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L’étude (Verhaeren)

La bibliothèque libre.
Les Forces tumultueusesSociété du Mercure de France (p. 165-167).


L’ÉTUDE

 
Savoir de notre temps, faisceau d’antinomies !
— Doutes, calculs, erreurs, espoirs, reculs, effrois —
Glaives faussés et morts, glaives vivants et droits,
Certitudes concordantes ou ennemies,
Avec quelles pointes bien ou mal affermies,
Glaives ! vous vous plantez en moi !

Vous me percez dûment — mais tout mon être
S’exalte à ressentir — délice ou cruauté —
Votre angoissante et violente acuité.

Je ne vis plus que pour savoir et pour connaître.

L’homme qui pense est un héros silencieux ;
Si son âme n’est plus ivre du ciel des dieux,
Ses yeux du moins sont fous de certitude.

Oh son travail et sa fiévreuse solitude
Et son avancement minutieux et lent
Et sa patience attentive et féconde !
Depuis un siècle il a dressé le plan
Magnifique du monde ;
Il a scruté la force et défini
Les lois
Qui retiennent, avec des fils subtils,
Tout l’infini, entre leurs doigts ;
Mais nul n’a violé l’énigme encore altière
Que la matière
Retient captive, au tréfonds de sa nuit.

Oh ce secret dans l’abîme englouti,
Il vous attend, pourtant,
Universelle ardeur des cervelles humaines !

Dites, plonger vers lui et désigner la gaine
Qui le comprime en son étau de haine,
Ou bien trouver le mot, si fou soit-il,

Qui guide enfin vers le chemin subtil
D’où tout à coup la vue
S’éclairera d’une lumière imprévue !
Dites, aider — il n’importe comment —
À l’unanime acharnement ;
Avoir la foi têtue, en la recherche inassouvie,
Autour de l’essence même de la vie !

Oh ! ma misère et ma gloire, cerveau,
Palais de ma fierté, cave de ma torture,
Contradictoire amas de problèmes nouveaux,
Qui s’acharnent sur la nature.

Je t’aime en ta détresse autant qu’en ta grandeur.
Que l’heure soit triomphante ou funeste,
Saine de vérité ou malade d’erreur,
Tu restes
Solide et prompt — et conquérant
Ta joie ardente ou ta douleur encor plus forte,
Tu vis comme ont vécu ceux de jadis, les grands.
— Et les autres ? — qu’importe.