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L’évolution des mondes/02

La bibliothèque libre.
Traduction par Théophile Seyrig.
Librairie polytechnique Ch. Béranger, éditeur (p. 42-69).

II

LA VIE À LA SURFACE DES CORPS
DE L’ESPACE

Il est peu de spectacles plus impressionnants que celui de la voûte céleste, quand on la contemple par une nuit bien pure, avec ses milliers d’étoiles. Si l’on dirige la pensée vers ces luminaires qui semblent distants à l’infini, la question se pose involontairement de savoir s’il y a encore d’autres globes analogues au nôtre, qui puissent servir de séjour à des êtres vivants et organisés. L’intérêt que nous présente une île déserte et morte des régions circumpolaires où il n’y a pas la moindre plante, est nul, comparé à celui qu’éveille une terre quelconque des tropiques, où la vie se développe dans sa diversité magnifique. De même l’intérêt que nous éprouverons pour un monde lointain sera tout autre si nous pouvons le supposer animé, que si nous sommes obligés de nous borner à le considérer comme une masse inerte et morte, qui flotte dans un espace indéfini.

Des questions tout semblables se présentent à notre esprit en pensant à la terre. Fut-elle, de tout temps, revêtue de sa tunique de verdure vivante, ou bien y eut-il une époque où elle fut stérile et vide ? Et s’il en fut jamais ainsi, quelles sont les conditions qui l’ont appropriée à sa haute destinée actuelle où elle est le séjour d’êtres vivants ? Que notre globe fut, à un certain moment, « vide et sans forme »[1], cela n’est pas douteux, soit que nous admettions qu’elle était entièrement à l’état de matière fondue, — ce qui semble le plus probable —, soit qu’elle doive sa formation à une agglomération de pierres météoriques, comme l’ont supposé Lockyer et Moulton, pierres qui, arrêtées dans leur fuite à travers l’espace, seraient devenues incandescentes.

Ainsi que nous l’avons précédemment indiqué, il est probable que la terre est formée d’une masse gazeuse, enveloppée à sa périphérie par une croûte solide, dont la partie intérieure est à l’état de liquide pâteux. On admet en général, en se basant sur de solides raisons, que, primitivement, la terre s’est séparée du soleil à l’état d’un amas gazeux sphérique. C’est là, encore aujourd’hui, l’état du soleil. Par suite du rayonnement de sa chaleur vers les espaces célestes, cette sphère, très analogue, sous beaucoup de rapports, au globe solaire, a perdu petit à petit sa haute température. Une couche solide s’est ainsi formée à sa surface. Lord Kelvin a calculé qu’il n’a pas fallu beaucoup plus de cent ans pour faire tomber la température de la surface, à 100° C. Lors même que ce calcul ne serait pas absolument exact, nous pouvons néanmoins affirmer qu’entre le moment où la croûte terrestre était à 1 000 degrés, ce qui a dû correspondre au début de sa solidification, et celui où elle n’avait plus, à sa surface, que 100 degrés, il ne s’est passé que peu de milliers d’années. Aucun être vivant ne saurait, naturellement, exister à cette dernière température, attendu qu’elle suffit pour coaguler l’albumine des cellules, comme celle d’un œuf de poule. On affirme toutefois que certaines algues, que l’on trouve dans des sources chaudes de la Nouvelle-Zélande, y vivent par une température de 80 degrés. Ayant eu occasion de visiter le Yellowstone-Park, aux États-Unis, j’ai cherché si je trouverais à y vérifier l’exactitude de ce fait. J’ai seulement vu certaines de ces algues sur les bords de sources bouillantes, où 60 degrés était à peu près un maximum. De son côté, le célèbre physiologiste américain Loeb affirme que si les sources dépassent 55 degrés de température, on n’y trouve plus aucun de ces végétaux.

Entre l’abaissement de température de 100 degrés à 55 degrés il s’est certainement écoulé beaucoup moins de temps qu’entre 1 000 degrés et 100 degrés. On peut donc être certain qu’à partir de la formation de la première croûte solide de notre globe jusqu’au moment où est arrivée une température favorable à l’existence d’êtres organisés, il ne s’est pas écoulé beaucoup de milliers d’années. Il est peu probable que depuis lors la surface terrestre se soit jamais assez refroidie pour priver plus d’une faible partie de ses êtres vivants Il y a eu, il est vrai, des périodes glaciaires pendant lesquelles les surfaces polaires inaccessibles à la vie, avaient une beaucoup plus grande étendue qu’aujourd’hui. Mais l’océan a toujours été, dans sa plus grande partie, libre de glaces, et a pu, conséquemment, être le siège de la vie organique. Le centre du globe continue sans cesse à se refroidir, bien qu’avec une extrême lenteur, sa chaleur se répandant à travers la croûte solide, de l’intérieur vers l’extérieur.

Par suite de quelles circonstances la surface du globe a-t-elle pu devenir le siège de l’existence d’êtres vivants ? C’est uniquement parce que le rayonnement de sa chaleur vers l’espace l’a refroidie jusqu’à une température appropriée, inférieure à 55 degrés, pas assez, toutefois, pour que l’océan ait pu se congeler, ni que les continents arrivent à des températures inférieures à zéro. Cet état moyen provient de ce que le rayonnement solaire agit sans cesse ; qu’il compense la perte continue de chaleur de la terre, et qu’il suffit à maintenir au-dessus de zéro, la presque totalité de la surface du globe. La condition essentielle à l’existence de la vie sur une planète quelconque est évidemment celle-là : qu’il lui soit fourni de la chaleur et de la lumière en quantité suffisante pour compenser son inévitable rayonnement vers l’espace indéfini de l’univers. Si ce gain et cette perte de chaleur ne s’équilibraient pas, la vie n’aurait qu’une durée extrêmement limitée. La température de notre surface terrestre a mis peu de siècles ou peu de milliers d’années pour tomber de 1 000 degrés à 100 degrés parce que pendant cette période le rayonnement dépassait l’apport de chaleur venu du soleil. Par contre, semble-t-il, d’après une estimation faite par Joly, il a dû se passer environ 100 millions d’années depuis que l’océan a pu se condenser à la surface du globe. C’est cet immense espace de temps qui a dû s’écouler pour que la température tombât de 365 degrés à celle d’aujourd’hui. Ce n’est qu’à 365 degrés, température critique de l’eau, que la vapeur peut subir un commencement de condensation. À partir du moment où ce degré fut atteint la différence entre le rayonnement émis et la chaleur reçue diminuant de plus en plus, le refroidissement se trouva retardé.

L’estimation de Joly est basée sur le degré de salure de l’océan et celui des fleuves. Si l’on cherche quelle est la quantité de sel aujourd’hui contenue dans les eaux de la mer, et qu’on la compare à celle qui lui est apportée d’une manière constante par les fleuves qui s’y jettent, on trouve qu’il a fallu environ cette durée de 100 millions d’années pour en faire l’apport.

On arrive à des chiffres bien plus élevés si l’on essaie de calculer le temps nécessaire pour déposer toutes les couches stratifiées ou celles dites sédimentaires de l’écorce de notre globe. Sir Archibald Geikie, le grand géologue écossais, estime l’épaisseur totale de ces dépôts à 30 000 mètres. Il suppose toutefois, pour faire cette évaluation, qu’elles n’ont pas été remaniées. L’examen de couches relativement récentes lui a permis d’estimer que chaque épaisseur d’un mètre a demandé un temps variant entre 3 000 et 20 000 années. Le dépôt de l’ensemble de ces couches aurait donc demandé une durée comprise entre 90 et 600 millions d’années.

On peut asseoir ces estimations sur d’autres bases. Pendant qu’à la surface du globe il y a compensation entre la chaleur reçue du soleil et rayonnement vers les espaces célestes, le centre continue à perdre de la chaleur, à se refroidir. Ce refroidissement est cause d’une contraction de la masse centrale. On peut s’assurer de cette contraction par la formation des chaînes de montagnes, dont la superficie totale est, d’après Rudzki, de 1,6 p. 100 de la surface terrestre. Il en conclut que le rayon de la terre s’est raccourci de 0,8 p. 100 depuis le commencement de leur formation. Cette contraction correspond à un refroidissement d’environ 300 degrés, ce qui demanderait environ 2 000 millions d’années.

Une autre méthode d’évaluation très remarquable a été imaginée tout récemment par le célèbre chimiste et physicien Rutherford, dans le but d’évaluer l’âge de certains minéraux. On sait aujourd’hui combien une quantité donnée d’urane ou de thorium laisse émaner d’hélium en l’espace d’une année. Les minéraux que l’on trouve et qui contiennent ces corps sont pour le premier, la fergusonite, et pour le second, la thorianite. Ramsay a déterminé, pour l’un comme pour l’autre, leur contenu en hélium. De ces proportions Rutherford a cru pouvoir conclure à une durée d’au moins 400 millions d’années depuis leur formation, tout en admettant que depuis ce moment, et malgré leur séjour dans le sein des roches, une certaine quantité d’hélium a dû s’en échapper. Bien que cette détermination laisse subsister encore beaucoup d’incertitudes, il n’en est pas moins d’un grand intérêt de voir qu’elle conduit à l’estimation d’une durée de même ordre que celle déduite des autres méthodes.

Pendant toute cette période d’une durée si énorme, presque inconcevable pour nous, variant, suivant le mode d’estimation, de 100 à 2 000 millions d’années, il a dû exister, tant sur la surface de la terre ferme que dans l’océan, des êtres organisés, qui ne sont, après tout, pas très différents de ceux qui vivent encore aujourd’hui. Il faut donc bien admettre que, si la température périphérique était, au début de ces temps reculés, un peu plus élevée que celle de nos jours, la différence n’est pas énorme. Elle peut être estimée à 20 degrés au plus.

La température moyenne actuelle est d’environ 16 degrés. Elle varie de ‒20 degrés au pôle Nord, ‒40 degrés au pôle Sud, à près de +26 degrés dans le voisinage de l’équateur. Les recherches des géologues nous ont fait connaître les plus anciennes périodes où il a existé des êtres vivants. Elles nous ont appris qu’il y avait une différence marquée entre la température d’alors et la nôtre. Mais il semble que jadis la chaleur était presque uniforme sur tout le globe, tandis que de nos jours il existe des différences que tout le monde connaît entre les différentes zones du globe.

L’uniformité de chaleur, qui semble avoir duré longtemps, provenait de l’égalité presque absolue entre le gain de la croûte terrestre par l’échauffement solaire, et la perte par radiation. Il ne peut y avoir aucun doute que pour l’existence de la vie, un apport de chaleur envoyée par un corps céleste de haute température est absolument nécessaire. On se rend moins facilement compte qu’une perte de chaleur par rayonnement vers les espaces froids qui nous entourent est non moins inéluctable. Pour certaines personnes ce fait est même si peu établi qu’elles ne l’admettent que sous une forme spéciale. La chaleur de la terre, aussi bien que celle du soleil, ne se perdrait pas vers l’espace, mais cet échange n’aurait lieu qu’entre corps célestes. Toute la chaleur émise par le soleil le serait ainsi au bénéfice des planètes et de leurs satellites, qui forment le système solaire. Une partie infinitésimale seule serait perdue en se rendant aux autres étoiles fixes. Si ce point de vue était vrai, la température des planètes devrait forcément s’élever très rapidement, jusqu’à égaler presque celle du soleil lui-même. Toute vie organique aurait vite disparu. Il faut donc bien admettre que les choses « sont bien comme elles sont », quoique l’énorme gaspillage de la chaleur du soleil constitue un affaiblissement constant de l’énergie qui s’y trouve emmagasinée.

Du reste, la notion que la chaleur solaire est perdue parce qu’elle rayonne vers les espaces infinis, procède d’une supposition qui n’est soutenue par aucune preuve et qui est même fort improbable. Elle admet qu’une fraction minime du firmament est seule garnie de corps célestes. Cela ne serait vrai que si, comme on le supposait autrefois, tous ces corps étaient lumineux. Or, nous ne possédons aucun moyen de juger du nombre et de la dimension des étoiles obscures. On a bien supposé, pour expliquer le mouvement reconnu de certaines étoiles lumineuses, qu’il y avait dans leur voisinage d’autres corps obscurs, de dimensions considérables. Leurs masses seraient comparables à celle de notre soleil, si elles ne la dépassent pas. Mais de beaucoup le plus grand nombre de ces corps obscurs qui empêchent les rayons d’autres étoiles plus lointaines de venir jusqu’à nous, sont probablement de dimensions plus petites, comme celles que nous observons dans les comètes et les météores. La plus grande partie même n’est sans doute que de la poussière cosmique. Les études et les observations des années les plus récentes, faites à l’aide d’instruments très puissants, ont en effet révélé que les étoiles nébuleuses et les nébuleuses proprement dites sont extrêmement nombreuses.

D’après une estimation due à M. Charlier, de Lund, l’ensemble des étoiles répandues sur la voûte céleste donnerait une lumière environ trois mille fois plus forte que celle d’un astre de première grandeur. Or la puissance lumineuse du soleil a été évaluée à cent milliards de fois celle de cette même étoile. Elle serait donc trente millions de fois celle de l’ensemble des étoiles réunies. Si toutes les étoiles avaient, par unité de surface, la même clarté que le soleil, leur lumière aggrégée ne serait pas plus forte que celle d’une étoile unique qui aurait 0,4 de seconde d’arc de diamètre. On sait que le soleil a un diamètre de 1 920 secondes.

Que l’on se rappelle maintenant qu’une seule nébuleuse planétaire, le no 5 du Catalogue d’Herschel, située près de B de la Grande Ourse, a un diamètre d’environ 160 secondes d’arc. Elle a par conséquent une surface plus de cent mille fois supérieure à l’ensemble de toutes les étoiles fixes, visibles même au télescope. Le nombre de celles-ci a été estimé par Lord Kelvin à un milliard. D’autres nébuleuses, les irrégulières, sont encore bien plus grandes, comme par exemple la grande nébuleuse d’Orion. Quoique d’une grande ténuité, ces nébuleuses peuvent cependant affaiblir la lumière des étoiles les plus faibles. Mais le plus grand nombre des nébuleuses semble devoir être trop peu lumineux pour que nous puissions les apercevoir. Toutes ces nébuleuses si nombreuses sont des lieux où sont attirées les poussières cosmiques restées errantes dans l’espace. Elles y pénètrent et s’y trouvent sans doute retenues, après quoi elles se concentrent dans les parties centrales des nébuleuses devenues planétaires, par suite de la gravitation.

On se trouve ainsi naturellement conduit à cette conclusion que le vaste univers doit être partout rempli de corps célestes, à peu près autant que l’est le voisinage immédiat de notre système solaire. Qu’en résulte-t-il ? C’est que tout rayon émis par le soleil, où qu’il soit dirigé, rencontrera quelque corps céleste, de sorte qu’aucun n’est perdu. Il doit en être de même de la lumière répandue dans l’espace par les autres étoiles.

Sous certains rapports, on pourrait comparer notre globe à une machine à vapeur. On sait que celle-ci, pour produire un travail utile, doit recevoir d’une source quelconque, c’est-à-dire du foyer, par l’intermédiaire de la chaudière, la chaleur nécessaire. Mais elle doit à son tour céder cette chaleur à un corps dont la température est plus basse, savoir : au condenseur. Ce cycle de l’échauffement et du refroidissement est indispensable pour qu’il puisse être recueilli du travail.

Il en est de même de la terre. Aucun travail utile ne peut s’y produire, ni par conséquent aucune vie, si elle ne remplit pas la fonction d’un organe intermédiaire pour la réception de la chaleur provenant du soleil, et sa dispersion vers un entourage plus froid, vers l’espace céleste et les corps froids qui y circulent.

Ainsi que nous le verrons tout à l’heure, la température de la surface de notre globe dépend jusqu’à un certain point de la nature de l’atmosphère qui l’environne, et plus particulièrement de la transparence de celle-ci à l’égard des rayons calorifiques.

Si la terre n’avait point d’atmosphère, ou encore si celle-ci était parfaitement transparente, on pourrait très facilement calculer la température moyenne de la surface terrestre. Une loi, formulée par Stefan, lie en effet entre elles la radiation et la température d’un corps rayonnant. Christiansen a fait le calcul en partant de ce fait, qu’un corps obscur, d’un centimètre carré de surface, situé à une distance du soleil égale à la distance moyenne de notre terre, reçoit de lui, par minute, deux calories et demie. Il a déterminé sur ces bases la chaleur moyenne qui doit exister à la surface de toutes les planètes de notre système. Le tableau suivant résume ces résultats, auxquels nous avons cru intéressant d’ajouter quelques autres données numériques ; la distance de chaque planète au soleil est donnée en rayons de l’orbite terrestre, que l’on évalue aujourd’hui à 149,5 millions de kilomètres.

NOM
de la planète.
DISTANCE
solaire.
MASSE
d’après Sée
RAYON
de la sphère
d’après Sée.
TEMPÉRATURE
moyenne
DENSITÉ
d’après
Sée.
Mercure
30,39 310,0221 100,341 178°,5 (332°) 0,364
Vénus
30,72 310,815 100,955 165° 0,936
Terre
31 311 101 176°,5 1
Lune
31 310,01228 100,273 176°,5 (106°) 0,604
Mars
31,52 310,1077 100,53 137° 0,729
Jupiter
35,20 317,7 011,13 ‒147° 0,230
Saturne
39,55 395,1 109,35 ‒180° 0,116
Uranus
10,22 314,6 103,35 ‒207° 0,388
Neptune
30,12 317,2 103,13 ‒221° 0,429
Le Soleil
30,12» 332 750 109,1 6200°[2] 0,256

Parmi ces planètes, Mercure présente cette particularité de toujours offrir au soleil la même face hémisphérique. C’est pourquoi on trouve dans le tableau ci-dessus le chiffre 332 degrés entre parenthèses, qui représente la température moyenne de ladite face. Son point le plus chaud doit atteindre 397 degrés, tandis que, par contre, sa face opposée, toujours dirigée vers l’espace, doit avoir une température peu éloignée de 273 degrés, qui est le zéro absolu.

J’ai fait le même calcul pour la lune, dont la rotation autour de son axe, — en 27 jours —, est si lente, que la température de la face éclairée s’élève beaucoup. Elle doit être très voisine de celle qu’elle aurait si la même face était invariablement opposée au soleil. Cette température serait alors de 106 degrés, et son point le plus chauffé atteindrait environ 150 degrés. Par contre, les pôles de notre satellite, tout comme la face qui, pendant la même durée de 27 jours, est privée de la lumière solaire, doivent à peine dépasser le zéro absolu.

Ce résultat concorde d’ailleurs d’une façon très satisfaisante avec les mesures calorimétriques qui ont pu être faites. La plus ancienne de ces mesures est de Lord Rosse. Il trouva que la surface de la pleine lune, complètement éclairée par le soleil, rayonnait autant de chaleur qu’un corps obscur qui aurait 110° C. Une répétition de ces mesures, faite par le savant américain Very, a indiqué que le point le plus réchauffé de la surface lunaire devait avoir environ 180 degrés, c’est-à-dire environ 30 degrés de plus que ne l’indique le calcul. Notre satellite, comme la planète Mercure, n’a pour ainsi dire point d’atmosphère, et il est probable que le chiffre donné par le calcul approche beaucoup de la réalité.

En ce qui concerne Vénus, si son atmosphère est parfaitement transparente, sa surface doit être à bien près de 65 degrés. Nous savons toutefois que des nuages épais flottent dans cette atmosphère, nuages probablement formés par des gouttes d’eau, qui nous empêchent de voir la croûte solide ou les océans de la planète. Des observations de Zöllner et d’autres sur la luminosité semblent indiquer que ces nuages renvoient environ 76 p. 100 de la lumière solaire qu’ils reçoivent. En d’autres termes la planète nous apparaît à peu près aussi blanche qu’une boule de neige. Les rayons calorifiques ne sont pas renvoyés dans une proportion aussi élevée. On peut évaluer à la moitié environ de la chaleur reçue, celle qui est absorbée. Cela suffit pour que la température soit notablement diminuée, bien que, d’autre part, cette atmosphère protectrice retienne aussi une certaine portion de la chaleur, sans la laisser rayonner. Mais la température moyenne est certainement beaucoup moins forte que celle de notre tableau, et oscille sans doute autour de 40°. Il n’est donc nullement absurde de croire que de notables parties de la surface de Vénus sont favorables à la vie organique, et parmi elles tout particulièrement celles qui environnent les pôles.

La température de notre globe est, elle aussi, fortement influencée, c’est à dire diminuée, par l’existence des nuages. Ils protègent environ 52 p. 100 de la surface totale contre la radiation solaire. Mais, même par le ciel le plus clair, la totalité de la lumière du soleil n’arrive pas jusqu’au sol. L’air le plus pur contient toujours quelque peu de poussière extrêmement divisée. J’ai essayé une évaluation des effets produits par cette poussière et j’ai trouvé qu’elle nous fait perdre environ 17 p. 100 de la chaleur solaire. Les nuages et les poussières réunis nous retireraient environ 34 p. 100 de la chaleur qui nous arrive. Cela correspond à un abaissement de température de 28 degrés ! Mais par contre cette même poussière, comme les nuages, empêche également le rayonnement, en sorte que, somme toute, la perte qu’elles nous causent peut s’évaluer à 20° c.

Or on a constaté que la température moyenne de la surface terrestre est de 16 degrés et non de 6°,5 comme le voudrait le calcul, et ces 6,5 degrés devraient encore subir le retranchement des 20 degrés dus à l’influence des nuées et des poussières. Il ne resterait donc que ‒14 degrés, c’est-à-dire 30 degrés de moins que la température moyenne réelle.

Cette différence est due tout entière à l’effet protecteur des gaz qui constituent notre atmosphère, ainsi que nous le montrerons un peu plus loin (p. 56).

Mars n’a pour ainsi dire pas de nuages. Son atmosphère est extrêmement transparente, et cela explique sa température élevée. Au lieu de celle calculée de ‒37 degrés, il est en réalité à environ 15 degrés au-dessus de zéro. On peut s’en rendre compte par ce fait qu’aux pôles de la planète on voit, pendant ses hivers, des masses blanches, qui sont évidemment des neiges. Le printemps les fait fondre, et elles se transforment en eau d’apparence sombre. Parfois ces masses de neiges polaires disparaissent entièrement pendant l’été, ce qui n’est jamais le cas de nos glaces polaires. Nous pouvons donc en conclure que la température moyenne est certainement au-dessus de zéro ; elle est très probablement d’environ 5 degrés. Il se peut donc aussi qu’il y ait de la vie organique à la surface de Mars. Il faut par contre être très optimiste pour conclure de l’existence des soi-disant canaux, à celle d’êtres intelligents. On a cru que ces canaux ne sont que le résultat d’illusions d’optique, mais les photographies de Lowell prouvent qu’ils existent bien réellement.

Les autres grandes planètes ont toutes une température superficielle très basse. Le calcul qui a conduit à ce résultat est cependant assez aléatoire, car ces globes n’ont probablement point de croûte superficielle solide ni même liquide. Ils sont plutôt entièrement gazeux, ce qui semble attesté par leur faible densité. Celle des planètes voisines du soleil est un peu plus faible que celle de notre terre. Mercure est le plus léger, sa densité n’étant que de 0,564, — la moitié de celle de la terre. Pour les planètes plus éloignées que nous, il y a tout de suite un grand saut de nous à Jupiter qui n’a que 0,23, puis Saturne 0,116 de notre densité. Les deux planètes extérieures de notre système sont un peu plus denses, — 0,4 environ —, mais les éléments de ces corps sont encore passablement indécis. Ces densités sont à peu près du même ordre que celle du soleil, que nous savons être de 0,25. Or il est certain que celui-ci est entièrement gazeux, à l’exception de quelques nuages, d’importance relativement minime. Il est donc probable que les planètes extérieures, à partir de Jupiter, sont également gazeuses, et qu’elles sont enveloppées d’épais nuages qui empêchent nos regards de pénétrer dans leur intérieur. On ne peut donc guère supposer que des êtres animés puissent faire leur séjour de ces planètes.

La vie pourrait-elle plutôt exister dans leurs satellites ? À supposer que ceux-ci ne reçoivent aucune chaleur de leurs planètes, ils auraient les températures attribuées plus haut aux corps qui les retiennent autour d’eux. Considérons donc notre propre satellite. Vue de sa surface, la terre occupe un angle visuel environ 3,7 fois plus grand que le soleil. Si donc on admet que le soleil est à 6 200 degrés (ou 6 500 degrés absolus) on peut facilement calculer que la lune recevrait de la terre une quantité de chaleur égale à celle que le soleil nous envoie, si notre globe avait 3 100 degrés environ de température (ou 3 380 degrés absolus).

Les premiers nuages se sont formés dans l’atmosphère terrestre quand celle-ci est arrivée à 360° C environ. À ce moment le rayonnement de la terre sur la lune n’était que les 0,00125 de celle du soleil. Aujourd’hui ce rayonnement est encore vingt fois moindre. Il est facile de voir que ce rayonnement n’a absolument aucune importance dans l’économie calorifique de la surface lunaire.

Il en serait tout autrement si le diamètre de la terre était plus grand, semblable par exemple à celui de Jupiter qui l’est 11,6 fois plus, ou à celui de Saturne, dont le diamètre est 9,3 fois celui de notre globe. Dans ce cas le rayonnement de la surface terrestre serait égal à un sixième ou à un neuvième du rayonnement actuel du soleil, en supposant que la surface de la terre fût à 360 degrés. La distance de notre lune à la terre étant de 384 000 kilomètres on en déduit sans peine que Jupiter et Saturne, — leur température superficielle étant supposée de 360°, — rayonneraient autant de chaleur vers des satellites distants de 240 000 kilomètres et de 191 000 kilomètres, que Mars en reçoit du soleil, par unité de surface.

Or, Jupiter et Saturne ont actuellement des lunes moins distantes de leur centre que les satellites hypothétiques dont il vient d’être question. Le premier en est à 126 000 kilomètres de distance, le second à 186 000 kilomètres. Il n’est donc nullement impossible que ces satellites reçoivent de leurs astres principaux des quantités de chaleur telles que la vie y soit possible, à supposer en outre qu’ils soient munis d’une bonne atmosphère protectrice. Il n’en serait peut-être pas de même pour leur éclairement. Jupiter, lorsqu’il est le plus éclairé, n’a qu’une puissance lumineuse égale à un sixième de celle du soleil ; Saturne un neuvième seulement. Cela ne représente, pour le satellite le plus rapproché, qu’un éclairement par sa planète égal à un vingt-septième ou un quatre-vingt dixième de ce que nous recevons du soleil. C’est une lumière bien faible pour le développement de la vie.

Il n’en reste pas moins que lorsque ces planètes étaient encore incandescentes, leurs satellites pouvaient fort bien être animés par la vie pendant un certain temps.

Fourier, le grand physicien français, admettait déjà (vers 1800) que notre atmosphère exerce un puissant effet protecteur contre la perte de chaleur par rayonnement. Ses idées furent plus tard développées par Pouillet et par Tyndall. Leur théorie porte le nom de la théorie de la serre chaude, parce que ces physiciens admirent que notre atmosphère joue le même rôle que le vitrage d’une serre. Le verre possède en effet cette propriété, de laisser passer la chaleur que nous appelons lumineuse, c’est-à dire celle qui est perceptible à nos yeux. La chaleur obscure, au contraire, celle que nous envoie un poêle ou une masse terrestre chaude, n’est pas susceptible de le traverser. La chaleur solaire est en majeure partie lumineuse, et le verre lui est transparent ; elle peut entrer dans une serre et y échauffer le sol. Mais celui-ci à son tour n’émet que des rayons obscurs qui ne peuvent traverser le vitrage. Celui-ci protège donc l’intérieur de la serre à peu près comme un pardessus empêche la perte de chaleur, par rayonnement, de notre corps. On connaît l’expérience de Langley. Il prit une caisse, protégée contre le rayonnement par une enveloppe de coton, mais qui, du côté exposé au soleil, avait une face munie d’un vitrage double. Il constata à l’intérieur de la caisse, lorsque le soleil y donnait, une température de 113 degrés, tandis que placée à l’ombre, le thermomètre n’y marquait que 14 à 15 degrés. Cet essai fut fait sur la montagne de Pike’s Peak, dans l’état du Colorado, qui a 4 200 mètres d’élévation. Il eut lieu le 9 septembre 1881 à 1 heure 40 minutes de l’après-midi, au moment où les rayons du soleil étaient d’une pénétration puissante.

Fourier et Pouillet admettaient donc que la ceinture atmosphérique que possède la terre a des propriétés qui se rapprochent de celles du verre, au point de vue de la perméabilité pour la chaleur. Cela fut reconnu exact par Tyndall. Les éléments de l’atmosphère qui sont causes de ce fait sont la vapeur d’eau et l’acide carbonique, qui l’un et l’autre n’existent qu’en faible partie dans l’air. L’ozone, les carbures d’hydrogène, produisent un effet analogue. Ces corps s’y trouvent cependant en si faible quantité qu’on n’en a pas encore tenu compte dans le calcul. Mais on a, ces temps derniers, fait des expériences très minutieuses sur la perméabilité à la chaleur, de l’acide carbonique et de la vapeur d’eau. À leur aide j’ai pu calculer que si l’acide carbonique disparaissait en entier de notre atmosphère, dont il n’occupe que les trois dix millièmes en volume, la température du sol diminuerait de 21 degrés.

L’effet de cet abaissement serait que la quantité de vapeur d’eau diminuerait à son tour. Il en résulterait un nouvel abaissement de la température presque aussi grand. On voit par cet exemple comment de très faibles changements dans la composition de l’air atmosphérique peuvent avoir des conséquences considérables. La disparition de la moitié de l’acide carbonique existant causerait un refroidissement d’environ 4 degrés ; la diminution jusqu’au quart de la proportion actuelle nous ferait perdre 8 degrés. L’acide carbonique doublerait-il en quantité, que nous gagnerions 4 degrés ; il devrait augmenter de quatre fois son volume actuel pour gagner 8 degrés. En même temps sa diminution accentuerait les différences de chaleur et de climat des différentes parties du globe ; son augmentation égaliserait au contraire la température.

On peut se demander si des variations caloriques de cette nature se sont produites sur la terre. Les géologues nous disent que oui. Nos temps historiques ont été précédés par une époque où la température devait être d’environ 2 degrés plus forte que maintenant. On peut le conclure d’après la zone d’habitat du noisetier, et aussi de la macre ou châtaigne d’eau (Trapa natans). On trouve des fruits fossiles de ces deux plantes dans des régions où, aujourd’hui, elles ne pourraient plus vivre, le climat étant devenu moins favorable. Avant l’époque dont nous parlons, il y eut une période glaciaire, qui a chassé tous les habitants du nord de l’Europe de leur habitat. On a recueilli beaucoup d’indices qui semblent prouver que cette période glaciaire a été multiple, ses fractions ayant été entremêlées de périodes où les climats s’adoucirent et qu’on appelle interglaciaires.

On a cherché à évaluer la durée des périodes ainsi caractérisées par un développement des glaces. Des observations faites sur l’extension des glaciers dans les Alpes, ont fait voir que la température devait être de 5 degrés environ inférieure à celle d’aujourd’hui. La durée de cet état de choses a été estimée par les géologues à 100 000 ans au moins.

Antérieurement encore à cette époque, la surface du globe a dû passer par une période plus chaude d’environ 8 à 9 degrés au-dessus de la température moyenne actuelle. On peut le déduire de l’examen des plantes fossiles de l’époque dont nous parlons, qui est la période éocène. En même temps il devait régner sur la terre une uniformité de chaleur beaucoup plus grande.

Enfin les temps plus anciens encore semblent avoir présenté plusieurs variations du même genre.

Peut-on admettre que c’est à la suite de différences dans le contenu de l’atmosphère en acide carbonique, que ces changements de température se sont produits ? Högbom et après lui Stevenson ont répondu que oui. L’acide carbonique forme une fraction si peu importante de l’atmosphère que même la consommation industrielle du charbon semble pouvoir y influer. La consommation annuelle de houille a atteint en 1907 environ 1 200 millions de tonnes[3] et elle augmente rapidement. Cette quantité répand dans l’air environ 1/500e de sa teneur totale en acide carbonique. Bien que l’océan, en absorbant ce gaz, agisse comme un puissant régulateur, qui dissout environ les cinq sixièmes de celui produit, on peut concevoir que la très faible quantité répandue dans l’atmosphère puisse être modifiée, dans le cours des siècles, par la production industrielle. On comprend aussi qu’il n’existe pas une fixité bien absolue à cette teneur atmosphérique, et que vraisemblablement elle a été soumise à de notables variations dans le cours des âges.

La source principale qui fournit à l’air son acide carbonique, ce sont les volcans. Les cratères vomissent des quantités énormes de gaz qui proviennent de l’intérieur du globe, et qui sont constitués principalement par la vapeur d’eau et par l’acide carbonique. Ces gaz sont libérés par suite du lent refroidissement des silicates, existants à l’intérieur de notre terre. Les éruptions volcaniques ont eu une intensité très variable pendant les diverses phases de l’existence du globe. On peut admettre, avec une grande vraisemblance, qu’il y eut des périodes de très grande activité volcanique, pendant lesquelles l’abondance d’acide carbonique était beaucoup plus grande dans l’air. D’autres périodes plus calmes en ont répandu moins. M. Frech, professeur de géologie à Breslau, a essayé de prouver que ces faits trouvaient leur confirmation dans les découvertes de la géologie, en ce que des époques connues pour le développement du volcanisme avaient un climat généralement chaud, et que les époques de moins grande activité des volcans étaient froides. La période glaciaire, notamment, correspond à la disparition presque complète de l’activité volcanique. Par contre, les deux périodes du commencement et du milieu de l’époque tertiaire (éocène et miocène), qui sont reconnues comme ayant eu un climat à température très élevée, sont caractérisées comme des périodes de très grande activité volcanique. Ces mêmes concordances peuvent être constatées encore pour des âges géologiques beaucoup plus anciens.

On pourrait s’étonner de ce que la teneur de l’atmosphère en acide carbonique n’augmente pas d’une façon continue, étant donné que les volcans en jettent sans cesse des volumes énormes dans l’air. C’est qu’il existe une cause qui en absorbe de même des quantités considérables, savoir la décomposition des minéraux de la croûte terrestre.

Les espèces minérales qui arrivèrent à la surface du globe après le premier durcissement des masses fondues, de ce qu’on a appelé le magma, étaient des combinaisons de silice avec l’alumine, la chaux, la magnésie, avec un peu de fer et de soude. Ces minéraux ont peu à peu subi l’attaque de l’acide carbonique de l’air et de l’eau contenant ce même acide en dissolution. La chaux, la magnésie et les sels alcalins, puis, à un moindre degré, le fer, ont formé des carbonates solubles qui ont été entraînés par les fleuves dans l’océan. Là, les êtres vivants, animaux ou algues, se sont emparés de ces combinaisons de chaux et de magnésie. Ils les ont assimilées et les ont laissées dans leurs résidus, en sorte que l’acide carbonique s’est déposé sans cesse dans les couches sédimentaires. Högbom a calculé que les calcaires et les dolomies du globe contiennent environ 25 000 fois plus d’acide carbonique que n’en contient l’atmosphère. Chamberlin arrive à un résultat analogue, — de 20 à 30 000 fois, — mais dans son calcul il néglige les couches précambriennes. Ces estimations sont probablement encore bien trop faibles.

Tout l’acide carbonique qui se trouve aujourd’hui accumulé dans les couches sédimentaires a passé par l’état gazeux dans l’atmosphère. Un processus différent, par lequel il est absorbé, est l’assimilation qu’en font les plantes terrestres. Elles forment à son aide, en l’absorbant, des combinaisons de carbone, et rendent à la circulation de l’oxygène.

Tout comme l’attaque des minéraux, l’assimilation par les plantes est intensifiée par l’augmentation du pourcentage atmosphérique en acide carbonique. E. Godlewski, le botaniste polonais, a démontré déjà en 1872 que certaines plantes absorbent par unité de temps une quantité de ce gaz qui est tout d’abord proportionnel à la teneur atmosphérique. Telles sont les Typha latifolia (ou massette) et la Glyceria spectabilis, autre plante des marais. Quand l’air dans lequel elles vivent arrive à contenir 6 p. 100 d’acide carbonique pour la première, 9 p. 100 pour la seconde, elles en assimilent un maximum. Dans une atmosphère plus chargée leur pouvoir assimilant régresse. Mais jusque-là, leur pouvoir absorbant est proportionnel à la teneur. Si, en même temps, la température s’élève, par exemple de 4 degrés, la vitalité de la plante augmentera de 1 à 1,5 p. 100, de sorte qu’un doublement de l’acide carbonique de l’air, joint à une augmentation de température, entraînerait par suite de la combinaison des deux causes distinctes, une majoration dans l’absorption, dans la proportion de 1 à 3.

Il en est à peu près de même pour l’attaque des substances minérales par l’acide carbonique. Son doublement triplera à peu près l’intensité des échanges aussi bien dans le monde végétal que dans le monde inorganique.

Considérons la production de la matière végétale par le sol qui la nourrit. Liebig s’est occupé de l’estimation de cette production par les champs, par les prairies et par la forêt. Il est arrivé à cette conclusion, qu’en moyenne, un hectare de surfaces de ce genre produit annuellement 2 500 kilogrammes de matière organique sèche. Ce chiffre s’applique à l’Europe centrale, de climat moyen. En beaucoup de points du globe la production est bien plus forte, sous les tropiques par exemple. Ailleurs elle est moins grande, dans les déserts comme dans les régions arctiques. On peut, sans erreur grossière, prendre le chiffre de Liebig comme une moyenne pour la surface de la terre, déduction faite des océans.

Dans les matières végétales ainsi produites, qui consistent principalement en cellulose, le carbone représente environ 40 p. 100 de leur poids. On en déduit facilement que la production annuelle de carbone par la végétation, à la surface de notre globe, est d’environ 13 000 millions de tonnes. Cela représente près de dix fois la consommation annuelle de houille que nous faisons. C’est un cinquantième de la quantité totale de l’acide carbonique de l’atmosphère. Si donc toutes les plantes existantes étaient déposées dans des tourbières, l’air serait bientôt privé de tout son acide carbonique. Mais une fraction seulement de tout ce produit de la végétation est mis en réserve pour l’avenir. La majeure partie, et de beaucoup, retourne dans l’atmosphère par suite de combustion, de décomposition, de pourriture, etc.

Chamberlin raconte qu’il s’était posé, de concert avec cinq autres géologues américains, le problème de déterminer combien il faudrait de temps pour absorber, par la décomposition des roches, l’acide carbonique de l’atmosphère. Des procédés divers les conduisirent à des chiffres qui variaient de 5 000 à 18 000 années, avec une moyenne assez probable de 10 000 années. On peut admettre que la formation des tourbières demande une durée à peu près égale à celle prise par la décomposition des minéraux. L’ensemble des deux causes n’absorberait donc que le dixième environ de l’acide carbonique fourni par la combustion du charbon fossile à l’atmosphère dès aujourd’hui.

Or les deux causes d’absorption que nous venons d’indiquer sont les plus importantes qui, actuellement, produisent encore leurs effets. Il semble donc que la teneur en acide carbonique de l’air doive augmenter constamment et d’une façon assez sensible, par la consommation industrielle toujours croissante de la houille, du pétrole, etc., telle que la statistique nous l’indique. Cette progression augmentera encore avec l’emploi toujours croissant des combustibles minéraux.

La quantité totale d’acide carbonique qui se trouve emmagasinée dans les calcaires et les dolomies sédimentaires, est environ vingt cinq mille fois celle qui actuellement existe dans l’atmosphère. Elle a passé tout entière par l’air à l’état gazeux. Comme il faut environ 10 000 années pour que la désagrégation des roches absorbe une quantité équivalente à celle qui existe, si l’on suppose que cette désagrégation s’est toujours faite avec une égale intensité, on arrive à attribuer une durée de 250  millions d’années au dépôt des sédiments qui contiennent de l’acide carbonique. Comme on le voit, cette estimation concorde très bien avec celle faite plus haut sur d’autres bases.

Ce qui précède nous permet de nous rendre compte dans une certaine mesure, de l’énorme développement qu’avait pris, à certaines époques géologiques, la végétation du globe, notamment pendant l’ère carbonifère.

Cette ère nous est connue par la masse énorme de restes végétaux qui se sont trouvés enfouis dans les marais argileux, pour s’y carboniser lentement, et qui maintenant, par le fait de leur exploitation, restituent à sa condition primitive, par la combustion, l’acide carbonique qui les a formés. Une proportion notable de ce corps, contenu dans l’atmosphère, avait disparu et s’était déposé dans le sein de la terre à l’état de charbon, de lignite, de tourbe, de pétrole ou d’asphalte. L’oxygène qui en faisait partie intégrante avait été libéré et restait à l’état gazeux. On a pu faire l’estimation de cet oxygène encore contenu dans l’air. On l’a évalué à 1 216 billions de tonnes. Et on a reconnu que cette quantité correspond approximativement à la quantité de carbone qui se trouve fixé, solidifié, dans les couches sédimentaires.

De là à conclure que tout l’oxygène de l’air a été produit aux dépens de l’acide carbonique de l’atmosphère il n’y a qu’un pas. Cette idée a été énoncée pour la première fois en 1856, par Koene, de Bruxelles. Elle a été l’objet de vives discussions et elle a gagné en vraisemblance. Il est vrai qu’une certaine quantité d’oxygène a certainement dû disparaître dans la décomposition des minéraux, par exemple dans l’oxydation des pyrites et des sels de protoxyde de fer. Sans cela la teneur en oxygène de l’air serait plus grande encore. Mais d’un autre côté il existe dans les dépôts sédimentaires un nombre considérable de corps désoxydés. Les pyrites même se sont parfois reconstituées, par exemple, par l’intermédiaire du carbone, sous forme de matières organiques. Un nombre considérable de corps se sont décomposés primitivement sous l’influence d’un procédé oxydant, qui devait son oxygène à une décomposition végétale de l’acide carbonique. Ils n’ont donc fait que retourner, par l’oxydation, à leur forme primitive. Il nous suffit de pouvoir constater que l’oxygène de l’air correspond environ à la quantité de carbone déposée dans les couches sédimentaires. Il y a par conséquent probabilité que tout l’oxygène libre est dû à la vie végétative.

Une autre raison encore nous conduit à la même conclusion. Nous savons de source certaine, qu’il existe, dans l’atmosphère solaire, de l’oxygène libre, mais que toutefois l’hydrogène s’y trouve en quantités prépondérantes. M. Slipher, astronome de l’observatoire de Lowell, dans l’état d’Arizona, a constaté l’existence de grandes quantités d’hydrogène dans les atmosphères des planètes les plus éloignées du soleil, Neptune et Uranus. À l’origine des choses, l’atmosphère terrestre était sans doute de composition analogue, et par suite du refroidissement graduel, ces deux gaz se sont combinés pour former de l’eau, une certaine quantité d’hydrogène restant en excès. Il est possible que la première atmosphère terrestre ait contenu aussi des carbures d’hydrogène, car ces gaz existent dans les masses gazeuses des comètes. L’intérieur du globe expulsait, et joignait aux gaz sus-indiqués de l’acide carbonique et de la vapeur d’eau. L’azote, en vertu de sa grande inertie chimique, s’est vraisemblablement maintenu à peu près tel quel. Or, un chimiste anglais, Phipson a cru démontrer que des plantes d’organisation supérieure aussi bien qu’intérieure (la gesse des champs et certaines bactéries) peuvent vivre et se développer dans une atmosphère privée de tout oxygène mais contenant de l’acide carbonique et de l’hydrogène. Il serait donc possible qu’il y eut déjà sur la terre, certains organismes végétaux, avant que l’air ne contint de l’oxygène. Ces plantes ont dû extraire ce gaz des produits carboniques provenant des volcans. À son tour cet oxygène a dû transformer, peut-être sous l’influence de décharges électriques, l’hydrogène et ses carbures en eau et en acide carbonique. Cette transformation a pu se continuer ainsi jusqu’à ce que l’oxygène subsistât presque seul, à peu près conformément à la composition actuelle de l’air[4].

Cet oxygène est d’une nécessité absolue pour l’existence de la vie animale. Nous considérons les animaux comme plus élevés que les plantes dans l’échelle des êtres vivants : ils ont de même apparu sur la terre à une époque plus récente. Les végétaux n’ont besoin pour vivre que d’une température appropriée, d’acide carbonique et d’eau. Ces gaz existent vraisemblablement dans l’atmosphère de toutes les planètes, attendu qu’ils sont les produits de dissociation de leurs masses incandescentes, soumises à un lent refroidissement. Le spectroscope a prouvé qu’il existe effectivement encore de l’hydrogène dans l’atmosphère d’autres planètes que la nôtre : Vénus, Jupiter et Saturne. Cela est démontré indirectement aussi pour Mars[5]. M. Slipher a fait, en 1908, des mesures de l’intensité de certaines bandes d’absorption qui sont caractéristiques de la vapeur d’eau, et qui existent dans la lumière réfléchie par la planète Mars. La lumière réfléchie par la Lune servait d’élément de comparaison. J’ai soumis au calcul le résultat de ces mesures, et j’ai trouvé que l’air de Mars, dans le voisinage de son équateur, doit contenir environ 2,14 gr. d’eau en vapeur, par mètre cube. Les régions équatoriales de cette planète ont sans doute, à un très haut degré, un climat continental, analogue approximativement à celui de Salt-Lake City (Utah), en été, où l’humidité relative n’est que de 33 p. 100. Au point auquel se rapporte l’observation faite sur Mars, la température serait d’environ 5° C. On l’avait précédemment évaluée à 10 degrés à l’équateur et zéro degré aux pôles, en été, à cause de la disparition, observée parfois, des glaces polaires, ainsi qu’il a été indiqué déjà plus haut.

La spectroscopie a fourni encore des indices de l’existence d’autres gaz, par exemple pour Jupiter et Saturne. On remarque en effet une raie intense dans la partie rouge du spectre de ces planètes (de 0,000618 mm. de longueur d’onde). D’autres composés, de nature encore inconnue, ainsi que beaucoup d’hydrogène, selon Slipher, ont été trouvés dans les spectres d’Uranus et de Neptune. Par contre la Lune et Mercure n’ont aucune atmosphère, ou tout au plus y en a-t-il une absolument insignifiante.

Ces faits sont aisés à expliquer. À la surface de Mercure, le côté opposé au soleil est à une température très voisine du zéro absolu. Tous les gaz de l’atmosphère de ce corps doivent s’y réunir et s’y condenser. Si donc Mercure a eu primitivement une véritable atmosphère il doit l’avoir perdue lorsqu’il a cessé d’avoir une rotation propre, pour tourner perpétuellement vers le soleil une même face. Des arguments analogues peuvent s’appliquera notre satellite, pour rendre compte de l’absence d’atmosphère.

Si, comme le soutiennent un grand nombre d’astronomes, Vénus tournait toujours, comme Mercure, un même hémisphère vers le soleil, elle ne pourrait avoir aucune atmosphère, ni aucun nuage flottant. Or nous savons que cette planète a au contraire une atmosphère très importante[6]. Ce fait constitue l’argument le plus puissant contre l’hypothèse que Vénus se comporte comme Mercure au point de vue de la rotation autour de son axe.

Les époques chaudes et les époques glaciaires ont alterné sur notre globe depuis que l’homme y a fait son apparition.

La question s’impose donc : est-il probable que dans les prochaines époques géologiques, nous soyons menacés d’une nouvelle période glaciaire ? Il ne semble pas que cela soit à craindre. La consommation du charbon pour des besoins industriels est de nature à augmenter sensiblement la teneur de l’air en acide carbonique. En outre, il semble que le volcanisme, dont les méfaits ont été particulièrement violents dans les temps récents, — on se souvient des éruptions de Krakatoa en 1885 et de la Montagne Pelée en 1902, — soit encore en progrès. Il semble donc probable que l’acide carbonique augmente plutôt, et même assez rapidement, dans l’air. Nous en avons un indice dans ce fait que l’océan semble absorber de l’acide carbonique de l’air, car dans son voisinage la teneur de l’air de ce gaz est d’environ 10 p. 100 plus faible qu’à l’intérieur des continents.

Si en effet la proportion d’acide carbonique de l’air était depuis longtemps constante, l’eau qui en tient en dissolution devrait avoir mis en équilibre celui qui est dissous avec celui qui est libre. Si, au contraire, la mer continue à absorber l’acide carbonique de l’air, cela indique que l’équilibre s’est trouvé précédemment établi avec une atmosphère qui en contenait moins qu’aujourd’hui. Il faudrait donc en conclure que la proportion de ce gaz est en voie d’augmentation dans l’océan atmosphérique.

On entend souvent exprimer des craintes parce que les
Fig. 17, Photographie de la surface lunaire, Cratère de Copernic
Fig. 17. — Photographie de la surface lunaire. Environs du cratère Copernic.
Cliché de l’observatoire Yerkes, Wisconsin. E.-U.
L’échelle correspond à une dimension de 0,55 m. du diamètre de la Lune. Par suite de l’absence d’une atmosphère et de toute précipitation d’eau, les falaises du cratère et les autres aspérités de la surface restent sans altération.
réserves de houille existant sur notre globe sont attaquées et consommées par la civilisation actuelle, sans qu’on ait aucune prévoyance ni égards pour l’avenir. On s’effraie en même temps des énormes pertes de vies et de biens qui sont la conséquence des phénomènes volcaniques de nos jours. Peut-être trouvera-t-on qu’il convient de se rasséréner en se rappelant qu’il n’y a ici, comme souvent, qu’un dommage d’un côté pour un bien de l’autre. Par suite de l’augmentation de l’acide carbonique dans l’air, il nous est permis d’espérer des périodes qui offriront au genre humain des températures plus égales et des conditions climatériques plus douces. Cela se réalisera sans doute dans les régions les plus froides de notre terre. Ces périodes permettront au sol de produire des récoltes considérablement plus fortes qu’aujourd’hui, pour le bien d’une population qui semble en voie d’accroissement plus rapidement que jamais.


  1. Genèse, ch. 1, v. 2.
  2. Des mesures récentes, dues à plusieurs savants, semblent indiquer que le rayonnement solaire a une intensité plus petite de 16 p. 100 que celle indiquée par ce tableau. Les températures, rapportées au zéro absolu de ‒273° C, seraient donc à diminuer d’environ 4 p. 100. Ainsi, par exemple, celle de la terre diminuerait de 0,04 de 273 + 6,3 degrés c’est-à-dire d’environ 11 degrés sur le chiffre du tableau.
  3. La consommation mondiale de la houille a été, en millions de tonnes, de 310 en 1890, de 530 en 1894, de 690 en 1899, de 890 en 1904, et de 1 209 en 1907.

    Une partie du charbon brûlé dans nos fourneaux passe dans l’atmosphère, avec les gaz produits par la combustion, mais sous forme de suie. On croyait autrefois que cette fine poussière de carbone était des lors perdue pour l’économie vitale de la nature, car le carbone est extrêmement résistant à tous les agents chimiques, tant que la température reste basse. On a cependant reconnu, dans les temps récents, que certaines bactéries connues sous le nom de diplocoques, attaquent ces fines poussières charbonneuses. Elles les transforment en acide carbonique, qui se répand dans l’atmosphère, ou qui devient un agent de désagrégation.

  4. D’après un de mes collègues, botaniste, les résultats des expériences de Phipson seraient très douteux, et il faudrait, selon lui, toujours une certaine quantité d’oxygène pour que le vie végétale puisse exister. On pourrait alors se représenter comme suit ce qui s’est passé. Lors de la séparation entre la masse terrestre et le brouillard solaire la partie périphérique de notre planète se trouvait à une température très élevée. Elle ne pouvait retenir des gaz ultra-légers comme l’hydrogène et l’hélium. Par contre, des gaz denses, comme l’oxygène et l’azote, s’y trouvaient retenus. L’excédent primaire d’hydrogène, comme l’hélium, disparurent avant que la croûte du globe put se former. Lorsque cette croûte se fut constituée il restait donc une masse principale d’azote, une proportion faible d’oxygène, puis de l’acide carbonique et de la vapeur d’eau. À partir de ce moment, le monde végétal, puisant dans la masse d’acide carbonique, produisit à nouveau de l’oxygène, et il se forma ainsi la quantité actuellement existante d’oxygène libre.

    C’est à Johnstone Stoney que nous devons l’hypothèse que les corps célestes perdent peu à peu leur enveloppe atmosphérique. Ces gaz s’en vont d’autant plus rapidement que leurs molécules sont plus légères, et que la masse du corps lui-même est plus faible. Cela expliquerait pourquoi les petits globes, tels que la lune et Mercure, ont perdu à peu près totalement leur atmosphère. La terre, par contre, n’a perdu que l’hydrogène et l’hélium, qui subsistent encore dans le soleil.

  5. Par l’existence de la neige.
  6. Cela est prouvé par la très forte réfraction qui se produit à sa surface quand celle planète passe devant le soleil lors du phénomène connue sous le nom de passage de Vénus.