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L’écrin disparu/17

La bibliothèque libre.
Éditions Édouard Garand (p. 58-61).

XVII

CONTROVERSE.


Ce jour-là, le repas de midi s’était passé avec la cordialité discrète qui marquait les relations de la famille Giraldi avec ses invités ordinaires qui étaient l’Aumônier et le jeune Secrétaire, Hippolyte Paillard,

Sans passion, on avait parlé politique et religion puis, c’était inévitable, la conversation était tombée sur l’automobilisme. Encore vigoureux, quoique vieilli et droit malgré son âge, l’Aumônier gardait une sincère admiration pour tous les courageux, qui dans l’aviation comme dans l’automobilisme ont, souvent au péril de leur vie, perfectionné ces modes de locomotion appelés à rendre de si grands services.

Réservé par tempérament, Hippolyte n’aimait pas à se mettre en scène et à parler de lui. Néanmoins, au cours du repas, le prêtre fit si bien, que le jeune homme dut raconter les incidents des courses qui lui avaient valu le premier Prix en Floride et la coupe DAVIS & COY à Chicago ; mais il avait appuyé davantage sur deux échecs survenus l’année précédente et avait relaté avec minutie un accident, d’où sans miracle, il n’aurait pu sortir vivant.

Il avait fini de narrer, que tout le monde l’écoutait encore, si grand était le charme de sa parole sobre et nette, si puissant l’intérêt attaché à sa téméraire aventure. Sincère d’ailleurs, il n’avait dissimulé ni sa crainte, ni ses angoisses, lorsque pendant deux heures entières, il s’était vu loin de tout secours humain suspendu entre la vie et la mort.

— Tout de même conclut-il avec simplicité, c’est dans ces moments-là qu’on se souvient qu’il y a un Dieu.

— Vous avez pensé au bon Dieu, demanda Lucie qui jusque-là n’avait presque rien dit.

— Oui Madame, et j’ai prié comme j’aurais dû le faire bien plus souvent dans ma vie.

Toujours joviale, Madeleine laissa tomber sur le Secrétaire, qui lui en imposait un peu, un regard moins timide. Elle aurait cru que ce jeune homme, à l’apparence austère sous sa barbe noire, était plutôt sceptique que dévot ; mais elle eut la sagesse de garder pour elle-même son sentiment.

Comme la journée était idéale, on avait servi le café au jardin, sous la tonnelle, qu’affectionnait le Maître. Appelé par les exigences de son ministère, l’Aumônier avait dû se retirer de bonne heure. Pleins de déférence pour leur hôte distingué, les époux Giraldi l’avaient accompagné jusque sur la rue.

Il y avait eu un instant de silence gêné, quand les trois jeunes gens s’étaient trouvés seuls. Jean eût voulu reprendre ses courses avec sa sœur à travers les allées et les bosquets. Il aurait fallu qu’on lui expliquât qu’il n’était pas convenable qu’une grande fille jouât comme un enfant, devant un étranger.

Mais Madeleine, rompant le silence, dit tout à coup d’un petit air dégagé :

— Monsieur Paillard, vous allez trouver sans doute que je suis un peu hardie.

— Et pourquoi Mademoiselle ?

— Parce que je vais me mêler de choses qui ne me regardent pas !…

— Et lesquelles donc ?

— Eh bien ! voilà : Tout à l’heure, vous avez affirmé que vous aviez prié le bon Dieu, ce qui m’a fait plaisir, ajouta-t-elle ingénument, car je vous croyais plutôt sceptique.

— Me permettrez-vous, Mademoiselle, de vous demander sur quoi vous basiez votre opinion ?

— Veuillez excuser ma franchise Monsieur, mais pour vous parler net, je vous dirai, que c’est sur le fait que vous ne pratiquez pas votre religion.

— J’avoue, Mademoiselle, que vous m’embarrassez… C’est une véritable discussion que vous amorcez là, et…

— Eh bien, je consens à discuter, Monsieur, si toutefois ce sujet n’est pas un de ceux qui vous déplaisent ?…

En ce moment, monsieur Giraldi, qui revenait, entendit les derniers mots.

— Que je ne vous dérange pas dans vos polémiques, ajouta-t-il souriant.

— Toutefois, je dois vous prévenir Hippolyte, que si vous discutez religion avec ma fille, vous êtes battu d’avance.

— Toi « Papa » dit Madeleine en levant un index menaçant, tu vas pour un quart d’heure me faire le plaisir de garder la neutralité. Comme tu es dans le même cas que monsieur Paillard, tu prendras fatalement pour lui. Mais, comme tu es mon gentil Papa, que j’aime beaucoup et que je respecte souverainement, il ne m’appartient pas de critiquer quoi que ce soit dans tes idées. Mais, il n’en est pas de même pour Hippolyte, qui m’a permis de lui faire la morale.

— Morale, dont je pourrais faire mon profit, dit Léo en souriant…

Après une demi-heure d’argumentation serrée de part et d’autre, poussé jusque dans ses derniers retranchements par la logicienne impitoyable :

— Vous ne me répondez pas Monsieur Paillard !…

— Ma foi non, avoua franchement le jeune homme, pour la bonne raison, que je ne vois pas grand’chose à répondre. Il y a sans doute des points faibles dans votre raisonnement, mais cela nous entraînerait trop loin. Je préfère vous donner raison, quant au fond, du moins.

— Je ne vous ai pas froissé, j’espère, Monsieur ?

Le regard de celui-ci se fit ému et sympathique :

— Je n’en avais plus le droit, Mademoiselle, vous ayant concédé l’autorisation de la polémique. D’ailleurs, votre foi sincère et votre franchise charmante, autorisaient toutes vos audaces.

— Tu peux avoir raison. Madeleine, dit Monsieur Giraldi, qui jusque-là, avait observé la neutralité convenue ; mais tu es jeune, mon enfant, tu ignores la vie. Avec le temps, tu apprendras à témoigner de l’indulgence pour le grand nombre de ceux qui envient la foi et ne peuvent y atteindre. Les uns souffrent de leurs faiblesses, d’autres, de leur orgueil !…

— Ou de leurs haines accentua lentement Hippolyte.

— Mais, monsieur Paillard, dit vivement Madeleine, l’on ne peut plus haïr personne, si l’on croit vraiment en Dieu.

— Pas même ceux qui nous ont fait bien du mal, interrogea-t-il ?

— Jésus n’a-t-il pas pardonné à ses bourreaux, répliqua la jeune fille.

Le Secrétaire ne répondit rien ; mais Madeleine fut surprise de voir passer dans les yeux naguère si doux de son interlocuteur, comme une farouche expression de dureté.