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L’Encyclopédie/1re édition/VÉGÉTATION

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Végétation, phénomene de la nature qui consiste dans la formation, l’accroissement, & la perfection des plantes, des arbres, & de tous les autres corps de la nature, connus sous le nom de végétaux.

La vie & l’accroissement sont les caracteres distinctifs de ces corps, différens des animaux en ce qu’ils n’ont pas de sentiment ; & des minéraux, en ce qu’ils ont une véritable vie, puisqu’on les voit naître, s’accroître, jetter des semences, devenir sujets à la langueur, aux maladies, à la vieillesse, & à la mort.

La végétation est quelque chose de distinct de la vie dans les plantes. Quoiqu’une plante morte cesse aussi de végéter, néanmoins il y a beaucoup de plantes qui vivent sans qu’elles donnent la moindre marque de végétation. La plûpart des plantes aquatiques conservent la vie dans les tems de sécheresse, & ne recommencent à végéter que lorsque l’eau revient dans les mares ou dans les ruisseaux. Une graine qui n’est point exposée à la chaleur ni à l’humidité, est vivante, & ne végete pas, & peut même demeurer très-long-tems dans cet état de non-végétation : on a vu certains haricots rouges de l’Amérique tirés du cabinet de l’empereur, où ils étoient conservés depuis plus de 200 ans, germer & végéter par les soins d’un habile jardinier.

Quelquefois la végétation est si foible, qu’elle n’est presque point sensible ; bien des arbres de la zone torride restent long-tems dans nos serres sans faire de progrès ; & la plûpart de nos arbres qui se dépouillent de leurs feuilles en hiver ne paroissent végéter qu’aux yeux des observateurs attentifs ; enfin, les oignons des plantes bulbeuses passent un tems considérable de l’année dans un état de non-végétation. Mais lorsque dans le printems & dans l’automne, tous ces êtres vivans poussent de nouvelles feuilles & de nouveaux bourgeons, & que la nature se pare de toutes les nuances de leur verdure & de l’éclat de leurs fleurs, c’est alors que le phénomene de la végétation est brillant, & qu’il se laisse voir dans toute son étendue.

La vie des végétaux est variable en durée, suivant la nature de chaque espece ; il y a des plantes qui ne durent pas plus de deux à trois mois ; il y a des arbres, comme l’adansonia du Sénégal, qui vivent plus de 500 ans ; quelle que soit cette durée, on peut toujours distinguer quatre âges dans le cours de la vie des végétaux ; celui de leur naissance, c’est-à dire, de leur germination ; celui de leur accroissement ; celui de leur perfection ; & enfin, celui de leur décrépitude. Nous examinerons les différentes circonstances du phénomene de la végétation dans tous ces âges, en considérant en même tems les effets de la chaleur, de l’humidité, de l’air, & des autres instrumens qui y contribuent ; & nous tâcherons de rapprocher chaque phénomene particulier des lois de Physique qui nous sont connues.

La semence mûre & parfaite de tout être végétal, propre à représenter un jour l’espece dont elle dérive, est composée essentiellement d’un germe, c’est-à-dire, du rudiment de la plante qui doit naître : d’une autre partie qu’on appelle lobe (qui quelquefois est simple, le plus souvent double, & multiplié dans un très-petit nombre d’especes), enfin des enveloppes qui servent à conserver la semence, & à attirer de la terre l’humidité nécessaire à la germination : ces dernieres sont simples, doubles, triples, seches, succulentes, coriaces ou ligneuses, & de différentes figures, comme on le voit dans les différens fruits.

Choisissons, par exemple, la semence d’un amandier, & suivons les progrès de sa germination.

Lorsqu’une amande a resté pendant l’hiver dans de la terre médiocrement humide, elle se renfle aux premieres chaleurs du printems ; sa membrane s’épaissit, paroît toute abbreuvée d’humidité, & bientôt par le gonflement de ses lobes, elle separe les deux coques ligneuses qui la couvroient : alors la membrane déchirée laisse sortir la radicule, qui fait la plus grosse partie du petit germe qu’on voit à la pointe de l’amande : la plume qui est l’autre partie de ce germe & qui doit former la tige, reste encore pliée & renfermée entre les lobes.

Insensiblement la radicule s’alonge, se courbe, jusqu’à ce qu’elle parvienne à s’enfoncer perpendiculairement dans la terre ; les parties de la plume s’étendent pareillement & se développent ; les lobes se séparent ; la petite plante sort de terre, prend une situation verticale, & s’éleve en gardant pendant quelque tems ses lobes, dont elle continue de tirer sa subsistance, jusqu’à ce que la petite racine se soit assez étendue & ramifiée pour pomper de la terre les sucs nécessaires à l’accroissement de la plante.

Le germe reste attaché aux lobes par le moyen de deux anses ou appendices qui sortent de sa partie moyenne, & qui ne sont autre chose que deux paquets de vaisseaux qui vont se distribuer dans la substance des lobes : il paroît que l’usage de ces lobes est absolument nécessaire à la jeune plante, & qu’il s’étend encore assez long-tems après qu’elle est formée, & qu’elle s’est élevée hors de terre, ils continuent de lui procurer une nourriture plus parfaite & moins crue que celle que tirent ses radicules ; en effet, la quantité d’huile que renferme la substance farineuse des lobes, & que leur mucilage rend miscibles avec l’eau, forme une espece d’émulsion très propre à nourrir cette plante délicate ; du-moins est-il vrai que toutes celles à qui on retranche les lobes de très-bonne heure, périssent en peu de tems, ou languissent, & ne prennent jamais un entier accroissement.

Le suc préparé dans les lobes passe donc immédiatement dans la radicule, & la fait croître avant la plume ; car celle-ci ne commence guere à se développer, que lorsque la radicule est fixée, & qu’elle a acquise une certaine longueur. Cette structure & cette observation sur l’allongement de la radicule antérieur au développement de la plume, ne prouvent-elles pas que les racines sont de tout tems destinées à recevoir & à préparer la nourriture de la tige & des autres parties ?

Lorsque les racines sont assez alongées, multipliées, formées, pour donner à la nourriture qu’elles tirent de la terre les qualités nécessaires à l’accroissement de la jeune plante, le secours des lobes devient inutile ; ils tombent après s’être flétris & desséchés, ou bien ils se changent dans quelques especes en feuilles séminales.

La structure de la nouvelle plante ne présente encore rien de bien organisé ; la radicule, ainsi que la plume, ne paroissent composées que d’une substance spongieuse, abreuvée d’humidité, recouverte d’une écorce plus épaisse dans la radicule que dans la plume, mais dans laquelle on distingue à peine quelques fibres longitudinales.

Il est difficile d’assigner le premier terme de la germination ; c’est un mouvement insensible excité sans doute par la chaleur de la terre, quand la semence est suffisamment pénétrée d’humidité. On sait plus certainement que l’humidité & la chaleur sont absolument nécessaires à cette action : aucune graine ne germe dans un endroit parfaitement sec, ni dans un milieu refroidi au terme de la glace : mais les degrés de chaleur & d’humidité se combinent à l’infini dans les différentes especes de plantes. Il y a des plantes, comme le mouron, l’aparine, la mâche, qui germent au solstice d’hiver, pour peu que le thermometre soit au-dessus de la congellation ; il y a des haricots & des mimoses à qui il faut 35 ou 40 degrés de chaleur : quantité de graines ne germent que dans l’eau ou dans une terre absolument humide ; les amandes & les semences huileuses se pourrissent dans une terre trop mouillée, & ne réussissent jamais mieux que dans une couche de sable & à couvert, comme dans un cellier.

L’air contribue presque autant que la chaleur & l’humidité au succès de la germination : plusieurs graines ne germent point dans le vuide ; celles qui y germent périssent en peu de tems : mais lorsqu’on laisse rentrer l’air dans le récipient, celles qui n’ont pas germé, levent assez vîte, & prennent un prompt accroissement. Beaucoup de graines ne germent point quand elles sont trop enfoncées dans la terre, surtout si elle n’a pas été labourée, & que l’air ne peut pas y pénétrer ; plusieurs y périssent pendant les chaleurs de l’été ; d’autres, comme celle des raiforts, & des autres cruciferes, s’y conservent pendant 20 ans, & ne germent que lorsque la terre ouverte par un labour les ramene près de la surface, & leur rend la communication avec l’air.

On doit encore regarder le fluide électrique comme une des causes qui favorisent la germination : des graines de moutarde, & d’autres électrisées plusieurs jours de suite pendant l’espace de 10 heures, ont germé trois jours plutôt que de pareilles graines qui n’étoient pas électrisées, & au bout de huit jours les premieres avoient fait une crue de plus du double. Peut-être ce fluide qui est si abondamment répandu sur la terre quand le tonnerre éclatte, contribue-t-il beaucoup aux progrès rapides de la végétation que l’on observe après les tems d’orage.

Les gelées blanches, les pluies froides, & les arrosemens à contre-tems, font périr bien des plantes dans le tems de la germination ; les vents du nord les dessechent ; l’ardeur du soleil les épuise, & tous les extrèmes leur nuisent. Les circonstances les plus favorables à la germination sont une chaleur douce, humide & graduée, un lieu un peu ombragé, dans lequel l’air s’entretienne chargé de vapeurs humides.

A mesure que la racine s’alonge, la petite tige croît aussi ; les premieres feuilles se développent & s’étendent successivement ; toutes ces parties ne paroissent d’abord formées que par un tissu cellulaire, qui n’est qu’un amas de vésicules très-minces, remplies d’un suc très-aqueux, contenues par l’épiderme, (membrane extensible & élastique déjà formée dans la semence), qui se multiplient prodigieusement dans l’accroissement des végétaux.

Bientôt on commence à distinguer plusieurs faisceaux de fibres longitudinales, dont le nombre augmente chaque jour ; ces faisceaux se lient entr’eux par des paquets de fibres transversales, le tout forme un réseau à mailles, par lesquelles la substance cellulaire du centre communique avec celle qui est répandue entre ce premier plan de fibres & l’épiderme : il se formera par la suite dans la concavité de ce plan circulaire un second plan tout-à-fait semblable, & ensuite un troisieme, & ainsi successivement ; la substance cellulaire remplira toujours l’intervalle entre chaque plan, & la communication de toutes ces cellules reste libre par les mailles de tous ces différens réseaux, qui sont à-peu-près les uns vis-à-vis des autres.

C’est ainsi que se forme la couche corticale de la premiere année, & qui sera toujours la plus près de l’épiderme tant que l’arbre subsistera, elle est composée, comme l’on voit alternativement du corps réticulaire fibreux, & de la substance cellulaire. Toute l’écorce s’appelloit anciennement le livre, parce qu’on peut la fendre en autant de feuillets qu’elle a de plans fibreux, & que dans cet état elle représente les feuillets d’un livre : aujourd’hui on entend par le livre ou liber seulement, la plus intérieure des couches fibreuses de la substance corticale, celle qui est immédiatement contiguë au bois.

Nous regarderions volontiers le livre, comme un organe particulier, distinct du bois & de l’écorce : formé dès la naissance de l’arbre, & destiné à former le bois par les productions de sa face interne, & l’écorce par celle de sa face extérieure : son organisation paroît moyenne entre celle des couches ligneuses & celle des couches corticales ; on n’apperçoit guere autre chose qu’un vaisseaux fibreu traversé de vaisseaux, & rempli de substances cellulaires : mais on observe que ces vaisseaux sont dans tous les tems plus abreuvés de seve ; qu’il s’étend, qu’il s’accroît & qu’il se repose dans tous les sens, quand il a été coupé ou déchiré, aulieu que les plaies du corps ligneux ne se reparent jamais, non-plus que celles des couches corticales extérieures : enfin le livre est comme séparé du bois dans le tems que la seve est abondante, mais il reste attaché à l’écorce, ce qui la fait regarder comme une partie de cet organe.

Lorsque l’écorce d’un jeune arbre a acquis un peu d’épaisseur, si on coupe sa tige transversalement, on apperçoit vers le centre un petit cercle de fibres blanches, plus dures, plus solides, plus droites & plus serrées que celles de la couche corticale : ce sont les premieres fibres du bois, celles qui formeront la charpente de l’arbre, & qui seront le principe de sa solidité. Les plans de fibres ligneuses se forment & s’enveloppent successivement, comme ceux de la substance corticale, avec cette différence que la premiere couche sera toujours la plus près du centre & la derniere formée la plus près de l’écorce, au-lieu que le contraire arrive dans la formation des couches corticales. Il y a encore cette différence que le tissu cellulaire est bien plus rare & bien plus mince entre les couches ligneuses qu’entre celles des fibres corticales, ce qui fait qu’elles sont bien plus difficiles à séparer par le déchirement ; cependant par la macération & l’ébullition, on vient à-bout de les séparer par feuillets, comme ceux de l’écorce.

Il est très-difficile de déterminer l’origine de la premiere couche ligneuse ; mais il y a toute apparence qu’elle est formée comme toutes celles qui la recouvrent, & qu’elle est une production du livre, c’est-à dire, de la couche corticale la plus intérieure.

Il se forme chaque jour un anneau de vaisseaux séveux à la partie interne du liber, qui se durcit peu-à-peu, & forme le second plan de la couche ligneuse, après celui-ci il s’en forme un troisieme, & ainsi successivement jusqu’à l’hiver ; cette couche ligneuse de la premiere année devient toujours & plus dure & plus dense, à mesure que l’arbre vieillit : ainsi donc la couche annuelle qui forme quelqu’un des cercles concentriques qu’on observe sur la coupe horisontale d’un tronc d’arbre est composée de toutes les couches journalieres qui se sont formées pendant le tems favorable à la végétation, c’est-à-dire, depuis le printems jusqu’à l’hiver.

Au même tems que le livre fournit à la production du bois par sa face intérieure, il distribue aussi quelques vaisseaux séveux à l’écorce, & forme une nouvelle couche corticale, qui sera le livre de l’année suivante : mais les productions ligneuses sont beaucoup plus abondantes que celles de la partie corticale, comme on en peut juger en comparant toute la masse ligneuse avec la masse corticale : dans un vieux noyer la proportion du solide ligneux au solide cortical étoit de 5 à 1 ; dans un jeune noyer elle étoit de 3 à 1 : il est vraissemblable que cette proportion varie un peu dans les autres arbres.

Ce que nous venons d’exposer touchant la formation des couches ligneuses & corticales, nous montre de quelle maniere se fait l’accroissement des arbres en grosseur : la premiere couche corticale qui s’est formée, reste toujours la plus extérieure ; elle est continuellement forcée de se dilater à mesure que l’arbre grossit, & cette dilatation produit les grandes mailles qu’on observe sur les vieilles écorces des grands arbres ; il en est ainsi des autres couches qui se forment successivement dans l’intérieur de la premiere.

La premiere couche ligneuse reste toujours au-contraire la plus petite ; & si elle change, c’est plutôt pour se retrécir & se condenser ; il y a du-moins lieu de le croire par la diminution continuelle, & l’évanouissement total du noyau médullaire dans le tronc des vieux arbres, aussi-bien que par la dureté & la densité du cœur.

A mesure que les couches ligneuses s’éloignent du centre, elles sont moins dures & moins compactes ; les plus nouvelles, qui sont aussi les plus blanches & les plus légeres, restent tendres & molles pendant quelque tems, & sont connues dans cet état sous le nom d’aubier. Voici quelques expériences & des observations qui confirment ces vérités.

Si on fait une incision sur le tronc d’un jeune arbre, & qu’après avoir mesuré l’épaisseur de son écorce, on enfonce une épingle dans la derniere couche de celle-ci, immédiatement sur le livre, & qu’on bande ensuite exactement la plaie, on verra au-bout de quelques années, qu’il s’est formé de nouvelles couches corticales entre l’épingle & le livre, & que l’épaisseur de l’écorce n’a pas changé : donc l’accroissement de l’écorce se fait par la formation de nouvelles couches vers l’intérieur.

Si on enleve sur le tronc d’un jeune arbre une piece d’écorce de deux ou trois pouces en quarré, sans endommager le livre, & qu’ensuite on couvre exactement la plaie, pour prévenir le desséchement, il se formera sur le livre une nouvelle couche corticale, qui s’élevant & croissant peu-à-peu, formera enfin une cicatrice : après quelques années on verra en sciant l’arbre qu’il s’est formé de nouvelles couches corticales, entre le fond de la plaie & le livre, d’où l’on peut conclure que l’écorce qui a rempli la plaie, & les couches qui se sont formées depuis sous son fond, sont des productions du livre.

On observe que les caracteres gravés sur l’écorce des jeunes arbres croissent & s’étendent dans toutes leurs dimensions ; mais cependant beaucoup plus en largeur (& il en est de même de toutes les cicatrices des plaies qu’ils ont souffertes) ; n’est-ce point une preuve que les couches extérieures continuellement poussées par celles qui se forment intérieurement, ainsi que par les nouvelles couches du bois, sont forcées à se dilater, & à élargir successivement les mailles de leur réseau, & par conséquent que l’extension de leur circonférence est continuelle ?

Si on enleve sur le tronc d’un arbre vigoureux une bande d’écorce circulaire de 5 à 6 pouces de long, & de 2 à 3 pouces de largeur, & qu’on applique immédiatement sur le bois une plaque d’étain fort mince, ou-bien un feuille de papier ; qu’ensuite on assujettisse cette bande (qui doit tenir au reste de l’écorce par une de ses extrémités), de maniere que la plaie puisse se cicatriser ; on s’appercevra en sciant l’arbre au bout de quelques années, qu’il se sera formé plusieurs couches ligneuses par-dessus la plaque d’étain ; or on ne sauroit dire que ces nouvelles couches ligneuses soient produites par celles qui sont sous la plaque d’étain, elles ont donc été formées du côté de l’écorce, c’est-à-dire, par le livre.

On a fendu l’écorce jusqu’au bois aux deux extrémités du diametre horisontal du tronc d’un jeune arbre, & on a enfoncé dans le bois deux clous d’épingle jusqu’à la tête, ayant ensuite mesuré avec un compas d’épaisseur, l’intervalle entre les deux têtes des clous, on a fermé & cicatrisé la plaie. Au bout de quelques années on a reconnu en sciant l’arbre qu’il s’étoit formé de nouvelles couches de bois par-dessus la tête des clous, & l’intervalle mesuré entre ces deux têtes, a été trouvé exactement le même, donc les parties du bois qui sont une fois formées ne grossissent plus, & l’augmentation du corps ligneux vient des nouvelles couches qui se forment successivement par le livre.

Les écussons du pêcher appliqués sur le prunier, & ceux du saule sur le peuplier, font voir au-bout de quelque tems (par la différente couleur des deux bois), qu’il s’est formé sous ces écussons des lames très-minces de bois, qu’on reconnoît aisément pour être du pêcher ou du saule : or ces petites lames n’ont pu être formées que de la substance de leurs écussons, c’est-à-dire, de la petite portion de liber qu’ils renfermoient.

De plus, si on laisse exprès un peu de bois de pêcher ou de saule sous de semblables écussons, la greffe, qui réussit alors bien plus difficilement, laissera voir qu’il s’est formé une couche de bois toute nouvelle, entre celui qu’on avoit laissé & le livre de l’écusson, par lequel cette greffe s’est unie avec le sujet, tandis que l’ancien bois meurt ou languit sans jamais se coller au bois du sujet.

La formation des couches corticales & ligneuses nous a conduit à examiner d’abord comment les arbres croissent en grosseur ; reprenons notre arbre nouvellement germé pour considerer comment il s’éleve, & comment se fait l’allongement de sa tige. Nous ne sommes pas plus instruits sur la cause de l’alongement des fibres & des vaisseaux, que sur celle de leur formation : ces mysteres dépendent d’un méchanisme trop subtil pour nos sens, & des lois que le Créateur a imposées à chaque organisation qu’il a créées, tout ce que nous pouvons appercevoir, c’est que ces fibres croissent par la formation de nouveaux organes, & que l’accroissement cesse quand ces organes ont acquis la perfection qu’ils doivent avoir.

Tant que les fibres du germe se conservent tendres & souples, elles s’alongent par l’admission des nouveaux sucs, & par les principes solides qu’ils y déposent ; les vésicules cellulaires se gonflent & se multiplient, & fournissent au livre la matiere de son accroissement : à mesure que son organisation se perfectionne, il forme à son tour les fibres corticales du côté de l’épiderme, & les fibres ligneuses du côté du centre.

A peine donc la tige du jeune arbre est-elle redressée & sortie d’entre les lobes, qu’on apperçoit dans sa tige les premiers fibres de l’écorce & du livre déjà formées au-dessus des lobes : tant que celles-ci sont molles & souples, elles sont capables d’alongement ; dès qu’elles sont endurcies, elles cessent de croître : comme elles se forment d’abord vers le bas de la tige, c’est-là précisément qu’elles s’endurcissent le plus promptement, & c’est aussi par cette partie qu’elles croissent le moins ; & comme le jeune arbre tire chaque jour plus de nourriture en grandissant, aussi l’allongement de la partie tendre & herbacée de sa tige augmente-t-il de jour-en-jour, tant que la saison favorise la végétation. Enfin aux approches de l’automne l’accroissement diminue, & s’arrête tout-à-fait, par un ou plusieurs boutons qui terminent la jeune tige.

Si on arrache ce jeune arbre, & qu’on le fende suivant sa longueur depuis le bouton jusqu’à la racine, on observera dans le centre un noyau médullaire cylindrique qui s’étend depuis la racine jusqu’au sommet du bouton ; & s’il s’est formé des feuilles & des boutons le long de la tige, il y aura pareillement des productions de la moëlle qui iront s’y distribuer : ce noyau médullaire paroîtra accompagné d’une couche ligneuse fort épaisse vers le bas, & qui se termine en une lame très-mince au haut de la tige, excepté qu’elle s’épaissit un peu vers le bouton : le livre est alors tellement uni au bois, qu’on ne peut les distinguer que par la blancheur & le brillant de ses fibres ; enfin on verra les différentes couches de l’écorce plus épaisses aussi vers la base, & qui vont se perdre dans les écailles du bouton ; tâchons de confirmer ces vérités, & de les rendre plus claires par quelques expériences.

Lorsque la tige d’un arbre nouvellement formé n’avoit encore qu’un pouce & demi de hauteur, on l’a divisée en dix parties, & on a enfoncé jusqu’au centre de petits fils d’argent très fins à l’endroit de chaque division : au bout de l’année tous ces fils s’étoient écartés les uns des autres, mais inégalement : l’écartement de ceux qui étoient vers le bas étoit le moins considérable, mais ceux qui étoient vers le haut s’étoient fort éloignés : tout étant demeuré en cet état, l’année suivante le bouton forma une nouvelle pousse ; lorsqu’elle eut 4 à 5 lignes, on la divisa de même en dix parties, & on y piqua d’autres fils d’argent ; ces fils s’éloignerent les uns des autres à-peu près dans la même proportion que ceux de l’année précédente, mais ceux de cette premiere année ne s’écarterent presque point.

On a enfoncé deux clous jusqu’au bois dans la tige d’un jeune arbre très vigoureux à la distance d’une toise exactement : on a remarqué au bout de plusieurs années que cet intervalle étoit resté le même, quoique l’arbre eût grandi considérablement, & qu’il fût aussi beaucoup grossi.

On observe que les branches latérales qui sortent du tronc d’un jeune arbre étêté restent toujours à la même hauteur tant que l’arbre est vivant, ainsi que les nœuds & les plaies qui ont pénétré jusqu’au bois : il paroît donc clairement établi que les jeunes tiges, ainsi que les nouveaux bourgeons, s’étendent dans toute longueur, mais beaucoup plus vers leur extrémité supérieure où la tige reste tendre pendant plus long-tems : mais que cet alongement diminue à mesure que le bois se forme, & qu’il cesse absolument quand les fibres ligneuses sont une fois endurcies.

On peut appliquer aux branches & aux racines tout ce que nous venons de dire touchant la structure & l’extension des parties du tronc en longueur & en grosseur, le mécanisme étant absolument le même : on observera seulement quant aux racines que leur alongement ne se fait point dans toute leur longueur, même lorsqu’elles sont les plus tendres, mais seulement par leur extrémité : on en voit la preuve dans les filets que l’on divise en parties égales avec un fil d’argent : les intervalles entre ces fils demeurent absolument les mêmes, quoique la racine continue à croître par son extrémité : & si on vient à couper seulement 3 ou 4 lignes de son extrémité, sa longueur est bornée, & elle ne deviendra jamais plus grande, elle ne s’étendra plus que par des rameaux.

Les feuilles sont les premieres productions de la tige ; les premieres de toutes sont déjà formées dans la plume (je ne parle pas des feuilles séminales, qui ne sont que les lobes de la semence qui s’étend quelquefois, & prennent la couleur verte des feuilles) : on y reconnoît leur figure & leur proportion : elles se développent aussi-tôt que la graine est germée, & elles s’étendent en croissant dans toutes leurs dimensions : elles accompagnent un bouton, pour lequel elles semblent destinées ; car elles ne tardent guere à se flétrir & à tomber, lorsque ce bouton a acquis tout ce qui lui est nécessaire pour produire un bourgeon. Les feuilles sont formées des mêmes substances que le tronc : une portion des vaisseaux lignaux, enveloppée des productions de l’écorce & de l’épiderme, semble se prolonger en s’écartant du tronc : ce faisceau détaché & alongé en maniere de queue, s’amincit ensuite en s’élargissant pour former le corps de la feuille : les fibres ligneuses avec leurs vaisseaux forment la principale nervure, & jettant des rameaux à droite & à gauche, elles font un réseau à grandes mailles, dont l’intervalle est rempli par la substance cellulaire : l’écorce couvre des deux côtés ce réseau ligneux ; on la distingue aisément par la finesse de ses vaisseaux, par la petitesse de ses mailles, & par la délicatesse de son parenchime : dans le plus grand nombre des plantes & des arbres, cette écorce est parsemée de glandes & de poils de toutes sortes de figures, qui sont autant de canaux par lesquels la feuille absorbe ou transpire une grande quantité de vapeurs.

Cette écorce est recouverte de l’épiderme à laquelle elle est intimement adhérente : c’est une membrane transparente très-serrée & très-élastique, précédée d’une infinité de pores pour laisser passer les vaisseaux excrétoires ou absorbans de la feuille : au reste cette épiderme est très-aisément affectée par la chaleur & par l’humidité : elle fait éprouver à la feuille différens mouvemens, suivant que les différentes qualités de l’air alterent son ressort.

On ne sauroit douter que les feuilles ne contribuent beaucoup à la perfection des bourgeons. Les arbres qu’on dépouille de leurs feuilles dans le commencement du printems périssent ou ne font que des pousses languissantes : les bourgeons de l’année suivante sont petits & maigres, & ne portent point de fruit, c’est ce qu’on observe aisément sur la vigne lorsque la gelée du printems en détruit les feuilles & les jeunes pousses.

L’abondance & la vigueur des feuilles entretient puissamment le cours de la seve, & contribue par-là à l’accroissement de l’arbre : si on dépouille un jeune arbre vigoureux dans le fort de sa seve, & lorsque son écorce se détache aisément du bois, on observera que la seve cessera de monter, & qu’en un jour ou deux l’écorce sera tout-à-fait adhérente au bois.

Les boutons qui se trouvent dans les aisselles des feuilles, ainsi que celui qui termine la tige, doivent être regardés comme les germes des bourgeons, c’est-à-dire, des nouveaux arbres qui se formeront l’année suivante : ils sont formés par une expansion de la substance médullaire, enveloppée de fibres ligneuses du livre d’écorce, & enfin de plusieurs écailles enduites souvent d’une matiere résineuse qui les préserve de l’humidité & de la gelée : on pourroit les regarder comme des especes de serres, dans lesquelles ces jeunes arbres trop tendres sont défendues des rigueurs de l’hiver : on observe que les boutons des arbres qui croissent entre les tropiques, sont dépourvus de ces enveloppes dures, qui ne sont nécessaires qu’à ceux qui vivent dans des climats où ils ont à essuyer de violentes gelées.

Les feuilles sont toutes formées dans le bouton, comme elles l’étoient dans la plume : elles se développent & s’alongent de la même maniere que celles de la tige, & le corps du bourgeon s’accroît aussi de la même maniere que le jeune arbre nouvellement sorti de sa graine.

Enfin, lorsque l’arbre a acquis un certain degré d’accroissement, il se fait sur le dernier bourgeon une production d’un nouvel ordre, & qui semble être la perfection de tout l’ouvrage de la végétation : c’est celle des parties qui doivent servir à multiplier l’espece, & dont nous donnerons le détail, lorsque nous aurons parlé des liqueurs & des mouvemens de la seve dans les végétaux : il nous suffit d’annoncer présentement que l’écorce de l’extrémité du bourgeon se dilate dans toute la circonférence pour former le calice de la fleur : que la corolle paroît formée de même par le livre, les étamines par le corps ligneux, & le pistil qui renfermera le semences, par la substance médullaire.

Nous n’avons regardé jusqu’ici les fibres des couches ligneuses & corticales que comme des parties solides qui entrent dans la composition des végétaux ; nous devons les considérer maintenant comme des vaisseaux qui contiennent des fluides, & tâcher de déterminer leurs fonctions & leurs usages.

Le plus ample de tous ces vaisseaux est sans contredit le tissu cellulaire ; son étendue immense depuis la racine jusqu’au sommet des plus grands arbres, sa présence au centre, entre les couches ligneuses & dans presque toute l’écorce, dans la plus grande partie des feuilles, des fleurs & des fruits, mais principalement dans l’arbre naissant & dans toute l’étendue des bourgeons, doit le faire regarder comme un réservoir où la nature dépose les sucs qu’elle destine à la nourriture & à l’accroissement des végétaux ; il est vraissemblable que les cellules de ce tissu communiquent avec les vaisseaux qui le traversent, & auxquels il est toujours étroitement uni : c’est du-moins ce qu’on doit conclure de la facilité avec laquelle une plante hâlée se rétablit dans son état de fraîcheur après une pluie d’orage ou bien quand on l’arrose, & aussi de différentes teintes que ce tissu reçoit lorsqu’on fait tremper les racines ou des rameaux de plantes dans des liqueurs colorées. Au reste ce tissu renferme différens sucs suivant la nature des vaisseaux auprès desquels il est situé ; ainsi sous l’épiderme des feuilles le parenchyme est rempli du suc qui doit s’exhaler par la transpiration dans les racines ; il reçoit les sucs de la terre, & les transmet aux vaisseaux du bois ; autour du livre il contient cette humeur gélatineuse qui sert à la nutrition immédiate des parties.

Après le tissu cellulaire, les vaisseaux les plus remarquables par leur grandeur sont les vaisseaux propres & les trachées ; les vaisseaux propres contiennent des sucs tout-à-fait différens de la seve & particuliers à chaque plante ; on les observe dans toute la substance des végétaux ; quelquefois, mais rarement, dans la moëlle, on en voit entre les couches du bois ; mais c’est dans l’épaisseur de l’écorce qu’ils se trouvent le plus ordinairement ; ils s’étendent en ligne droite suivant la longueur de la tige & des branches, depuis les racines jusqu’aux feuilles.

La couleur, l’odeur & le goût de ces différens sucs les font aisément reconnoître ; ainsi dans le figuier, le tithymale & les campanules, ils contiennent un suc laiteux ; dans l’éclaire il est jaune, dans quelques especes de lapathum il est rouge, dans les pruniers & les abricotiers c’est un suc gommeux, dans les pins, les térébinthes & les sumachs, c’est une résine claire & inflammable.

Ce sont ces différens sucs contenus dans les vaisseaux propres qui donnent aux plantes le goût, l’odeur & les autres qualités qu’elles possedent ; on reconnoit par l’âcreté que l’on sent en mâchant, l’éclaire & le tithymale, soit peu de tems après leur naissance, soit que leurs vaisseaux propres soient déja formés dans le germe, & il y a lieu de croire qu’ils s’accroissent par une organisation particuliere. Au reste l’intérieur de ces vaisseaux, qui sont assez gros dans les arbres résineux, lorsqu’on a nettoyé les sucs qu’ils contiennent, laisse voir au microscope des floccons cellulaires très-fins, qui pourroient bien être l’organe secrétoire des sucs propres. Nous ne connoissons guere de quel usage sont ces sucs dans la végétation ; nous voyons seulement que les sucs gommeux & résineux servent à enduire les écailles des boutons & à les défendre de l’humidité qui pourroit y pénétrer, & les faire périr pendant l’hiver.

Lorsqu’on coupe avec précaution l’écorce d’un très-jeune arbre, & qu’on rompt doucement sa tige en la tordant un peu, on apperçoit à l’endroit de la fracture des filets blancs, brillans, élastiques, qui paroissent au microscope comme un ruban tourné en maniere de tire bourre, & qui forment un vaisseau spiral & cylindrique.

On n’apperçoit point ces sortes de vaisseaux dans l’écorce ni dans la moëlle ; ils ne sont bien sensibles que dans le jeune bois de l’arbre naissant & des bourgeons ; à mesure que le bois s’endurcit, on les découvre plus difficilement, & ils sont tellement adhérens au vieux bois, qu’il n’est plus possible de les en séparer ; c’est sur-tout dans les petales des feuilles & le long de leurs principales nervures, qu’ils se trouvent en plus grand nombre ; on les observe aussi dans les pédicules des fleurs, dans l’intérieur des calices, dans les petales & dans toutes les parties de la fructification. La ressemblance de ces vaisseaux avec les trachées des insectes leur a fait donner le même nom par Malpighi, qui les regardoit effectivement comme les organes de la respiration dans les plantes.

Des expériences faites avec la machine pneumatique ont fait voir depuis long-tems que les végétaux ne sauroient subsister sans air, & qu’ils périssent bientôt ou languissent quand ils en sont privés ; elles ont encore démontré que les arbres & les plantes & les fruits contiennent actuellement une assez grande quantité d’air semblable à celui que nous respirons.

D’un autre côté M. Hales a fait voir par ses expériences analytiques, que les végétaux contiennent une assez grande quantité d’air fixé, c’est-à-dire qui ne réagit pas par sa vertu élastique, à moins que cette propriété ne lui soit rendue par l’action du feu ou de la fermentation. Par exemple, le cœur de chêne & les petits pois contiennent l’un 256, & l’autre 396 fois leur volume d’air, auquel la distillation rend la vertu élastique ; or les expériences suivantes prouvent que cet air a pu être introduit dans les végétaux par la voie des trachées.

On a scellé au haut du récipient d’une machine pneumatique des bâtons de différens arbres dont un bout étoit à l’air, & l’autre trempoit dans une cuvette pleine d’eau dans le récipient ; on a remarqué, après avoir pompé, quantité de bulles d’air qui sortoient d’entre les fibres ligneuses, & sur-tout des vaisseaux les plus voisins du livre, & qui traversoient l’eau de la cuvette.

On a coupé une branche de pommier à laquelle on a conservé toutes ses feuilles ; on l’a fait entrer par le gros bout dans un long tuyau de verre blanc, & on a scellé la jointure avec un mêlange impénétrable à l’air, on a placé aussi-tôt l’autre extrémité du tuyau dans une cuvette pleine d’eau, & on a vu l’eau s’y élever, à mesure que la branche pompoit l’air dont le tuyau étoit rempli.

On a enfermé dans un matras les racines d’un jeune pommier, & on a introduit en même tems la plus courte branche d’un petit siphon de verre ; on a bien cimenté la tige de l’arbre & le siphon à l’orifice du matras, & tout-de-suite on a plongé l’autre branche du siphon dans un vaisseau rempli d’eau ; l’eau s’y est élevée de quelques pouces : ce qui prouve que les racines ont aspiré une partie de l’air du matras.

Il est donc certain que l’air pénetre librement dans les arbres & dans les plantes au-travers de leurs tiges, de leurs feuilles & de leurs racines, indépendamment de celui qui y arrive avec l’eau qu’ils aspirent, sur-tout l’eau de la pluie qui en contient toujours beaucoup, & qu’elle ne laisse échapper que difficilement ; & il paroit également certain que ce fluide n’y sauroit pénétrer que par les trachées.

Malpighi regardoit les trachées comme des vaisseaux uniquement destinés à recevoir de l’air. Grew a prétendu qu’elles recevoient aussi de la lymphe, & M. Duhamel a observé en hiver les grosses trachées des racines d’ormes toutes remplies de liqueur qui s’écouloit librement lorsque la racine étoit dans une position verticale, quelle que fût l’extrémité que l’on mît en bas. Mais les expériences qui ont été faites par M. Reichel sur différentes plantes auxquelles il a fait pomper de l’eau colorée avec le bois de Fernambouc, ne permettent plus de douter que les trachées ne reçoivent & ne transmettent la seve lymphatique depuis la racine jusque dans les fruits, & même dans les semences ; en effet lorsqu’on plonge dans cette eau colorée, soit une plante arrachée avec toutes ses racines, soit une branche séparée du tronc, on voit bientôt la liqueur s’élever dans les vaisseaux de la plante ; & en examinant ces vaisseaux avec attention, on reconnoit qu’il n’y a guere que les trachées & un peu du tissu cellulaire qui la reçoivent. Les expériences qui suivent confirmeront cette vérité.

Lorsqu’on a fait germer des feves & des lupins dans l’eau colorée, on a vu qu’elle avoit pénétré par les vaisseaux spiraux qui naissent de toute la circonférence des lobes, & se portent en-dedans, les uns jusqu’au bout de la radicule sous l’écorce, les autres jusque dans la plume & sur les nervures des feuilles.

Ayant fait tremper dans la même liqueur une branche de balsamine femelle, on a vu au bout de deux heures, & sans le secours de la loupe, des lignes rouges qui s’étendoient dans toute la longueur de la branche & sur les principales nervures des feuilles ; la section transversale de cette branche a fait voir que le tissu cellulaire de l’écorce n’étoit point changé de couleur : que l’orifice des trachées les plus près du livre étoit teint de rouge, ainsi que le tissu cellulaire qui avoisine ces vaisseaux : que la plûpart des trachées, quoique teintes, étoient vuides ; mais qu’il y en avoit cependant plusieurs remplies de liqueur colorée.

On a vu dans une balsamine chargée de fleurs & de fruits & mise avec ses racines dans l’eau colorée, des filets rouges qui s’étendoient depuis le bas de la tige jusqu’à l’extrémité des branches ; au bout de 24 heures on les appercevoit sur les nervures des feuilles, & jusque dans la membrane qui tapisse les capsules séminales ; en fendant les branches suivant leur longueur, on voyoit qu’outre les vaisseaux spiraux qui étoient teints en rouge, le tissu cellulaire paroissoit aussi teint d’un jaune orangé.

La même expérience a été réitérée avec une branche de stramonium à fleurs blanches & une plante entiere de stramonium avec ses racines ; il a paru bientôt des lignes rouges qui s’étendoient jusque sur les pétales, & que le microscope a fait reconnoître pour des vaisseaux spiraux ; cette liqueur pénétroit aussi dans le calice, aux étamines, au stile, mais sur-tout à la partie inférieure du calice & dans la cloison qui sert de placenta aux semences.

L’usage des trachées est donc aussi d’élever & de conduire la seve depuis les racines jusque dans les feuilles, dans les fleurs & dans les fruits. Il y a lieu de croire que les autres vaisseaux ligneux sont destinés au même usage, quoiqu’avec le secours des meilleurs microscopes on n’ait encore pu découvrir de cavité dans les petites fibrilles ligneuses ; car au printems dans le tems des pleurs, la seve se porte avec tant d’abondance dans tous ces vaisseaux, qu’on la voit sortir sur la coupe d’un tronc d’orme, de bouleau ou de vigne, non seulement des trachées, mais aussi de tous les points du corps ligneux.

On comprend assez souvent sous le nom de seve deux liqueurs bien différentes qu’il est nécessaire de distinguer, savoir la lymphe ou la seve aqueuse, qui est pompée par les racines, & qui montant par les vaisseaux du corps ligneux jusque dans le parenchyme des feuilles, fournit à leur abondante transpiration, celle en un mot que tout le monde apperçoit couler d’un cep de vigne taillé dans la saison des pleurs ; l’autre liqueur qu’on peut regarder comme la seve nourriciere, est moins limpide, & est en quelque sorte gélatineuse ; elle differe de la précédente autant que la lymphe differe du chyle dans les animaux ; elle réside dans les parties qui prennent un accroissement actuel, comme dans les boutons, dans les bourgeons, dans l’organe du livre & dans ses dernieres productions, depuis les racines jusqu’à l’extrémité des feuilles ; les jardiniers jugent de la présence de cette seve par le développement sensible des boutons, par l’extension visible des parties herbacées, & par la facilité qu’ils ont alors de séparer le bois d’avec l’écorce.

La plus grande partie de la lymphe qui est aspirée par les plantes, n’est que de l’eau pure qui sert de véhicule à une très-petite quantité de matiere propre à nourrir les végétaux : cette matiere consiste 1°. dans une terre extrèmement subtilisée, telle que l’eau la peut entraîner avec soi sans perdre sa transparence ; & l’expérience journaliere prouve qu’il n’y en a pas de meilleure que celle qui est tirée des débris des végétaux, lorsque la fermentation ou la pourriture a fait une parfaite résolution de leurs parties. A cette terre se joignent des sels, & peut être par leurs moyens quelques substances huileuses : ces matieres se combinent quelquefois avec des sucs qui se déposent pendant l’hiver dans l’intérieur des vaisseaux séveux : par exemple, celle qui découle au printems par les incisions profondes que l’on fait aux érables blancs du Canada, quoiqu’elle paroisse semblable à de l’eau la plus pure & la mieux filtrée, contient néanmoins un quarantieme de vrai sucre dont elle se charge sans doute en s’élevant dans les vaisseaux séveux, ou bien peut être l’eau passe t-elle toute sucrée dans les racines, après s’être chargée de cette substance sur les feuilles qui sont tombées à l’automne, & qui se sont conservées sous la neige pendant l’hiver.

Il nous suffit ici d’observer que l’eau qui doit porter les sucs nourriciers dans les secrétoires, forme la plus grande partie de la lymphe qui est aspirée par les racines, & qu’après avoir servi à cet usage, elle sort par les pores des feuilles sous la forme d’une vapeur insensible.

Cette transpiration étant à-peu-près la dépense journaliere des végétaux, nous sert de mesure pour déterminer la quantité & les mouvemens de cette seve aqueuse que les racines doivent tirer de la terre pour y suppléer : examinons donc d’après les expériences de M. Hales, les phénomenes de cette transpiration.

On a pris un grand soleil de jardin helianthus annuus, qui avoit été élevé exprès dans un pot ; on a couvert le pot d’une plaque de plomb laminé percée de trois trous, savoir l’un au centre pour laisser passer la tige de la plante ; l’autre vers la circonférence afin de pouvoir arroser, & le troisieme vers le milieu auprès de la tige, pour recevoir un tuyau de verre par lequel l’air pût communiquer sous la platine : on cimenta exactement toutes les jointures, & le trou destiné aux arrosemens fut bouché avec un bouchon de liége. On pesa le pot matin & soir pendant un mois à-peu-près tous les deux jours ; déduction faite de deux onces par jour, pour ce qui s’évaporoit par les pores du pot, il résulta qu’en 12 heures d’un jour fort sec & fort chaud, la transpiration moyenne de ce soleil montoit à vingt onces, & à près de trois onces pendant une nuit chaude, seche, & sans rosée : elle étoit nulle lorsqu’il y avoit eu tant-soit-peu de rosée ; mais lorsque la rosée étoit assez abondante, ou que pendant la nuit il tomboit un peu de pluie, le pot & la plante augmentoient du poids de deux à trois onces.

Ayant mesuré exactement la surface de toutes les feuilles des racines & la coupe horisontale de la tige, on a trouvé que la hauteur du solide d’eau évaporé par la surface de toutes les feuilles, étoit de pouce en 12 heures, de pouce par celui qui a été aspiré par la surface totale des racines, & de 34 pouces pour celui qui a passé par la coupe horisontale de la tige. On a trouvé par de semblables expériences répétées sur différentes plantes, que les solides d’eau transpirés en 12 heures de jour par la surface de chacune de ces plantes, sont de

de pouce pour le soleil,

de pouce pour un cep de vigne,

de pouce pour un chou,

de pouce par un pommier,

de pouce pour un citronnier.

On a arraché au mois d’Août un pommier nain, & après l’avoir pesé on a mis ses racines dans un bacquet qui contenoit une quantité d’eau connue ; elles attirerent 15 livres d’eau en dix heures de jour, & l’arbre transpira dans le même tems 15 livres huit onces, c’est-à-dire, huit onces de plus que ses racines n’avoient attiré.

On a mis dans des caraffes pleines d’eau & bien jaugées, des branches de pommier, de poirier, d’abricotier, & de cerisier ; on avoit coupé de chaque arbre deux branches à-peu-près égales, à l’une desquelles on conserva toutes ses feuilles, au lieu qu’on les arracha à l’autre : les branches qui avoient conservé leurs feuilles, tirerent à raison de 15, 20, 25, & même 30 onces d’eau en 12 heures de jour ; & lorsqu’on les pesa le soir, elles étoient plus légeres que le matin. Celles qui étoient dépouillées de leurs feuilles, n’avoient tiré qu’une once, & fort peu transpiré ; car elles étoient plus pesantes le soir que le matin.

Des branches d’arbres verts traitées de la même maniere, tirerent très-peu, & transpirerent aussi fort peu.

On a ajusté une branche de pommier garnie de toutes ses feuilles à un tuyau de verre de neuf piés & d’un demi-pouce de diametre ; l’ayant ensuite rempli d’eau & renversé la branche, elle pompa l’eau du tuyau à raison de trois piés dans une heure : ensuite on coupa la branche à 15 pouces au-dessous du tuyau, & on mit tremper la partie retranchée dans une caraffe pleine d’une quantité d’eau connue. On recueillit avec précaution l’eau qui continua à sortir du bâton, & il n’en passa que six onces en 30 heures, quoiqu’il y eût toujours dans le tuyau de verre une colonne d’eau de sept piés de hauteur. Dans le même tems le reste de la branche garnie de feuilles, tira 18 onces d’eau de la caraffe : la force qui a fait transpirer l’eau par les feuilles, en a donc fait élever trois fois davantage dans le même tems que le poids d’une colonne de sept piés n’en a pu faire descendre.

Cette force avec laquelle l’eau est aspirée contre son propre poids, est bien plus grande encore qu’elle ne paroît dans cette expérience ; car lorsqu’on a ajusté une pareille branche de pommier garnie de toutes ses feuilles à un tuyau de verre assez gros pour contenir avec la branche une ou deux livres d’eau, & qu’à l’autre extrémité de ce tuyau on en a soudé exactement un autre de deux piés de long, & d’un quart de pouce de diametre ; & qu’après avoir rempli d’eau tout cet appareil, & mis le doigt sur l’ouverture du petit tuyau, on l’a renversé & plongé son extrémité dans une cuvette pleine de mercure : on a observé que l’eau fut aspirée par la branche avec assez de vîtesse & assez de force, pour faire élever le mercure à 12 pouces dans le petit tuyau ; ce qui est équivalent à une colonne d’eau de 14 piés ; & il n’est pas douteux que le mercure ne se fût élevé encore davantage sans les bulles d’air qui sortoient de la branche, & qui s’élevant au-dessus de l’eau, faisoient nécessairement baisser le mercure.

Cette expérience ne réussissoit jamais mieux que quand le soleil frappoit vivement sur les feuilles : le mercure baissoit de quelques pouces vers le soir, & quelquefois même tout-à-fait ; mais il remontoit le lendemain dès que le soleil frappoit la branche. Cette force au reste est proportionnelle à celle qui anime la transpiration : dans l’expérience faite avec une branche de pommier privée de ses feuilles, le mercure ne monta pas du tout : dans toutes celles qui furent faites avec les arbres qui transpirent peu, il s’éleva très-peu ; ainsi les arbres verts ne le firent point monter.

On a remarqué dans toutes les expériences qu’on a faites sur la transpiration, que la plus abondante étoit toujours dans un jour fort sec & fort chaud ; M. Guettard a observé de plus qu’il est nécessaire que la plante soit frappée immédiatement du soleil : par exemple, lorsqu’on enferme deux branches d’un même arbre, & à-peu-près égales, chacune dans un ballon de verre pour recevoir la liqueur qu’elle transpire, celle qui reçoit immédiatement les rayons du soleil transpire plus que celle qui est dans l’autre ballon couvert d’une serviette, dans la proportion de 18 gros trois quarts à 4 gros & demi. Pareillement lorsqu’il a enfermé trois branches à-peu-près égales d’une même plante, chacune dans un ballon, dont l’un étoit entierement exposé au soleil, l’autre ombragé par une toile posée sur quatre pieux à quelque distance du ballon, & le troisieme couvert immédiatement d’une serviette, la premiere a plus transpiré à elle seule que les deux autres ensemble ; & celle dont le ballon a été couvert immédiatement a transpiré le moins. Enfin, il a encore éprouvé que deux branches de grenadier enfermées chacune dans un ballon, l’un exposé au soleil, mais sous un chassis de verre fermé, & dans un air plus chaud que l’autre, qui recevoit immédiatement les rayons du soleil : la branche enfermée dans celui-ci a néanmoins plus transpiré que celle qui étoit sous le chassis dans un air plus chaud.

Ces observations sont conformes à celles qu’on a faites sur les pleurs de la vigne au printems, & sur la liqueur qui s’écoule des érables en Canada. La vigne ne pleure jamais en plus grande abondance que quand elle est exposée à l’action vive du soleil. Dans les premiers tems les pleurs cessent à son coucher, & ne reparoissent que quelques heures après son lever, & il en est de même de la seve des érables ; lorsque cet écoulement est bien établi & que les nuits sont tempérées, il se fait jour & nuit, mais bien plus abondamment pendant le jour : s’il survient des nuages, ou si l’on intercepte les rayons du soleil, les pleurs diminuent aussi-tôt, ou bien s’arrêtent. En Canada dans les tems de gelée, la seve coule dans les érables du côté du midi, & l’arbre est sec du côté du nord.

On apperçoit dans le phénomene des pleurs un exemple bien frappant de l’efficacité des rayons du soleil sur les parties des plantes, puisqu’ils donnent aux vaisseaux séveux non-seulement la puissance d’attirer de la terre une si grande quantité d’humidité, & de l’élever dans les tiges, mais aussi celle de la pousser dehors avec une grande force : car M. Hales ayant un jour ajusté une jauge mercurielle à un cep de vigne qu’il avoit coupé à la hauteur de deux piés & demi, il observa que la séve en sortoit avec tant de force, qu’en 12 jours de tems elle fit élever le mercure dans la jauge à plus de 32 pouces, & à 38 dans une autre expérience. Ainsi la force avec laquelle la lymphe des pleurs est chassée dans la vigne, est au-moins égale au poids d’une colonne d’eau de 36 à 43 piés. Cette expérience prouve bien aussi la nécessité des valvules, du-moins dans les racines.

Lors donc qu’on réfléchit sur la grande influence que les rayons du soleil ont sur la transpiration des plantes & sur l’écoulement de la lymphe dans les arbres qui pleurent, on ne sauroit douter qu’ils ne soient la principale cause de l’élévation de la séve dans les végétaux ; mais en examinant en particulier l’action de cet astre sur chacune des parties d’un arbre ou d’une plante, on ne sauroit s’empêcher de reconnoître que c’est lui qui les met en mouvement, & qui leur imprime le pouvoir qu’elles ont d’élever la seve & de la distribuer dans tous les réservoirs où elle doit aller : rappellons-nous donc à cet effet les observations suivantes.

Lorsque le soleil remonte sur notre horison, la seve lymphatique qui paroissoit arrêtée pendant l’hiver, commence à s’émouvoir ; elle s’éleve avec plus d’abondance, à mesure que la chaleur du soleil augmente, & c’est aux environs du solstice que s’est fait la plus grande dépense ; elle diminue alors insensiblement jusqu’à l’hiver, tant par la diminution de la durée des jours, que par l’obliquité des rayons du soleil qui croît alors de plus en plus.

La même influence se remarque dans les effets journaliers : au tems des pleurs, c’est dans la plus grande ardeur du soleil que les vignes, les bouleaux, les érables, répandent le plus abondamment leur lymphe. Ces écoulemens cessent ou diminuent au coucher du soleil, ou bien lorsqu’un nuage intercepte ses rayons. C’est dans les mêmes circonstances que les feuilles transpirent le plus abondamment chaque jour, & que les racines auxquelles on a fixé des tuyaux de verre attirent l’eau avec le plus de vivacité.

De toutes les parties qui sont exposées à l’action du soleil, il n’y en a pas qui reçoivent ce mouvement de transpiration & d’aspiration d’une maniere plus sensible que les feuilles ; à mesure qu’elles se développent, on voit croître la quantité journaliere de la transpiration ; & un arbre bien pourvu de feuilles, tire toujours plus que celui qui en est dépouillé.

Après les feuilles, les boutons qui sont à leur origine, & que les jardiniers appellent les yeux, sont les parties les plus propres à élever la seve : ces boutons sont un raccourci des bourgeons de l’année suivante ; ils sont composés pour la plus grande partie, de petites feuilles qui n’attendent que le moment de se développer ; or c’est par l’action du soleil sur ces boutons que la seve lymphatique s’éleve au printems avant le développement des bourgeons. Un bouleau à qui on a coupé la tête en hiver, ne pleure point à la nouvelle saison, comme ceux à qui on a conservé toutes leurs branches & leurs boutons ; & celui à qui on retranche les branches dans le tems même des pleurs, cesse bientôt d’en répandre avec la même abondance que lorsqu’il étoit entier.

Les arbres qui sont dépouillés de leurs feuilles au commencement de l’été, par les insectes ou autrement, tirent encore assez de seve pour s’entretenir par l’action du soleil sur leurs boutons : il y en a plusieurs dont les boutons se dessechent par la trop grande action du soleil, & l’arbre périt sans ressource : dans d’autres les jeunes boutons s’ouvrent & développent leurs nouvelles feuilles, alors l’arbre reprend sa seve avec la même abondance qu’auparavant, mais ses productions, l’année suivante, se ressentent de cet effort anticipé.

L’action du soleil sur l’écorce peut aussi, pendant quelque tems, faire élever la seve, comme on le voit dans les jeunes arbres à qui on a coupé la tête : mais l’écorce ne paroît recevoir cette action qu’autant qu’elle contient des germes de boutons qui doivent bientôt se développer : car lorsque ce développement est tardif, sur-tout dans les arbres qui transpirent beaucoup naturellement, l’écorce ne sauroit suffire, & l’arbre périt.

Enfin l’action du soleil sur les racines contribue aussi à élever la seve : cependant cette puissance des racines est encore plus foible que celle de l’écorce : car si l’on voit les souches des arbres qui sont coupés à ras de terre pousser en peu de tems des rejettons très-vigoureux ; on doit plutôt attribuer cet effet à l’action des boutons qui se forment au bourrelet du tronc coupé, ou sur l’écorce de quelque racine fort près de l’air, qu’à la puissance immédiate des racines, puisque si l’on détruit cette souche, ou qu’on enleve son écorce avec le bourrelet, les racines cessent de tirer, & périssent bien-tôt après. Cette observation ne regarde pas les arbres dont les racines courent horisontalement, & qui par leur communication avec l’air extérieur sont disposés à faire beaucoup de rejettons.

Fondés sur les observations que nous venons de rapporter, ne pourroit-on pas hasarder les conjectures suivantes sur les causes de l’élevation de la seve dans les végétaux ?

1°. Que les racines attirent par leurs extrémités capillaires, qui sont d’une très-grande étendue & d’un tissu fort spongieux, l’humidité de la terre que le soleil entretient continuellement autour d’elles.

2°. Qu’elles transmettent cette humidité aux vaisseaux du bois par l’élasticité de leur écorce, sans lui permettre de rétrograder, puisqu’on voit dans les expériences de M. Hales sur les pleurs de la vigne, que ses racines ont soutenu sans être forcées, le poids d’une colomne d’eau de plus de quarante-trois piés.

3°. Que l’action du soleil sur toutes les parties des végétaux, & particulierement sur les feuilles, excitent dans les fibres spirales des jeunes trachées, des vibrations qui s’étendent jusqu’aux racines, en vertu desquelles la lymphe est déterminée uniformément vers le haut.

4°. Que ce mouvement est favorisé par l’air qui s’insinue par les pores de l’écorce, & surtout par toutes les cicatrices du pétale des feuilles qui sont tombées les années précédentes.

5°. Enfin que ce mouvement est encore aidé par la structure particuliere des vaisseaux séveux, par leurs anastomoses fréquentes dans toute sorte de sens, par la communication perpétuelle avec le tissu cellulaire, dont les cavités forment autant de réservoirs & de points de repos.

Les mouvemens de la seve nourriciere sont plus difficiles à déterminer que ceux de la seve lymphatique ; cette seve, bien plus obscure dans son origine, & plus lente dans sa marche, ne présente pas des phénomenes aussi frappans que ceux de la transpiration, & des pleurs, dont on peut peser & mesurer la quantité. Il est croyable que la seve nourriciere est le produit de la lymphe, dont les parties propres à l’organisation ont été séparées dans des vaisseaux sécretoires, dont la structure nous est encore inconnue, tandis que la lymphe superflue est dissipée par la transpiration.

Le livre paroît être l’organe où réside cette matiere propre à la nourriture & à l’accroissement des végétaux : nous avons vu que c’est de cet organe que partent d’un côté les nouvelles couches des fibres ligneuses, & de l’autre la nouvelle couche corticale toujours plus mince que celle du bois.

Lors donc que l’action du soleil a fait élever une quantité suffisante de seve lymphatique (dont un arbre peut perdre une certaine quantité sans aucun préjudice), les extrémités du livre qui se terminent aux boutons commencent à s’alonger par l’arrivée des nouveaux sucs, préparés apparemment dans le tissu cellulaire, qui se prolonge aussi en même tems par la formation de nouvelles cellules. Ce développement sensible des bourgeons est le premier signe du mouvement de la seve nourriciere : peu de tems après le tissu cellulaire, qui unit le livre à la derniere couche du bois, commence à s’imbiber de la seve qui lui est fournie par le livre dans toute l’étendue du tronc ; & comme il est encore fort tendre, c’est en ce moment qu’on peut le séparer du bois fort aisément. Mais comme dans cet intervalle les bourgeons se sont assez étendus pour transpirer promptement la lymphe qui monte par les vaisseaux du bois ; cette seve ne paroît plus sous d’autre forme que sous celle d’une vapeur qui ne se répand plus comme les pleurs, lorsqu’on taille le bois.

Il paroît donc par ces observations que la seve nourriciere commence à se mouvoir dans le livre qui forme les boutons aux parties les plus élevées de l’arbre, qu’ensuite elle se manifeste dans les autres parties du livre en descendant peu-à-peu jusqu’a la racine : car si on juge de son mouvement par la facilité qu’a l’écorce à se séparer du tronc, il est certain que cette séparation est possible sur les jeunes branches, avant que de l’être au bas du tronc : il en est de même dans les derniers tems de la seve, à la fin d’Août l’écorce du tronc & du vieux bois est déjà fort adhérente, quand elle peut encore se séparer dans les jeunes branches, comme si cette seve n’étoit plus produite en assez grande quantité pour s’éloigner du lieu de son origine.

Ce mouvement de la seve nourriciere observé par les jardiniers, & l’observation des bourrelets qui se forment toujours plus gros au-dessus des ligatures qu’on fait autour du tronc d’un arbre qu’au-dessous, ont sans doute fait naître l’idée de la circulation de la seve, qui sans être semblable à la circulation du sang dans les animaux, a cependant quelque réalité dans le sens des observations que nous venons de rapporter.

Lorsque la seve nourriciere est plus abondante qu’il n’est nécessaire par l’alongement des bourgeons, & la production des couches ligneuses, elle se porte du côté de l’écorce vers les endroits où elle trouve le moins de résistance, & là perçant peu-à-peu l’écorce & se formant une enveloppe de la portion du livre qu’elle a dilaté, elle forme insensiblement un bouton dans lequel, par l’effet de l’organisation du livre, il doit se former un bourgeon avec toutes les parties qui en dépendent.

Il n’y a pas d’endroit dans toute l’étendue du livre où il ne puisse se former une semblable éruption ; mais l’expérience fait voir que toutes ne sont pas de même nature, & que quelques unes de ces productions sont organisées pour devenir des boutons à feuilles, d’autres des boutons à fleurs, d’autres enfin des boutons de racines, ce sera la circonstance dans laquelle se trouvera quelque jour chaque partie du livre qui déterminera s’il en doit sortir un bouton à feuilles ou une racine ; ainsi lorsque dans un tems de repos (par rapport à la seve nourriciere), on coupera une branche d’arbre ou un bâton, quelle que soit l’extrémité qu’on enfoncera en terre, toutes les éruptions du livre formeront des racines, & tendront toujours naturellement vers le bas ; & les éruptions qui se feront dans les parties de la branche qui sera à l’air, deviendront des boutons à feuilles, & tendront toujours à s’élever.

L’organe du livre fait encore une sorte de production bien plus compliquée que les précédentes ; mais si parfaite, qu’il semble que ce soit son dernier effort : j’entends celle des parties de la fructification, destinées à produire des semences capables de multiplier les especes, & de les représenter jusqu’à la fin du monde telles que Dieu les a créées au commencement.

Les botanistes distinguent sept sortes de parties qui concourent à la fructification ; savoir, le calice, la corolle, les étamines, le pistil, le fruit, la semence & le support, ou la base de toutes ces parties.

Le calice est une expansion de l’écorce qui s’évase à l’extrémité d’un bourgeon ; il est doublé d’une membrane, qui est une production du livre, & dans laquelle les liqueurs colorées font découvrir des trachées : on peut le regarder comme une enveloppe destinée à défendre les parties essentielles de la fructification, & aussi à faire transpirer la lymphe qui surabonde dans ces parties : il en est de même des pétales, autre espece d’enveloppe, qui different du calice en ce qu’elles n’ont rien de commun avec l’écorce que leur épiderme, & qu’elles sont privées de glandes corticales dans leur parenchyme : elles sont aussi beaucoup plus fournies de trachées : les pétales ont souvent à leur partie interne des lacunes ou cavités melliferes, ou bien la nature forme exprès des cornets de différente forme, dans laquelle elle ramasse cette liqueur dont les abeilles composent leur miel.

Les calices & les pétales ne sont pas des parties essentielles de la fructification : elles manquent absolument dans quelques plantes ; dans beaucoup d’autres il n’y en a qu’une des deux, cependant le plus grand nombre en est pourvu.

Les étamines sont des parties essentielles de la fructification ; elles contiennent le principe de la fécondation des semences, & sans leur secours, les embryons ne feroient qu’avorter. On les regarde comme une production du corps ligneux ; mais leur substance toujours herbacée, le grand nombre des vaisseaux spiraux qui les traverse, & leur disposition à s’étendre & à devenir monstrueuse dans les fleurs doubles, fait voir qu’elles appartiennent plus particulierement au livre. Leur figure varie & aussi leur situation ; elles naissent quelquefois sur le pistil même, quelquefois à sa base, assez souvent dans l’intérieur des pétales, quelquefois sur les bords du calice, & enfin sur des organes particuliers & fort éloignés des pistils. Elles sont communément composées d’un filet portant à son sommet une double capsule où sont renfermées des poussieres qui paroissent au microscope autant de petites capsules de différentes figures ; elles se rompent dans l’eau avec éclat, & répandent une liqueur spiritueuse, qui est le vrai principe de la fécondation.

Du centre de la fleur s’éleve le pistil ou l’ovaire, organe aussi essentiel à la fructification que les étamines : ils est composé du germe, d’un stile & d’un stigmate, corps spongieux & humide, propre à retenir les poussieres des étamines, & à s’imbiber de la liqueur spiritueuse qu’elles contiennent. La principale de toutes ces parties est le germe qui renferme les embryons des semences, & qui ne commence à croître qu’après la fécondation.

Cette fécondation s’opere par l’activité de la liqueur spiritueuse des poussieres, qui pénétre par le tissu spongieux du stigmate, & le long du stile jusqu’aux embryons, & vivifie leur germe à-peu-près comme fait la semence du mâle dans les animaux.

Dans le plus grand nombre des végétaux les étamines sont avec les pistils, sous les mêmes enveloppes, ensorte que les poussieres sont portées immédiatement sur le stigmate, le matin quand la fleur s’épanouit : dans les plantes qui ont sur le même pié des fleurs mâles, séparées des fleurs femelles, les capsules des étamines ont beaucoup d’élasticité, & répandent fort loin leurs poussieres, c’est ce qu’on peut observer sur la pariétaire : enfin dans les plantes & dans les arbres qui n’ont que des fleurs mâles ou femelles sur chaque individu, les poussieres qui sont alors très-abondantes, sont lancées avec effort & portées fort loin par le vent : de plus ces poussieres conservent assez long-tems leur vertu prolifique au point qu’on peut transporter à 30 ou 40 lieues des rameaux de fleurs de palmier mâle, & opérer la fécondation en les attachant sur des palmiers femelles. Mais si les individus femelles sont trop éloignés de ceux qui portent les étamines, elles restent stériles, & tous leurs germes avortent.

C’est donc envain qu’on a prétendu que des petits corps organisés descendoient tous formés par les vaisseaux du stile, & devenoient les embryons : on ne remarque absolument aucune voie par où des corps organisés puissent descendre dans l’ovaire, ni aucune force qui puisse les y arranger symmétriquement, & les attacher chacun par leur cordon ombilical aux parois & aux cloisons des capsules ; les parties extérieures sur lesquelles les poussieres séminales doivent tomber sont plutôt spongieuses & renflées, & ne paroissent que disposées à s’imbiber de la liqueur spiritueuse qui sort de ces poussieres : bien plus, avant que les étamines soient en état de répandre leur poussiere, on trouve les embryons des semences dans les ovaires rangés dans le même ordre où ils doivent être jusqu’au tems de leur perfection : jusqu’au moment de l’éruption des poussieres, ils font peu de progrès dans leur accroissement ; mais immédiatement après leur fécondation ils croissent très-rapidement.

Le germe qui contient ces embryons se change bientôt en un fruit (sec, mol, pulpeux, capsulaire, légumineux, &c.) qui s’accroît jusqu’à un terme déterminé, c’est-à-dire, jusqu’à ce que les semences qu’il contient aient acquis un juste degré de maturité : alors les vaisseaux de ce fruit cessent de recevoir de nouveaux sucs ; leurs fibres se dessechent, & en même tems leur ressort augmente au point que la dessication étant suffisante, le fruit s’ouvre avec effort, & les semences dont le cordon ombilical est aussi desseché, tombent à terre pour y germer & reproduire autant de pareilles especes : chaque semence étant organisée de telle sorte qu’elle doit toujours représenter le même individu dont elle sort, suivant l’ordre précis du créateur.

La perfection des semences paroît être l’unique objet de la nature dans la végétation des plantes annuelles : dès que ses vues sont remplies, les feuilles se dessechent, & la plante dépourvue de boutons capables de prolonger sa vie, cesse de végéter & périt : dans les plantes vivaces & dans les arbres, les boutons qui se forment chaque année perpétuent cette puissance qui fait élever la seve, & renferment des bourgeons qui se développeront d’eux-mêmes, quand la chaleur du soleil leur donnera de l’activité au printems suivant. C’est pourquoi lorsque ces boutons que les feuilles portent dans leurs aisselles, ont acquis leur juste grosseur, & que leurs enveloppes écailleuses sont formées au point qu’elles peuvent les défendre des injures du tems pendant l’hiver, l’affluence de nouveaux sucs leur devient inutile, & même leur seroit préjudiciable : dès-lors les feuilles ne reçoivent plus la seve nourriciere qui entretient leur souplesse & leur fraîcheur, leurs fibres se dessechent, l’agitation des vents les sépare des branches & les emporte. Elles laissent à leur origine une cicatrice que le tems efface, mais par laquelle l’air s’insinue dans les vaisseaux spiraux.

Cette défoliation qui laisse dans les boutons de nouveaux instrumens capables d’élever la seve aux premieres chaleurs du printems, ne fait que ralentir dans un arbre le mouvement vital sans l’éteindre : mais lorsqu’après une longue suite d’années les fibres ligneuses qui se sont toujours endurcies sont aussi devenues plus fragiles ; que l’arbre parvenu à sa hauteur, n’a pris depuis long-tems de l’accroissement que dans ses branches, que leur poids & l’effort des vents font enfin casser : l’arbre se couronne, l’humidité des pluies pénetre par toutes les plaies, & pourrit insensiblement le tronc : alors il ne subsiste plus que par le peu de bois qui reste encore uni à l’écorce : il se mine peu-à-peu, la carie gagne enfin le livre, & arrêtant la vie de l’arbre dans sa source, termine insensiblement sa végétation.