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L’Émigré/Lettre 017

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P. F. Fauche et compagnie (Tome Ip. 157-162).


LETTRE XVII.

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La Cesse de Loewenstein
à
Melle Émilie de Wergentheim.


Il est naturel qu’on désire savoir l’effet qu’on a produit sur les personnes dont le suffrage est flatteur, et j’étais bien assurée que le Marquis était curieux de savoir ce que vous m’avez dit de lui ; mais il craignait sans doute qu’il y eût de la présomption à penser qu’on s’en était occupé, et croiriez-vous que cela a produit une scène touchante. Mademoiselle Émilie a dû me trouver bien heureux, m’a-t-il dit en me voyant, moi pauvre impotent, moi malheureux Émigré, proscrit de sa patrie, repoussé de la plupart des pays, établi si agréablement auprès de sa charmante amie, et recevant d’elle des soins…… Sa voix s’est altérée, il a eu de la peine à achever sa phrase, et j’ai vu une larme sur sa joue. Vous allez être surprise, Emilie ; l’attendrissement m’a gagnée, et j’ai balbutié : mon oncle et ma mère, monsieur le Marquis, sont eux-mêmes… Mon oncle qui était derrière moi a pris la parole. « Ne voilà-t-il pas encore des complimens. » Je me suis remise de mon trouble et tâchant de plaisanter pour n’y pas retomber, j’ai dit : tout au contraire, c’est un compliment que monsieur le Marquis cherche. Il désire de savoir ce que pense de lui ma chère Émilie. Mais que dites-vous du trouble que j’ai éprouvé ?… Et n’admirez-vous pas combien l’accent du sentiment fait impression sur l’ame. L’expression de la reconnaissance du Marquis a agi sympathiquement sur moi, et m’a singulièrement émue. Mon oncle a repris la parole et s’adressant au Marquis. Voilà comme sont les femmes, a-t-il dit, elles croient que l’homme le plus sensé met un prix infini à leur suffrage, et ma nièce pense que le Marquis souffrant cruellement et inquiet à tant de titres, s’occupe de ce que peut penser, et dire de lui une jeune Demoiselle qu’il n’a fait qu’entrevoir, et qu’il ne verra peut-être de sa vie. Il est bien certain qu’elles ont plus parlé de vous que de moi ; mais enfin chacun a son temps, et quand vous aurez fait vingt campagnes, mon cher Marquis, écoutez si vous voulez aux portes, et vous n’entendrez pas les belles dames parler de vous, à moins que vous ne soyez un mari jaloux. Elles sont toutes de même, à commencer par mademoiselle Émilie. Je ne sais si philosophe est féminin, mais enfin il ne me vient pas d’autre mot, je vous dirai donc que c’est une grande philosophe, et que cela n’empêche pas qu’elle n’ait une belle passion tout au travers du cœur, en tout bien tout honneur, s’entend. C’est au reste une très-aimable personne, quoiqu’elle s’embrouille quelquefois dans la décomposition des sentimens. Ma nièce semble avoir le secret de l’entendre ; mais je crois que moins elle la comprend, et plus elle la trouve sublime. Son amoureux est un brave jeune homme d’une très-bonne maison qui s’est alliée à la nôtre il y a plus de quatre-cents ans, et je ne me trompe pas, car c’était du temps de l’Empereur Henri V. Nous étions Guelfes, et ils étaient Gibelins à toute outrance. Le petit dieu d’Amour n’en tint compte, et il en résulta une alliance mémorable par ses effets, parce qu’elle contribua à calmer les esprits dans la Westphalie. Mademoiselle Émilie sera, je crois, fort heureuse avec lui. Vous pensez bien que cette conversation me peinait singulièrement ; mais vous savez aussi qu’on arrêterait plutôt un torrent que mon oncle, quand il est sur certains chapitres. Bon soir, mon Émilie.

P. S. Dites quelque chose d’honnête dans votre réponse pour notre héros blessé, que je puisse lui montrer ; car il paraît mettre un grand | prix à votre approbation, et parle de vous de manière à me satisfaire, ce qui n’est pas une petite tâche. Encore une fois, bon soir.

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