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L’écrin disparu/37

La bibliothèque libre.
Éditions Édouard Garand (p. 138-143).

IX

LE RAPPORT DE PARIZOT.


Fidèle à sa promesse, Parizot après avoir installé Dupras dans la maison de son ami, revint au Parc des Cyprès. Le Vicomte d’Aisy fut le premier qu’il y rencontra.

— Savez-vous qu’ils sont venus, dit ce dernier, sûr de piquer la curiosité du reporter.

— De qui voulez-vous parler ?

— De l’enquête des policiers.

— Comment !… mais puisque le malheureux jeune homme n’a accusé que lui-même, je ne vois pas ce qui a pu éveiller d’autres soupçons, ni surtout de quels côtés la justice en aurait reçu l’avertissement !…

Partageant cette opinion, le Vicomte blâma sévèrement les magistrats enquêteurs : ils auraient dû y regarder à deux fois, avant de prendre une mesure capable de rendre suspecte à la masse du public, une famille aussi considérée.

— Et savez-vous sur qui les soupçons s’arrêtent de préférence, interrogea le Vicomte ?

— Pas le moins du monde, répliqua Parizot.

— Sur… Madame GIRALDI…

— Voilà qui est pour le moins singulier, pensa en lui-même le reporter.

— Si vous saviez que de questions ils nous ont posées pour tirer de nous un mot à la charge de la pauvre Dame… Évidemment, c’est le devoir des magistrats de s’informer ; mais je vous assure qu’ils l’ont fait consciencieusement !…

Il a fallu leur dire tout ce que nous savions de Madame Giraldi, anciennement Lédia Waldorf ; puis, qui nous avons vu fréquenter son salon ; quel thème revient le plus fréquemment dans ses conversations, etc… Heureusement l’accusation est si absurde, que pour témoigner en sa faveur, nous n’avons eu qu’à dire tout simplement la vérité.

Mais, ce qui me paraît au moins anormal, reprit le Vicomte, c’est que vous n’avez pas l’air de partager notre opinion !…

Parizot se récusa en faisant une protestation.

— Je ne veux pas faire ici l’avocat du diable !…

Quant à moi, Madame Giraldi m’apparaît comme une personne très sympathique ; mais, il est un fait que je veux vous signaler : mieux que personne, vous connaissez et appréciez les qualités de votre digne épouse, la Vicomtesse Madeleine d’Aisy : pourquoi donc une nature si exquise, un cœur et une intelligence si rares n’ont-ils pu encore trouver grâce aux yeux de madame Giraldi ?…

— Y a-t-il là, quelque chose de bien surprenant de la part d’une belle-mère ?… vous n’êtes pas à ignorer la loi générale ?…

— Je sais la réputation dont les belles-mères ont été gratifiées ; mais interrogea Parizot, ne croyez-vous pas que la question religieuse entre pour beaucoup dans l’antipathie de la mère et de la belle-fille ? Celle-ci, aussi pieuse que clairvoyante, ne soupçonne-t-elle pas chez Lédia, une conversion peu sincère, ou même entièrement feinte ?…

Ces réflexions embarrassantes, furent interrompues par un à propos du Vicomte d’Aisy :

— Les événements survenus en votre absence, nous ont tellement absorbés, que j’oubliais de vous demander le résultat de votre visite à la Longue-Pointe.

— Voyons, A. Dupras, est-il fou, oui ou non ?

— Pas plus que vous et moi répondit Parizot. Je ne saurais vous répéter ses confidences : il m’a prié de n’en faire part, jusqu’à nouvel ordre, qu’à Madame Giraldi. Mais, vu le trouble où l’a jetée la perquisition d’hier, il n’est peut-être guère opportun de lui annoncer mon retour !…

Pourtant, comme on n’a rien découvert de suspect ni chez elle, ni…

Avant d’achever, Parizot interrogea du regard le Vicomte :

— Ni chez le vieux chauffeur ?…

Le Vicomte ayant répondu par un simple signe de dénégation, le reporter insista :

— Au fait, quelle a été l’attitude de Harry durant les perquisitions ?

— Oh ! parfaite. — Bien que l’inspection de sa chambre et de ses tiroirs n’ait absolument rien révélé de compromettant, le Commissaire-enquêteur, l’a fait venir au salon pour l’interroger. Le pauvre diable a répondu avec autant de clarté qu’il lui a été possible, étant donnée son ignorance quasi-complète de la langue française. Mais son accent, son attitude raide d’ancien militaire devant son supérieur, étaient d’un effet plutôt comique pour les témoins…

— Oui, plus que pour lui, ajouta Parizot d’un ton presque sentencieux !…

Cependant, une grande préoccupation agitait l’esprit de ce dernier. Comment s’y prendrait-il pour répéter la déposition de A. Dupras, à celle que le Professeur de Jean, inculpait avec autant d’assurance ? La jeune Dame ne nierait-elle pas le tout avec véhémence ? Peut-être même, ferait-elle appeler son mari, pour la défendre contre ses accusateurs !…

Faudrait-il donc raviver la douleur de monsieur Giraldi en lui disant sur qui maintenant, pesaient les soupçons ?…

Indécis, Parizot resta un moment silencieux.

— Si j’écoute le sentiment, il fera céder ma volonté. Il est trop tard, pour m’arrêter. Je n’ai plus le droit de fuir, moi qui ai offert à Dupras de parler en son nom à madame Giraldi.

Après tout, que peut-elle me reprocher ? ne lui ai-je pas promis de lui communiquer le résultat de mon entrevue ?… Je lui donne plutôt une occasion de se justifier !… puisse-t-elle y réussir…

Il s’agissait de la rencontrer, sans toutefois éveiller l’étonnement et peut-être les suspicions de son entourage. Mais elle-même, l’avait prévenu sur ce point, car elle l’attendait d’un moment à l’autre.

Au détour d’un massif de verdure, il la vit debout sur la grande véranda, immobile, les yeux fixés vers l’entrée de l’avenue par où débouchent les voitures, semblant attendre quelqu’un… Bientôt leurs regards se rencontrèrent et Lédia, en un instant, fut au bas du perron :

— N’entrez pas tout de suite, pria-t-elle, venez avec moi dans le Parc… je voudrais vous entretenir sans que l’on nous écoute…

Parizot fut frappé de l’accent d’angoisse et de l’altération de la physionomie avec lesquels furent dites ces paroles.

La mante noire qu’elle avait jetée sur ses épaules, faisait ressortir la pâleur de son visage, que la brise barrait quelquefois des tresses de ses cheveux en désordre.

Le reporter ne parut point remarquer, qu’ayant les doigts crispés au rebord de la mante, elle avait omis de lui tendre la main : mais frappé du contraste de ce négligé avec les toilettes coutumières de la Dame, Parizot éprouva un sentiment de commisération.

— Je vous obéirai d’autant plus volontiers, Madame, dit-il, en s’inclinant, que j’ai, moi aussi, des communications graves à vous faire.

Lédia, anxieusement tourna les yeux vers les fenêtres de la résidence.

— Il faut nous éloigner un peu, dit-elle, baissant instinctivement la voix. Si quelqu’un nous observait, il trouverait étrange que nous restions ici au lieu d’entrer.

Il approuva d’un signe de tête, et après avoir dépassé la pièce d’eau, tous deux vinrent prendre place au kiosque ombragé au centre de la futaie. Avant de s’asseoir, Madame Giraldi promena de nouveau un regard circulaire comme pour s’assurer que personne ne les avait suivis ; puis, sans chercher à raffermir sa voix, que l’inquiétude faisait trembler :

— Il paraît que vous avez rencontré Dupras à la Longue-Pointe, vient de me dire mon mari.

— Qui a pu l’en informer ?

— Le Vicomte, sans doute, car il vient de le quitter à l’instant.

Parizot eut un geste de contrariété…

— J’aurais préféré vous transmettre à vous seule, Madame, ma conversation avec Dupras, avant d’en informer monsieur Giraldi.

— À moi seule !… C’est donc de moi qu’il vous a parlé ?

— Oui…

— Au-dessus de la tête des deux interlocuteurs, une brise plus forte secouant les arbres, venait d’en détacher une branche sèche qui vint tomber aux pieds de Lédia : elle en eut un tressaillement.

Continuant d’interroger d’une voix à peine perceptible :

— Alors, il n’est pas fou ?

Et quand Parizot eut fait signe que non, elle reprit d’une voix haletante :

— Il a donc commis le crime dont il s’accuse ?

— Ce n’est plus lui qu’il accuse maintenant !…

— Qui donc alors ?

Il y eut un silence ; leurs regards instinctivement se croisèrent et celui de Lédia semblait si éperdu, que Parizot sentit de nouveau la pitié l’envahir, cette pitié que peut même inspirer le criminel gravissant les degrés de l’échafaud.

Non, cette femme ne lui paraissait point telle que l’avait dépeinte Dupras, jouant en comédienne accomplie son rôle de douleur simulée, aux pieds du lit funèbre de Jean ; ce n’étaient pas non plus les dénégations indignées auxquelles il aurait pu s’attendre. Abassourdie d’abord par l’écrasante nouvelle, madame Giraldi, presque dans un sanglot ajouta :

— Dites-moi tout, je vous en supplie.

Brièvement Parizot lui résuma le récit de Dupras : elle l’écouta sans jamais tenter de l’interrompre, affaissée sur le banc où elle s’était laissée glisser.

Quand Parizot eut fini de parler, elle demeura encore un moment immobile et sans réponse ; puis, à voix basse :

— Mon Dieu, murmura-t-elle, je suis perdue.

Et d’abondantes larmes coulaient de son visage décoloré.

C’était un aveu… et quel aveu !

Jamais dans la suite, le reporter ne put s’expliquer, l’indéfinissable intuition qui pénétrant son âme à cette seconde même, lui avait fait s’écrier :

— Mais c’est impossible !… vous n’êtes pas coupable…

Longuement elle laissa couler ses larmes silencieuses.

Toujours assise sur le banc, elle devait pour envisager Parizot, lever un peu la tête, ainsi que font les petits quand une grande personne les gronde… Alors, voilés de larmes, agrandis par l’épouvante, les yeux de Lédia reflétaient une navrante pitié, semblable à la désolation d’un enfant.

— Oui, oui, je suis coupable !… c’est par moi, que le malheur est entré ici…

— Mais au nom du Seigneur, qui voit la sincérité de mon repentir, Monsieur, je vous en supplie… ne NOUS dénoncez pas…

NOUS, par quelle odieuse solidarité ce mot la liait à l’assassin ? … Parizot restait accablé de la révélation, comme si elle lui fut parvenue par surprise.

Lédia se méprit à son silence, et le croyant inexorable, renouvela sa supplication qui s’éteignit dans une plainte douloureuse :

— Mon Dieu, je suis perdue…

Maintenant elle était à genoux, les mains et le front appuyés à la pierre grise du vieux banc, et le reporter, en pensée, crut la voir simulant des larmes, prosternée sur une autre pierre, celle qui là-bas, au cimetière du Mont-Royal, recouvrait le corps de la victime.

À la fin, Monsieur Parizot reprit :

— Je ne vous fais aucune menace, mais comprenez vous-même, qu’il faut mettre fin à une situation intolérable. Songez que monsieur Giraldi, à son insu, nourrit et abrite chez lui l’homme qui a tué son fils !… Il le voit, lui parle chaque jour…

— Ah !… si vous saviez, s’écria la malheureuse, combien j’ai déjà souffert de cela…

Ils n’eurent pas le temps d’en dire davantage : un léger bruit de pas, dans une allée voisine, les fit tressaillir tous deux…

— Levez-vous commanda précipitamment le reporter : que l’on ne vous voie pas dans cette prostration…

Toute chancelante, elle se redressa, passant un mouchoir sur ses yeux, puis avec un accent de supplication :

— N’est-ce pas, Monsieur, que vous ne me dénoncerez pas ?…

Sans que le temps lui eût permis de formuler une réponse, l’attention de Parizot fut absorbée en voyant apparaître à l’extrémité de l’allée, Madeleine d’Aisy qui, sur le conseil du Vicomte son mari, venait s’enquérir de Lédia qu’on attendait pour le dîner.

Le reporter et Madame Giraldi n’avaient pas encore échangé leur pensée, relativement à l’apparition de Madeleine, quand soudain une détonation brève, vibra dans l’air. Les deux interlocuteurs eurent un tressaillement mais ne s’interrogèrent pas, tant fut prompte la rapidité de l’action. Avant qu’un mot fût sorti de leurs lèvres, la Vicomtesse Madeleine tombait sans vie à quelques pas d’eux, frappée d’une balle de revolver.