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L’Atelier d’Ingres/Chapitre XXVI

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G. Charpentier (p. 259-276).


XXVI

CANDIDATURE À L’ACADÉMIE.


Je ne voyais M. Ingres qu’à d’assez longs intervalles ; mais, chaque fois que j’apprenais qu’un nouvel ouvrage de lui était exposé à son atelier, je m’empressais de m’y rendre, et j’étais toujours très-affectueusement accueilli.

Une circonstance, que je demande la permission de citer, me mit un jour en rapport plus direct avec mon maître.

Une place était vacante à l’Académie des beaux-arts.

Certes, l’idée ne me serait pas venue de me mettre sur les rangs, et je ne l’aurais pas fait, sans mon ami Lehmann, dont j’étais allé voir au Luxembourg le grand et beau travail.

Il me parla de l’élection prochaine, me dit qu’il comptait se présenter, et ajouta qu’il pensait bien que j’allais faire comme lui.

Il insista avec tant de chaleur et de bonne grâce, que je le quittai ébranlé, mais non encore décidé à faire une démarche qui me paraissait prématurée.

D’autres amis revinrent plusieurs fois à la charge, et je pris mon parti.

Mais, avant tout, je voulais avoir l’opinion de M. Ingres, et je lui écrivis pour le prier de me dire si je pouvais tenter une pareille épreuve, ne voulant pas agir sans son consentement.

Il me répondit la lettre que voici :

« Mon cher Amaury,

« Vous voulez bien me consulter sur votre présentation à l’Institut.

« Je n’hésite pas à vous le conseiller ; vous avez un véritable talent, et il est toujours bon de prendre rang. Il est difficile d’arriver tout d’abord, mais on arrive…

« Je me ferai toujours un vrai plaisir de vous être utile, comme à mon élève et mon ami.

« J. Ingres. »

J’allai le remercier, et je rencontrai chez lui Flandrin, auquel il annonça ma candidature, en ajoutant :

« Il faut qu’un jour il soit des nôtres. »

Flandrin fut fort aimable, et me dispensa gaiement de lui faire une visite.

L’Institut de France se compose, comme on sait, de cinq académies.

Je ne parlerai que de l’Académie des beaux-arts, la seule qui m’occupe en ce moment, et dont l’organisation intérieure est, en général, peu connue des gens du monde.

Cette académie est formée de cinq sections, et chacune d’elles est attribuée à un des arts libéraux : la peinture, la sculpture, l’architecture, la musique et la gravure.

Lorsqu’une des sections a perdu un de ses membres, la place est donnée naturellement à un artiste dont le genre est représenté par la section.

La première formalité à remplir, pour se mettre sur les rangs comme candidat, est d’adresser au président de l’Académie une lettre dans laquelle, en annonçant l’intention de se présenter, le candidat donne le détail des ouvrages dont il est l’auteur.

Lorsque les lettres de candidature ont été lues par le président, la section se forme en comité secret et compose à la majorité des voix une liste de trois ou quatre noms.

Cette liste a, nécessairement, une très-grande influence sur le vote de l’Académie entière, et il est rare que le premier en tête ne soit pas nommé. S’il reste d’autres candidats, l’Académie, comme fiche de consolation, les place à la suite de la liste de la section.

Voilà le travail qui se fait dans le sein de l’Académie ; mais, avant qu’elle se livre à cette opération, c’est-à-dire aussitôt après l’envoi de sa lettre, le candidat a dû passer par toutes les péripéties d’une odyssée en fiacre, que j’ai faite, hélas ! et dont je n’ai oublié aucune particularité.

Je dus me rendre, selon la coutume, chez tous les académiciens dont je sollicitais le suffrage, et le récit de quelques-unes de ces visites pourra amener des réflexions que je soumettrai humblement à qui de droit.

Cravaté de blanc dès la première heure, car plusieurs académiciens ne sont visibles que le matin, je commençai avec une vive émotion un métier tout nouveau pour moi, et qui d’abord me parut très-embarrassant.

Ma première visite fut pour M. Picot, qui me reçut à merveille. Je n’étais pas un inconnu pour lui ; nous nous étions rencontrés souvent à l’Arsenal, chez Nodier, et je dois dire que je ne pus m’empêcher de me rappeler, en me trouvant en face de lui, après bien des années, la spirituelle plaisanterie qu’il fit un soir et dont je fus témoin.

On donnait un bal costumé à l’Arsenal, et le costume était de rigueur.

M. Picot, malgré la défense, arriva en habit noir ; mais il s’était fort comiquement ajusté deux énormes oreilles d’âne en papier, et portait au dos une pancarte sur laquelle on lisait :

Pour s’avoir pas déguisé.

Je ne lui rappelai pas ce souvenir d’autrefois. Je fus sérieux ; lui, tout à fait digne.

Après quelques mots sur le motif de ma visite :

« Mon cher ami, me dit-il, si j’ai un conseil à vous donner, c’est de ne rien négliger pour être placé sur la liste de la section ; voilà la chose importante.

— C’est précisément pour cela, Monsieur, que je viens solliciter de vous une indulgente bienveillance. »

Alors, me prenant la main, qu’il serra :

« Si cela dépend de moi… »

Je ne le laissai pas achever ; je le remerciai et pris congé de lui.

Je me rendis ensuite chez Brascassat, que je ne connaissais pas. Je trouvai un homme doux, poli, qui me dit peu de choses, et auquel je ne répondis presque rien.

Je n’avais pas compris à mon entrée l’air embarrassé qu’il me paraissait avoir ; je me l’expliquai au mouvement qui se fit dans son atelier, et en apercevant deux candidats, comme moi, que m’avaient cachés jusque-là des toiles sur leurs chevalets.

Je pris très-vite mon parti du côté gênant de notre situation, et, sans le moindre embarras, j’allai leur serrer la main, comme je l’aurais fait dans un salon.

Ces rencontres, auxquelles il fallait s’attendre, n’en étaient pas moins, au fond, assez désagréables. Brascassat ne put pas, naturellement, nous assurer tous les trois de sa sympathie, et nous le quittâmes sans avoir dit un mot du motif qui nous amenait.

M. Cogniet ne recevait pas. Sa porte, pendant ce temps de candidatures, était absolument close ; je n’eus donc qu’à déposer ma carte chez son concierge, en regrettant que cette spirituelle résolution ne fût pas prise par tous les autres académiciens.

Je repris ma course et me présentai chez M. Abel de Pujol ; on m’apprit qu’il était souffrant, et j’allais me retirer, quand madame Abel de Pujol, artiste elle-même, insista avec une grâce toute charmante pour que je visse son mari.

Je le trouvai en effet fort grippé et chaudement enfoncé dans un grand fauteuil. Il me fit asseoir près de lui, car son rhume le forçait à parler bas.

J’étais au supplice de déranger un hommage âgé et malade, et, malgré les encouragements aimables de madame Abel de Pujol, je me hâtai de lui dire le but de ma visite, ne voulant pas la prolonger, et m’excusai de mon mieux de mon importunité.

« Oui, Monsieur, me répondit-il, je sais que vous vous mettez sur les rangs ; — il dit ces mots avec un mouvement de tête approbatif. — Maintenant, si j’ai un conseil à vous donner, c’est de tout faire pour être placé sur la liste de la section…

— Je le sais, et c’est pour cela… »

Il inclina la tête, et prit ma main, qu’il serra.

Je trouvais jusqu’à ce moment tous ces membres de l’Institut bien aimables ; ils se répétaient un peu, mais je ne pouvais que me féliciter de leur accueil.

Je remis au lendemain ce qui me restait de visites à faire, ma journée me paraissant assez complète, et je revins chez moi, en pensant au rôle singulier qu’avaient à remplir ceux qui l’avaient déjà joué plusieurs fois. Les réflexions qui me vinrent à l’esprit sont si désintéressées de ma part, que rien ne n’empêche de les dire.

Il est de la plus simple politesse qu’un homme qui demande à avoir l’honneur de faire partie d’une société se présente individuellement aux membres qui la composent, et leur donne ainsi la faculté de juger, à part le talent, celui qu’ils vont admettre parmi eux et avec lequel ils devront avoir de constantes relations. Il n’y a pas besoin d’insister là-dessus.

Mais lorsqu’après une première visite, vous êtes connu de tous les membres de la société dans laquelle vous briguez l’honneur d’entrer, n’est-il pas bien puéril de renouveler cette visite chaque fois que vous vous présentez, et votre insistance apparente ne devient-elle pas une corvée pénible pour celui qui reçoit la visite et pour celui qui la fait ?

Il me semblerait bien simple qu’une fois la première démarche accomplie, et votre nom inscrit sur la liste de la section, vous fussiez considéré dès lors comme candidat pour les autres nominations à venir.

Lorsque l’Académie viendrait à perdre un de ses membres, son rôle consisterait à chercher dans la liste des candidatures, et à nommer après discussion celui des candidats qui lui paraîtrait le plus digne.

Je trouverais quelque chose de plus honorable à une nomination ainsi faite ; ces visites, qui, renouvelées, deviennent assez humiliantes, n’auraient plus de raison d’être, et il suffirait qu’à chaque vacance, les candidats écrivissent à l’Académie pour appeler son attention sur les travaux qu’ils auraient exécutés depuis leur première démarche.

Le titre même de candidat à l’Académie pourrait devenir d’une assez grande valeur, si la liste était faite dans un esprit moins facile et après des recherches plus longues et plus approfondies de la part de la classe des beaux-arts.

Telles étaient mes réflexions en revenant chez moi, mais sans que j’eusse la moindre prétention que des idées, peut-être justes et simples, pussent jamais l’emporter sur des habitudes depuis longtemps enracinées.

Je reprends le récit de mon pèlerinage, en l’abrégeant, et ne parlerai plus que de deux visites qui ont laissé une trace dans mon souvenir.

Celle que je fis à Horace Vernet fut des plus intéressantes.

Je n’avais jamais vu son atelier, et, quoique je ne le crusse pas aussi brillant, et surtout aussi bruyant que celui que la gravure a popularisé, je m’attendais cependant à quelque chose d’excentrique. Je me trompais : cet atelier, au rez-de-chaussée, dans la cour de l’Institut, était fort simple, plus simple même que la haute position d’Horace Vernet n’aurait pu le faire supposer.

Je ne pus me défendre, en entrant, de la vive émotion que me cause toujours la vue d’un homme illustre.

Je n’ai jamais éprouvé pour le talent d’Horace Vernet une sympathie bien grande : la facilité, l’improvisation dans les arts, m’ont toujours semblé des qualités inférieures ; mais, quand ces qualités sont portées à ce point qu’elles ont ébloui pendant de longues années tout un pays, bien mieux, le monde entier, il faut nécessairement s’incliner, et la démarche que je faisais en ce moment me disposait d’autant plus à reconnaître cette illustration et à sentir la distance qui m’en séparait.

Il était seul, vêtu d’un veston collant gris, d’un large pantalon de même nuance, avec de longues poches ouvertes de chaque côté.

Il travaillait à une toile, un Daniel, je crois, dans la fosse aux lions.

Dès qu’il m’aperçut, il se leva.

« Eh bien ! me dit-il, vous voulez donc entrer dans notre galère ?…

— S’il ne s’agissait que de vouloir !… » répondis-je.

Alors, mettant de côté sa palette, il tourna dans ses doigts une cigarette, plaça, debout qu’il était, son pied sur le poêle, reste de prétention à la souplesse, et aborda tout de suite la question :

« Je dois vous dire que je suis, moi, saint Jean Bouche-d’Or. Vous n’avez pas de chances, et je ne vous donnerai pas ma voix, parce que je suis pour qu’on ne mette sur la liste de la section qu’un nom ou deux, pas davantage. Je bataille, et je bataillerai toujours pour cela ; ces listes à n’en plus finir, c’est absurde. Un nom, deux au plus… je le disais encore dernièrement à l’Académie… »

Il se lançait dans une théorie sur les listes courtes, quand je l’arrêtai en lui disant :

« Mais, Monsieur, soyez bien convaincu que je n’ai d’autre prétention en ce moment que de prendre date ; il faut bien commencer… et si un jour je parviens à n’être pas indigne…

— Ah ! cela, c’est autre chose, me répondit-il, vous y arriverez, j’en suis sûr… Et tenez… je passais il y a quelque temps à Saint-Germain en Laye ; je suis entré dans l’église, je ne savais même pas qu’il y eût là de la peinture… et j’ai trouvé ça très-bien… J’ai même chargé un curé de vous le dire ; je ne sais pas s’il a fait ma commission… »

Je fus tout surpris, très-flatté, et j’allais le remercier de son indulgence, quand nous fûmes interrompus par l’entrée de M. Hesse, qu’on appelait le père Hesse, pour le distinguer de son neveu, le brillant auteur des Funérailles du Titien.

« Ah ! te voilà encore ! lui dit Vernet, tu veux donc être nommé à l’ancienneté ? »

M. Hesse, souriant à moitié : « Tu en parles bien à ton aise, toi… L’ancienneté… j’en ai assez comme ça… »

Vernet de rire, et se tournant vers moi :

« Vous regardez ma petite ordure ? Eh bien ! dites-moi si vous y trouvez quelque chose de trop choquant… Ah ! c’est fini… je n’y suis plus… voyez comme ces mains sont f…… ! Ce n’est plus ça »

Je continuai à considérer son tableau, très-étonné de cette exécution toujours facile, brillante, mais dont l’éclat résistait bien peu de temps, et disparaissait même plus vite que chez aucun autre peintre.

Je ne voulus pas prolonger ma visite, tout intéressante qu’elle était pour moi, dans la crainte de gêner M. Hesse. Je pris congé de Vernet, et lui dis, en le quittant à sa porte, que j’avais eu beau faire, mais que je ne trouvais rien à redire à son tableau. Il sourit, me serra la main, et je sortis, je dois l’avouer, beaucoup plus satisfait de cette réception que de celle de ses confrères.

Je savais du moins à quoi m’en tenir. Horace Vernet m’avait adressé un mot aimable, n’ignorait pas qui j’étais, ce que j’avais fait, et son encouragement avait plus de prix pour moi que toutes les poignées de main des autres.

Il ne me restait plus qu’une visite à faire, celle que je devais à M. Couder ; mais elle n’eut pas lieu chez lui, et à ce propos je dois humblement avouer quelle intrigue fut ourdie pour accaparer la voix de cet académicien.

M. Émile Perrin, alors directeur de l’Opéra-Comique, m’avait fort aimablement accordé mes entrées à son théâtre, à titre de confrère en peinture. Il me présenta plus tard dans sa famille, où je fus reçu de la façon la plus gracieuse, et bientôt à titre d’ami.

La loge des Perrin comme nous disions, était presque tous les soirs le rendez-vous d’auteurs célèbres, de compositeurs illustres, dont les ouvrages étaient joués ou devaient l’être, et de quelques-uns de mes amis.

Madame Perrin, et sa sœur, madame Doux, dont le talent en peinture a pu être remarqué à presque toutes les dernières expositions, faisaient avec une grâce charmante les honneurs du petit salon fermé qui précédait la loge, et prenaient vivement part aux discussions animées qu’il est rare de ne pas voir s’élever dans une réunion d’artistes.

De temps en temps, lorsqu’on voulait écouter un morceau, entendre une chanteuse célèbre, on quittait, sans se gêner, le petit salon pour s’installer dans la loge. Il régnait dans ces réceptions intimes la plus charmante liberté, celle des gens d’esprit.

Le maître de la maison paraissait par moments, pour juger de l’effet d’une scène, d’un arrangement de décorations. Il parlait peu, il était à son affaire, et je me serais bien gardé de l’interrompre ; mais, quand il n’était pas préoccupé, j’avais un vrai plaisir à causer avec lui : nous nous entendions dans les questions d’art, et il avait quelque confiance en mon goût, excepté lorsqu’il s’agissait de certaine musique qui avait toutes mes préférences, mais qui n’avait pas celles du public. Le directeur reprenait là son rôle, en oubliant peut-être un peu que ce public, auquel il voulait plaire avant tout, n’est pas toujours le meilleur juge.

Aujourd’hui, malgré ce léger désaccord, dans l’isolement où je vis, surtout dans l’éloignement de tout ce qui touche à la vie heureuse, je pense bien souvent avec reconnaissance à l’aimable accueil que j’ai reçu de lui et de son entourage.

Mais je me laisse aller à des souvenirs qui me sont toujours agréables, et j’oublie de raconter l’intrigue imaginée par madame Perrin, qui avait pris très à cœur mon affaire de candidature.

Assez liée avec M. Couder, madame Perrin lui envoya une loge, et, supposant qu’il viendrait la remercier, elle eut la bonté de me prévenir de ne pas manquer de venir, le soir, assister à l’assaut que tous devaient donner en ma faveur.

Il fut fait comme il avait été dit, et j’étais depuis quelques instants dans la loge, quand l’ouvreuse annonça M. Couder.

Après les compliments d’usage et les remercîments, madame Perrin, s’apercevant que M. Couder ne me reconnaissait pas, me présenta, et elle commençait pour moi un plaidoyer des plus flatteurs, quand je l’interrompis en lui disant qu’il n’était pas probable que je pusse trouver la moindre sympathie chez M. Couder, qui m’avait déjà mis une fois à la porte de chez lui.

À ce mot, M. Couder fit un bond. « Comment cela ! s’écria-t-il ; mais pas du tout… Mesdames, ne le croyez pas… Il n’y a pas un mot de vrai… je vais vous faire juges, et vous conter l’histoire à laquelle Amaury fait allusion.

« Voici comment les choses se sont passées… Je lui avais loué un atelier… et cet atelier n’était séparé du mien que par une porte, condamnée, il est vrai, mais qui permettait de tout entendre… Il recevait des… amis, c’est tout simple… Mais moi, je donnais des leçons à madame de Montalivet, qui venait tous les jours, et par cette maudite porte on entendait tout ce qui se disait. Je ne lui en voulais pas… à son âge ! et d’ailleurs il était chez lui… mais je ne vivais pas pendant mes leçons… Et puis Nourrit qui venait poser pour son portrait ! c’était en 1830… Vous figurez-vous Nourrit, dans ce petit atelier, où l’on ne manquait pas de le faire chanter, donnant toute sa voix et entonnant la Parisienne… tout son répertoire… C’étaient des Mathilde, idole de mon âme ! des Mon père, tu m’as dû maudire… J’en serais devenu fou… Alors j’ai écrit à Amaury, mais très-poliment et sans lui garder la moindre rancune, le priant de chercher un autre atelier.

— Qu’est-ce que je disais ? vous voyez, Mesdames, que M. Couder, avec les formes les plus polies, ne m’en a pas moins mis à la porte de chez lui. »

— Et tout le monde de rire.

Tout cela fut gai, très-aimablement dit, et madame Perrin ajouta : « Eh bien ! alors, faites votre paix avec votre féroce propriétaire, et surtout faites-lui votre cour. »

M. Couder me prit alors à part, et me dit : « Je sais que vous vous présentez comme candidat, et vous faites très-bien ; mais, si j’ai un conseil à vous donner… la chose importante… »

Je ne le laissai pas achever… : « est d’être placé, lui dis-je, sur la liste de la section…

— C’est en effet, me répondit-il, le point important…

— Aussi, c’est pour cela que je réclame votre indulgence.

Il prit ma main, qu’il serra, en me disant :

« Si cela est en mon pouvoir… »

Quel fut le dénoûment ? On l’a deviné — je n’eus pas une seule voix.

Cette élection fut celle où Eugène Delacroix fut nommé membre de l’Académie. Quand le résultat du scrutin fut connu : « Voilà le loup dans la bergerie ! » s’écria tout haut M. Ingres.

Je voudrais qu’on fût bien persuadé qu’il n’entre pas dans le récit de cette petite mésaventure le moindre sentiment d’aigreur. Personne, plus que moi, ne comprend ce qu’il y a d’honorable à faire partie de ce corps très-justement illustre, et ne regrette plus profondément de n’avoir pas mérité d’en être.

Mais il faut, à mon avis, pour que cet honneur soit complet, qu’il arrive spontanément, à la suite d’une belle œuvre, d’un grand succès, et que l’opinion publique force la porte, si elle résiste.

Alors c’est, en effet, une très-belle, très-enviable chose que d’arriver ainsi à cette récompense suprême.

Mais y parvenir à la longue, à l’ancienneté, comme disait Horace Vernet, guetter la mort d’un confrère, et s’en aller tout de suite demander sa succession, faire des visites qui, répétées, deviennent presque humiliantes, être très-bien reçu, souvent même de façon à espérer, et n’avoir pas une voix ; ne pas se rebuter cependant, gagner quelques suffrages par obsession, et parvenir enfin à ce fauteuil sans que le public s’en émeuve, ou même le sache… J’avoue que j’ai reculé devant cette perspective. Je n’ai pas recommencé l’épreuve, et mes amis pourront dire de moi, en parodiant le mot qui fut fait sur le grand Dauphin, et toutes proportions gardées :

« Fils d’académicien, neveu d’académicien, jamais académicien !»