main, le pied opposé portant sur un tabouret peu élevé, elle se contemple à loisir.

Ensuite, de sa main gauche se trousse, et relevant sa chemise jusqu’au-dessus du nombril, elle découvre la nacelle de Vénus la plus séduisante, la mieux ornée qui existe dans tous les ports de Cythère ; les rivages en sont délicieux ; mais quels avirons seront assez fortunés pour la diriger, pour la mettre au mouillage ? Ce sont deux doigts de rose qui vont entreprendre cette œuvre. Madame Convergeais, elle-même, va conduire son petit vaisseau vers le bonheur qu’elle cherche ; elle commence à agiter les flots du plaisir bondissant dans ses veines ; ses yeux attachés sur son miroir suivent les progrès du travail ; elle en observe les gradations, elle en calcule les effets, et d’efforts en efforts, d’agitation en agitation, accélérant la vitesse de ses mouvemens, elle parvint à voguer en plein élément.

Elle est au moment de s’égarer ; sa boussole vise au port, sa proue y touche ; ses yeux se troublent, elle arrive au bonheur, et le bonheur lui échappe aussitôt qu’elle y atteint ; mais le souvenir lui en est encore si doux, qu’elle proteste qu’elle ne veut prendre dorénavant que cette route pour lui rendre hommage ; qu’elle n’aura d’autre amant que son doigt, d’autre conseil, d’autre guide que son miroir, d’autre plaisir enfin que celui de décharger sans la participation des hommes.

L’Écho foutromane, 1880, Figure 7
L’Écho foutromane, 1880, Figure 7

Ah ! madame Convergeais ! que je plains votre erreur avec cette bizarrerie de caractère ; ce n’est point la peine d’étaler aux yeux avides de tant de beautés, les tétons charmans qui ornent votre sein d’albâtre, et ces deux belles cuisses si blanches et si fermes, servant comme de colonnes au temple de la volupté, et cette motte frisée dominant au-dessus de cette petite ouverture, le désespoir des vits que vous abandonnez, si pourtant il faut vous en croire, et pour lesquels vous étiez née.

Mes lecteurs me pardonneront d’avoir peut-être exprimé leur opinion, qui est aussi véritablement la mienne.