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L’Étudiant de Salamanque/Partie II

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DEUXIÈME PARTIE

 … Except the hollow sea’s
Mourns o’er the beauty of the Cyclades.

Byron. D. Juan, chant 4.

La nuit est sereine, couronnée d’étoiles ; l’azur du ciel resplendit comme une gaze transparente.

La lune mélancolique dépasse la cime du coteau : à peine élève-t-elle timidement son front candide,

et illumine-t-elle l’horizon, pure vierge solitaire, baignant le ciel et la terre de sa lueur blanche et douce.

Le ruisseau, brillant ruban d’argent, glisse, sous la splendeur de la lune, entre des franges d’émeraude.

Des étincelles argentées brillent entre les épaisses ramures ; et dans le sein des fleurs, les brises tantôt s’endorment,

tantôt, éveillées, murmurent et, déployant leurs ailes, bercent la blanche fleur d’oranger, secouent l’acacia embaumé,

agitent rameaux et fleurs et s’imprègnent de parfums : aussi pure était cette nuit que celle où les anges

déployèrent leurs ailes sur la première flamme que l’amour alluma au monde, dans le séjour de l’Éden.

Une femme ! Peut-être est-ce une blanche sylphide ? solitaire qui erre mystérieusement parmi les rayons de la lune ?

Blanche est sa robe ; ses cheveux ondoient, déroulés sur ses épaules ; feuille à feuille, elle jette les fleurs qu’elle porte à la main.

Sa démarche est incertaine et lente, ses regards sont inquiets ; elle semble un rêve magique qui caresse l’âme et la trompe.

Voyez-la : tantôt elle regarde le ciel, tantôt elle soupire et s’arrête ; parfois ses yeux laissent échapper une larme qui vient brûler

sa joue ; c’est une onde de la mer que le vent des passions, en violente tempête, a soulevée dans son âme.

Puis elle s’assied et soudain se relève effrayée ; anxieuse, elle parcourt le jardin et s’arrête pour écouter.

c’est le susurrement de la brise, c’est le murmure de l’eau, ce n’est pas sa voix, ce n’est pas le son mélancolique de la harpe.

Ce sont des illusions qui vécurent : souvenirs qui te trompent, hélas ! ombres du bonheur qui passa… Celui que tu aimes t’a oubliée.

Cette nuit et cette lune sont les mêmes qui, indifférentes, ont vu ta félicité, comme elles voient aujourd’hui ton malheur.

Ah ! pleure, pauvre Elvire ! triste amante abandonnée ! ces feuilles que tu arraches distraitement de ces fleurs,

sais-tu, infortunée, où le vent les emporte ? Là où allèrent tes amours, ton illusion et ton espérance.

Effeuillées et flétries, pauvres fleurs de ton âme !


Blanche nue de l’aurore, teinte d’opale et de pourpre, la lumière qui naît te colore, brillante avant-coureuse du matin candide.

Mais, hélas ! comme ta pureté virginale se dissipa ! L’air emporta ton charme comme le bonheur idéal que t’avait promis l’amour.

Les feuilles tombées de l’arbre sont les jouets du vent : les illusions perdues sont des feuilles détachées de l’arbre du cœur !

Le cœur sans amour, triste solitude recouverte de la lave de la douleur, désert obscur et immense où ne naît pas une fleur !

Au loin, un bois sombre, le soleil qui tombe dans la mer, sur la plage un douar, et à l’horizon un navire qui navigue vent en poupe,

voilà ce qu’un verre trompeur nous fait voir dans une illusion fantastique, montrant à l’œil enchanté d’agréables visions que la riche imagination embellit.

Ô femme, tu es un fanal transparent de beauté : malheur à toi, si l’homme brise, en sa folie, ton cristal mystérieux.

Mais, hélas ! bienheureuse es-tu, Elvire, en ton malheur même, car ta folie mystérieuse te procure des délices alors que ton cœur soupire :

la raison est un tourment et mieux vaut délirer qu’analyser froidement le sentiment en y fixant sa pensée.


Voyez-la : voici qu’en sa folie elle rêve qu’il est présent, le bien qui a fui pour toujours : elle murmure avec amour de douces paroles et croit entendre le perfide qu’elle aima.

Prosternée, elle implore sa pitié comme si elle le tenait là : bientôt elle se voit seule et pleure, puis tout à coup, prise de délire, sourit :

Et ses folles pensées, en violent tourbillon, ont obscurci son front comme les nuées qu’amasse le vent et qui couvrent le ciel de leur sombre amoncellement.

La voici, qui, pleine de sollicitude, choisit des fleurs et les emporte pêle-mêle dans sa robe, et qui s’amuse à tisser une guirlande, couronne nuptiale de ses amours.

Au milieu de son doux égarement, un triste souvenir vient importuner son âme, elle s’avance au bord du ruisseau argenté et y jette les fleurs une à une ;

et sa vue les suit s’éloignant rapides, l’une après l’autre, dans le courant, et, dans la confusion de ses yeux et de son esprit, elle sent que les larmes l’étouffent :

et elle chante d’amour, et en sa tendre plainte, entonne une mélancolique chanson, chanson qui laisse l’âme déchirée, lamentation qui navre le cœur.


Que me servent ton calme et ta tendresse, tranquille nuit, lune solitaire, si vous ne calmez la cruauté du sort et ne me donnez un espoir de bonheur ?

À quoi bon la grâce et la beauté, à quoi bon aimer comme jamais n’aima aucune femme, si la passion qui me dévore l’âme est méconnue de celui qui l’a fait naître ?


Des larmes interrompent ses lamentations, elle penche sa tête sur sa poitrine, et autour d’elle, le vent, en un sanglot, murmure ses dernières paroles.

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Elle est morte d’amour, la malheureuse Elvire, rose candide étouffée par la douleur, parfum suave qu’aspire le voyageur et que la brise emporte sur ses ailes.

Vase de bénédiction, la lumière du jour refléta de riches couleurs dans son cristal, mais la terre ternit ses splendeurs et l’homme le brisa d’une main impie.

Une illusion caressa son esprit : âme céleste née pour aimer, l’amour était la source de son existence, sa vie était liée à son illusion.

Aimée du Seigneur, fleur bienheureuse, elle est morte pleine d’amour et de jeunesse : elle s’éveilla joyeuse par une belle matinée, et le soir elle dormit dans le cercueil.

Mais, au terme extrême de sa vie, elle s’éveilla aussi de sa folie, et lorsque la sépulture s’ouvrit sous ses pieds, la raison perdue revint à son esprit.

La froide raison ! la vérité amère ! le bonheur passé et la douleur présente !… Bienheureuse fut-elle de ne sentir qu’à l’heure de la mort le poids d’une si lourde charge !

Et comme elle savait sa fin prochaine, une larme brûla sa joue ; et mourante, la victime écrivit à l’infidèle d’une main qui tremblait :

« Je vais mourir : pardonne si mes paroles importunes viennent troubler ton oreille ; c’est là, don Félix, la dernière lamentation de la femme qui t’a tant aimé. Je sens la main glacée de la mort… Adieu : Je ne te demande ni amour ni pitié… Écoute et pardonne si, en quittant le monde, l’angoisse arrache un cri au moribond.

« Ah ! pour toujours adieu. Grâce à toi j’ai senti quelque temps ma vie glisser heureuse, et la parole tombée de ta bouche m’a causé de célestes extases. Mon esprit se complaît encore dans l’illusion chérie que j’ai, hélas ! perdue pour toujours. Tout a fui, tout a disparu avec toi ! Douces heures d’amour, je les bénis !

« Oui, je les bénis, ces heures fortunées, toujours présentes à ma mémoire, images enchanteresses d’amour, qui viennent encore me caresser dans mon agonie. Mais, hélas ! envolez-vous, fuyez à tout jamais, ombres trompeuses ; mon dernier jour est arrivé : pardon, pardon, mon Dieu, si je trouve encore du plaisir à me rappeler mes égarements.

« Et toi, don Félix, si tu t’irrites de me voir te rappeler ma misère, songe que mes yeux sont las de pleurer en silence des larmes d’amertume, et aujourd’hui que la tombe va dévorer ma dépouille, accorde cette consolation à ma tristesse : regarde ces lignes avec pitié et oublie ensuite Elvire à jamais.

« Et que jamais ma mémoire malheureuse ne trouble tes plaisirs par des souvenirs amers : que la vie te donne des jouissances, la gloire des triomphes, le monde du bonheur, l’amour d’autres femmes, et si parfois tu rappelles douloureusement à ton esprit ma lamentable histoire, pleure-moi, mais que ton cœur palpite exempt du remords rongeur.

« Adieu pour toujours, adieu : je ne sens plus que quelques instants de vie et le feu de mon amour brûle encore dans ma poitrine ; ma vue incertaine vague en se troublant… Ô mort ! viens calmer mon inquiétude !… Seule !… expirante !… Aime-moi : non, pardonne : inutile prière ! Adieu, adieu, j’ai perdu ton cœur ! — Pour moi, il n’y a plus rien au monde ! »

Elle écrivit ainsi ses tristes adieux, quelques moments avant de mourir, et se serra contre la poitrine de sa mère affligée dont les larmes coulaient sur son lit.

Elle exhala bientôt son dernier souffle, ses bras étreignirent sa mère d’un mouvement nerveux et convulsif, et ses lèvres murmurèrent un nom.

Et son âme s’enfuit à la demeure bienheureuse des anges… Autour de sa pierre funéraire, la terre produit de tristes fleurs ; le zéphir lamente ses amours.

Au dessus, un saule incline ses branches, il lui prête son ombre en un éplorement alangui, et le soir, quand le soleil décline, son dernier rayon baigne en paix son tombeau.