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L’Encyclopédie/1re édition/ABRAXAS ou ABRASAX

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 1p. 34-35).
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ABRAXAS ou ABRASAX, terme mystique de l’ancienne Philosophie & de la Théologie de quelques hérétiques, en particulier des Basilidiens. Quelques Modernes ont cru sur la foi de Tertullien & de Saint Jérôme, que Basilide appelloit le Dieu Suprème ou le Dieu Tout-puissant du nom d’abraxas, marquant, ajoûtent-ils, par ce mot les trois cens soixante & cinq Processions divines qu’il inventoit ; car selon la valeur numérale des lettres de ce nom, Α vaut 1. ϐ 2. ρ 100. α 1. σ 200. α 1. ξ 60. ce qui fait en tout 365. Mais outre que Saint Jérôme dit ailleurs qu’abraxas étoit peut-être le nom de Mithra ou du Soleil, qui étoit le Dieu des Perses, & qui dans sa révolution annuelle fournit le nombre de 365 jours, le sentiment de ces Peres est détruit par celui de Saint Irénée, qui assûre, 1°. que les Basilidiens ne donnoient point de nom au Dieu Suprème. Le Pere de toutes choses, disoient-ils, est ineffable & sans nom : ils ne l’appelloient donc pas abraxas ; 2°. que ce nom faisant le nombre de 365, les Basilidiens appelloient de la sorte le premier de leurs ccclxv. Cieux, ou le Prince & le premier des ccclxv. Anges qui y résidoient. Tertull. de Præscript. hæret. cap. 46. Saint Jérôme in amor. Tom. VI. pag. 100. Beausobr. Hist. du Manich. Tom. II. pag. 52.

Ce mot énigmatique a fort exercé les Savans : mais comme les Anciens n’en ont donné aucune explication satisfaisante, nous en rapporterons différentes imaginées par les Modernes ; le Lecteur jugera de leur solidité.

Godfrid Wendelin, homme fort versé dans l’Antiquité ecclésiastique, a proposé son opinion sur cette matiere dans une Lettre écrite à Jean Chiflet au mois de Septembre 1615. Il y prétend qu’abrasax est composé des lettres initiales de plusieurs mots ; que chaque lettre exprime un mot ; les quatre premieres, quatre mots Hébreux ; les trois dernieres, trois mots Grecs, de la maniere suivante :

A signifie ab, le pere.
B Ben, le fils.
R Rouach, l’esprit.
A Acadosch, le Saint.
S Soteria, le salut.
A Apo, par.
X Xulou, le bois.

Voilà abrasax bien orthodoxe & bien honoré, puisqu’on y trouve distinctement exprimées les trois Personnes divines, & le salut acquis par la croix du Rédempteur. Il est aisé de réfuter cette idée de Wendelin par deux raisons : la premiere, qu’il n’est pas naturel de former un même mot de quatre mots Hébreux & de trois mots grecs. Cette objection n’est pas à la vérité suffisante. Il y a d’autres exemples de ces mots bâtards ; d’ailleurs les Basilidiens auroient pû désigner par-là l’union des deux Peuples des Hébreux & des Grecs dans la même Eglise & dans la même Foi. La seconde raison paroît plus forte. On dit que ces Hérétiques croyant que Simon le Cyrénéen fut crucifié à la place de Jesus-Christ, & sur cette rêverie, refusant de croire en celui qui a été crucifié, ils ne pouvoient dire que le salut a été acquis par la croix. Le rafinement & la subtilité qui regnent dans cette opinion de Wendelin, contribuent à la détruire.

Le P. Hardouin a profité de la conjecture précédente. Il veut que les trois premieres lettres du mot abrasax désignent le Pere, le Fils, & le Saint-Esprit ; mais il croit que ces quatre dernieres A. S. A. X. signifient ἄνθροπους σόζων ἀγιῶ ξυλῶ, mots Grecs qui veulent dire sauvant les hommes par le saint bois. En suivant la même méthode, on a donné un sens fort pieux au mot abracadabra, dont on a fait un remede contre la fievre. On y a trouvé, le Pere, le Fils, le Saint-Esprit, sauvant les hommes par le saint arbre. Le Pere, le Fils, le Saint-Esprit, le Seigneur est unique. Voyez Abracadabra.

M. Basnage dans son Histoire des Juifs, tome III. part. 2. pag. 700. a proposé une autre hypothèse ; « Abraxas, dit-il, tire son origine des Égyptiens, puisque l’on voit un grand nombre d’amuletes sur lesquels est un Harpocrate assis sur son lotus, & le fouet à la main avec le mot d’abrasax ». Jusques-là cette conjecture de M. Basnage est non-seulement vraissemblable ; elle est vraie & évidemment prouvée par le mot abracadabra, qui est formé sur celui d’abrasax, & qui répeté plusieurs fois, & écrit sur du parchemin en forme de Pyramide renversée, passoit pour un remede contre la fievre. La preuve que cette superstition venoit des Payens, c’est que le Poëte Serenus qui fut Précepteur du jeune Gordien, & qui est le plus ancien Auteur qui nous ait parlé de ce prétendu remede, ne peut avoir fait profession du Christianisme : mais ce qui confirme encore plus solidement le sentiment de M. Basnage, c’est le mot ΑΒΡΑСΑΣ en grec qu’on lit fort distinctement sur l’un des deux Talismans qui ont été trouvés dans le xvii. siecle, & dont le Cardinal Baronius nous a donné la figure dans le II. tome de ses Annales, sous l’année de Jesus-Christ 120. l’autre est dans le Cabinet de Sainte Génevieve, en voici l’Inscription : ΑΒΡΑϹΑΞ. ΑΔΩΝΑΙ. ΔΑΙΜΟΝΩΝ. ΔΕΞΙΑΙ. ΔΥΝΑΜΕΙϹ. ΦΥΛΑΞΑΤΕ. ΟΥΛΒΙΑΝ. ΠΑΥΛΕΙΝΑΝ. ΑΠΟ. ΠΑΝΤΟϹ. ΚΑΚΟΙ. ΔΑΙΜΟΝΟϹ ; c’est-à-dire Abraxas Adonar, ou Seigneur des démons, bonnes Puissances, préservez Ulpie Pauline de tout méchant démon ; formule qui ressent fort le Paganisme. Mais ce qu’ajoûte M. Basnage n’est pas aussi juste : « Abraxas, continue-t-il, est un mot barbare qui ne signifie rien, & dans lequel il ne faut chercher que des nombres. Les Basilidiens s’en servoient pour exprimer le Dieu Souverain qui a créé trois cens soixante-cinq Cieux, & partagé le cours du Soleil en trois cens soixante-cinq jours ». On a vû ci-dessus qu’abraxas n’est point le nom que les Basilidiens donnoient au Dieu Suprème ; & nous allons montrer que ce terme n’est pas un mot barbare, & qui ne signifie rien.

Les recherches de M. de Beausobre nous en fourniront la preuve. « Je crois, dit ce Savant, qu’abraxas ou abrasax est composé de deux mots Grecs. Le premier est ἀϐρὸς qui a diverses significations ; mais entr’autres celle de beau, de magnifique. C’est une épithete ou un attribut du Dieu appellé Jao, comme on le voit dans cet Oracle d’Apollon de Claros rapporté par Macrobe. Saturnal, lib. 1. 17.

Κείματι μὲν τ’Ἀΐδην, Διὰ δὲ εἴαρος ἀρκομένοιο
Ἠέλιος δὲ ἴερειν, μεταπῶρα δ’ἄϐρον Ἰαό.

« C’est-à-dire, Pluton préside sur l’hyver, Jupiter sur le printems, le Soleil sur l’été, & le beau Jao sur l’automne. On traduit ordinairement mollis Iao, ce qui ne veut pas dire une Divinité molle & foible, mais une Divinité qui fournit aux hommes toutes les délices de la vie, & qui préside sur l’automne, saison des vins & des fruits… Ἀϐρὸς signifie aussi beau, majestueux, superbe, de là vient l’ἀϐραϐαινεῖν d’Euripide, pour dire une démarche superbe, majestueuse.... Dans les vers que je viens d’alléguer Iao est Bacchus : mais Bacchus est le Soleil, comme Macrobe l’a fait voir.... Quoi qu’il en soit, ἀϐρὸς est une épithete du Soleil. Le second mot Grec dont abrasax est composé, est ou celui de Sao, ΣΑΩ, qui est souvent employé dans Homere, & qui veut dire sauver ou guérir, ou celui de Sa, ΣΑ, qui signifie salut, santé. Ainsi abrasax voudroit dire à la lettre le beau, le magnifique Sauveur, celui qui guérit les maux, & qui en préserve ». Hist. du Manichéis. tome II. pag. 55.

M. de Beausobre détaille ensuite fort au long les preuves qui établissent qu’abrasax ou ce magnifique Sauveur n’est autre que le Soleil. C’est pourquoi nous renvoyons les Lecteurs à l’ouvrage de cet Auteur. Cet article est en grande partie tiré des Mémoires de M. Formey, Historiographe de l’Académie royale de Prusse. (G)