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L’Abbé (Montémont)/Conclusion

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L’Abbé ou suite du Monastère
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 14p. 449-452).


CONCLUSION.


Si Roland avait pu être consolé du départ de sa maîtresse et des infortunes de sa souveraine par de bonnes nouvelles qui le regardaient tout particulièrement, il eût éprouvé un sensible plaisir quelques jours après que la reine eut quitté Dundrennam. Un courrier hors d’haleine, qui n’était autre qu’Adam Woodcock, apporta des dépêches que sir Halbert Glendinning envoyait à l’abbé ; il le trouva avec Roland, car tous deux habitaient encore Dundrennam et tourmentaient Boniface de leurs questions réitérées. Le paquet contenait une pressante invitation faite à l’abbé de venir établir pendant quelque temps sa résidence au château d’Avenel. « La clémence du régent, disait celui qui avait écrit la lettre, a étendu son pardon et sur Roland et sur vous, à condition que vous resterez l’un et l’autre sous ma surveillance. J’ai à vous communiquer, touchant la famille de Roland, des choses que vous serez bien aise de connaître, et qui, en qualité de mari de sa plus proche parente, m’obligent à prendre un nouvel intérêt à sa fortune. »

L’abbé lut cette lettre, et s’arrêta, comme s’il réfléchissait à ce qu’il aurait de mieux à faire. Pendant ce temps, Woodcock tira Roland à l’écart. « Maintenant, lui dit-il, prenez garde, monsieur Roland, que quelque bagatelle papiste ne dérange plus du droit chemin ni vous ni le prêtre. Vous vous êtes toujours conduit comme un gentilhomme. Lisez cela, et remerciez Dieu qui a jeté le vieil abbé Boniface sur notre passage, lorsque deux des soldats de Seyton le conduisaient ici, à Dundrennam. Nous cherchions sur lui, dans ses poches, pour tâcher d’obtenir quelques lumières concernant votre bel exploit de Lochleven, qui a coûté la vie à tant d’hommes, et à moi des os brisés : nous avons trouvé ce qui vaut mieux pour vous que pour nous. »

Le papier qu’il avait remis à Roland était effectivement une attestation du père Philippe, où il avait écrit de sa main : « Nous sacristain indigne et frère de la maison de Sainte-Marie, certifions que, sous le sceau du secret, nous avons uni par le saint sacrement du mariage Julien Avenel et Catherine Græme ; mais que, Julien s’étant repenti de cette union, moi, père Philippe, j’ai été assez coupable pour lui promettre de cacher et de déguiser cette même union, selon un complot imaginé entre moi et ledit Julien Avenel, d’après lequel la pauvre demoiselle fut induite à croire que la cérémonie avait été célébrée par une personne qui n’avait pas été ordonnée, et qui n’avait pas de pouvoir à cet effet. Plus tard, moi, sacristain, j’imaginai que ce coupable secret était la cause pour laquelle je me trouvais abandonné à la mauvaise influence d’une fée ondine, qui me tenait sous un charme, et de plus m’avait dès lors affligé de douleurs rhumatismales. C’est pourquoi j’ai déposé ce témoignage et cette confession, avec le jour et la date dudit mariage, entre les mains de mon légitime supérieur Boniface, abbé de Sainte-Marie, sub sigillo confessionis[1]. »

Il paraissait par une lettre de Julien, pliée soigneusement avec le certificat, que l’abbé Boniface s’était en effet mêlé de cette affaire, et avait obtenu du baron la promesse de déclarer son mariage ; mais la mort de Julien et de son épouse malheureuse, l’ignorance où il était du sort de leur infortunée progéniture, la démission de l’abbé, et par-dessus tout son caractère inactif et insouciant, avaient laissé tomber cette affaire dans le plus profond oubli, jusqu’au moment où elle fut appelée accidentellement dans une conversation avec l’abbé concernant la famille Avenel. À la prière de son successeur, Boniface chercha ces papiers, mais comme il ne voulait se faire aider de personne en visitant le peu d’archives spirituelles et de confessions importantes qu’il avait respectueusement conservées, ces papiers y seraient restés pour toujours ensevelis, si le chevalier Halbert Glendinning ne les avait examinés avec la plus stricte attention.

« Ainsi donc, vous serez enfin l’héritier de la famille Avenel, master Roland, après que mon maître et ma maîtresse seront morts, dit Adam ; et pour moi je n’ai qu’une faveur à vous demander, et je me flatte que vous voudrez bien ne pas me la refuser.

— Non, s’il est en mon pouvoir de te dire oui, mon bon ami.

— Eh bien donc ! je voudrais, si je vis assez long-temps pour voir ce jour, continuer à nourrir vos jeunes faucons avec de la chair non lavée, dit Woodcock en insistant, et comme s’il n’était pas bien certain que sa demande fût accueillie favorablement.

« Tu les nourriras avec ce tu que voudras, dit Roland en riant, et je ne suis pas de beaucoup de mois plus vieux que lorsque je quittai le château, mais j’ai acquis assez de bon sens pont ne pas tourmenter un homme qui a de l’expérience dans sa profession.

— Alors je ne voudrais pas troquer ma place contre celle de fauconnier du roi, dit Adam Woodcock, ni contre celle de fauconnier de la reine. Mais on dit qu’elle sera cloîtrée et n’en aura jamais besoin… Je vois que cela vous chagrine d’y penser, et je me chagrinerais de compagnie : mais que faire ! la Fortune prend son vol sans jamais pouvoir être arrêtée, et un homme s’enrouerait à la rappeler sans en pouvoir venir à bout. »

L’abbé et Roland se mirent en route pour Avenel, où le premier fut reçu affectueusement par son frère, tandis que la dame du château pleurait de joie de voir que l’orphelin qu’elle avait protégé avec tant de soin était le dernier rejeton de sa propre famille. Sir Halbert Glendinning et toute sa maison furent un peu surpris du changement qu’une si courte connaissance du monde avait produit sur leur ancien hôte. Ils se réjouirent de voir que le page gâté, impertinent et présomptueux, était devenu un jeune homme modeste et raisonnable, qui connaissait trop ses propres espérances pour demander avec chaleur et pétulance ce qui lui était promptement et volontairement accordé. Le vieux majordome Wingate fut le premier à chanter ses louanges, et mistress Lilias lui servit enfin d’écho, espérant que Dieu ferait un jour connaître à l’ex-page son véritable Évangile.

En effet le cœur de Roland avait toujours été porté secrètement vers ce véritable évangile, c’est-à-dire vers la réformation ; et le bon abbé étant parti pour la France dans le but d’accomplir la résolution qu’il avait prise d’entrer dans quelque maison de son ordre en ce royaume, ce départ leva toutes les difficultés qu’il aurait pu apporter. Ce qu’il devait à Madeleine Græme aurait encore pu ajouter quelque obstacle au changement de croyance de son jeune ami. Mais il apprit, avant d’avoir été long-temps au château d’Avenel, que sa grand’mère était morte à Cologne, en remplissant une pénitence trop rigoureuse pour son âge, qu’elle s’était imposée par amour pour l’Église et la reine d’Écosse, aussitôt après qu’elle eut appris la perte de la bataille de Langside. Le zèle de l’abbé Ambroise fut plus sage ; il se retira dans un couvent écossais à… et il y vécut de telle sorte, que la confrérie fut portée à demander pour lui les honneurs de la canonisation. Mais il devina ce projet, et pria les moines, sur son lit de mort, de ne rendre aucun honneur à un corps qui avait autant péché que chacun d’eux, mais d’envoyer ses dépouilles mortelles et son cœur à Avenel, pour y être enterrés dans la chapelle sépulcrale du monastère de Sainte-Marie, afin que le dernier abbé de cette maison si célèbre pût dormir en paix parmi les ruines.

Long-temps avant cette époque, Roland d’Avenel épousa Catherine Seyton, qui, après deux ans de résidence avec son infortunée maîtresse, avait été renvoyée lorsque cette princesse fut réduite à une plus étroite prison. Catherine retourna dans la maison de son père ; et comme Roland était reconnu pour le successeur et le légitime héritier de la maison d’Avenel, et que ses biens étaient fort augmentés par l’habile administration de sir Halbert Glendinning, il n’y eut rien qui s’opposât au mariage de cette jeune fille. Sa mère venait de mourir lorsqu’elle entra pour la première fois au couvent, et son père dans les temps de troubles qui suivirent la fuite de la reine Marie en Angleterre, ne fut pas contraire à l’alliance d’un jeune homme qui, lui-même fidèle à la reine Marie, avait encore, par le moyen de sir Halbert Glendinning, quelque crédit auprès du parti qui s’était emparé du pouvoir.

C’est pourquoi Roland et Catherine furent unis en dépit de la différence de croyance. Et l’on vit la Dame Blanche, dont les apparitions avaient été fort rares lorsque la maison d’Avenel semblait pencher sur son déclin, se réjouir sur les bords de sa fontaine, ayant la taille entourée d’une ceinture d’or aussi large que le baudrier d’un comte.


fin de l’abbé.



  1. Sous le sceau de la confession. a. m.