Aller au contenu

L’Encyclopédie/1re édition/COURANT

La bibliothèque libre.
◄  COURALIN
COURANTE  ►

COURANT, s. m. en terme d’Hydrographie, est le nom qu’on donne en général à une certaine quantité d’eau qui se meut suivant une direction quelconque. Voyez Fleuve.

Les courans, par rapport à la navigation, peuvent être définis un mouvement progressif que l’eau de la mer a en différens endroits, soit dans toute sa profondeur, soit à une certaine profondeur seulement, & qui peut accélérer ou retarder la vîtesse du vaisseau, selon que sa direction est la même que celle du vaisseau, ou lui est contraire. Voyez Navigation.

Les courans en mer sont ou naturels & généraux, en tant qu’ils viennent de quelque cause constante & uniforme ; ou accidentels & particuliers, en tant qu’ils sont causés par les eaux qui sont chassées vis-à-vis les promontoires, ou poussées dans les golfes & les détroits, dans lesquelles n’ayant pas assez de place pour se répandre, elles sont obligées de reculer, & troublent par ce moyen le flux & reflux de la mer. Voyez Mer, Flux & Reflux.

Il y a grande apparence qu’il en est des courans comme des vents, qui parmi une infinité de causes accidentelles, ne laissent pas d’en avoir de réglées. L’auteur des réflexions sur la cause générale des vents, imprimées à Paris en 1746, paroît porté à croire que les courans considérables qu’on observe en pleine mer, peuvent être attribués à l’action du soleil & de la lune : il prétend que si la terre étoit entierement inondée par l’océan, l’action du soleil & de la lune qui produit les vents d’est réglés de la zone torride, donneroit aux eaux de la mer sous l’équateur une direction constante d’orient en occident, ou d’occident en orient, selon que les eaux seroient plus ou moins profondes ; & il ajoûte qu’on pourroit expliquer par le plus ou moins de hauteur des eaux, & par la disposition des côtes, les différens courans réglés & constans que les navigateurs observent, & que les oscillations horisontales de la pleine mer dans le flux & reflux, pourroient être l’effet de plusieurs courans contraires. Voyez sur cela l’histoire naturelle de MM. de Buffon & Daubenton, tome I. art. des courans. C’est sur-tout aux inégalités du fond de la mer que M. de Buffon attribue les courans. Quelques-uns, selon lui, sont produits par les vents ; les autres ont pour cause le flux & le reflux modifié par les inégalités dont il s’agit. Les courans varient à l’infini dans leurs vîtesses & dans leurs directions, dans leur force, leur largeur, leur étendue. Les courans produits par les vents, changent de direction avec les vents, sans changer d’ailleurs d’étendue ni de vîtesse. C’est sur-tout à l’action des courans que M. de Buffon attribue la cause des angles correspondans des montagnes. Voy. Angles correspondans des Montagnes.

Les principaux courans, les plus larges & les plus rapides, sont 1°. un près de la Guinée, depuis le cap-Verd jusqu’à la baie de Fernandopo, d’occident en orient, faisant faire aux vaisseaux cent cinquante lieues en deux jours. 2°. Auprès de Sumatra, du midi vers le nord. 3°. Entre l’île de Java & la terre de Magellan. 4°. Entre le cap de Bonne-Espérance & l’île de Madagascar. 5°. Entre la terre de Natal & le même cap. 6°. Sur la côte du Pérou dans la mer du Sud, du midi au nord, &c. 7°. Dans la mer voisine des Maldives, pendant six mois d’orient en occident, & pendant six autres mois en sens contraire. Hist. nat. tome I. p. 454.

Les courans sont si violens sous l’équateur, qu’ils portent les vaisseaux très-promptement d’Afrique en Amérique : mais aussi ils les empêchent absolument de revenir par le même chemin ; de sorte que les vaisseaux, pour retourner en Europe, sont forcés d’aller chercher le cinquantieme degré de latitude.

Dans le détroit de Gibraltar, les courans poussent presque toûjours les vaisseaux à l’est, & les jettent dans la Méditerranée : on trouve aussi qu’ils se meuvent suivant la même direction dans d’autres endroits. La grande violence de la mer dans le détroit de Magellan, qui rend ce détroit fort périlleux, est attribuée à deux courans directement contraires, qui viennent l’un de la mer du Nord, & l’autre de celle du Sud. (O)

L’observation & la connoissance des courans est un des points principaux de l’art de naviger : leur direction & leur force doit être soigneusement remarquée. Pour la déterminer, les uns examinent, quand ils sont à la vûe du rivage, les mouvemens de l’eau, & la violence avec laquelle l’écume est chassée : mais suivant Chambers, la méthode la plus simple & la plus ordinaire est celle-ci. D’abord on arrête le navire de son mieux par différens moyens ; on laisse aller & venir le vaisseau comme s’il étoit à l’ancre : cela fait, on jette le lock ; & à mesure que la ligne du lock file, on examine sa vîtesse & sa direction. Voyez Lock. Par ce moyen on connoit s’il y a des courans ou s’il n’y en a point ; & quand il y en a, on détermine leur direction & leur degré de force. Il faut cependant observer qu’on ajoûte quelque chose à la vîtesse du lock pour avoir celle du vaisseau ; car quoique le vaisseau paroisse en repos, cependant il est réellement en mouvement. Voici comment se détermine ce qu’on doit ajoûter. Si la ligne du lock file jusqu’à soixante brasses, on ajoûte le tiers de sa vîtesse ; si elle file à quatre-vingts, le quart ; & le cinquieme, si elle file à cent brasses. Si le vaisseau fait voile suivant la direction même du courant, il est évident que la vîtesse du courant doit être ajoûtée à celle du vaisseau ; s’il fait voile dans une direction contraire, la vîtesse du courant doit être soustraite de la vîtesse du vaisseau ; si la direction du vaisseau traverse celle du courant, le mouvement du vaisseau sera composé de son mouvement primitif & de celui du courant, & sa vîtesse sera augmentée ou retardée, selon l’angle que fera sa direction primitive avec celle du courant ; c’est-à-dire que le vaisseau décrira la diagonale formée sur ces deux directions, dans le même tems qu’il auroit décrit l’un des deux côtés, les forces agissant séparément. Voyez Composition de Mouvement. Chambers.

Ce qui rend la détermination des courans si difficile, c’est la difficulté de trouver un point fixe en pleine mer. En effet le vaisseau ne le sauroit être, car il est mû par le courant même, de sorte que la vîtesse du vaisseau se combine avec celle du courant, & est cause qu’on ne sauroit exactement démêler celle-ci. L’académie royale des Sciences a proposé ce sujet pour le prix de l’année 1751 ; mais en rendant justice au mérite des pieces qui lui ont été envoyées, elle reconnoît que les méthodes proposées par les auteurs laissent encore beaucoup à desirer. Ces pieces n’étant point encore publiques au moment où nous écrivons ceci (Mai 1754), nous ne pouvons en donner l’extrait.

Sous courans. M. Halley croit qu’il est fort vraisemblable que dans les dunes, dans le détroit de Gibraltar, &c. il y a des sous-courans, c’est-à-dire des courans qui ne paroissent point à la surface de la mer, & dans lesquels l’eau est poussée avec la même violence que dans les courans qui se font à la surface. M. Halley appuie cette opinion sur l’observation qu’il a faite de la haute mer entre le nord & le sud de Foreland ; savoir que le flux ou le reflux arrive dans cette partie des dunes trois heures avant qu’il arrive dans la pleine mer : ce qui prouve, selon lui, que tandis que le flux commence à la partie supérieure, le reflux dure encore à la partie inférieure, dont les eaux sont resserrées dans un lit plus étroit ; & réciproquement que le flux dure encore à la partie inférieure, lorsque le reflux commence à la partie supérieure. Donc, conclud-t-il, il y a dans ces détroits deux courans contraires, l’un supérieur, l’autre inférieur.

L’auteur confirme son sentiment par une expérience faite dans la mer Baltique, & qu’il dit lui avoir été communiquée par un habile homme de mer témoin oculaire. Cet homme étant dans une des frégates du Roi, elle fut tout-d’un-coup portée au milieu d’un courant, & poussée par les eaux avec beaucoup de violence. Aussi-tôt on descendit dans la mer une corbeille où on mit un gros boulet de canon ; la corbeille étant descendue à une certaine profondeur, le mouvement du vaisseau fut arrêté : mais quand elle fut descendue plus bas, le vaisseau fut porté contre le vent, & dans une direction contraire à celle du courant supérieur, qui n’avoit qu’environ quatre ou cinq brasses de profondeur. M. Halley ajoûte qu’au rapport de ce marin, plus on descendoit la corbeille, plus on trouvoit que le courant intérieur étoit fort.

Par ce principe il est aisé d’expliquer, selon M. Halley, comment il peut se faire qu’au détroit de Gibraltar, dont la largeur n’est que d’environ vingt milles, il passe continuellement une si grande quantité d’eau de la mer Atlantique dans la Méditerranée par le moyen des courans, sans cependant que l’eau s’éleve considérablement sur la côte de Barbarie, ni qu’elle inonde les terres qui sont fort basses le long de cette côte. L’auteur paroît donc supposer qu’il y a au détroit de Gibraltar un courant inférieur & intérieur contraire au courant supérieur ; mais cela est assez difficile à comprendre. (O)

Courant d’eau, voyez Ruisseau.

Courant de comble, en Bâtiment, est la continuité d’un comble dont la longueur a plusieurs fois la largeur, comme celui d’une galerie. (P)

Courant, terme qu’on employe assez souvent, sur-tout dans le Commerce. Ainsi argent courant, ou bon argent, est celui qui passe dans le commerce d’une personne à une autre.

Comptes courans, Voyez Livre.
Monnoie courante, Monnoie.
Prix courant, Prix.

Courant. On appelle le courant, des intérêts d’une somme, des arrérages d’une rente, pour signifier ceux qui courent actuellement & qui ne sont pas encore échus ; ce qui les distingue des anciens arrérages.

Courant. On appelle, en termes d’aulnage de tapisserie de haute ou basse lisse, de Bergame, de cuir doré, &c. l’aulne de ces tapisseries mesurée & estimée dans sa longueur, sans avoir égard à sa hauteur ; ce qui est opposé à une aulne quarrée, qui est celle qui doit avoir une aulne de haut & de large.

Courant, terme abréviatif dont se servent les négocians pour exprimer le mois dans lequel ils écrivent. J’ai eu l’honneur de vous écrire le 6 du courant, c’est-à-dire du présent mois. V. le dict. du Comm.

Courant, est encore un terme qui se dit du tems présent. L’année courante est l’année 1754. (G)

Courant, adj. (Venerie.) chien courant, voyez l’article Chien.

Courant, en termes de Blason, se dit de tout animal qui court. Jaquemet, d’azur à une bande d’or, acostée de deux cerfs courans de même. (V)