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L’Abbaye de Northanger/15

La bibliothèque libre.
Traduction par Mme Hyacinthe de Ferrières.
Pigorau (1, 2, 3.p. 74-101).



CHAPITRE IV.


Le lendemain de grand matin, Catherine reçut d’Isabelle un billet par lequel, parlant à chaque ligne de paix et de tendresse, elle la priait instamment de venir la voir pour une affaire de la dernière importance. Ce billet lui causa un double plaisir ; il la rassura d’abord sur les dispositions de son amie, ensuite il lui fit concevoir l’espérance d’être initiée à un grand secret. L’amitié et la curiosité causèrent donc l’empressement qu’elle mit à se rendre à Edgars’-Building. Elle trouva les deux jeunes Miss Thorpe dans le parloir. Anna sortit pour aller chercher sa sœur ; Catherine profita de cette circonstance pour demander à Maria quelques particularités sur la partie de la veille, que celle-ci se fit un plaisir de raconter. Elle lui dit que cette partie avait été la plus délicieuse qui se fût jamais faite : qu’il était impossible de rien imaginer de plus agréable et de plus charmant. Pendant cinq minutes elle prodigua toutes les épithètes et les exclamations que la langue et sa mémoire purent lui fournir : ensuite elle entra dans les détails : ils étaient allés directement à l’hôtel d’York, où en arrivant ils avaient pris quelque chose et avaient commandé un bon dîner, qu’ils étaient allés voir les bains, qu’ils avaient goûté l’eau, qu’ils avaient dépensé quelques schelings à acheter des bagatelles, qu’ils avaient été prendre des glaces ; qu’étant revenus à l’hôtel, ils s’étaient dépêchés de dîner pour n’être pas anuités, que le retour avait été charmant, que pourtant la lune n’était pas encore levée, qu’il pleuvait un peu, et que le cheval de M. Morland était si fatigué qu’il ne pouvait plus aller.

Ce ne fut pas sans plaisir que Catherine entendit ce récit, parce qu’elle vit qu’il n’avait été nullement question d’aller à Blaize-Castle, et le surplus ne pouvait lui causer le moindre regret. Maria termina son récit par une petite phrase sentimentale sur le chagrin qu’elle avait ressenti, de ce que sa sœur n’avait pas été choisie pour être de cette partie. Elle ne me le pardonnera jamais, j’en suis sûre, continua-t-elle, mais que pouvais-je faire. John voulait absolument m’avoir avec lui ; il jurait qu’il ne conduirait pas Anna parce qu’elle avait de trop grosses jambes. Elle va être de mauvaise humeur pendant un mois ; mais j’ai pris mon parti. Je saurai la redresser.

Isabelle entra dans ce moment comme en accourant, et ses yeux exprimaient tout le bonheur qu’elle ressentait : elle renvoya Maria sans cérémonie, et se jetant dans les bras de Catherine, oui, ma chère, dit-elle, oui, votre pénétration a tout deviné ; quels yeux de lynx vous avez ! Rien ne vous échappe. Celle-ci pour toute réponse la regarda d’une manière qui exprimait son étonnement et l’ignorance où elle était du sujet dont son amie voulait lui parler.

— Il est inutile, ma douce, ma bien chère amie, que vous cherchiez à feindre. Je suis extrêmement agitée, comme vous le voyez : asseyons-nous ; et tâchons de nous remettre : eh bien ! vous devinez, n’est-il pas vrai, tout ce qui m’émeut dans ce moment ? Céleste créature ! Ma chère Catherine ! Vous seule, vous qui connaissez mon cœur, vous pouvez juger de l’excès de ma félicité : votre frère est le plus aimable des hommes ; je voudrais être digne de lui ; mais que croyez-vous que diront votre digne père et votre excellente mère ? Oh ciel ! cette pensée me cause la plus violente émotion.

Catherine cherchait à comprendre ce dont il était question ; tout-à-coup l’idée s’en présenta à son esprit et lui causa une rougeur et un embarras très-naturels. Que voulez-vous dire, ma chère Isabelle ? Êtes-vous …? Pouvez-vous ?… Est-ce que vraiment vous aimez James ?… Son étonnement extrême d’abord se dissipa insensiblement à mesure qu’Isabelle lui découvrait tous ses secrets. Elle lui apprit que ce n’était que la veille et dans la partie faite à Clifton que James lui avait déclaré son amour, qu’elle prétendait que Catherine avait reconnu depuis long-tems, et dans leurs yeux et dans leurs actions : elle lui dit qu’elle n’avait pu résister au bonheur d’avouer qu’elle le partageait, que son cœur et sa foi étaient engagés à James pour toujours.

Catherine n’avait jamais entendu rien d’aussi étonnant, d’aussi intéressant et d’aussi heureux. L’union de son frère et de son amie, les circonstances qui l’amenaient, leur importance, tout lui semblait extraordinaire : elle admirait en cela un des grands événemens qui arrivent si rarement dans le cours ordinaire des choses et qui ne se présentent pas deux fois : elle ne pouvait exprimer la vivacité des sentimens qu’elle éprouvait ; mais elle exprimait bien le bonheur qu’elle ressentait de trouver une sœur dans une amie, et de voir celui de cette amie et de son frère, qu’elle aimait beaucoup, assuré l’un par l’autre ; elles s’embrassèrent, pleurèrent et se dirent mille tendresses.

Nous pouvons, sans faire tort à la pénétration de Catherine, reconnaître que celle d’Isabelle la surpassait de beaucoup, lorsqu’il était question de découvrir un tendre sentiment ; et que celle-ci avait deviné l’amour de James bien avant qu’elle ne s’en fût douté.

— Ma chère Catherine, dit Isabelle, vous me serez plus chère encore que ne me l’est Maria et que personne au monde. Je sens que je serai plus attachée à ma nouvelle famille qu’à la mienne propre… C’est un lien de plus pour notre amitié… Vous ressemblez tellement à votre frère que vous m’avez captivée dès l’instant que je vous ai vue. Voilà ce qui m’arrive toujours : le premier moment est celui qui me détermine en toutes choses. Le premier jour que Morland est venu chez ma mère, aux dernières fêtes de Noël, dès que je l’ai vu, mon cœur s’est donné irrévocablement à lui. Je me souviens que j’avais ma robe jaune, que mes cheveux étaient relevés, lorsqu’il est entré dans le salon et qu’on me l’a présenté, ma première pensée a été que je n’avais jamais vu un aussi bel homme que lui.

Ici Catherine reconnut secrètement le pouvoir de l’amour ; car quoiqu’elle aimât beaucoup son frère et qu’elle se plût à admirer les avantages personnels dont il était doué, jamais elle n’avait pensé qu’il fût beau.

Je me souviens aussi, continua Isabelle, que Miss Andrews vint le soir même prendre le thé avec nous ; elle avait une robe brune, son regard était si attrayant, que je ne pus m’empêcher de croire que votre frère en deviendrait amoureux. Cette pensée me tourmenta au point qu’il me fut impossible de fermer l’œil de toute la nuit. Oh ! Catherine, combien j’ai passé de nuits sans sommeil à cause de votre frère ! Je ne voudrais pas vous voir éprouver la moitié de ce que j’ai souffert. J’étais si malheureuse ! Mais je ne veux pas vous attrister par le récit de mes angoisses. Vous en avez assez vu par vous-même. Je sais que je me trahissais continuellement. Je ne pouvais m’empêcher de dire que je préférais les ecclésiastiques ; mais mon secret était assuré, puisqu’il était entre vos mains.

Catherine sentait bien que ce secret avait été en toute sûreté par l’ignorance qui l’avait empêchée de le deviner ; elle en conçut une espèce de honte, qui fit qu’elle ne contesta plus sur sa pénétration, lorsqu’Isabelle lui en parlait.

Il avait été décidé que James irait de suite à Fullerton pour faire part de ses sentimens à ses parens et obtenir leur consentement à son union avec Isabelle, qui éprouvait des craintes très-vives. Catherine fit tous ses efforts pour lui inspirer la persuasion dans laquelle elle était elle-même que son père et sa mère n’apporteraient aucun obstacle aux désirs de leur fils : il est impossible, disait-elle, d’avoir des parens qui soient plus tendres que les nôtres et qui désirent plus vivement le bonheur de leurs enfans ; je ne doute pas qu’ils ne donnent leur consentement sans difficulté.

— C’est bien ce que me dit Morland, répondit Isabelle, cependant je n’ose espérer. Ma fortune est si bornée ! Votre frère peut faire un mariage si brillant ! Non, ils ne consentiront pas. Ici Catherine remarqua encore la force de l’amour.

— En vérité Isabelle vous êtes trop modeste, la différence de fortune est peu de chose.

Oh, ma chère et bonne Catherine, je sais que pour votre noble cœur cette différence n’est rien ; mais on ne peut attendre le même désintéressement des autres. Pour moi, je voudrais que nos positions fussent en sens contraire. Si j’étais riche, si j’avais des millions, si j’étais maîtresse du monde entier, je serais heureuse de tout partager avec votre frère. Ces beaux sentimens, exprimés dans les mêmes termes que ceux que l’on trouve dans les romans, plaisaient à Catherine, d’autant plus qu’ils lui rappelaient toutes les héroïnes de sa connaissance, et les expressions de ces grandes idées lui rendaient son amie plus chère. Je suis sûre que mes parens donneront leur consentement ; je suis sûre qu’ils seront heureux de vous avoir pour fille : telles étaient néanmoins les réponses simples qu’elle renouvelait à chaque nouveau doute que témoignait Isabelle. Quant à moi, ajoutait celle-ci, mes goûts sont si simples, mes désirs si modérés, que le revenu le plus modeste me suffira ; unie à ce que l’on aime, la médiocrité est un vrai bien. Je déteste les grandeurs. Je ne voudrais pour rien au monde demeurer à Londres. Une petite société, dans quelque village isolé, me suffirait et ferait mon bonheur. Richemont par exemple me conviendrait ; il y a dans les environs des habitations délicieuses.

— À Richemont, s’écria Catherine ; mais c’est près de Fullerton qu’il faudrait vous établir pour vivre avec nous.

— Je serais certainement bien malheureuse, ma chère Catherine si je ne demeurais pas près de vous. Si nous vivions ensemble, rien ne manquerait à mon bonheur ; mais je ne veux pas me flatter de ces douces idées, ni me bercer de si heureuses espérances, que je n’aie connu la réponse de vos parens. Morland m’a dit qu’il voyagerait la nuit, qu’il m’écrirait de suite et que demain je pourrais avoir sa lettre. Demain ! Mon dieu comme je vais trembler ! Je n’aurai jamais le courage d’ouvrir cette lettre, je crains qu’elle ne contienne l’arrêt de ma mort. Alors Isabelle tomba dans une rêverie, dans laquelle elle resta plongée assez long-tems. Lorsqu’elle en sortit, elle dit qu’elle était décidée sur le choix de l’étoffe dont elle voulait faire sa robe de nôce.

James entra dans ce moment, il venait, avant de partir pour le Wittshire, dire un dernier adieu à Isabelle. Catherine aurait bien voulu lui parler des vœux qu’elle formait pour son bonheur et lui faire un compliment de félicitation ; mais comme elle ne savait pas ce qu’il fallait dire dans une telle circonstance, ses yeux furent les seuls interprètes de ses sentimens : ils les exprimèrent si bien, que James en fut plus touché qu’il ne l’eût été du compliment le mieux tourné. Impatient de partir pour aller chercher le consentement qu’il désirait ; ses adieux ne furent pas long, ils l’auraient été moins encore, sans les recommandations qu’Isabelle multipliait ingénieusement pour le retenir près d’elle quelques instans de plus. Elle le rappelait pour lui recommander de se dépêcher, de ne pas perdre un instant ; pour l’avertir que s’il ne se hâtait, il n’arriverait plus le même jour : pour lui dire de ne pas manquer le courrier du lendemain ; de penser à elle, de revenir au plutôt.

Les deux amies plus intimement unies que jamais ne se quittèrent pas de toute la journée ; elles firent pour l’avenir des projets de bonheur, et pendant ce tems les heures s’écoulèrent avec rapidité.

Mistriss Thorpe et son fils étaient très-satisfaits de l’événement qui se préparait : ils ne désiraient que de connaître le consentement de M. Morland. Les coups-d’œil significatifs, les conversations mystérieuses, les demi-mots, excitaient au plus haut degré la curiosité des jeunes sœurs. La simplicité des idées de Catherine, l’empêchait de trouver nécessaire de faire à ces jeunes personnes un mystère d’un événement qui devait les intéresser sensiblement ; il lui semblait que le secret qu’on tenait à leur égard était contraire à l’affection fraternelle ; elle n’aurait pas manqué de leur apprendre ce dont il s’agissait, si elle n’eût craint de contrarier Isabelle ; au surplus les deux jeunes sœurs ne tardèrent pas à soulager le cœur de Catherine de la peine que lui causait cette retenue. Après quelques questions qu’elles firent, et auxquelles on ne répondit qu’en leur disant de se taire : je sais ce que c’est, dit l’une, et le reste de la soirée, il y eut une petite guerre d’esprit, l’une des parties assurant très-gauchement qu’il n’y avait point de secret, et l’autre assurant très-malicieusement qu’il y en avait un qu’elle connaissait.

Catherine revint le lendemain près de son amie, et elle à calmer l’impatience que lui causaient les interminables heures qui précédaient la distribution des lettres. Plus le moment approchait, plus l’agitation d’Isabelle augmentait ; quand le facteur frappa à la porte, elle éprouva une violente émotion ; elle prit la lettre qu’on lui remit, l’ouvrit ; elle commençait ainsi : « Je n’ai éprouvé aucune difficulté pour obtenir le consentement de mes bons parens ; ils m’ont assuré qu’ils feraient pour mon bonheur, tout ce qui serait en leur pouvoir. » Isabelle s’arrêta transportée de joie. Ses craintes étaient dissipées, elle ne vit plus pour elle que sécurité et plaisir ; les plus vives couleurs animèrent son joli visage. La satisfaction éclata dans toute sa personne ; elle dit, elle répéta, qu’elle était la plus heureuse des femmes.

Mistriss Thorpe versait des pleurs de joie ; elle embrassait sa fille, son fils, les personnes qui se trouvaient là ; elle aurait embrassé avec le même plaisir tous les habitans de Bath. À chaque mot c’était : cher John, chère Catherine, chère Anna, chère Maria, venez partager ma félicité ; quand elle parlait à Isabelle, c’était sa chère, sa bien chère fille, son enfant chéri. John lui même montrait de la joie ; il estimait Morland, parce qu’il était le meilleur garçon du monde ; il ne lui connaissait pas de défauts ; car enfin, disait-il, ce n’en est pas un pour lui, qui est ecclésiastique, de ne pas se connaître en chevaux.

La lettre, source de tant de félicité, était courte, elle annonçait la réussite et promettait des détails par le premier courrier. Isabelle se montrait indifférente à ces détails ; tout, pour elle, était renfermé dans le consentement de M. Morland. Après l’avoir donné, il ne pouvait, selon elle, manquer de bien faire tout le reste : elle avait trop de noblesse, trop de désintéressement pour arrêter ses idées sur l’objet précieux de la dot ; que lui importait que celle-ci fût plus ou moins forte. Un peu plus, un peu moins d’argent, est-ce donc là le bonheur ?

Elle voyait pour elle un établissement honorable, son imagination se remplit bientôt de toutes les jouissances qu’elle espérait avoir. En très-peu de tems elle allait être l’objet de l’admiration de ses nouvelles connaissances à Fullerton et l’envie de ses anciennes amies de Pulteney ; elle allait avoir une voiture à ses ordres, un nouveau nom à mettre sur ses billets, un brillant étalage de bijoux, des bagues à tous ses doigts.

John Thorpe qui depuis quelque tems projettait de faire un voyage à Londres, et qui n’en avait différé l’exécution que pour savoir le contenu de la lettre, se disposa alors à partir. En entrant au parloir, il y trouva Catherine seule : eh bien, Miss Morland, je viens vous dire adieu. Catherine lui souhaita un bon voyage, sans paraître l’écouter. Il s’approcha de la fenêtre, fit jouer ses doigts sur les carreaux, frédonna quelques sons ; il avait l’air très-occupé.

— N’êtes vous pas allé dernièrement à Devizes, dit Catherine ; il ne répondit pas. Après quelques minutes de silence, sur mon ame, dit-il, ce projet de mariage est excellent ; c’est une bonne idée de Morland et d’Isabelle ; qu’en pensez-vous Miss Morland ?

— Je crois et j’espère que cela ira très-bien.

— Vous le croyez ! J’en suis charmé, j’aime à voir que vous n’êtes pas contre le mariage. Avez-vous jamais entendu la belle chanson « Going to one Wedding, brings on another. » (Aller à une noce c’est en préparer une autre.) J’espère que vous viendrez à la noce de Bella.

— J’ai promis à votre sœur d’y assister, si toutefois cela m’est possible.

— Bon ! nous y voilà ; puis hésitant et s’efforçant à rire : vous savez…, nous verrons si la chanson dit vrai.

— Je ne sais point de chansons, je ne chante jamais, dit Catherine en se levant ; je vous réitère mes souhaits de bon voyage ; je dîne aujourd’hui chez Miss Tilney, il est tems que j’aille m’y préparer.

— Vous en avez encore le tems ; qui sait quand nous nous retrouverons ensemble, je vais être absent pendant quinze jours qui me sembleront diablement longs.

— Et pourquoi vous absenter pour si long-tems, reprit Catherine, qui voyait qu’il attendait sa réponse ?

— Que vous êtes bonne ! Oui vous êtes tout-à-fait bonne ! Il y a plus de bonté en vous toute seule que dans le reste du monde. Je dis qu’il n’existe personne comme vous ; ce n’est pas seulement de la bonté que vous avez, vous possédez encore toutes les bonnes qualités ; vous en avez tant que, sur mon âme, je ne connais personne qui vous égale.

— Oh ! Monsieur, il y en a beaucoup comme moi, et même d’infiniment meilleures que moi. Adieu Monsieur.

— Si d’ici à quelque tems j’allais présenter mes devoirs à Fullerton, cela ne vous serait-il pas désagréable, Miss Morland.

— Non certainement ; mon père et ma mère seront très-flattés de vous voir.

— Je le crois bien… J’espère que vous ne serez pas non plus fâchée de m’y voir.

— Il n’est personne que je puisse être fâchée de voir ; la société procure toujours de l’agrément.

— Voilà précisément comme je pense. Donnez-moi une petite société agréable, que je sois avec des personnes que j’aime et qui m’aiment, au diable le reste. Voilà ce que je dis, et je suis très-content de voir que vous pensez comme moi. Il me vient une idée, Miss Morland : nos idées se rapportent sur bien des points.

— Cela peut être ; il y en a cependant beaucoup sur lesquelles je n’ai pas encore cherché à me former une opinion.

— Diable ! Ni moi non plus ; je n’aime pas à me troubler la cervelle par les choses qui ne me concernent pas. En tous points, je m’en tiens à ce qu’il y a de plus simple. Que j’obtienne, me dis-je, la femme que j’aime, que j’aie une bonne maison, que me fait tout le reste ; je ne cherche pas une grande fortune. De mon côté j’ai un revenu assuré, et si la femme qui me convient n’a rien, tant mieux.

— Je partage votre opinion là-dessus. Quand il y a du bien d’un côté, il n’est pas nécessaire qu’il y en ait de l’autre. N’importe de quel côté il vienne, l’essentiel est qu’il y en ait suffisamment. Je n’aime pas qu’on désire toujours acquérir : je crois que ce sont de tristes mariages que ceux que l’argent fait. Adieu, M. Thorpe ; nous serons très-aises de vous voir à Fullerton, quand cela vous conviendra. En disant ces mots, elle sortit, laissant John très-satisfait de l’heureuse adresse qu’il avait employée pour s’expliquer et de l’encouragement indirect que Catherine semblait lui avoir donné.

L’émotion que cette dernière avait éprouvée à la première nouvelle de l’engagement que son frère allait contracter lui fit croire que M. et Mistriss Allen n’apprendraient pas sans plaisir un tel événement. Elle ne fut pas long-tems dans cette erreur. Elle avait préparé ce qu’elle croyait nécessaire pour les amener à apprendre cette nouvelle ; mais dès les premiers mots qu’elle leur dit, ils lui assurèrent tous deux, que depuis l’arrivée de son frère, ils avaient prévu ce dénouement ; qu’ainsi il ne pouvait leur causer la moindre surprise. Ils formèrent des souhaits pour le bonheur de ces jeunes gens ; M. Allen y ajouta l’éloge d’Isabelle, et Mistriss Allen vanta le bonheur dont elle allait jouir.