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L’Église romaine et les Négociations du Concordat (1800-1814)/16

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XVI.

PRÉLIMINAIRES DU CONCILE NATIONAL.


I. Mémoires du cardinal Consalvi. — II. Œuvres complètes du cardinal Pacca. — III. Correspondance du cardinal Caprara. — IV. Correspondance de Napoléon Ier. — V. Dépêches diplomatiques et documens inédits français et étrangers, etc.


I

Peut-être nos lecteurs n’ont-ils pas tout à fait oublié la scène singulière faite par Napoléon à l’abbé d’Astros le 1er janvier 1811 en pleine cour des Tuileries, sa violente sortie contre M. Portalis devant tous les membres de son conseil d’état et les mesures prescrites à M. de Chabrol pour rendre plus étroite et plus dure la captivité de Pie VII[1]. Aucun de ces actes qui causèrent une si vive émotion n’avait été arraché à l’empereur par un mouvement de colère irréfléchie. Il les avait tous calculés pour produire autour de lui un effet d’épouvante qu’il jugeait alors nécessaire au succès de ses nouvelles préoccupations politiques.

Depuis la paix signée à Vienne et qui avait si glorieusement mis fin à la campagne un instant compromise de 1809, depuis surtout l’étonnant mariage contracté avec une archiduchesse autrichienne, la pensée de Napoléon n’était plus exclusivement tendue vers la guerre. Celle qu’il soutenait de loin par l’intermédiaire de ses lieutenans contre les patriotes espagnols n’obtenait de sa part qu’une attention assez distraite. Quant à la lutte engagée de longue date avec l’Angleterre, la force même des choses lui avait imprimé un caractère beaucoup plus maritime et commercial que militaire. Pour le moment, elle n’inspirait à l’empereur aucune sérieuse inquiétude, et le public français en avait lui-même pris son parti comme d’un état de choses désormais habituel. Des redoutables difficultés avec la Russie que la perspicacité de Cambacérès avait entrevues dans un trop prochain avenir, il n’en était encore nullement question. Repliée sur elle-même, la dévorante activité du fondateur de la dynastie impériale s’était donc presque entièrement tournée vers les affaires intérieures de son immense empire. Maintenant qu’il avait réussi à imposer ses volontés à tous les souverains du continent et qu’il régnait seul, pour ainsi dire, des bords de la Neva jusqu’au détroit de Gibraltar, il était plus que jamais décidé à ne souffrir chez lui aucune résistance.

Jusqu’alors, il est vrai, il n’en avait guère rencontré. Le sénat, composé de ses plus dévouées créatures, n’avait pas un instant songé à lui causer le plus petit embarras. Il avait eu facilement raison des velléités d’indépendance qui s’étaient d’abord produites parmi les membres de son corps législatif. Dans tout ce qui touchait aux matières politiques, nul obstacle n’était à redouter pour lui. Son ombrageuse défiance n’en prévoyait aucun ; mais dans les affaires religieuses il en pouvait être autrement, et sa merveilleuse sagacité de despote lui faisait d’avance pressentir que les nouveautés considérables qu’il se proposait d’introduire au sein de l’église catholique risquaient, en froissant la conscience de beaucoup de ses sujets, d’être plus difficilement acceptées que les changemens extraordinaires qu’il venait d’imposer l’épée à la main aux vieilles monarchies de l’Europe. Pousser à toute extrémité et jusqu’à complet développement ses conceptions politiques, telle était la pente fatale de cet aventureux génie. Il avait présentement résolu de réduire le pape à un véritable servage, de le contraindre à se fixer en France, à Paris même, s’il se pouvait, et d’en faire, comme l’annonçait clairement le sénatus-consulte du 17 novembre 1810, un simple fonctionnaire du grand empire avec un traitement de 2 millions de francs par an. Cependant, s’il était assez enivré d’orgueil pour caresser une aussi extravagante pensée, Napoléon n’avait pas l’esprit assez chimérique pour s’imaginer qu’elle pût être facilement mise à exécution. C’était pour intimider les opposans, pour se débarrasser à l’avance des objections trop fondées auxquelles il s’attendait de la part de ses plus fidèles et plus sensés partisans, qu’il avait si cruellement traité le conseiller d’état Portalis. C’était surtout afin de réduire le clergé au silence en lui donnant bien à comprendre que toute résistance lui serait imputée à crime, qu’il avait hautement parlé de faire fusiller le malheureux abbé d’Astros, grand-vicaire de Notre-Dame.

S’entretenant plus tard à Sainte-Hélène avec ses compagnons de captivité, il a pu convenir à Napoléon de représenter les scènes que nous avons racontées comme autant de mouvemens de vivacité qui lui étaient involontairement échappés, et qu’il avait été dans le moment même le premier à regretter. Rien de moins fondé; son désappointement eût au contraire été fort grand, si le public du temps les avait ainsi interprétées. Loin de chercher à en atténuer l’effet, il fit alors tout ce qui dépendait de lui pour en prolonger autant que possible le terrible retentissement. Les preuves abondent à cet égard. Courageux jusqu’au bout, M. Pasquier n’avait pas craint, au sortir de la séance où M. Portalis avait été chassé du conseil d’état, de prendre la plume pour défendre par écrit, comme déjà il l’avait fait de vive voix, la cause de son ami, s’accusant derechef de n’avoir pas su tirer plus de parti de la confidence qu’il en avait reçue. M. Portalis, un peu remis de son premier trouble, avait tâché de son côté de se disculper lui-même, et le duc de Bassano s’était généreusement chargé de remettre de sa propre main à l’empereur la défense de son serviteur disgracié. Napoléon, irrité, ne daigna pas ouvrir la lettre de son préfet de police ni celle du fils de son ancien ministre des cultes. Elles étaient toutes deux encore cachetées sur son bureau lorsqu’il donna tranquillement au duc de Rovigo l’ordre de faire partir M. Portalis dans la nuit même pour le lieu de son exil. Le lendemain, quand il rencontra M. Pasquier à son lever, il ne trouva que des reproches à lui adresser au sujet d’une démarche qui avait rencontré l’approbation des personnes les plus attachées elles-mêmes au régime impérial. « J’ai peur, monsieur le préfet de police, lui dit l’empereur, que vous n’ayez pas une assez juste idée des devoirs d’un conseiller d’état. » Quarante-huit heures après, il prenait la peine d’écrire au vice-roi d’Italie uniquement pour lui faire part de ce qui venait de se passer. « J’ai, disait-il, chassé M. Portalis de mon conseil; je lui ai ôté toutes ses places, et l’ai exilé à quarante lieues de Paris. Je vous mande ceci afin que l’on soit bien convaincu de mon intention prononcée de faire cesser cette lutte scandaleuse de la prêtraille contre mon autorité[2]. » Afin de produire une impression d’effroi plus directe encore sur ce qu’il appelait la prêtraille, Napoléon, qui avait déjà fait conduire à Vincennes les cardinaux di Pietro, Oppizzoni et Gabrielli, fit en même temps mettre la main sur le prélat Gregori et le père Fontana, général des barnabites. M. de la Calprade et l’abbé Guairard, qui avaient reçu les compromettantes confidences du chanoine d’Astros, partagèrent sa détention. Un grand-vicaire de Metz et plusieurs ecclésiastiques de Marseille furent aussi arrêtés par la seule raison qu’on les accusait de porter trop d’intérêt aux cardinaux romains récemment enfermés à Vincennes. C’était là un crime irrémissible, et les femmes qui s’en rendirent coupables ne furent pas davantage épargnées. Au grand effroi de la société parisienne, qui les connaissait toutes deux pour leur mérite et leur piété, Mmes de Quinsonnas et de Soyecourt, violemment arrachées de chez elles, se virent à la même époque menacées d’être jetées pour le reste de leurs jours dans une prison d’état. On les considérait déjà comme perdues, car sous le premier empire il était rare de sortir d’un lieu si redouté. Le crédit de quelques amis, aidé de l’obligeance de M. Pasquier, les sauva. Il ne leur épargna pas toutefois l’ennui d’aller apprendre par une détention de quelque temps à l’hôtel de la préfecture de police de Paris combien il était dangereux aux personnes les plus inoffensives de donner prise, pour quelque motif que ce fût, aux soupçons du maître de la France.

Est-il besoin d’ajouter que de pareilles sévérités déployées coup sur coup au sein même de la capitale y avaient répandu la consternation. Une sorte de terreur planait sur le clergé de Paris. Les chanoines du chapitre métropolitain de Notre-Dame étaient particulièrement éperdus. Non-seulement le châtiment qui avait frappé l’abbé d’Astros les désolait, mais ils n’étaient pas sans inquiétude sur leur propre sort, car ils avaient jusque-là marché toujours d’accord avec leur infortuné collègue. Témoin de leur indicible épouvante, le cardinal Maury eut l’art de leur persuader qu’il dépendait d’eux de préserver les jours compromis de l’abbé d’Astros et de rendre la sécurité au diocèse si profondément troublé de Paris. « Il suffirait, leur dit-il, de révoquer sans délai les pouvoirs de vicaire capitulaire donnés précédemment à leur collègue, de voter une adresse qui protestât en termes formels de la fidélité du clergé de la capitale à l’égard de son glorieux souverain, et qui témoignât hautement de la résolution où ils étaient tous d’observer scrupuleusement les lois de l’empire. » Ces sentimens animaient très sincèrement tous les membres du chapitre entier ; ils n’élevèrent donc aucune difficulté, ils firent mieux encore. Afin que leur adresse, conçue d’un bout à l’autre dans le sens que l’empereur pouvait désaxer, eut plus de chance d’en être favorablement accueillie, ils chargèrent Maury de la rédiger. Celui-ci, qui s’y attendait, l’avait préparée d’avance et même concertée avec Napoléon. Les termes en avaient été soigneusement calculés de façon à compromettre autant que possible le chapitre de Paris dans la querelle maintenant pendante entre l’empereur et le pape au sujet de l’institution des évêques. Le nouvel archevêque de Paris, si fort intéressé dans cette affaire, plaidant, à vrai dire, pour sa propre cause, y avait introduit nombre de thèses historiques et dogmatiques qu’avec son assurance accoutumée il n’avait pas hésité à placer sous l’autorité du grand nom de Bossuet, mais sur lesquelles les canonistes les plus célèbres et les plus attachés aux opinions gallicanes sont depuis, comme alors, difficilement tombés d’accord[3]. C’est ainsi qu’il avait prétendu établir : 1o « que l’usage constant de toutes les églises de France était et avait toujours été depuis plusieurs siècles que les chapitres déférassent aux évêques nommés par le souverain tous les pouvoirs capitulaires, c’est-à-dire toute la juridiction épiscopale ; 2o qu’en conséquence de ce droit ecclésiastique ce fut par le sage conseil de Bossuet à Louis XIV que tous les archevêques et évêques nommés depuis l’année 1682 jusqu’à l’année 1693 allèrent gouverner paisiblement, en vertu des pouvoirs qui leur furent donnés par les chapitres, les églises métropolitaines ou les cathédrales dont ils étaient appelés à remplir les sièges vacans, sans qu’on leur eût opposé alors ni le moindre empêchement ni la moindre réclamation. »

Un autre passage du projet d’adresse rédigé par Maury contenait une négation, voilée, il est vrai, mais positive, des droits reconnus de tout temps au saint-père. « D’après les principes du clergé de France, disait le projet d’adresse, n’y ayant dans l’église aucune puissance indépendante des canons, il n’en existe par conséquent aucune qui, par des voies contraires aux dispositions canoniques, ait le droit de mettre obstacle à cette prérogative ou plutôt à ce devoir du chapitre. »

Quand ces assertions furent produites devaftt le chapitre de Notre-Dame, elles étonnèrent un peu tous ses membres, qui toutefois restèrent complètement silencieux. Devant le cardinal-archevêque nommé de Paris, qui sortait de conférer avec l’empereur et qui s’en vantait très haut, aucun d’eux n’osait ouvrir la bouche. Seul l’abbé Émery eut la témérité de contredire énergiquement Maury ou plutôt le maître caché, mais trop visible, au nom de qui Maury venait de parler. Parmi les ecclésiastiques de France, aucun ne professait plus que l’ancien directeur de la confrérie des sulpiciens, récemment supprimée par l’empereur, le culte admiratif de Bossuet, et nul ne possédait, avec la véritable tradition des anciennes doctrines gallicanes, une science aussi approfondie du détail des affaires religieuses pendant le siècle de Louis XIV. C’est pourquoi, appelé ainsi sur son terrain, l’abbé Émery s’appliqua tout d’abord à soutenir avec beaucoup de chaleur qu’il n’y avait pas trace dans l’histoire du prétendu conseil donné par Bossuet à Louis XIV. Mis en demeure de fournir la preuve du fait qu’il avait allégué, le cardinal ne trouva rien à répondre, sinon que Bossuet, consulté d’ordinaire par le roi sur toutes les affaires ecclésiastiques de son temps, avait dû l’être aussi sur celle-là[4]. Semblable argument laissait beaucoup à désirer. Il satisfit si peu l’abbé Émery, qu’il ne voulut jamais signer l’adresse en discussion, quoique sur ses observations et sur celles de quelques autres membres du chapitre le projet primitif eût dû subir quelques légers changemens. L’idée d’attacher son nom à cette manifestation, à tout le moins intempestive, contre l’autorité spirituelle du prisonnier de Savone était trop insupportable au généreux abbé. Pour se délivrer des importunités du cardinal Maury, il préféra quitter un peu brusquement la salle du chapitre.

L’adresse, délibérée le 3 janvier 1811 par le chapitre métropolitain de Paris, fut remise le 6 à Napoléon. L’empereur avait choisi ce jour parce que c’était un dimanche, et qu’il y avait après la messe réception officielle aux Tuileries[5]. Il convenait à la politique de Napoléon de rendre aussi solennelle que possible la démarche faite auprès de lui par le chapitre de Paris et de donner un très grand retentissement à sa réponse. Le chanoine Jalabert était chargé de porter la parole au nom de ses collègues, qui n’avaient été comme lui prévenus que le matin même de l’audience. Soit calcul de la part du cardinal Maury, soit pure inadvertance, soit par suite de l’ahurissement où était chacun, il se trouva que la copie de l’adresse fut remise à l’orateur du chapitre aux Tuileries mêmes, quand déjà il était en présence de l’empereur, du grand aumônier et du ministre des cultes. Quelle ne fut pas la surprise de l’abbé Jalabert lorsque, se mettant à lire à haute voix la pièce qu’il avait entre les mains, il s’aperçut qu’on y avait modifié pour les affaiblir les témoignages d’affectueuse estime que le chapitre avait tenu à y insérer en faveur du pauvre abbé d’Astros, tandis qu’on avait au contraire rétabli le texte primitif de tous les passages changés sur les observations de l’abbé Émery. Intimidé par l’appareil si nouveau pour lui de la cour impériale, M. Jalabert ne fut pas assez maître de lui pour rétablir le texte effectivement voté par le chapitre, et l’adresse fut lue sous l’œil attentif de l’empereur telle que le cardinal Maury l’avait d’abord rédigée, et telle qu’on la trouve exactement reproduite dans le Moniteur[6] du 7 janvier 1811.

S’il ne nous appartient en aucune façon de prononcer sur l’orthodoxie des doctrines émises par le chapitre métropolitain de Paris, si nous ne sommes pas davantage en mesure d’indiquer la teneur précise des altérations imposées à l’œuvre des chanoines de Notre-Dame, nous pouvons en revanche donner pour la première fois au public le résumé authentique de la réponse du chef de l’état. Cette réponse avait été longuement méditée. Napoléon savait très bien que ses sujets catholiques, malgré toutes les précautions qu’il avait prises, ne laissaient pas de se préoccuper beaucoup plus qu’il n’aurait souhaité de ses démêlés avec le saint-père. Il devinait aussi parfaitement, quoiqu’il affichât à cet égard la plus superbe assurance, que les hommes modérés, les politiques, les indifférens et jusqu’aux adversaires habituels du saint-siège n’avaient pas vu d’un bon œil l’enlèvement violent du pape de Rome et sa rigoureuse détention à Savone. Il jugea donc le moment opportun, tandis que Pie VII était plus sévèrement séquestré que jamais et privé de toute espèce de communication avec les fidèles de sa communion, pour dresser contre lui un véritable acte d’accusation, pour tracer de ses relations antérieures avec la cour de Rome un historique que le prisonnier de Savone serait dans les circonstances présentes hors d’état de démentir, et qu’après les récentes sévérités dont Paris frémissait encore aucun de ses partisans les plus zélés n’oserait seulement contester. L’occasion était à ses yeux d’autant meilleure qu’en prenant soin de ne paraître que paraphraser l’adresse remise par le chapitre métropolitain de Paris, il allait trouver moyen de placer ainsi ses appréciations personnelles sous l’égide des ecclésiastiques recommandables qui en faisaient partie.


« Messieurs, leur dit l’empereur, je suis satisfait de l’exposition des principes du chapitre de Paris. Il est dans les miens de maintenir les droits de ma couronne. Je veux que la dignité de mon trône et l’indépendance de la nation ne puissent être compromises dans mes relations avec le pape. Après la cérémonie du sacre, Pie VII s’en est allé avec un vif ressentiment contre moi; j’en connais les motifs. Le premier était relatif aux propositions du clergé en 1682. Le pape, se trouvant seul avec moi, me montra une lettre de Louis XIV qui promettait de ne point ordonner l’exécution de sa déclaration sur les quatre articles. Le pape voulait que je lui en donnasse une semblable, promettant qu’elle resterait secrète... Je consultai le cardinal Fesch et d’autres prélats, qui me découvrirent l’espèce de piège qui m’était tendu... La seconde cause du ressentiment du pape vient de ce qu’il n’a pu obtenir la concession d: la Romagne... Depuis ce temps, le pape n’a pas cessé d’être dans un tel état d’irritation qu’il a tout fait en sens contraire de ce qu’auraient exigé ses intérêts temporels et ceux de la religion[7]. »


L’empereur se mit alors, avec sa verve accoutumée, à expliquer devant l’assistance émerveillée et devant les chanoines ébahis d’être ainsi mis au fait de ses grands desseins politiques comment l’unité de l’Italie, puissamment concentrée dans sa main, était nécessaire au succès de la lutte qu’il avait entreprise contre l’hérétique Angleterre. Il lui fallait pour vaincre cette nation, tout entière adonnée au commerce maritime, être le maître absolu de l’Adriatique et pouvoir lui fermer tous les ports de la péninsule italique.


« Mais d’aussi grandes considérations, poursuivit l’empereur, n’ont eu aucune influence sur l’esprit du pape. Il s’est borné à répondre qu’il n’avait aucun motif de se déclarer contre les Anglais, qu’il était le père commun des fidèles, qu’il ne devait pas se priver de ses moyens de correspondance avec les chrétiens des pays d’outre-mer. Je ne pouvais pourtant pas le laisser à la merci des Anglais... Une longue négociation a eu lieu;... mais le pape a mieux aimé voir anéantir sa souveraineté temporelle. C’est encore avec le même esprit qu’il s’est conduit dans les affaires spirituelles. Des évêchés sont devenus vacans; j’ai usé dans la forme ordinaire de mon droit de nomination... Il refuse obstinément de donner l’institution canonique. En Allemagne, la religion est perdue par sa faute... Il ne s’est pas borné à des injures, il m’a excommunié, moi, mes ministres, toutes les personnes employées dans mon gouvernement. Ce sont toutes ces entreprises de la cour de Rome, ce sont les troubles qu’elle parvenait à susciter en France, qui sont cause que depuis le règne de Louis XIV on a toléré le cours des ouvrages qui, en affaiblissant l’empire de la religion, tendaient encore plus à détruire toute prépondérance du pape. Ce ne fut d’abord que quelques pièces de théâtre, telles que le Tartufe, etc., et ensuite des productions de tout genre qui ont fait le plus grand mal... »


Après avoir révélé à ses auditeurs comment Louis XIV avait jadis commandé le Tartufe à Molière ainsi qu’il venait de son côté de commander à M. Daunou son livre sur l’ambition des pontifes romains, afin de se préserver lui-même contre les usurpations menaçantes de Pie VII, après leur avoir si ingénieusement expliqué qu’en bonne logique c’étaient les anciens papes qu’il fallait rendre responsables de la publication de tant d’ouvrages anti-religieux parus dans les années antérieures à la révolution de 89, Napoléon se mit à entamer une longue thèse de sa façon sur l’institution canonique des évêques. Il parla ensuite avec une violente colère des lettres de Pie VII, qui circulaient dans tout l’empire.


« Ces lettres coupables avaient été transmises de Savone à Lyon par un valet de chambre de Pie VII, et c’était une femme qui, de Lyon, les avait ensuite portées jusqu’à Paris. L’abbé d’Astros, le prélat Gregori et le P. Fontana avaient trempé dans ces intrigues; c’est pourquoi il avait sévi contre eux... Cependant un tel état des choses ne saurait durer. Le pape me prend-il donc pour un des rois fainéans ou imbéciles que subjugua Grégoire VII? Je veux savoir où j’en suis, où l’on prétend me mener, et à quel point au juste on veut s’arrêter. Si le pape fait la promesse solennelle de ne rien faire contre les quatre articles de 1682, qu’il retourne à Rome, qu’il vienne à Paris, qu’il choisisse un autre point de l’empire; cette liberté lui est donnée par le sénatus-consulte. Si saint Pierre revenait au monde, ce ne serait pas à Rome qu’il irait. Il a quitté Antioche, il a préféré Rome à Jérusalem parce que Rome était la première des capitales et le séjour des empereurs, comme l’est aujourd’hui Paris. Qu’il fasse d’ailleurs ce qu’il voudra avec les puissances étrangères, je ne m’en mêle pas. Il trouvera en Autriche les mêmes principes de liberté ou même de plus étendus; mais chaque puissance fait ce qui paraît mieux lui convenir... Ainsi, à l’égard des institutions canoniques, puisque le pape s’est obstiné à ne pas exécuter le concordat, je peux et je dois dans les circonstances actuelles y renoncer. Voilà, messieurs du chapitre, quels sont mes principes; faites-les connaître à vos curés. Ils sont tous à l’avantage de la religion, et je ne m’en écarterai jamais. »


En recevant cette réponse à leurs protestations de dévoûment, ces messieurs du chapitre durent comprendre un peu tardivement à quelle démarche inconsidérée ils s’étaient laissé entraîner, et quel parti l’empereur se proposait d’en tirer. L’adresse inspirée par le cardinal Maury n’avait pas en effet d’autre but que d’engager les personnages les plus considérables du clergé de Paris dans la querelle du chef de l’empire avec le chef de la religion catholique, et de donner à entendre au pape que tous les ecclésiastiques de l’empire français professaient les mêmes maximes. Afin d’en convaincre plus sûrement Pie VII, l’empereur, parfaitement satisfait des paroles que Maury avait su mettre dans la bouche des chanoines de sa cathédrale, n’eut rien de si pressé que de faire surgir de partout les plus chaleureuses adhésions aux doctrines émises par le chapitre métropolitain de Notre-Dame. Rien ne fut, à ce qu’il paraît, plus facile, et, le signal une fois donné, les adresses abondèrent à Paris. L’empereur trouva sans doute une satisfaction particulière et comme un régal de prince à mettre de préférence en évidence les manifestations gallicanes arrachées aux chapitres d’Italie, car tandis que les adresses françaises, froidement sollicitées, demeuraient obscurément ensevelies dans les cartons du ministère des cultes, toutes celles qui arrivaient de l’autre côté des Alpes recevaient au contraire la plus grande publicité. Les colonnes du Moniteur en furent littéralement encombrées presque chaque jour pendant des mois entiers. Au grand étonnement des-lecteurs parisiens, ces documens ecclésiastiques usurpaient tout à coup la place de faveur autrefois réservée aux bulletins de la grande armée. En réalité, ce n’était pas aux oisifs de la capitale qu’ils étaient destinés. L’empereur se souciait beaucoup moins de l’effet qu’ils produiraient à Paris que de celui qu’ils feraient à Savone. Pie VII, privé, on s’en souvient, de la société de ses plus intimes serviteurs, s’était vu retirer depuis peu tous ses livres. On lui avait enlevé papiers et plumes, et sans doute aussi, puisqu’elle lui était maintenant si complètement inutile, cette belle écritoire en or ciselé que le comte Salmatoris avait aux premiers jours de sa captivité fait avec tant d’apparat transporter dans son cabinet. La lecture du Moniteur, la promenade dans le petit jardin de l’évêché, étaient maintenant les seules distractions permises à Pie VII. M. de Chabrol avait grand soin que le Moniteur ne lui manquât jamais, et quand les numéros de la feuille officielle de l’empire contenaient quelques nouvelles propres à agir sur l’esprit de son prisonnier, il s’arrangeait de façon qu’ils fussent plus particulièrement mis sous ses yeux. S’il prêta une suffisante attention aux adresses insérées dans le Moniteur de janvier, février et mars 1811, Pie VII put reconnaître qu’à l’exception de cinq chapitres qui gardèrent un silence significatif, tous les chanoines des évêchés maintenus en Italie s’étaient empressés de se conformer au mot d’ordre envoyé de Paris. En parcourant le libellé de ces innombrables manifestations, il ne tint non plus qu’à lui de constater à quel point elles étaient semblables les unes aux autres et toutes calquées sur le même modèle. C’est qu’en effet un certain abbé Forloni, théologien du prince Eugène, tenait bureau ouvert d’adresses à Milan, et en fournissait tous ceux qui lui en demandaient. Parfois aussi les préfets nommés par Napoléon ne dédaignaient pas d’y mettre eux-mêmes la main afin d’être plus assurés qu’elles fussent tout à fait conformes à ce qu’on attendait d’eux à Paris. Parmi ces pièces d’origine italienne les plus propres à lui causer une douloureuse surprise, comment. Pie VII n’aurait-il pas remarqué avec une tristesse amère les adresses votées par les chanoines de son ancien diocèse d’Imola et par ceux de Savone, sa résidence actuelle[8]? Pour nous qui avons sous les yeux les lettres quotidiennes de M. de Chabrol, nous sommes porté à croire que cet actif fonctionnaire aura voulu, pour tirer d’embarras le chapitre de son département, prendre lui-même la plume en cette délicate circonstance, tant on retrouve dans le factum soi-disant ecclésiastique du chapitre de Savone les expressions habituellement employées par le préfet de Montenotte, et que lui-même, pour plus de sûreté, avait le plus souvent le soin d’emprunter aux dépêches de son impérial correspondant. Quoi qu’il en soit, la teneur de ce document, empreint du plus fanatique enthousiasme, fut si agréable à l’empereur que cinq jours après qu’il eut paru au Moniteur Napoléon ordonnait à son ministre des cultes de compter à l’évêque de Savone une gratification assez ronde[9].

Hors quelques faveurs insignifiantes ainsi dédaigneusement accordées soit pour leurs églises, soit pour eux-mêmes, les actes de singulière docilité que nous venons de raconter ne rapportèrent pas grand profit aux ecclésiastiques qui les commirent. Il est au contraire évident pour quiconque a étudié d’un peu près les actes et les paroles de l’empereur à cette époque de sa vie que l’obséquieuse démarche du chapitre de Notre-Dame et les nombreuses adhésions si facilement accordées aux complaisantes doctrines du cardinal-archevêque de Paris ne contribuèrent pas seulement à diminuer beaucoup la considération déjà quelque peu entamée que Napoléon avait jadis professée pour le clergé catholique; elles le poussèrent encore à demander davantage. A partir de ce moment, on le vit en effet proclamer en toute occasion et plus haut que jamais cette maxime d’état, qu’évêques, chanoines et curés lui devaient tous une obéissance égale à celle des autres fonctionnaires de son empire. Et, de bonne foi, quoi d’étonnant? Quand au sein d’une église, dont l’autorité doit être toute morale, les grands caractères ont graduellement disparu, quand le soin de sa dignité préoccupe si peu chacun de ses membres qu’au lieu d’en ressentir la perte comme une honte irréparable les plus considérables ne regardent pas à s’en prévaloir comme d’un mérite, il est rare que celui qui a exigé ces désastreux sacrifices en demeure longtemps reconnaissant. En exaltant son orgueil, ils en ont fait pour leur malheur et pour le sien un despote dont un jour ou l’autre ils se sentiront eux-mêmes incapables de satisfaire les croissantes exigences.

Tel était déjà, au commencement de 1811, l’étrange état d’esprit où était tombé l’ancien auteur du concordat qu’un instant il ne songea à rien moins qu’à régler par voie législative, avec le seul concours de son sénat et de ses députés, la question de l’institution canonique des évêques. Le jour même où il avait reçu aux Tuileries la députation des chanoines de Paris, frappé sans doute de l’humilité de leur attitude, qui ne faisait prévoir aucun obstacle, comptant pour l’aider dans cette œuvre sur le cordial appui de plusieurs membres de son conseil qu’il savait être mal disposés pour le saint-siège. Napoléon donna l’ordre à son ministre des cultes de réunir dans une même commission l’archi-chancelier Cambacérès, le ministre d’état Regnauld de Saint-Jean-d’Angely et les conseillers d’état Boulay de la Meurthe et Merlin[10]. Quelles que fussent en ces matières leurs tendances personnelles, il se trouva que ces serviteurs zélés de l’empereur, d’un mérite si éminent, quoique si inférieurs à leur maître, se montrèrent en cette circonstance beaucoup plus sages politiques que lui. Ils réussirent à lui faire peu à peu reconnaître qu’aux yeux du clergé français et de tous ses sujets attachés à la foi catholique un projet de loi délibéré par les membres laïques du sénat et du corps législatif n’aurait pas une suffisante autorité, et qu’il risquerait, malgré la sévérité des sanctions pénales dont il serait entouré, de ne rencontrer jamais qu’une très incomplète obéissance. Déjà quarante-huit heures auparavant M. Bigot de Préameneu avait eu le courage fort méritoire de soumettre quelques représentations à l’empereur sur les inconvéniens qu’il y aurait à interdire solennellement, comme dans un premier mouvement de colère il l’avait voulu faire, toute demande quelconque adressée au saint-père. « Je ne pense pas, avait dit M. Bigot dans son rapport, qu’il soit nécessaire de notifier cette volonté tant aux évêques qu’au peuple par des formes législatives. Ce qui n’est qu’une suspension provisoire prendrait aux yeux des malveillans la couleur d’un schisme[11]. »

De même qu’il s’était rendu aux remontrances de son ministre des cultes, de même l’empereur accepta sans trop d’impatience l’ouverture faite par les meilleures têtes de son conseil d’état et particulièrement par l’archi-chancelier. D’après l’avis plusieurs fois répété du prudent Cambacérès, il finit par se décider à consulter de nouveau le comité ecclésiastique qu’il avait appelé l’année précédente à délibérer sur les affaires de l’église de France. L’archi-chancelier n’était pas seul d’ailleurs à s’effrayer alors de la propension chaque jour plus marquée du chef de l’empire à se mêler des affaires de la religion et à s’immiscer violemment dans les questions de foi et de conscience. Bizarre interversion des rôles! tandis que des prélats désertaient par faiblesse la cause de leur église, d’anciens révolutionnaires, la plupart adversaires avérés des croyances catholiques ou pour le moins parfaitement indifférens, prenaient sous main sa défense par simple bon sens et par pure modération de caractère. « Ne vous compromettez pas inutilement, disait tout bas M. Regnauld de Saint-Jean-d’Angely de la part de ses collègues aux évêques de Tours et de Nantes; l’empereur ne vous écouterait pas. Laissez-nous faire; nous élèverons des objections à la commission du conseil d’état, nous ferons naître des obstacles, nous opposerons des lenteurs, et le projet tombera de lui-même à l’eau. » Il en fut effectivement ainsi. Napoléon, qui ne se défiait point en matière religieuse des opinions de Cambacérès, de MM. Regnauld de Saint-Jean-d’Angely, Boulay et Merlin, découvrit, en les discutant avec eux, les inextricables difficultés de la mise à exécution de la loi qu’il avait d’abord songé à faire porter au corps législatif. S’il y renonça, si le schisme dont fut un instant menacée la France fut évité, voilà pourtant, en toute vérité, à quels docteurs l’église en fut principalement redevable.

Au reste l’hésitation, hâtons-nous de le dire, ne régnait pas alors seulement dans le sein des conseils du gouvernement. À cette époque de sa vie, l’empereur lui-même était tour à tour en proie sur ce sujet aux sentimens les plus opposés; sa conduite et son langage changeaient continuellement et présentaient du jour au lendemain les plus étranges contrastes. Certes l’impression qui semblerait à première vue résulter le plus clairement des scènes que nous avons mises sous les yeux de nos lecteurs, des paroles arrogantes dictées à M. de Chabrol pour qu’il les fit entendre au saint-père à Savone, de l’orgueilleuse allocution directement adressée au chapitre de Paris, c’est que non-seulement l’empereur était plein de confiance dans la rectitude de sa conduite à l’égard du chef de l’église catholique et dans l’excellence de sa thèse au sujet de l’institution canonique des évêques, mais aussi qu’il se tenait pour certain d’avoir de son côté dans cette querelle l’opinion des hommes éclairés, la sympathie des honnêtes gens et le sentiment des masses. Au fond, il s’en fallait de beaucoup qu’il en fût ainsi. Tant d’assurance servait uniquement à recouvrir de sérieuses inquiétudes; Napoléon, attentif à faire naître chez les autres de trompeuses illusions, se rendait bien compte pour lui-même de l’état véritable des esprits, et démêlait parfaitement qu’entre le pape et lui l’opinion publique, bien que si mal informée et si sévèrement contenue, était plutôt favorable à son adversaire. Le bref récemment adressé de Savone par Pie VII au cardinal Maury avait excité chez lui le même mélange de colère réelle et de dédain affecté qu’avait naguère produit la bulle d’excommunication. Dans les deux occasions, son attitude fut semblable. Devant les familiers dont il était sûr, il parlait de l’acte d’omnipotence religieuse que le pape venait de se permettre comme d’une très dangereuse mesure ourdie par le saint-père avec la plus perfide noirceur. En présence des membres du clergé, il avait soin de n’y faire que des allusions vagues et détournées, comme à une vaine manifestation à laquelle il n’attachait aucune importance. Dans ses actes publics et dans ses harangues officielles, jamais il n’en fut seulement question. L’inconsistance de cette conduite démontre à quel point, malgré son mépris affiché pour la juridiction spirituelle du souverain pontife, l’empereur aurait souhaité que le public de France et surtout le clergé de Paris ignorassent absolument que le choix du cardinal Maury avait été canoniquement blâmé et annulé par le chef de l’église catholique. Avec quelle instructive évidence ne voit-on pas s’étaler ici les flagrantes et misérables contradictions auxquelles sont parfois réduits les gouvernemens absolus, même les plus forts ! La réception du bref du pape par l’abbé d’Astros avait déterminé l’arrestation en pleine cour des Tuileries du vicaire apostolique de Notre-Dame. Tout le monde savait que trois cardinaux et plusieurs prélats italiens avaient été envoyés au donjon de Vincennes, parce qu’ils étaient accusés d’avoir pris part à cet envoi. Il n’y avait si petit fonctionnaire de l’empire qui n’eût appris que M. Portalis avait été honteusement chassé du conseil d’état pour avoir eu seulement connaissance du bref, ni si humble curé de village qui en fût à ignorer que l’adresse du chapitre capitulaire de Paris et les adresses italiennes insérées au Moniteur n’avaient été si ardemment sollicitées qu’afin de protester contre la teneur dudit bref. Tout cela s’était passé au vu et au su de la France entière, du monde catholique et comme à la face du ciel. N’importe, le bref de Pie VII ayant déplu à l’empereur, personne dans son empire ne devait être censé savoir qu’il eût seulement existé. Afin que nul n’en parlât, il ne s’agissait, lui semblait-il, que de n’en point parler lui-même. Dans le cours de son allocution aux chanoines de Paris, Napoléon, quoiqu’il y eût continuellement pensé, s’était bien gardé d’en souffler mot. Même omission avait eu lieu au sujet des affaires de l’église quand Napoléon avait ouvert en décembre 1809 la session du corps législatif. Avec les représentans de la nation, sa réserve est plus grande encore, car il oublie entièrement, en rendant compte des faits survenus depuis leur dernière réunion, de mentionner l’enlèvement du pape à Rome et sa détention à Savone. Ce sont là des détails qui ne les regardent à aucun degré. En 1810, le corps législatif n’est pas convoqué. On n’a donc à lui parler de rien. Étrange aberration de ce grand génie dévoyé ! comment l’empereur pouvait-il se figurer qu’en s’interdisant à lui-même de relater publiquement des événemens qui lui étaient désagréables, il imposerait par cela seul silence à tout le monde? Et quel moment choisissait alors Napoléon? Juste celui où il venait de confier à une réunion d’ecclésiastiques renommés par leur science le soin de résoudre les mêmes questions qui étaient alors secrètement, mais passionnément débattues dans tous les salons et dans toutes les sacristies de son empire.

Cependant ce silence, ridicule à commander parce qu’il était impossible à obtenir, ne suffisait plus à l’empereur. Il lui fallait, avant tout, donner le change à l’opinion. L’un des moyens employés fut d’insérer tout au long au Moniteur la délibération du conseil d’état qui déclarait nul et non avenu pour cause d’abus le bref du pape relatif à la nomination de M. d’Osmond à Florence. Puisque le conseil d’état n’avait pas songé à casser le bref tout semblable qu’on disait avoir été rendu contre la nomination du cardinal Maury, le public devait être conduit à conclure que ce bref n’avait jamais existé, et qu’il était une pure invention des ennemis du régime impérial. Malheureusement de pareils subterfuges n’étaient pas de mise auprès des personnes tant soit peu instruites de ce qui s’était passé. Il était par exemple bien difficile que le ministre des cultes, dans le rapport qu’il avait mission de rédiger pour les membres de la commission ecclésiastique, ne leur touchât pas au moins un mot des faits considérables dont on avait soigneusement dérobé la connaissance au corps législatif. S’il était pourtant une réunion d’hommes auxquels l’empereur n’eût aucun intérêt à rien cacher, parce qu’ils connaissaient parfaitement les faits et parce qu’ils étaient entièrement dévoués au régime impérial, c’étaient ceux auxquels M. Bigot allait avoir à s’adresser; mais l’habitude de toujours déguiser la vérité était la plus forte, et voici quelles singulières instructions l’empereur prit soin dans cette occasion de faire lui-même parvenir à son ministre des cultes. « Je vous renvoie votre exposé sur les affaires avec le pape. J’y trouve des inexactitudes. Par exemple, la réunion des états romains à l’empire a eu lieu lorsque le pape était à Savone, et non lorsqu’il était à Rome[12]. Il ne faut pas parler de l’abbé d’Astros ni de son pamphlet, et moins encore du mariage et de la légitimité de l’enfant; cela est trop absurde. Il faut dire qu’aussitôt qu’un courrier m’eut instruit qu’on avait été obligé d’éloigner le pape de Rome, parce qu’il voulait exciter un soulèvement dans le peuple, j’ai ordonné qu’il fût conduit à Savone. On peut ne pas parler de Grenoble[13]. »


II.

Nous avons eu déjà l’occasion d’indiquer quelles étaient au fond les secrètes dispositions des hommes politiques que M. Bigot de Préameneu avait reçu l’ordre de réunir vers la fin de l’année 1809 pour discuter dans un conseil particulièrement sûr et intime les affaires religieuses, devenues peu à peu si considérables, et qui allaient pendant quelque temps encore fixer d’une façon à peu près exclusive l’attention du chef de l’empire. Nous avons également tâché d’expliquer comment, de plus en plus effrayés de la folie croissante des desseins dont ils avaient reçu la confidence, les membres du comité, ceux-là mêmes que Napoléon nommait en plaisantant « les philosophes de son conseil d’état, » s’étaient, par des motifs de pure sagesse humaine, entendus à l’insu du maître et fort à la dérobée avec les trois principaux dignitaires de l’église catholique, c’est-à-dire avec les adversaires que dans la pensée de Napoléon ils étaient destinés à combattre. Le premier effet de l’heureuse action « des philosophes de son conseil d’état » avait été de faire admettre leur incompétence par l’empereur, et conséquemment la sienne propre, dans une affaire aussi foncièrement religieuse que l’était celle de l’institution canonique à donner aux évêques; mais, si la question des bulles épiscopales ne relevait pas de l’autorité civile, si le droit d’en connaître appartenait exclusivement à l’autorité ecclésiastique dans l’état présent des choses, et par suite de la situation personnelle du pape, il devenait évident qu’un concile pouvait seul être mis en demeure de se prononcer. Cette idée de faire tenir un concile sous son règne, de donner à l’Europe un spectacle qu’elle n’avait pas vu depuis des siècles, était loin de déplaire à Napoléon. Elle flattait à la fois son imagination et son orgueil, car il y entrevoyait pour lui-même ce que l’événement ne justifia guère, un rôle extraordinaire, pareil à ceux qu’avaient joué jadis, aux temps de la primitive église, ces empereurs d’Orient et d’Occident qu’il se plaisait à prendre maintenant pour modèles. De même qu’il avait fait appel aux meilleures têtes politiques de son empire quand il avait songé à régler par voie législative les questions controversées avec le saint-père, de même Napoléon, aujourd’hui qu’il reconnaissait la nécessité de recourir pour les résoudre à l’autorité spirituelle, avait décidé de prendre l’avis préalable des membres les plus haut placés de son clergé de France, a Les embarras dans lesquels il se sentait enfoncer tous les jours davantage donnèrent naissance, comme le dit fort justement l’auteur des Quatre Concordats, à la formation de la première et de la seconde commission ecclésiastique. Ne sachant plus comment avancer, ne voulant pas reculer, Napoléon finit par où il aurait dû commencer, c’est-à-dire par chercher des guides qui le dirigeassent sur cette terre dont il se fatiguait à parcourir les profondeurs vagues et pour lui si complètement inconnues[14]. » Où l’ancien archevêque de Malines se trompe un peu, croyons-nous, c’est quand il suppose que l’empereur désirait en cette occasion trouver des guides. Cela n’était ni dans ses habitudes ni dans ses goûts. Il souhaitait des auxiliaires et des aides, au besoin des complices, ce qui est bien différent. Nous ne sommes pas davantage porté à convenir avec l’auteur des Quatre Concordats que, du jour où il consentit à s’éclairer sur quelques détails de l’avis des membres de sa commission ecclésiastique, Napoléon cessa tout à coup d’obéir à sa fougue accoutumée, que tout fut par cela même aussitôt redressé dans sa conduite, remis comme par enchantement dans la ligne de la raison et des vrais intérêts de la religion et de l’état[15]. Ce sont là de pures illusions. Il est vrai d’ailleurs que les conseils dont les pouvoirs sont le plus limités ont encore par eux-mêmes une certaine autorité, et servent forcément de point d’arrêt. Il est non moins certain qu’après s’être donné ce frein à lui-même, ce qui avait été jusque-là sans exemple de sa part, Napoléon fut parfois obligé d’en supporter la contrainte et de modifier quelque peu pour y obéir l’impétuosité naturelle de ses allures. C’est pourquoi, sans en exagérer l’importance, nous croyons bon d’entrer dans quelques détails sur les deux commissions ecclésiastiques, réunies la première à la fin de novembre 1809, la seconde vers le milieu de janvier 1811.

L’origine de la première commission remontait au moment où le débat sur les investitures était devenu des plus vifs entre Napoléon et le saint-père, et quand ce dernier était déjà retenu captif à Savone. Cette commission, présidée par le cardinal Fesch, avait alors été composée du cardinal Maury, de l’archevêque de Tours, des évêques de Verceil, d’Évreux, de Nantes, de Trêves, du père Fontana et de l’abbé Émery. La plupart de ces noms ne sont pas nouveaux pour nos lecteurs, et nous avons eu maintes occasions de leur faire faire particulièrement connaissance avec l’oncle de l’empereur par le récit détaillé que nous avons donné de son orageuse ambassade à Rome. Rien n’était changé en lui depuis son retour en France, et son caractère était toujours resté le même. Relevé par les événemens eux-mêmes du rôle d’agent diplomatique et de représentant de son neveu à la cour papale, le cardinal Fesch avait profité de sa haute position ecclésiastique et des liens de parenté qui l’unissaient étroitement au souverain de la France pour afficher assez librement ses opinions, de longue date assez ultramontaines et devenues, depuis les mauvais traitemens auxquels il avait été en butte de la part de son neveu, de plus en plus favorables à la cause du captif de Savone. Cette singulière attitude avait acquis à Fesch une véritable popularité parmi les membres du clergé, comme dans le beau monde du faubourg Saint-Germain, tandis qu’elle lui avait par contre attiré de terribles coups de boutoir de la part de Napoléon, qui se plaignait parfois amèrement, et non sans quelque apparence de raison, de rencontrer ainsi sur son chemin la résistance opiniâtre du dignitaire de l’église de France sur lequel il aurait eu le plus de droits de compter, et qu’il n’avait d’ailleurs élevé à de si hautes fonctions qu’avec la pensée d’en faire le docile instrument de ses desseins. Plus ces reproches, que l’empereur ne lui épargnait guère dans l’intérieur de la famille et même parfois devant le public, devenaient vifs et injurieux, plus le cardinal, d’ordinaire assez emporté lui-même, savait demeurer calme et impassible. En vain Napoléon recourait, pour le forcer à se départir de cette attitude, aux plaisanteries les plus dures à propos des mœurs de sa jeunesse et de sa conduite dans les années qui avaient précédé sa rentrée dans le giron de l’église; Fesch, nous a raconté souvent l’un des témoins de ces scènes étranges, repoussait froidement les raisonnemens et les sarcasmes de son neveu, se retranchant derrière la profondeur des convictions auxquelles il était enfin revenu. C’est qu’en effet, depuis le jour où il était allé se mettre sous la direction de l’abbé Émery, la tenue ecclésiastique de l’ancien chanoine d’Ajaccio n’avait plus donné prise à la moindre critique. Il avait repris avec une rare fermeté les habitudes, les mœurs et le langage de son état. Des anciens goûts de l’ex-fournisseur des vivres, il ne lui était resté que l’amour plus dispendieux qu’entendu des tableaux et un certain penchant à vivre dans le luxe; mais ce luxe lui-même avait revêtu une apparence parfaitement convenable et tout à fait en rapport avec le rang du primat des Gaules et du grand aumônier de l’empire. Il se complaisait d’ailleurs à faire principalement les honneurs de son splendide établissement aux hommes d’église qui composaient sa société ordinaire.

Dans cette situation pour ainsi dire inexpugnable, l’influence du cardinal Fesch aurait été prépondérante au sein de la commission ecclésiastique, si ses lumières avaient été à la hauteur de sa fortune, ou s’il avait seulement su faire un emploi quelque peu raisonnable de tant d’heureuses circonstances et d’un zèle que personne ne mettait en doute. Malheureusement pour Fesch, ses collègues, qui se rendaient parfaitement compte des avantages que leur président aurait pu procurer à la cause de l’église en raison de ses liens de famille avec l’empereur, savaient encore mieux à quel point il était capable de la compromettre auprès de lui par son ardeur intempestive, par ses maladresses ordinaires et, comme le dit cruellement M. de Pradt, « par sa naturelle lourdise. » Le rôle qui dans le sein de la commission ecclésiastique échappait ainsi au cardinal Fesch aurait dû hiérarchiquement revenir au cardinal Maury; mais depuis sa rentrée en France, depuis surtout sa récente nomination à l’archevêché de Paris, Maury avait entièrement ruiné de ses propres mains le prestige qui avait jusque-là entouré comme d’une auréole l’éloquent défenseur du clergé à l’ancienne assemblée constituante. Maury avait en effet eu le tort de conserver au milieu d’une société maintenant tout à fait rassise et plutôt démesurément réglée les habitudes de conduite et de langage contractées par lui aux époques les plus troublées de la révolution. La désinvolture de ses façons trop mondaines et la liberté de ses propos trop peu châtiés choquaient les gens de la cour impériale, tandis que dans leurs réunions particulières ses collègues ecclésiastiques, fatigués de sa faconde oratoire, étaient étonnés de trouver sa science de théologien aussi courte. Si la pureté de caractère, l’étendue des connaissances dans les matières spéciales et la finesse des vues en toutes choses avaient suffi, nul doute que la direction supérieure du comité n’eût tout de suite, appartenu à celui de ses membres qui occupait dans la hiérarchie sacrée le rang le plus modeste. Elle serait venue s’offrir comme d’elle-même à l’abbé Émery ; mais l’abbé Émery n’était entré que malgré lui dans la commission[16]. Dès les premières séances, il avait combattu avec sa modération accoutumée, mais avec une rare énergie, les sentimens exprimés par la majorité de ses collègues ; il ne leur avait pas dissimulé qu’il lui serait probablement impossible d’adhérer aux conclusions vers lesquelles la plupart semblaient déjà incliner, et par le fait il ne voulut jamais les signer.

À défaut de l’abbé Emery, qui se dérobait, l’influence à exercer sur la commission se trouva passer principalement aux mains de l’archevêque de Tours, M. de Barral, et de l’évêque de Nantes, M. Duvoisin. Les rôles joués par ces deux prélats sont, à partir de ce moment, devenus si considérables dans toutes les affaires subséquentes de l’église de France qu’il nous faut absolument, avant de passer outre, toucher un mot de leurs personnes. M. de Barral et M. Duvoisin appartenaient tous deux au clergé de l’ancien régime ; ils s’y étaient même créé par leur mérite une position assez considérable avant 1789. Ils avaient l’un et l’autre émigré pendant la terreur, puis étaient rentrés en France presqu’à la même époque, peu de temps après la signature et avant la publication du concordat. Le premier consul avait rencontré tout de suite chez eux les dispositions communes alors à tous les ecclésiastiques auxquels il venait de rouvrir les portes si longtemps fermées de la patrie, c’est-à-dire une sincère reconnaissance de l’intérêt qu’il prenait alors aux choses de la religion et pour sa personne une admiration très vive. Par leurs mœurs exemplaires, par la nature de leurs doctrines, s’il faut tout dire, par la partialité complaisante qu’ils professaient à l’égard du pouvoir qui venait de s’établir sur la ruine de nos libertés, MM. de Barral et Duvoisin se trouvaient naturellement désignés à la bienveillance de Napoléon. Pour mettre à la tête du clergé qu’il était en train de recruter, le nouvel organisateur de la France voulait avant tout des pasteurs recommandâmes et dignes, et recherchait chez eux les qualités privées de préférence aux vertus publiques. Son instinct, qui d’ordinaire le trompait rarement, cette fois encore le servit à souhait. Cependant, au moment de leur retour en France, en 1801, la situation de M. de Barral et celle de M. Duvoisin n’étaient pas tout à fait égales. M. de Barral, ancien conclaviste du cardinal de Luynes, ancien agent du clergé français à Rome, ce qui était un poste considérable, avait été nommé évêque in partibus d’Isaure dès l’année 1788. Il avait en 1790 succédé à l’un de ses oncles, évêque de Troyes, dont il était coadjuteur. A peine rentré en France, l’habile et docte évêque, qui appartenait à une noble famille du Dauphiné et que cette circonstance n’avait pas desservi sous l’ancien régime, sut parfaitement se réclamer d’une parenté assez éloignée avec la veuve de M. de Beauharnais. Joséphine, faisant honneur à cette alliance, se déclara sa protectrice ; elle obtint pour lui d’abord l’évêché de Meaux. puis le siège archiépiscopal de Tours, et en fit plus tard, quand elle devint impératrice, un sénateur et son premier aumônier. Prêtre convaincu et respectable, il ne faudrait pas s’y tromper, théologien renommé pour sa science, homme du monde par sa naissance et par ses relations sociales, M. de Barral posséda bientôt la confiance entière de Napoléon, qui avait tant de raisons de compter sur son absolu dévoûment. Le crédit fort naturel de l’archevêque de Tours aurait peut-être été plus grand encore, s’il n’avait pas fatigué quelquefois celui auquel il s’efforçait de complaire en prodiguant dans ses factums ecclésiastiques, d’ailleurs habiles et nourris de faits, une quantité de termes techniques et de figures imagées sentant un peu trop le séminaire. Napoléon, qui s’était fait de tout temps la loi absolue de tout lire, qui parcourait maintenant les mémoires des évêques de sa commission avec la même scrupuleuse attention que naguère les rapports des généraux de son armée, ne se démêlait qu’avec peine au milieu d’une phraséologie qui lui était encore assez peu familière. Quelque vif que fût devenu son goût inattendu pour les controverses théologiques, « on comprend, dit plaisamment l’abbé de Pradt, que l’ange de l’école, le maître des sentences y le grand Yves de Chartres, si vénérables qu’ils fussent, ne pouvaient pas être fort à l’usage d’un jeune conquérant que tout portait à trouver ces noms singulièrement nouveaux. » L’empereur n’avait à redouter aucun ennui de ce genre de la part de M. Duvoisin. Élevé par les jésuites, successivement écolier, puis professeur très distingué à l’ancienne Sorbonne, nommé grand-vicaire à Laon avant la révolution, indiqué au choix de l’empereur par l’abbé Bernier pour remplir le siège épiscopal de Nantes, M. Duvoisin n’était pas seulement un canoniste émérite dont les écrits sur les matières religieuses étaient devenus promptement classiques, c’était aussi un maître dans l’art de persuader et de plaire, et cet art, il le portait partout avec lui. « Judicieux et clair, nous dit l’un de ses collègues, calme et méthodique, il savait donner à toutes les choses qu’il soutenait l’air de la raison; modéré par caractère comme par réflexion, il usait des hommes comme ils sont, sans s’irriter de leurs défauts ni se prévaloir de leurs faiblesses. Aussi bien placé dans le monde que sur sa chaire épiscopale, il avait tellement plu à Napoléon, que celui-ci affectait de redouter presque son ascendant. M. Duvoisin est un de ces évêques, disait-il parfois, qui me ferait faire tout ce qu’il voudrait et peut-être plus que je ne devrais. » Volontiers familier avec les ecclésiastiques, mais connaissant bien son monde, comme le prouvait sa constante réserve à l’égard de l’abbé Émery, jamais l’empereur ne se hasarda non plus à s’émanciper si peu que ce fût avec l’évêque de Nantes. « Souvent même, nous raconte M. de Pradt, au milieu des paroles peu mesurées qui suivaient ses emportemens, il lui est arrivé, s’adressant à M. Duvoisin, de lui dire : Ne croyez pas, monsieur, que ce soit pour vous que je parle[17]. » M. Duvoisin était, comme son collègue M. de Barral, un de ces dignitaires de l’église de France sur lesquels l’empereur savait pouvoir sûrement compter, mais qu’il sentait aussi l’obligation de traiter avec de certains ménagemens qu’il n’accordait pas à tous les autres. Nous en aurons fini avec le personnel de la première, commission ecclésiastique nommée en 1809 par l’empereur quand nous aurons ajouté que les évêques de Trêves, de Verceil et d’Évreux reproduisaient à un degré légèrement inférieur, quoique fort honorables et distingués eux-mêmes, et avec quelque variété dans leurs physionomies et leurs aptitudes individuelles, les traits principaux que nous venons de noter chez MM. de Barral et Duvoisin. L’abbé Fontana, général des barnabites et théologien très renommé en Italie, assista peu, à vrai dire, aux séances du conseil, et, partageant toutes les opinions de l’abbé Émery, ne tarda même pas sous prétexte de maladie à n’y plus paraître du tout. L’importance des questions soumises par l’empereur aux deux commissions ecclésiastiques, la gravité des réponses qu’il en obtint, l’influence qu’ont eue sur le cours des événemens les décisions auxquelles se sont arrêtés des personnages si haut placés dans l’église de France, les controverses mêmes auxquelles elles ont depuis donné lieu, nous imposent l’obligation d’entrer un peu plus avant dans le détail de ces délibérations d’une nature tout ecclésiastique et spéciale, mais qui n’en constituent pas moins le seul mouvement de politique intérieure un peu actif qui ait agité les esprits pendant toute la durée de l’empire.


III.

Ainsi que nous venons de le dire, la première commission ecclésiastique, si soigneusement composée, avait eu surtout pour mission, au mois de novembre 1809, de résoudre des questions relatives au gouvernement de l’église. Bien que posées déjà par les événemens eux-mêmes, ces questions gardaient encore à cette époque un caractère plutôt hypothétique que pratique, car, si la dissidence au sujet des institutions canoniques était déjà très vive entre le pape et l’empereur, elle n’avait pas encore été poussée jusqu’à la dernière extrémité, comme elle le fut plus tard, en janvier 1811, par le bref adressé au cardinal Maury. Trois séries distinctes de questions avaient été alors soumises à l’examen de la commission. La première concernait le gouvernement de l’église catholique en général, la seconde l’église de France en particulier, la troisième les églises d’Allemagne, celles de Toscane, et la bulle d’excommunication. Voici, emprunté au mémoire remis par ordre de l’empereur au conseil ecclésiastique, le texte de ces questions :


« PREMIERE SERIE. — Questions qui intéressent toute la chrétienté. Le gouvernement de l’église est-il arbitraire? Le pape peut-il, par des motifs d’affaires temporelles, refuser son intervention dans les affaires spirituelles?

« Il est hors de doute que depuis un certain temps la cour de Rome est resserrée dans un petit nombre de familles, que les affaires de l’église y sont examinées et traitées par un petit nombre de prélats et de théologiens pris dans de petites localités des environs, et qui ne sont pas à portée de bien voir les grands intérêts de l’église universelle ni d’en bien juger.

« Dans cet état de choses, convient-il de réunir un concile?

« Ne faudrait-il pas que le consistoire ou le conseil particulier du pape fût composé de prélats de toutes les nations pour éclairer sa sainteté?

« En supposant qu’il soit reconnu qu’il n’y a pas de nécessité de faire des changemens dans l’organisation actuelle, l’empereur ne réunit-il pas sur sa tête les droits qui étaient sur celles des rois de France, des ducs de Brabant et autres souverains des Pays-Bas, des rois de Sardaigne, des ducs de Toscane, etc., soit pour la nomination des cardinaux, soit pour toute autre prérogative?

« DEUXIEME SERIE. — Questions particulières à la France. Sa majesté l’empereur ou ses ministres ont-ils porté atteinte au concordat? L’état du clergé de France est-il en général amélioré ou empiré depuis que le concordat est en vigueur?

« Si le gouvernement français n’a pas violé le concordat, le pape peut-il arbitrairement refuser l’institution aux archevêques et évêques nommés, et perdre la religion en France, comme il l’a perdue en Allemagne, qui depuis dix ans est sans évêques?

« Le gouvernement français n’ayant pas violé le concordat, si de son côté le pape refuse de l’exécuter, l’intention de sa majesté est de regarder ce concordat comme abrogé; mais dans ce cas que convient-il de faire pour le bien de la religion? Sa majesté adresse cette demande à des prélats distingués par leur savoir dans les matières ecclésiastiques comme par leur attachement à sa personne.

« TROISIEME SERIE. — Questions sur la position actuelle. Sa majesté, qui peut à juste titre se considérer comme le chrétien le plus puissant dans le rang suprême auquel la Providence l’a élevé, sentirait sa conscience troublée, s’il ne portait aucune attention aux plaintes des églises d’Allemagne, sur l’abandon dans lequel le pape les laisse depuis dix ans. Sa majesté le conjure d’y rétablir l’ordre. L’archevêque prince-primat vient encore de lui adresser ses représentations à cet égard. Si le pape continue, par des raisons temporelles ou par des sentimens haineux, à laisser ces églises dans l’état de perdition et d’abandon, sa majesté désire, comme suzerain de l’Allemagne, comme héritier de Charlemagne, comme véritable empereur d’Occident, come fils aîné de l’église, savoir quelle conduite elle doit tenir pour rétablir le bienfait de la religion chez les peuples d’Allemagne.

« Il est besoin qu’il y ait une nouvelle circonscription d’évêchés dans la Toscane et dans d’autres contrées : si le pape refuse de coopérer à ces arrangemens, quelle marche sa majesté devra-t-elle suivre pour les régulariser?

« La bulle d’excommunication ci-jointe a été affichée, elle a été imprimée et répandue clandestinement dans toute l’Europe. Quel parti prendre pour que dans des temps de trouble et de calamité les papes ne se portent pas à des excès de pouvoir aussi contraires à la charité chrétienne qu’à l’indépendance et à l’honneur du trône? »


Le bruit était alors généralement accrédité dans le clergé de Paris que la rédaction des réponses avait été confiée, pour la première série, à l’évêque de Trêves, pour la seconde à l’évêque de Nantes, et pour la troisième à l’archevêque de Tours. Le travail de la commission fut assez expéditif, car dès le 11 janvier 1811 une partie du rapport, celle qui était la plus favorable aux vues de Napoléon, parut, non pas dans le Moniteur, jamais l’empereur ne le voulut permettre, mais dans les journaux non officiels, qui alors, eux aussi, on le sait, ne publiaient rien sans l’aveu du gouvernement. Nous ne donnerons pas la teneur intégrale des réponses de la commission; cela nous entraînerait trop loin. L’archevêque de Tours, M. de Barral, les a insérées dans ses Fragmens ecclésiastiques, qui virent le jour en 1815, et son ouvrage fait foi, quoiqu’on lui ait, non sans raison, reproché d’avoir opéré quelques suppressions et peut-être aussi des changemens qu’expliquent d’ailleurs assez naturellement les circonstances du moment[18]. Au lieu d’analyser la teneur même de ces réponses que nos lecteurs curieux de ces matières pourront trouver in extenso dans le livre de M. de Barral, nous préférons donner une rapide esquisse des fluctuations intérieures qui se produisirent au sein de la malheureuse commission, si péniblement courbée sous le poids de la responsabilité qui pesait sur elle. Le point capital et comme le nœud de toute l’affaire était, à vrai dire, l’institution canonique à donner aux évêques. C’était afin de trouver le moyen de se passer de l’intervention spirituelle du saint-père dans la consécration des nouveaux pasteurs qu’il avait déjà choisis ou de ceux qu’il se proposait de mettre bientôt à la tête des diocèses vacans de l’église de France que Napoléon consultait le comité ecclésiastique. Il n’y avait pas un de ses membres qui n’aperçût clairement le but du chef de l’empire et qui ne fût à peu près également épouvanté à la pensée soit de lui accorder nettement, soit de lui contester absolument la solution qu’il attendait de leur complaisance. Ils auraient bien voulu rester dans le vague, ou du moins s’arrêter à mi-chemin. C’est pourquoi ils se bornèrent d’abord à établir que, si le concordat venait décidément à n’être plus exécuté par l’une des parties contractantes, et s’il était par conséquent nécessaire d’adopter un nouveau mode d’institution pour les évêques, il faudrait avant tout le faire approuver par l’église elle-même, mais toujours dans la supposition qu’il ne s’agirait que de revenir à l’une des méthodes précédemment pratiquées. La commission faisait à ce sujet remarquer avec beaucoup de raison qu’une loi abrogée n’est plus une loi, et n’en peut recevoir à nouveau le caractère que par l’autorité qui l’a précédemment établie. Si la constitution civile du clergé de 1790 avait rencontré dans l’exécution tant de difficultés, il le fallait surtout attribuer à ce. que les auteurs avaient méconnu un principe aussi incontestable. Partant de cette donnée, les membres de la commission ne pensaient pas qu’on pût songer à rétablir la pragmatique sanction, à moins que l’autorité ecclésiastique n’intervînt dans ce rétablissement; mais comment faire intervenir cette autorité? Sur ce point, les membres de la commission reconnaissaient formellement leur incompétence. Ils se hasardaient seulement à déclarer qu’en des conjonctures aussi délicates on ne pouvait rien faire de plus sage, de plus conforme aux règles, que de convoquer un concile national où le clergé de l’empire examinerait la question proposée, et indiquerait les moyens propres à prévenir les inconvéniens qu’entraînait le refus des bulles pontificales; la convocation d’un concile national n’aurait rien qui ne fût légitime et normal, car telle avait été dans une circonstance analogue la mesure proposée à Louis XIV, en 1688, par le parlement de Paris. Ces doctrines, habilement émises, ne donnaient point à l’empereur une suffisante satisfaction. Il exprima, par l’intermédiaire de MM. de Barral et Duvoisin, la volonté de savoir positivement si le concile national, aux yeux de la commission, aurait l’autorité nécessaire pour suppléer aux bulles canoniques, ou s’il faudrait encore recourir à cette autorité supérieure que la commission avait nommée sans la désigner expressément. Ainsi poussés dans leurs derniers retranchemens, les membres de la commission ecclésiastique furent amenés à dire qu’il ne leur appartenait en aucune façon de prévoir ce que le concile national jugerait à propos de faire dans l’étendue de ses pouvoirs. Il était pourtant probable que le concile adresserait au saint-père de respectueuses remontrances, et pourrait amener sa sainteté à un arrangement. Si cette espérance se trouvait trompée, le concile se croirait peut-être autorisé à faire un règlement provisoire en déclarant toutefois que l’église de France ne cesserait de demander l’exécution du concordat, et qu’elle serait toujours prête à y revenir aussitôt que le souverain pontife ou ses successeurs consentiraient à l’exécuter. Dans le cas contraire, on aurait la ressource d’un concile général ou œcuménique, la seule autorité qui fut dans l’église au-dessus du pape; mais ce concile pourrait devenir lui-même impossible à rassembler, soit par le refus que ferait sa sainteté de le reconnaître, soit en raison d’une foule de circonstances faciles à prévoir. C’était encore là une impasse; Napoléon voulait absolument que la commission le mît en mesure de s’en tirer, et il exigea qu’elle prît sur elle de trancher la question. Alors, de guerre lasse, et n’osant pas se maintenir sur le terrain qu’elle avait d’abord choisi et qui était inattaquable, la commission finit par répondre « qu’après avoir protesté de son attachement inviolable au saint-siège et à la personne du souverain pontife, après avoir réclamé l’observation de la discipline en vigueur, le concile national pourrait déclarer qu’attendu l’impossibilité de recourir à un concile œcuménique et l’immense danger dont l’église de France était menacée, l’institution donnée conciliairement par le métropolitain à l’égard de ses suffragans, ou par le plus ancien d’entre eux à l’égard du métropolitain, tiendrait lieu des bulles pontificales jusqu’à ce que le pape ou ses successeurs eussent consenti à l’exécution du concordat. » Ce retour provisoire à une partie de l’ancien droit ecclésiastique paraissait à la commission suffisamment justifié par la première de toutes les lois, la loi de la nécessité. Cette loi, disait-elle, le pape l’avait reconnue lorsque, pour rétablir l’unité dans l’église de France, il s’était mis au-dessus des règles ordinaires en supprimant par un acte d’autorité sans exemple les anciennes circonscriptions diocésaines de France pour en créer de nouvelles. Cette-dernière concession, arrachée non sans beaucoup de peine aux membres de la commission, fournissait enfin à l’empereur l’expédient auquel il avait tant de hâte d’arriver. Il aurait souhaité mieux, mais il se tint pour satisfait de ce qu’il avait obtenu.

A propos de la bulle d’excommunication, la commission, malgré les efforts réitérés de M. l’abbé Émery, arrêta une rédaction qui était calculée de manière à contenter absolument l’empereur. Elle déclara que « les excommunications et censures portées dans la bulle du 10 juin étaient nulles tant en la forme qu’au fond, et qu’elles ne pouvaient lier ni obliger les consciences. » Comme la bulle avait été lancée à l’occasion de l’envahissement de la souveraineté temporelle du pape, ils s’attachèrent à prouver que, la discipline et la foi ne reposant pas essentiellement sur cette souveraineté, les fulminations pontificales n’avaient point été dans la présente occasion justement mises en usage. Ils n’hésitèrent point à rappeler à ce sujet que sous Louis XIV et sous Louis XV « Avignon avait été occupé par les troupes françaises, et que les papes alors existans s’étaient abstenus de lancer les foudres de l’excommunication. »

Il ne nous appartient à aucun degré d’émettre une opinion quelconque sur les doctrines professées par des ecclésiastiques de grand renom sur des matières qui nous sont si parfaitement étrangères. En fait, il est difficile de ne pas remarquer combien l’occupation momentanée d’Avignon, que ni Louis XIV ni Louis XV n’avaient assurément l’intention de garder, avait peu de rapport avec l’occupation complète et la confiscation définitive de la totalité des états du saint-père. Quant à cette loi suprême de la nécessité qui faisait la base même de l’argumentation des membres de la commission, ne provenait-elle pas de la seule volonté de l’empereur, et comment pouvait-elle dès lors créer un droit en sa faveur? N’était-ce pas Napoléon qui tenait le pape captif, n’était-ce pas lui qui lui interdisait, par mesure de police, toute communication avec les prêtres et les fidèles de son église? Pie VII ne prétendait nullement refuser les bulles d’institution canonique aux évêques nommés aux sièges vacans de l’empire par la seule raison qu’on lui avait confisqué ses états; il se bornait à dire que, retenu prisonnier, privé de ses conseillers naturels, les membres du sacré-collège, dépourvu de tout moyen d’informations sur les sujets à lui désignés par le choix impérial, il était hors d’état de remplir avec une suffisante sûreté de conscience cette partie essentielle de ses attributions pontificales qui regardait le recrutement de l’épiscopat; remis en possession de sa liberté, entouré des conseils et des lumières qui lui étaient indispensables, il agirait suivant les inspirations de la volonté divine. Les souffrances trop réelles de l’église de France ne lui étaient donc pas imputables. Elles devaient en bonne logique être portées tout entières au compte de celui qui avait mis sa main violente sur le chef de la religion, et qui, le maintenant encore contre toute justice en état de séquestration absolue, avait jeté les affaires religieuses non-seulement de la France, mais de tous les pays catholiques, dans la plus inextricable confusion.

Aucun des membres de la commission ecclésiastique n’entretenait à ce sujet la moindre illusion, et les plus dévoués à l’empereur, son oncle en particulier, savaient parfaitement à quoi s’en tenir sur le fond des choses. Sans prétendre excuser ces dignitaires de l’église de France de n’avoir jamais osé ni parler ni agir dans le sens de leurs intimes convictions, nous croyons juste d’expliquer combien leur situation était difficile, et quels efforts plus ou moins heureux ils firent pour tâcher de s’en tirer sans trop de déshonneur. En réalité, il faut le dire, la commission n’avait aucun pouvoir. Napoléon avait eu grand soin d’établir que ses attributions se bornaient à celles d’un simple conseil dont il consentait bien à prendre les avis, mais pour lui seul. Il n’était pas question de rien accepter ni de rien publier qui vînt d’elle. Le chef de l’empire avait désiré s’éclairer; il n’entendait pas se lier, ni surtout s’exposer à recevoir, sous quelque forme que ce fût, d’incommodes remontrances. Ainsi avertis de la modestie du rôle qui leur était assigné, les membres de la commission prirent grand soin d’y conformer scrupuleusement leurs démarches et leur langage. Ce serait se tromper beaucoup et leur faire une injure imméritée que de se représenter des prélats aussi religieux et aussi honorables que MM. de Barral et Duvoisin comme indifférens à la captivité et aux souffrances de Pie VII. Ils en étaient profondément affligés, ils souhaitaient ardemment sa délivrance; mais comment l’obtenir? Là était l’embarras. La demander personnellement et directement, comme un préliminaire indispensable de tout arrangement sérieux, au détenteur du pape, cela était trop compromettant. Ils savaient au surplus, comme nous dit l’un d’eux, que celui-ci aimait à rendre sa proie à peu près autant que l’enfer avare. S’ingérer dans une question aussi délicate, n’était-ce pas le vrai moyen de tout perdre[19]? A leur sens, la cessation des maux du saint-père ne pouvait s’attendre que de la fin de ses contestations avec Napoléon. C’était donc sur ce dernier qu’avant tout il fallait agir. Pour y réussir, il importait de bannir de son esprit tout préjugé défavorable à l’ordre religieux et lui représenter le clergé français non-seulement comme fidèle à sa personne, ce qui était exact, mais comme lui étant encore dévoué, ce qui était un peu exagéré, et comme entièrement rassuré et satisfait, ce qui avait tout à fait cessé d’être vrai. Telles étaient les préoccupations honnêtes sans aucun doute, mais, suivant nous, mal fondées, qui avaient dicté les réponses du comité ecclésiastique et inspiré surtout les protestations enthousiastes et les louanges hyperboliques dont son rapport était rempli. Il avait paru habile à l’archevêque de Tours et aux évêques de Trêves et de Nantes d’énumérer tous les titres du chef de l’empire à la reconnaissance de ses sujets catholiques, de s’identifier absolument, non sans se compromettre beaucoup plus qu’il n’était utile et surtout convenable, avec une politique qu’au fond de leur cœur ils étaient bien loin d’approuver. En cela, les prélats distingués que nous venons de nommer servaient très bien les desseins de l’empereur, mais assez mal les intérêts de leur église. Nous ne sommes pas de ceux qui sont disposés à s’étonner de rencontrer habituellement dans la bouche des prêtres un langage plein de déférence à l’égard des autorités existantes. Le clergé a toujours parlé au pouvoir et du pouvoir avec infiniment de respect, non pas à cause du pouvoir lui-même, comme le remarque judicieusement M. de Pradt, mais à cause de l’origine de ce pouvoir, dans lequel il s’est toujours complu à voir une émanation du droit divin. Cette habitude est ancienne chez le clergé de France. Qu’on parcoure les anciens procès-verbaux de nos assemblées ecclésiastiques, qu’on lise l’Histoire universelle de Bossuet ou ses admirables sermons prêches à Versailles, on y rencontrera plus d’une louange singulière directement adressée par le grand évêque à Louis XIV. Sous le règne scandaleux de Louis XV, les habitudes adulatrices du sacerdoce français à l’égard du souverain ne furent nullement changées; elles se continuèrent jusqu’en 1789, car elles étaient de tradition. Il y a toutefois une différence importante à noter. Louis XIV, Louis XV malgré ses mœurs et Louis XVI étaient, au plus profond de leur cœur, des princes convaincus et chrétiens; à la connaissance de tous, Napoléon était philosophe. Il y a, il y aura toujours, quoi qu’on dise, quelque chose de choquant en soi et de particulièrement dégradant pour ceux qui s’y prêtent dans les protestations enthousiastes, dans les flatteries excessives décernées par les ministres d’une religion aux hommes puissans dont ils dépendent et qui n’admettent aucune de leurs croyances. C’est une triste condition en pareille circonstance de n’avoir à choisir aux yeux d’un public clairvoyant et le plus souvent frondeur qu’entre le métier de dupes ou le rôle de complices. Dans laquelle de ces deux catégories l’histoire doit-elle placer les membres des commissions ecclésiastiques de 1809 et 1811? Nous ne savons. Voici le jugement que portait sur eux dans le moment même un simple prêtre, leur collègue, qui ne se piquait, lui, d’aucun savoir-faire en politique, mais qui les éclipsait tous par la sainteté de sa vie, par la rectitude de son intelligence et par sa tranquille, mais inébranlable fermeté. « Comment nos évêques ne voient-ils pas, écrit l’abbé Émery à l’un de ses amis, que ces moyens de conciliation que l’empereur leur demande ne sont qu’un jeu de sa part pour en imposer aux simples et un masque pour couvrir sa tyrannie? Qu’il laisse l’église tranquille; qu’il rende à leurs fonctions le pape, les cardinaux, les évêques; qu’il renonce à des prétentions extravagantes : tout le reste sera bientôt arrangé. Et ces prélats qui regardent comme des améliorations, comme des bienfaits pour l’église les décorations ou les titres qu’ils ont obtenus! Où allons-nous donc, mon Dieu[20]? » Ces derniers mots de l’abbé Émery faisaient allusion à un passage des réponses de la commission, qui mettait au nombre des faveurs accordées par l’empereur à la religion « la décoration de la Légion d’honneur donnée à un grand nombre de prélats, les titres de comte et de baron affectés aux archevêques et évêques de l’empire, l’admission de plusieurs d’entre eux dans le corps législatif et dans le sénat[21]. »

Le pieux chagrin inspiré à M. Émery par l’attitude de ses collègues de la commission de 1810 n’était rien encore en comparaison du désespoir que ce même comité, légèrement modifié comme composition, devait lui causer lorsqu’il fut de nouveau réuni aux premiers jours de l’année 1811. Les événemens avaient marché pendant ce court espace de temps, et la querelle s’était prodigieusement envenimée entre Pie VII et Napoléon. Le choix des nouveaux membres adjoints à la commission de 1810 indiquait suffisamment ce que désormais l’empereur attendait d’elle. Le père Fontana, retenu prisonnier à Vincennes pour la part qu’il était soupçonné d’avoir prise à l’expédition de la bulle adressée au cardinal Maury, avait été remplacé par le cardinal Caselli, ce membre du sacré-collège à l’égard duquel le pape avait témoigné tant de défiance lorsqu’il avait été envoyé en mission à Savone, et M. de Pradt, archevêque nommé de Malines, avait succédé à l’évêque de Verceil, mort pendant le cours de l’année. Quels motifs avaient décidé l’empereur à désigner ce dernier personnage, si plein d’esprit, mais si complètement décrié, dont il venait de faire coup sur coup son chambellan et son premier aumônier? Ce n’était pas l’estime qu’il lui inspirait, car il l’avait toujours jugé plus sévèrement que personne, et jusqu’en ces derniers temps, croyons-nous, avec une malveillance passablement exagérée. « Je ne sais, écrivait-il de Schœnbrunn le 5 septembre 1809 à Fouché, si je vous ai dit de vous méfier de cet homme (l’abbé de Pradt) comme du plus grand ennemi qu’on puisse avoir. Cependant, comme je ne suis pas certain de vous l’avoir dit, je vous l’écris pour votre gouverne. Cet homme est un profond hypocrite, n’ayant ni les mœurs ni l’esprit de son état, et livré à un genre d’intrigues qui d’un jour à l’autre le conduira à l’échafaud[22]... » Depuis cette époque, M. de Pradt, qui avait à revenir de si loin dans l’esprit de Napoléon, s’était jeté à corps perdu dans la querelle soulevée à propos de l’institution canonique. Naturellement il avait embrassé avec son audace accoutumée d’allures et de langage la cause de l’empereur, et dès lors ses défauts n’avaient plus compté. C’était même sur lui que désormais Napoléon allait se reposer principalement du soin d’agir sur le clergé et de seconder en secret ses plus fâcheux desseins. En vain l’abbé Émery, effrayé d’une pareille association, écrivit au ministre des cultes pour se défendre de faire partie du second comité ecclésiastique[23]. Sa lettre demeura sans réponse, et de nouveau il lui fallut se résigner à assister de sa personne à des délibérations dont il n’approuvait ni l’esprit ni le but.

Les instructions remises par le ministre des cultes à la seconde commission ecclésiastique ne laissaient planer aucun doute sur les intentions de Napoléon. L’empereur prenait bien soin de prévenir encore une fois ses conseillers ecclésiastiques que c’était uniquement comme attachés à sa personne et aux intérêts de ses peuples, dont ils étaient les premiers pasteurs, qu’il les avait réunis dans sa capitale, afin qu’ils lui indiquassent la marche la plus conforme aux conciles et aux usages de l’église[24]. Suivait un résumé assez long et comme d’habitude fort partial des relations de Napoléon avec Pie VII.


«... Le pape ayant violé le concordat synallagmatique, disait-on à la fin du rapport, l’empereur a bien voulu imiter Louis XIV dans sa longanimité, mais le pape, s’y étant opposé, ce que n’a pas fait Innocent XII, a rendu vain et inutile ce moyen. Dès lors il n’est plus suffisant pour assurer la paix de l’église. C’est ce qui a déterminé l’empereur à déclarer qu’il ne souffrirait plus que dans l’empire l’institution des évêques fût donnée par le pape... Ainsi donc deux déterminations ont été prises par sa majesté : 1° aucune communication n’aura lieu entre ses sujets et le pape que celui-ci n’ait posé les limites de son autorité en reconnaissant celles qui ont été posées par Jésus-Christ lui-même, c’est-à-dire qu’aux termes du sénatus-consulte il n’ait juré de ne rien faire en France contre les quatre propositions de l’église gallicane arrêtées dans l’assemblée du clergé de 1682; 2° de ne plus faire dépendre l’existence de l’épiscopat en France de l’institution canonique du pape, qui serait ainsi le maître de l’épiscopat. Quant aux mesures à prendre pour que l’église ne souffre pas de cette interruption de communication, et pour que les évêques ayant le caractère requis puissent exercer leur juridiction épiscopale, l’empereur s’en rapporte au comité pour lui faire connaître ce qui convient le mieux, soit qu’on revienne à la pragmatique de saint Louis tant regrettée, soit à tout autre usage.


Les questions posées au concile national étaient les suivantes :


« 1° Toute communication entre le pape et les sujets de l’empereur étant interrompue quant à présent, à qui faut-il s’adresser pour obtenir les dispenses qu’accordait le saint-siège? 2° Quand le pape refuse persévéramment d’accorder des bulles aux évêques nommés par l’empereur pour remplir les sièges vacans, quel est le moyen canonique de leur donner l’institution? »


Le but de l’empereur était évident. Il consistait à mettre la commission en présence de résolutions arrêtées et de faits à peu près I accomplis auxquels on la pressait simplement de donner une sorte de consécration spirituelle. « On pourrait difficilement, raconte un écrivain ecclésiastique dont les informations sont toujours exactes, exprimer les sentimens de tristesse qu’éprouvèrent les membres de la commission en entendant la lecture de ces instructions. M. l’abbé Émery surtout sortit de cette séance navré de douleur et tellement agité des plus sombres pressentimens, qu’il crut devoir écrire au cardinal Fesch pour lui faire comprendre l’impossibilité d’entrer dans les vues de l’empereur et la nécessité de l’en avertir au plus tôt. Il ajoutait que les évêques ne pourraient admettre là-dessus aucun tempérament, que, pour le cardinal lui-même, dans sa position personnelle, jamais la fermeté n’avait été plus indispensable, et que c’était l’occasion de résister jusqu’à l’effusion du sang. Cette lettre produisit son effet. Le cardinal se rendit chez l’empereur, et lui représenta que les évêques ne pourraient consentir aux propositions de son ministre des cultes, et qu’il devait s’attendre à faire des martyrs. Un instant Napoléon comprit qu’il y aurait quelque danger à pousser les choses à toute extrémité ; cependant il voulut que la commission donnât son avis sur les questions qui lui avaient été posées[25]. »

L’abbé Émery avait beaucoup trop présumé du courage de ses collègues, et leurs réponses furent telles à peu près que l’empereur pouvait le souhaiter. Les premières phrases de leur rapport témoignaient de cette respectueuse sympathie pour le pape dont aucune réunion d’ecclésiastiques n’aurait pu se dispenser en de semblables circonstances sans s’exposer à la plus fâcheuse déconsidération. Les termes en étaient habilement choisis.


« La franchise et la sainte véracité de notre ministère ne nous permettent pas de déguiser la profonde douleur dont nous avons été pénétrés en apprenant que toute communication entre le pape et les sujets de l’empereur venait d’être rompue. Sujets fidèles et respectueux, nous oserons néanmoins dire à votre majesté que, le saint-siège étant le lien le plus fort, le lien nécessaire à l’unité ecclésiastique dont il est le centre, nous ne pouvons plus prévoir que des jours de deuil et d’affliction pour l’église, si les communications et les rapports demeurent/ longtemps suspendus entre les fidèles et le père commun que Dieu leur a donné dans la personne de notre saint-père le pape[26]. »


Après ce préambule qui était de nature à déplaire quelque peu à l’empereur, les évêques de la commission, reprenant le système de ménagement et de flatterie déjà employé l’année précédente, se hâtaient, pour réparer cette hardiesse, d’ajouter immédiatement :


« Des circonstances impérieuses peuvent quelquefois obliger d’apporter certaines modifications à la juridiction du chef de l’église sans en altérer la substance. Seulement ces changemens, même dans la discipline, s’ils étaient annoncés trop précipitamment, seraient suspects au peuple, toujours léger et inconsidéré dans ses jugemens. Il leur semblait donc que les esprits devaient être préparés à toute variation, et qu’il fallait qu’ils y fussent doucement amenés. Quant aux questions qui leur avaient été posées, les évêques répondaient, pour la première question, que, si des circonstances malheureuses empêchaient temporairement de recourir au pape pour les dispenses, c’était aux évêques eux-mêmes qu’il faudrait s’adresser. La réponse à la deuxième question portait en substance que, le pape refusant les bulles sans alléguer aucune raison canonique de son refus, le moyen le plus sage à prendre serait de faire ajouter au concordat une clause par laquelle il serait établi que le pape devrait donner l’institution dans un temps déterminé, faute de quoi le droit d’instituer serait dévolu au concile de la province. Si le pape refusait d’acquiescer à cette modification du concordat, il n’y aurait rien de mieux à faire que de rétablir, pour ce qui concernait les évêques, les règlemens de la pragmatique sanction... Pour les rétablir légalement, la commission renouvelait la proposition déjà faite l’année précédente de convoquer un concile national ou une assemblée du clergé composée d’un certain nombre d’évêques pour chaque métropole. La commission souhaitait toutefois qu’avant de recourir à cette mesure on envoyât au pape une députation pour lui exposer les besoins de l’église de France et l’éclairer sur le véritable état des choses. Toutes les difficultés s’aplaniraient, disaient en terminant les évêques, si cette députation avait le succès dont nous osons nous flatter; mais si, contre toute espérance, ce dernier effort était inutile, les peuples, qui portent un œil inquiet sur nos délibérations, reconnaîtraient que nous n’avons rien négligé de ce qu’exige de nous le profond respect dû par les évêques au chef de l’église universelle. Leur confiance et l’autorité de notre ministère ne seraient point affaiblies, et ils montreraient moins de répugnance pour un nouvel ordre de choses que des circonstances impérieuses et la nécessité de pourvoir à leurs besoins spirituels nous auraient forcés d’adopter[27]. »


La commission avait fini son travail le 4 mars 1811. Elle le remit aussitôt au ministre des cultes, et celui-ci le présenta à l’empereur, qui en parut très satisfait. Néanmoins, avant d’arrêter aucune détermination. Napoléon prit le parti de réunir en sa présence tous les membres de la commission ecclésiastique, ceux de ses conseillers d’état qu’il avait jadis invités à délibérer en comité secret sur les affaires ecclésiastiques et tous les grands dignitaires de l’empire, parmi lesquels figuraient non seulement l’archi-chancelier Cambacérès, mais aussi le grand vice-électeur, le prince de Talleyrand. Cette séance extraordinaire eut lieu aux Tuileries le 16 mars. Napoléon savait parfaitement à quel point les décisions qu’il avait pour ainsi dire arrachées aux évêques de la commission leur avaient coûté à prendre, et qu’ils ne les avaient adoptées qu’à contre-cœur. Il n’ignorait pas davantage que l’abbé Émery, après les avoir combattues de toutes ses forces, n’avait jamais voulu les signer. Tout l’intérêt de la réunion solennelle qu’il venait de provoquer consistait pour l’empereur à se trouver face à face avec l’ancien directeur du séminaire de Saint-Sulpice et à essayer enfin la puissance de sa dialectique religieuse et les forces de son éloquence théologique contre cet adversaire modeste, mais obstiné, dont il connaissait déjà la science et l’esprit, et qu’il ne pouvait s’empêcher d’estimer à cause de son honorable fermeté. Peu d’instans avant l’ouverture de la séance, deux prélats, M. Jauffret, évêque de Metz, et M. de Boulogne, évêque de Troyes, arrivèrent chez M. Émery, chargés par le cardinal Fesch de l’amener avec eux et dans sa propre voiture jusqu’aux Tuileries. M. Émery, qui n’avait pas reçu avis de la réunion, répondit que, n’ayant jamais eu voix délibérative dans la commission, l’ordre donné par l’empereur d’en rassembler tous les membres ne le regardait point. D’ailleurs il partait pour la campagne. Ces messieurs pourraient donc sans mentir affirmer qu’il n’était pas à Paris, ce qui serait très vrai quand ils le diraient, car il allait monter en voiture. Sa vraie raison était, comme il le fit sentir aux deux évêques, que son embarras serait extrême dans le cas où l’empereur l’obligerait à donner son avis sur les questions agitées dans la commission. L’un des prélats admettait cette défaite; l’autre lui objecta que son refus pouvait irriter l’empereur et attirer de nouveaux orages sur sa compagnie, déjà si mal vue du gouvernement impérial. Pour se tirer d’incertitude, le pieux abbé entra un instant dans son oratoire et sollicita à genoux les lumières dont il avait besoin afin de diriger sa conduite dans une circonstance si critique. Peu de minutes après, il en sortait, calme et résigné, déclarant à MM. Jauffret et de Boulogne qu’ils pouvaient l’emmener avec eux. C’est ainsi que fut conduit aux Tuileries à la dernière minute, avec une répugnance extrême et presque malgré lui, le héros à coup sûr fort involontaire de la scène qui nous reste à raconter.

M. Émery n’arriva point trop tard à la réunion. L’empereur s’était fait attendre pendant deux grandes heures. C’était son habitude de dire que les gens qui avaient longuement attendu étaient plus hébétés. Il parut enfin, environné de ses grands officiers et de cet appareil solennel qui lui était si parfaitement indifférent au camp en temps de guerre, mais dont il aimait à s’entourer dans les circonstances importantes de sa vie civile afin d’en imposer davantage aux gens, et qui là même se trouvait encore si parfaitement inutile, car sa personne seule produisait plus d’effet que toute cette magnificence de parade. Jusqu’en ces derniers temps, on avait répété que l’empereur avait ouvert cette pompeuse séance par une diatribe contre le pape dont les termes violens dépassaient toute vraisemblance. Toutefois ces récits ne semblaient pas mériter une entière confiance. Le doute n’est plus possible aujourd’hui, car les éditeurs de la Correspondance de Napoléon Ier ont bien voulu prendre la peine de nous donner eux-mêmes le résumé authentique des paroles qu’il prononça. En voici les principaux passages :


« ….. Messieurs les cardinaux, archevêques et évêques composant le comité ecclésiastique,….. vous me dites que le clergé de France, imbu de la doctrine sacrée de l’Évangile, s’indignerait de toute entreprise contre l’autorité du souverain.

« Le pape a entrepris contre mon autorité en excommuniant mes ministres, mes armées, presque tout l’empire, et ce pour soutenir des prétentions temporelles; cependant, dans l’état actuel de la religion catholique, où la doctrine de ceux qui ont subordonné les évêques aux volontés et aux intérêts de la cour de Rome a prévalu, quel moyen ai-je pour mettre mon trône à l’abri de pareilles attaques? Y a-t-il un moyen canonique de punir un pape qui prêcherait la révolte et la guerre civile?

« Le pape a entrepris non-seulement contre mon autorité, il a aussi entrepris contre l’autorité et le bien des églises de l’empire, soit en laissant perdre l’église d’Allemagne, soit en refusant d’instituer mes évêques, et depuis en défendant aux chapitres de remettre les pouvoirs de vicaire capitulaire aux individus que j’aurais nommés... Des bulles, des correspondances, ont été imprimées par ordre du pape et répandues dans toute la chrétienté. Il n’a pas dépendu de lui que les scènes des Clément, des Ravaillac, des Damien, ne se renouvelassent. Il n’a pas dépendu de lui que je sois abandonné de mes peuples, de mes armées, comme Philippe le Long... Je sais qu’il faut rendre à Dieu ce qui est à Dieu; mais le pape n’est pas Dieu. Lorsqu’on voit les papes constamment s’agiter et bouleverser la chrétienté pour les intérêts temporels du petit état de Rome, c’est-à-dire d’une souveraineté qui équivaut à un duché, on déplore l’état de la société catholique, compromise pour de si chétifs intérêts.

«….. Je ne saurais plus regarder le concordat comme existant, et je ne puis accepter la modification que vous me présentez. Un contrat synallagmatique est nul quand une des parties l’a violé. Le pape a violé le concordat depuis quatre ans. Il a violé précédemment celui qu’il avait fait avec mon royaume d’Italie, ce qui a pénétré d’indignation toute mon église italienne. Dans cette situation des choses, la clause que l’institution serait donnée par les métropolitains, si le pape ne la donnait pas, ne garantirait pas mes successeurs des querelles qu’ils pourront avoir avec les papes[28]. »


Après ce discours, « qui ne fut, dit Consalvi, qu’un tissu de principes erronés, de faussetés, de calomnies atroces, de maximes anti-catholiques, pas un cardinal, pas un évêque n’eut le courage de défendre la vérité en présence de la force et de la puissance. Oubliant leurs devoirs, ils gardèrent tous un scandaleux silence[29]. » Les ecclésiastiques présens à cette scène n’étaient pas les seuls à être terrifiés. L’étonnement et l’épouvante jetés dans l’assemblée entière par de telles invectives avaient fermé toutes les bouches. On se regardait les uns les autres sans souffler mot. Alors l’empereur, un peu embarrassé lui-même, et comme pour opérer une sorte de diversion, s’adressant à M. Émery, lui demanda ce qu’il pensait de tout cela. M. Émery, directement interpellé, jeta d’abord les yeux sur les évêques de la commission, comme pour obtenir d’eux la permission.de dire son avis en leur présence, puis, se tournant vers l’empereur : « Sire, dit-il, je ne puis avoir sur ce point d’autre sentiment que celui qui est contenu dans le catéchisme enseigné par vos ordres dans toutes les églises de l’empire. Je lis dans ce catéchisme que le pape est le chef visible de l’église. Or un corps peut-il se passer de son chef, de celui à qui, de droit divin, il doit l’obéissance? » La simplicité de cette réponse et la citation de son propre catéchisme parurent surprendre l’empereur, et comme il affectait d’attendre que M. Émery continuât de parler, celui-ci reprit : « On nous oblige en France à soutenir les quatre articles de la déclaration de 1682 ; mais il faut en recevoir la doctrine tout entière. Dans le préambule de cette déclaration, on lit que la primauté de saint Pierre et des pontifes romains est instituée par Jésus-Christ, et que tous les chrétiens lui doivent obéissance. De plus on ajoute que les quatre articles ont été décrétés pour empêcher que, sous prétexte des libertés de l’église gallicane, on ne pût porter atteinte à cette primauté. » M. Émery entra ensuite dans quelques développemens pour montrer que les quatre articles, quoiqu’ils limitassent la puissance du pape sur quelques points, lui conservaient une autorité si grande et si éminente qu’on ne pouvait régler sans sa participation aucune affaire importante en matière de dogme ou de discipline : d’où il conclut que, « si l’on assemblait un concile, comme on parlait de le faire, ce concile n’aurait aucune valeur, s’il se tenait sans l’aveu du pape. » La citation du catéchisme impérial avait quelque peu surpris l’empereur, car ce n’était probablement point sa lecture habituelle. Les citations de la déclaration de 1682 au contraire ne l’étonnèrent pas beaucoup, car il en avait fait une étude particulière. Plus d’une fois il avait même dit à son premier aumônier et à son confident, M. de Pradt, qu’il n’y avait rien du tout dans ces quatre propositions dont on faisait tant de bruit. Il n’avait pas été beaucoup plus satisfait, à son point de vue, du discours prononcé par Bossuet à l’ouverture de l’assemblée de 1682 et de la façon dont le grand évêque avait tenu d’un bout à l’autre la balance si parfaitement égale entre le pouvoir des souverains et celui des papes. Au grand ébahissement des assistans. Napoléon ne témoigna aucune colère. On eût presque dit, nous raconte l’un d’eux, qu’il prenait un certain plaisir « à provoquer, à agacer même M. Émery[30]. » « Eh bien ! reprit l’empereur, je ne conteste pas la puissance spirituelle du pape, puisqu’il l’a reçue de Jésus-Christ; mais Jésus-Christ ne lui a pas donné la puissance temporelle. C’est Charlemagne qui la lui a donnée, et moi, comme successeur de Charlemagne, je veux la lui ôter, parce qu’il ne sait pas en user et qu’elle l’empêche d’exercer ses fonctions spirituelles. Monsieur Émery, qu’avez-vous à dire à cela? — Sire, répondit M. Émery, je ne puis encore avoir là-dessus d’autre-sentiment que celui de Bossuet, dont votre majesté respecte avec raison la grande autorité, et qu’elle se plaît à citer souvent. Or ce grand prélat, dans sa Défense de la déclamation du clergé, soutient expressément que l’indépendance et la pleine liberté du souverain pontife sont nécessaires pour le libre exercice de son autorité spirituelle dans tout l’univers et dans une si grande multiplicité de royaumes et d’empires, » Et tout de suite, sans hésitation, car il l’avait très présent à l’esprit, parce qu’il l’avait souvent cité à la commission elle-même, M. Émery se mit à rapporter textuellement le passage de Bossuet, faisant en particulier ressortir ces paroles de l’évêque de Meaux : « nous félicitons de sa souveraineté temporelle non-seulement le siège apostolique, mais encore l’église universelle, et nous souhaitons de toute l’ardeur de notre cœur que cette principauté sacrée demeure saine et sauve en toutes manières. »

Napoléon avait écouté patiemment, comme il lui arrivait d’ordinaire lorsqu’il rencontrait quelqu’un qui savait parler avec poids des choses qu’il connaissait parfaitement. « Eh bien! dit-il, je ne récuse pas l’autorité de Bossuet. Tout cela était vrai de son temps, où l’Europe reconnaissait plusieurs maîtres, li n’était pas convenable que le pape fût alors assujetti à un souverain particulier; mais quel inconvénient y a-t-il que le pape me soit assujetti, à moi, maintenant que l’Europe ne connaît d’autre maître que moi seul? » L’embarras de M. Émery n’était pas médiocre en présence de cet incommensurable orgueil de l’empereur, car il aurait souhaité le convaincre, et ne voulait pas le blesser. « Votre majesté connaît mieux que moi, reprit-il, l’histoire des révolutions. Ce qui existe maintenant peut ne pas toujours exister, et dans ce cas tous les inconvéniens prévus par Bossuet pourraient reparaître. Il ne faut donc pas changer un ordre si sagement établi. » L’empereur ne répondit pas; mais, passant à la clause que les évêques avaient proposé de faire ajouter au concordat et portant que sa sainteté donnerait l’institution canonique dans un délai déterminé, faute de quoi le droit d’instituer serait dévolu au concile de la province, il interpella derechef M. Émery, lui demandant s’il croyait que le pape ferait cette concession. M. Émery répondit sans hésiter qu’il croyait que le pape ne la ferait pas, parce que ce serait anéantir son droit d’institution. L’empereur fit un mouvement, et, se tournant vers les évêques de la commission, il leur dit : « Ah! ah! messieurs, vous vouliez me faire faire un pas de clerc en m’engageant à demander au pape une chose qu’il ne doit pas m’accorder. » Les évêques furent très mortifiés de l’apostrophe que leur avait attirée la réponse de M. Émery. En se levant pour se retirer, l’empereur salua gracieusement de la tête l’ancien supérieur de Saint-Sulpice sans paraître faire beaucoup d’attention aux autres membres de la commission. Il demanda en sortant à l’un des évêques si ce que M. Émery avait dit de l’enseignement du catéchisme sur l’autorité du pape s’y trouvait effectivement. L’évêque ne put s’empêcher de le reconnaître. Il s’ensuivit un moment de conversation générale, et, se groupant autour de l’empereur, les collègues de M. Émery, qui appréhendaient que sa franchise ne lui eut déplu, le supplièrent de l’excuser à cause de son grand âge. « Vous vous trompez, messieurs, répondit-il, je ne suis aucunement fâché contre M. Émery. Il a parlé en homme qui sait son affaire, et c’est ainsi que j’aime qu’on me parle. Il est vrai qu’il ne pense pas comme moi ; mais ici chacun doit avoir son opinion libre. »

Tout le monde était sorti de cette séance frappé de la façon à la fois ferme et mesurée dont un simple prêtre avait su tenir tête à l’homme que personne n’osait plus contredire, mais étonné surtout de la patience avec laquelle l’empereur avait supporté cette contradiction. « Je savais bien que l’abbé Emery avait beaucoup d’esprit, dit tout haut M. de Talleyrand en s’adressant à ses voisins, mais je ne croyais pas qu’il en eût autant. Il a l’adresse de dire la vérité à l’empereur sans lui déplaire. » Napoléon avait gardé une telle impression de la sagesse de l’ancien directeur de Saint-Sulpice que le cardinal Fesch, voulant quelques jours après lui parler d’affaires ecclésiastiques, en reçut cette brusque réponse : « Taisez-vous, vous êtes un ignorant. Où avez-vous appris la théologie ? C’est avec M. Émery, qui la sait, que je dois m’en entretenir[31]. » Toutefois ces dispositions favorables de Napoléon pour l’abbé Émery n’allèrent pas si loin que de vouloir lui permettre de rentrer dans son séminaire. Au cardinal Fesch, toujours imprudent, mais non moins généreux, qui lui demandait cette grâce avec passion pour son ancien directeur de conscience, il se contenta de répondre : « C’est bon, nous verrons plus tard. » Cependant les jours de l’abbé Émery étaient comptés. L’effort qu’il avait fait pour soutenir devant le chef de l’empire une cause sacrée à ses yeux, et qui trouvait alors si peu de défenseurs, avait épuisé ses dernières forces. Il avait trop de perspicacité et de bon sens pour se flatter que l’impression qu’il avait un moment produite sur le chef de l’état pût durer longtemps et détourner les maux qu’il prévoyait pour l’église de France. Son courage personnel n’était pas abattu ; mais il avait perdu toute confiance dans le dénoûment que les prétentions de plus en plus exorbitantes de l’empereur et les complaisances toujours croissantes de ses collègues de la commission ecclésiastique lui faisaient entrevoir. Comme nous l’avons déjà raconté, il ne songeait plus qu’à prendre les mesures nécessaires pour transporter le principal établissement des sulpiciens hors de France, à Baltimore, dans les états libres de l’Amérique du Nord ; mais l’annonce de la prochaine réunion du concile national que l’empereur avait définitivement convoqué pour les premiers jours de juin parut lui porter un nouveau coup. Il mourut avant qu’il ne fût assemblé, le 28 avril 1811.

Les paroles prononcées par l’abbé Émery dans la séance du 16 mars ne furent pas toutefois sans produire quelque effet sur les déterminations ultérieures de Napoléon. Il en avait remporté cette impression, que ses conseillers ecclésiastiques avec leur trop facile complaisance avaient été au moment de lui faire faire ce que lui-même avait appelé un pas de clerc en le compromettant dans une négociation dont il n’était point assuré de se tirer à son honneur. Il avait aussi retenu des citations de Bossuet commentées avec tant d’autorité par M. Émery, qu’un arrangement préalable avec le pape était nécessaire, s’il voulait éviter un schisme. Cela lui donna beaucoup à réfléchir. Si emporté qu’il fût par la passion, Napoléon aimait à calculer tous ses actes et à mettre en toute occasion, même quand il cédait aux plus extravagantes fantaisies, les meilleures chances de son côté.

Qu’on veuille bien se rappeler un instant les phases par lesquelles au sujet de ces matières ecclésiastiques avait successivement passé l’esprit de l’empereur, phases diverses et contradictoires que nous avons tâché d’exposer aussi exactement que possible dans cette étude. Au début, il avait songé à régler ces incommodes questions à lui seul et par la voie législative. Ses conseillers laïques les plus autorisés l’en avaient détourné; ils l’avaient renvoyé à la commission ecclésiastique de 1809; celle-ci ne lui avait donné que de vagues avis entremêlés de force complimens, mais sans lui apporter aucune solution satisfaisante. Réunie une seconde fois et mise au pied du mur en 1811, elle avait fini de guerre lasse par proposer un expédient qui à première vue avait semblé à l’empereur devoir le tirer enfin d’embarras ; mais voici qu’un modeste prêtre lui avait tout à coup fait sentir pour ainsi dire au doigt et à l’œil, eh présence de tous les hommes politiques de son empire, ce qu’un pareil expédient avait de futile et de dérisoire. Après tant d’efforts accumulés et tant de détours essayés apparaissaient plus que jamais la vanité des coups de force qu’il avait tentés et la nécessité pour lui de traiter à l’amiable, sur le pied de l’égalité, avec le pontife désarmé qu’il tenait depuis deux ans captif à Savone. Malgré tout ce que cette démarche allait coûter à son orgueil, l’empereur résolut de la tenter. Au moins ne fallait-il pas qu’elle fût inutile. Il nous reste maintenant l’obligation d’entrer, au sujet de cette tardive négociation, dans de singuliers et tristes détails qui n’ont jamais été révélés au public.


D’HAUSSONVILLE

  1. Voyez la Revue du 1er août 1868.
  2. L’empereur au vice-roi d’Italie, 5 janvier 1811. — Même lettre au prince Borghèse et à la grande-duchesse de Toscane. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XXI, p. 353. — La colère de Napoléon contre M. Portalis s’amortit toutefois avec le temps. En 1812, M. le comte Molé, alors grand-juge, l’ayant proposé pour la place de premier président à la cour impériale d’Angers, l’empereur signa sa nomination sans difficulté. Quant à l’abbé d’Astros, il paraît qu’il en coûtait davantage à l’empereur de lui pardonner, car il demeura prisonnier à Vincennes jusqu’au 9 février 1814. Quand les cosaques approchèrent de Paris, on le transporta, en compagnie de trois autres détenus ecclésiastiques, dans les prisons civiles d’Angers. Par une étrange coïncidence, ce fut son parent et son ami, le premier président Portalis, qui fut chargé d’aller peu de jours après lui annoncer à la fois sa délivrance, la chute de Napoléon et la restauration des Bourbons.
  3. Voyez le Moniteur du 7 janvier 1811.
  4. Lettres de l’abbé Émery à l’évêque d’Alais, des 12, 22 janvier, 4 et 21 février 1811. — Papiers manuscrits gardés au séminaire de Saint-Sulpice pour écrire la vie de M. Emery.
  5. Lettre de l’empereur à M. le comte Bigot de Préameneu, 6 janvier 1811. (Cette lettre n’est pas insérée dans la Correspondance de Napoléon Ier.)
  6. Voir la Vie de l’abbé Emery, t. II, p. 293. — L’impartialité, qui est notre loi, nous oblige à dire que M. Poujoulat, dans la vie qu’il a écrite du cardinal Maury, rapporte qu’il a été amené à douter un peu de cette substitution d’une adresse à une autre. Ce doute lui est venu, dit-il, à la suite de la connaissance qu’il a eue de quelques papiers laissés par M. Picot, qui avait tenu lui-même entre les mains une note écrite par l’abbé Jalabert, laquelle ne justifierait pas ce soupçon. Nous croyons qu’il y a ici une simple confusion de mots. Jamais il n’a été question parmi les personnes bien informées de la substitution intégrale d’une adresse à une autre. Si c’est là l’erreur qu’a voulu redresser M. Picot, il a eu parfaitement raison. Il s’agit uniquement de savoir si, grâce à un procédé peu scrupuleux dont nous avons déjà rencontré trop d’exemples dans le cours de cette histoire, le texte d’un document public a été irrégulièrement modifié dans quelques-unes de ses parties, parce qu’il gênait les convenances impériales. Le cardinal Maury, par amour-propre d’auteur ou par ordre de l’empereur, a-t-il eu recours à une ruse vulgaire afin de procurer une satisfaction plus complète aux passions qui lui étaient communes avec son maître ? Voilà tout le débat. Il nous paraît, quant à nous, tranché par l’affirmation du respectable M. Garnier, qui tenait tous les détails de cette audience de son intime ami l’abbé Émery. M. Jalabert l’aurait d’ailleurs raconté lui-même à l’auteur de la vie du directeur de Saint-Sulpice. Les témoignages de M. l’abbé Garnier, de M. Émery, la parole de M. Jalabert encore vivant, ne sont-ils pas plus dignes de créance que cette note si vague trouvée après sa mort, et qui n’a d’ailleurs jamais été produite ?
  7. Sommaire de l’entretien de sa majesté avec le chapitre de Paris à l’audience du dimanche 6 janvier 1811. (Le texte de cette allocution, conservé parmi les papiers d’état du premier empire, n’a pas été inséré, comme l’ont été tant d’autres documens de cette nature, dans la Correspondance de Napoléon Ier.)
  8. Voyez le Moniteur du 4 et du 5 mars 1811.
  9. « Donnez 6,000 livres de gratification à l’évêque de Savone, qui est fort pauvre. » — Lettre de l’empereur à M. le comte Bigot de Préameneu, 10 mars 1811. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XXI, p. 459.
  10. Lettre de l’empereur à M. le comte Bigot de Préameneu, 6 janvier 1811. (Cette lettre n’est pas insérée dans la Correspondance de Napoléon Ier.)
  11. Rapport de M. Bigot à l’empereur sur les conséquences résultant de la défense qui serait faite d’adresser aucune demande au pape, 4 janvier 1811.
  12. C’est l’assertion de Napoléon qui est erronée. Ainsi que s’en souviennent peut-être nos lecteurs, la prise de possession de Rome et la substitution au château Saint-Ange des couleurs françaises au drapeau pontifical avaient eu lieu le 9 juin 1811, pendant que Pie VII séjournait encore au palais du Quirinal. L’empereur veut probablement parler du sénatus-consulte, qui ne fut en effet publié que plus tard.
  13. L’empereur Napoléon au comte Bigot de Préameneu, 29 janvier 1811. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XXI, p. 372.
  14. M. de Pradt, les Quatre Concordats, t. II, p. 447-448.
  15. M. de Pradt, les Quatre Concordats, t. II, p. 227 et p. 457.
  16. Lettre de l’abbé Émery à l’évêque d’Alais, 20 janvier 1809. — Papiers manuscrits conservés au séminaire de Saint-Sulpice pour servir à écrire la vie de l’abbé Émery.
  17. M. de Pradt, les Quatre Concordats, t. II, chap. XXI.
  18. Il résulte de plusieurs documens authentiques qui sont présentement sous nos yeux que M. de Barral ou ses éditeurs ont positivement supprimé le préambule des réponses faites par les évêques du comité, probablement parce que ce préambule contenait des protestations de dévoûment à la personne sacrée de l’empereur qui ne paraissaient plus de mise alors que Napoléon était à son tour prisonnier à l’île d’Elbe, en face et presqu’en vue de la petite ville de Savone. M. de Barral s’est-il permis de plus graves changemens? Nous ne saurions le dire. Il n’y a jamais eu de texte officiellement publié des réponses faites à l’empereur par les commissions ecclésiastiques de 1809 et de 1811. M. de Barral, comme l’indique le titre de son ouvrage, n’en a publié lui-même que des fragmens. On possède, il est vrai, au séminaire d’Orléans et à celui de Paris des copies complètes de ces réponses, qui ne sont pas entièrement conformes au texte publié par M. de Barral; mais cela même ne prouve rien, et l’on aurait peut-être tort de s’en rapporter à ces copies, car il peut, il doit même y avoir eu de notables différences entre la version primitive telle qu’elle avait été rédigée d’abord par les évêques et la version qu’ils ont ensuite officiellement remise après y avoir introduit les modifications exigées par le chef de l’état. Le texte présenté à l’empereur se conserve aujourd’hui aux archives impériales dans deux cartons 3178/1028 et 3177/1027 que tout le monde peut demander. Plusieurs personnes ont été, à notre connaissance, admises à les consulter. Nous aurions aimé à pouvoir, comme tant d’autres, comparer nous-même ces versions différentes; mais M. le maréchal Vaillant, ministre de la maison de l’empereur, nous ayant fait l’honneur de nous dire qu’il avait donné les ordres les plus positifs pour qu’il ne nous fût rien communiqué aux archives impériales, nous avons dû forcément renoncer au plaisir de nous livrer à cette très innocente enquête.
  19. M. de Pradt, les Quatre Concordats, t. II, p. 459-460.
  20. Vie de l’abbé Coustou, par l’abbé Coste, p. 232.
  21. Cette partie de la réponse des évêques n’est pas insérée dans les Fragmens historiques de M. de Barral.
  22. Lettre de l’empereur au comte Fouché, Schœnbrunn, 5 septembre 1809. — Correspondance de l’empereur Napoléon Ier, t. XIX, p. 428.
  23. Lettre de M. l’abbé Émery à M. Bigot de Préameneu, ministre des cultes, 3 février 1811. — Papiers manuscrits conservés au séminaire de Saint-Sulpice pour écrire la vie de M. Émery.
  24. Instructions remises par M. Bigot de Préameneu au conseil ecclésiastique de 1811, 8 février 1811. — Ces instructions ne sont pas relatées dans les Fragmens historiques de M. de Barral.
  25. Notice de M. Garnier, composée d’après les papiers conservés au séminaire de Saint-Sulpice pour écrire la vie de l’abbé Émery.
  26. Fragmens historiques de M. de Barral, p. 182.
  27. Fragmens historiques de M. de Barral, p. 182.
  28. L’empereur au comité ecclésiastique à Paris, 10 mars 1811. — Correspondance de Napoléon Ier, t. XXI, p. 481.
  29. Le cardinal Consalvi, cité dans les mémoires du cardinal Pacca, t. II, p. 297.
  30. M. de Pradt, les Quatre Concordats, t. II, p. 453.
  31. Vie de l’abbé Émery, p. 311.