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L’Encyclopédie/1re édition/CAMÉLÉON

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Texte établi par D’Alembert, Diderot (Tome 2p. 569-571).
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CAMÉLÉON, cameleo, s. m. (Hist. nat. Zoolog.) petit animal du genre des animaux à quatre piés qui font des œufs, comme le crocodile & le lézard, avec lesquels il a beaucoup de ressemblance. Voyez Planche XV. d’Hist. nat. fig. 2. Nous ne pouvons mieux faire, pour l’histoire du caméléon, que de rapporter ici ce qu’en a écrit M. Formey, secrétaire de l’Académie royale des Sciences & Belles-lettres de Prusse, dans un manuscrit qui nous a été remis.

« Le caméléon est fait comme le lézard, si ce n’est qu’il a la tête plus grosse & plus large : il a quatre piés, à chacun trois doigts ; la queue longue, avec laquelle il s’attache aux arbres aussi bien qu’avec les piés ; elle lui sert à grimper ; & lorsqu’il ne peut atteindre de ses piés quelque lieu où il veut aller, pourvû qu’il y puisse toucher de l’extrémité de la queue, il y monte facilement. Il a le mouvement tardif comme la tortue, mais fort grave. Sa queue est plate, le museau long : il a le dos aigu, la peau plissée & hérissée comme une scie, depuis le cou jusqu’au dernier nœud de la queue, & une forme de crête sur la tête. Il a la tête sans cou, comme les poissons ; il fait des œufs comme les lézards ; son museau est en pointe obtuse ; il a deux petites ouvertures dans la tête qui lui servent de narines ; ses yeux sont gros, & ont plus de cinq lignes de diametre, dont l’iris est isabelle, bordée d’un cercle d’or ; & comme il a la tête presqu’immobile, & qu’il ne peut la tourner qu’avec tout le corps, la nature l’a dédommagé de cette incommodité en donnant à ses yeux toutes sortes de mouvemens ; car il peut non-seulement regarder de l’un devant lui, & de l’autre derriere, de l’un en-haut & de l’autre en-bas : mais il les remue indépendamment l’un de l’autre avec tous les changemens imaginables. Sa langue est longue de dix lignes & large de trois, faite de chair blanche, ronde, & applatie par le bout, où elle est creuse & ouverte, semblable en quelque façon à la trompe d’un éléphant. Il la darde & retire promptement sur les mouches, qui s’y trouvent attrapées comme sur de la glu ; il s’en nourrit, & il lui en faut très-peu pour se repaître, quoiqu’il rende beaucoup d’excrémens. On dit même qu’il vit long-tems sans autre nourriture que l’air, dont il se remplit au soleil jusqu’à ce qu’il en soit enflé. Il n’a point d’oreilles, & ne reçoit ni ne produit aucun son. Il a dix-huit côtes, & son épine a soixante & quatorze vertebres, y compris les cinquante de sa queue. Il devient quelquefois si maigre qu’on lui compte les côtes, de sorte que Tertullien l’appelle une peau vivante. Lorsqu’il se voit en danger d’être pris, il ouvre la gueule & siffle comme une couleuvre. Gesner & Aldrovande disent qu’il se défend du serpent, par un fétu qu’il tient dans sa gueule.

» Le caméléon habite dans les rochers : ce qu’il a de plus merveilleux, c’est le changement de couleur qu’il éprouve à l’approche de certains objets. Il est ordinairement verd, tirant sur le brun vers les deux épaules, & d’un verd-jaune sous le ventre, avec des taches quelquefois rouges quelquefois blanches. Sa couleur verte se change souvent en un brun foncé, sans qu’il reste rien de la premiere couleur : les taches blanches disparoissent aussi quelquefois, ou changent seulement en une couleur plus obscure, qui tire sur le violet, ce qui arrive ordinairement lorsqu’il est épouvanté. Lorsqu’il dort sous une couverture blanche, il devient blanc, mais jamais ni rouge ni bleu ; il devient aussi verd, brun ou noir, si on le couvre de ces couleurs. Telles sont au moins les relations ordinaires qu’on a données de ce phenomène : mais il me paroît exagéré ; & avant que d’en entreprendre l’explication, il faudroit bien constater le fait. Le P. Feuillée. Minime, par exemple, prétend dans son Journal d’observations physiques, mathématiques & botaniques, que le changement de couleurs de cet animal vient des divers points de vûe où l’on le regarde, ce qui n’est point aussi merveilleux que ce qu’en avoient publié les anciens (Mém. de Trevoux, Août 1727. pag. 1419.). M. Souchu de Rennefort assûre dans son Histoire des Indes Orientales, que les caméléons prennent par les yeux les couleurs des objets sur lesquels ils s’arrêtent (Hist. des ouvr. des Sav. Mars 1688. tom. II. p. 308.). Un autre auteur avance qu’il n’est pas vrai que le caméléon change de couleur, suivant les choses sur lesquelles il se trouve : mais ce changement arrive, selon lui, suivant les différentes qualités de l’air froid ou chaud qui l’environne (Rec. d’Hist. & de Litter. tom. III. p. 73.) Mlle de Scudery, dans une relation qu’elle a publiée de deux caméléons qui lui furent apportés d’Afrique, assûre qu’elle les conserva dix mois, & que pendant ce tems-là ils ne prirent rien du-tout. On les mettoit au soleil & à l’air, qui paroissoit être leur unique aliment : ils changeoient souvent de couleur, sans prendre celle des choses sur quoi on les mettoit. On remarquoit seulement, quand ils étoient variés, que la couleur sur laquelle ils étoient se mêloit avec les autres, qui par leurs fréquens changemens faisoient un effet agréable (Furetiere, article Caméléon). Toutes ces diversités demanderoient un examen plus circonspect, qui épargnât la peine de chercher des explications, pour ce qui n’existe peut-être point : cependant l’on en a proposé plusieurs : les uns disent que ce changement de couleurs se fait par suffusion, les autres par réflexion, d’autres par la disposition des particules qui composent sa peau. Elle est transparente, dit le P. Regnault, (Entr. de Phys. tom. IV. p. 182.) & renferme une humeur transparente qui renvoie les rayons colorés, à peu près comme une lame mince de corne ou de verre. Matthiole rapporte plusieurs superstitions des anciens touchant le caméléon : ils ont dit que sa langue, qu’on lui avoit arrachée étant en vie, servoit à faire gagner le procès de celui qui la portoit ; qu’on faisoit tonner & pleuvoir si l’on brûloit sa tête & son gosier avec du bois de chêne, ou si on rôtissoit son foie sur une tuile rouge ; que si on lui arrachoit l’œil droit étant en vie, cet œil mis dans du lait de chevre ôtoit les taies ; que sa langue liée sur une femme enceinte la faisoit accoucher sans danger ; que sa mâchoire droite ôtoit toute frayeur à ceux qui la portoient sur eux, & que sa queue arrêtoit des rivieres. Ce qui montre que les naturalistes ont débité des choses aussi fabuleuses que les poëtes.

» Il y a en Égypte des caméléons qui ont onze à douze pouces, y compris la queue ; ceux d’Arabie & du Mexique ont six pouces seulement ».

On ne sait pourquoi les Grecs ont donné à une bête aussi vile & aussi laide, d’aussi beaux noms que ceux de petit-lion ou de chameau-lion. Cependant on a soupçonné que c’étoit parce qu’elle a une crête sur la tête comme le lion : mais cette crête ne paroît à la tête du lion, qu’après que les muscles des tempes ont été enlevés. On a aussi prétendu que c’est parce que le caméléon prend les mouches, comme le lion chasse & devore les autres animaux, qu’il a été comparé au lion ; de même que le formica-leo.

Les caméléons ont les jambes plus longues que le crocodile & le lézard : cependant ils ne marchent aisément que sur les arbres. On en a observé de vivans, qui avoient été apportés d’Égypte. Le plus grand avoit la tête de la longueur d’un pouce & dix lignes. Il y avoit quatre pouces & demi depuis la tête jusqu’au commencement de la queue. Les piés avoient chacun deux pouces & demi de long, & la queue étoit de cinq pouces. La grosseur du corps se trouvoit différente en différens tems ; il avoit quelquefois deux pouces depuis le dos jusqu’au-dessous du ventre ; d’autres fois il n’avoit guere plus d’un pouce, parce que le corps de l’animal se contractoit & se dilatoit. Ces mouvemens étoient non-seulement dans le thorax & le ventre, mais encore dans les bras, les jambes & la queue ; ils ne suivoient pas ceux de la respiration, car ils étoient irréguliers comme dans les tortues, les grenouilles, & les lézards. On a vû ici des caméléons rester enflés pendant plus de deux heures, & demeurer desenflés pendant un plus long tems ; dans cet état ils paroissent si maigres, qu’on croiroit qu’ils n’auroient que la peau appliquée sur leurs squeletes. On ne peut attribuer ces sortes de contractions & de dilatations qu’à l’air que respire l’animal : mais on ne sait pas comment il peut se répandre dans tout le corps entre la peau & les muscles ; car il y a toute apparence que l’air forme l’enflure comme dans la grenouille. Quoique le caméléon qui a été observé, parût fort maigre lorsqu’il étoit desenflé, on ne pouvoit cependant pas sentir le battement du cœur. La peau étoit froide au toucher, inégale, relevée par de petites bosses comme le chagrin, & cependant assez douce, parce que les grains étoient polis : ceux qui couvroient les bras, les jambes, le ventre & la queue, avoient la grosseur de la tête d’une épingle ; ceux qui se trouvoient sur les épaules & sur la tête étoient un peu plus gros & de figure ovale. Il y en avoit sous la gorge de plus élevés & de pointus ; ils étoient rangés en forme de chapelet, depuis la levre inférieure jusqu’à la poitrine. Les grains du dos & de la tête étoient rassemblés au nombre de deux, trois, quatre, cinq, six, & sept ; les intervalles qui se trouvoient entre ces petits amas, étoient parsemés de grains presqu’imperceptibles.

Lorsque le caméléon avoit été à l’ombre & en repos depuis long tems, la couleur de tous les grains de sa peau étoit d’un gris-bleuâtre, excepté le dessous des pattes qui étoit d’un blanc un peu jaunâtre, & les intervalles entre les amas de grains du dos & de la tête étoient d’un rouge pâle & jaunâtre, de même que le fond de la peau.

La couleur grise du caméléon changeoit lorsqu’il étoit exposé au soleil. Tous les endroits qui en étoient éclairés prenoient, au lieu de leur gris bleuâtre, un gris plus brun & tirant sur le minime ; le reste de la peau changeoit son gris en plusieurs couleurs éclatantes, qui formoient des taches de la grandeur de la moitié du doigt ; quelques-unes descendoient depuis la crête de l’épine jusqu’à la moitié du dos ; il y en avoit d’autres sur les côtés, sur les bras, & sur la queue ; leur couleur étoit isabelle, par le mêlange d’un jaune pâle dont les grains se coloroient, & d’un rouge clair qui étoit la couleur du fond de la peau entre les grains. Le reste de cette peau, qui n’étoit pas exposée au soleil & qui étoit demeurée d’un gris plus pâle qu’à l’ordinaire, ressembloit aux draps mêlés de laines de plusieurs couleurs ; car on voyoit quelques-uns des grains d’un gris un peu verdâtre, d’autres d’un gris minime, d’autres d’un gris bleuâtre qu’ils ont d’ordinaire ; le fond demeuroit rouge comme auparavant. Lorsque le caméléon ne fut plus exposé au soleil, la premiere couleur grise revint peu-à-peu sur tout le corps, excepté le dessous des piés qui conserva sa premiere couleur, avec quelque teinte de brun de plus. Lorsqu’on le toucha, il parut incontinent sur les épaules & sur les jambes de devant plusieurs taches fort noires de la grandeur de l’ongle ; quelquefois il devenoit tout marqueté de tàches brunes qui tiroient sur le verd. Après avoir été enveloppé dans un linge pendant deux ou trois minutes, il devint blanchâtre, ou plûtôt d’une couleur grise fort pâle, qu’il perdit insensiblement quelque tems après. Cette expérience ne réussit qu’une seule fois, quoiqu’elle fût répétée plusieurs fois en differens jours : on la tenta aussi sur d’autres couleurs, mais l’animal ne les prit pas. On pourroit croire qu’il ne pâlit dans le linge blanc, que parce qu’il s’y trouva dans l’obscurité, & parce que le linge étoit froid de même que l’air, qui se trouva plus froid le jour de cette expérience, qu’il ne le fut les autres jours où on la répéta.

La tête de ce caméléon étoit assez semblable à celle d’un poisson, parce qu’il avoit le col fort court, & recouvert par les côtés, de deux avances cartilagineuses assez ressemblantes aux ouies des poissons. Il y avoit sur le sommet de la tête une crête élevée & droite ; deux autres au-dessus des yeux, contournées comme une S couchée ; & entre ces trois crêtes deux cavités le long du dessus de la tête. Le museau formoit une pointe obtuse, & la mâchoire de dessous étoit plus avancée que celle de dessus. On voyoit sur le bout du museau, un trou de chaque côté pour les narines, & il y a apparence que ces trous servent aussi pour l’ouie. Les mâchoires étoient garnies de dents, ou plûtôt, c’étoit un os dentelé, qui n’a pas paru servir à aucune mastication, parce que l’animal avaloit les mouches & les autres insectes qu’il prenoit, sans les mâcher. La bouche étoit fendue de deux lignes au-delà de l’ouverture des mâchoires, & cette continuation de fente descendoit obliquement en bas.

Le thorax étoit fort étendu en comparaison du ventre. Les quatre piés étoient pareils, ou s’il y avoit quelque différence, c’est que ceux de devant étoient pliés en arriere, & ceux de derriere en devant, de sorte que l’on pourroit dire que ce sont quatre bras qui ont leur coude en dedans, y ayant dans chacun l’os du bras & les deux os de l’avant-bras. Les quatre pattes étoient composées chacune de cinq doigts, & ressembloient plûtôt à des mains qu’à des piés. Elles étoient néanmoins aussi larges l’une que l’autre, les doigts qui étoient deux à deux étant plus gros que ceux qui étoient trois à trois. Ces doigts étoient enfermés ensemble sous une même peau, comme dans une mitaine, & n’étoient point séparés l’un de l’autre, mais paroissoient seulement à travers la peau. La disposition de ces pattes étoit différente, en ce que celles de devant avoient deux doigts en dehors & trois en dedans, au contraire de celles de derriere, qui en avoient trois en dehors & deux en dedans.

Avec ces pattes il empoignoit les petites branches des arbres, de même que le perroquet, qui pour se percher partage ses doigts autrement que la plûpart des autres oiseaux, qui en mettent toûjours trois devant & un derriere ; au lieu que le perroquet en met deux derriere de même que devant.

Les ongles étoient un peu crochus, fort pointus, & d’un jaune pâle ; & ils ne sortoient que de la moitié hors la peau ; l’autre moitié étoit cachée & enfermée dessous. Ils avoient en tout deux lignes & demie de long.

Le caméléon marchoit plus lentement qu’une tortue, quoique ses jambes fussent plus longues & moins embarrassées. On a cru que les animaux de cette espece pourroient aller plus vîte, & on a soupçonné que c’est la timidité qui les arrête. La queue de celui qui a été observé ressembloit assez à une vipere, ou à la queue d’un grand rat, lorsqu’elle étoit gonflée ; autrement elle prenoit la forme des vertebres sur lesquelles la peau est appliquée. Lorsque l’animal étoit sur des arbres, il entortilloit sa queue autour des branches ; & lorsqu’il marchoit, il la tenoit parallele au plan sur lequel il étoit posé, & il ne la laissoit traîner par terre que rarement.

On l’a vu prendre des mouches & autres insectes avec sa longue langue ; on a trouvé ces mêmes mouches & des vers dans l’estomac & les intestins ; il est vrai qu’il les rendoit presque aussi entiers qu’il les avoit pris : mais on sait que cela arrive à d’autres animaux qui n’ont jamais été soupçonnés de vivre d’air comme le caméléon. Ce préjugé n’est pas mieux fondé que celui qui a rapport au changement de couleurs qu’on a dit lui arriver par l’attouchement des différentes choses dont il approche. Mém. de l’Acad. roy. des Sciences, tom. III. part. j. pag. 35. & suiv. Voyez Quadrupede. (I)