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L’Enfant du bordel/tome 1/1

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(p. 1-19).

L’ENFANT
DU
BORDEL.

CHAPITRE PREMIER.





LE fils du potentat comme celui du savetier sont l’ouvrage d’un coup de cul, et tel occupe un trône qui doit la naissance au laquais qui le sert. Grands de ce monde, ne vantez pas si haut votre illustre origine, car moi qui vous parle ; je suis père d’un duc et de deux marquises ; et que suis-je cependant ? l’enfant du bordel.

Ma création fut le coup d’essai d’un page de seize ans, beau comme l’amour, et d’une petite marchande de modes de quinze, fraîche comme la plus jeune des Grâces.

Le comte de B..... mon père, étoit depuis un mois dans les pages du roi. Élevé en province par son père, janséniste outré, il avoit, en arrivant à Versailles, la pudicité d’une Agnès ; mais un mois de la vie de page lui fit perdre sa précieuse innocence ; ses chastes confrères surent si bien l’endoctriner, que quinze jours après son arrivée la théorie de l’amour n’avoit plus rien de nouveau pour lui. Au bout d’un mois de service, il eut deux jours de liberté, et prenant pour compagnon d’armes un de ses camarades plus instruit que lui, il vint à Paris pour mettre en pratique les précieuses leçons que l’on avoit gravées dans son cœur.

Le projet de nos deux étourdis étoit d’abord, d’aller à un bordel situé rue St.-Martin, vis-à-vis la rue Grenier-St.-Lazare : ils arrivèrent par la rue Michel-le-Comte ; déjà ils appercevoient de loin à une des fenêtres du chaste couvent, une ex-beauté qui montroit aux passans les trois quarts de ses flasques tettons qui, repliés et soutenus par un large ruban ; sembloient avoir un air de fraîcheur que démentoit la figure jaune et maigre de la Vénus à vingt-quatre sous par tête. La beauté plâtrée se voyant fixée par deux jeunes gens, leur sourit ; ils y répondent : elle leur fait un signe de tête et quitte la fenêtre ; ils s’élancent, ils vont franchir le seuil de la porte ; tout-à-coup Théodore, c’est le nom de mon père, Théodore, dis-je, retient son camarade… Qui peut les empêcher de satisfaire leur desir ?… qui ? une petite marchande de modes qui est sur le pas de sa boutique.

Imaginez ce que la nature peut former de plus mignard et de plus séduisant, et vous aurez une idée de la jolie Cécile ; quinze ans, de grands cheveux blonds, un de ces minois arrondis qui prolonge l’enfance, même au-delà du terme ordinaire ; petite mais formée, des contours moëlleux, une gorge naissante qu’un double linon voiloit exactement, sans cependant en cacher la forme ; voilà ce que Théodore apperçut du premier coup-d’œil, et ce qui lui fit dédaigner la beauté bannale et ses charmes flétris. Ah ! la charmante créature, s’écria Théodore ! À quel endroit, lui dit son camarade ? — Ici — Cette petite marchande de modes ? — Oui. — En effet, elle n’est pas mal. — Oh ! qu’un aussi aimable enfant doit être délicieux à voir tout nu. — Bah ! souvent ce que cache le linge ne vaut pas la peine d’être vu. — Je suis certain que celle-ci est parfaite de toutes les manières. — Je conçois qu’une jolie petite motte bien brune doit relever encore les charmes de cette jolie blonde. — Moi j’aimerois mieux que cette charmante motte fût blonde. — Je suis certain qu’elle est brune. — Je suis persuadé qu’elle est blonde. — Parions. — Parions. Et voilà nos deux étourdis à parier un déjeûné à discrétion que les appas secrets de Cécile étoient recouverts d’une perruque blonde ; mais comment s’en éclaircir ! Après un instant d’incertitudes l’ami de mon père lui dit : Je m’en rapporte à toi, et je suis certain que tu auras assez de bonne foi pour convenir si tu as perdu. — Parole d’honneur. — En ce cas regarde. Alors sans s’embarrasser des suites, il s’élance auprès de Cécile, la saisit par un pied, la fait tomber moitié dans la boutique et moitié dans la rue ; relève lestement ses jupons presque sur la figure, se sauve et disparoît.

Mon père qui suivoit son ami de près vit des beautés qui devoient faire d’autant plus d’impression sur ses sens et sur son cœur, que c’étoit la première fois que les appas secrets d’une femme étoient offerts à ses yeux. Il vit aussi que son ami avoit deviné juste quant à la couleur de la motte, et que la charmante blonde, loin d’y perdre, y gagnoit au contraire de nouveaux charmes.

Cependant un coup-d’œil avoit suffi à mon père pour faire ses découvertes ; mais l’immobilité de Cécile qui restoit exposée aux regards du peuple l’alarma. Il la recouvrit, elle étoit sans connoissance ; il la prit dans ses bras, la rentra dans la boutique, ferma la porte, et tira les rideaux ; les curieux qui crurent que Théodore étoit de la maison s’éclipsèrent peu-à-peu, et laissèrent mon fortuné père avec sa jolie proie.

L’état de Cécile demandoit de prompts secours ; mon père voulant la desserrer, détacher le voile qui couvroit son sein, Dieux ! quel spectacle pour lui ! une gorge naissante qui auroit pu le disputer en blancheur à la neige, sans la légère teinte rosée qui corrigeoit ce que les lys avoient de trop blanc, et empêchoit qu’on ne les prît pour deux blocs de marbre. Un léger bouton de rose effeuillé l’embellissoit encore.

Théodore oubliant que la jeune beauté avoit plus besoin de secours que de caresses s’amusoit à promener ses mains sur la jolie gorge de Cécile. Oh ! pouvoir de l’attraction. À peine Théodore eut-il chatouillé quelques instans le bouton naissant qu’il avoit sous les yeux, que Cécile tressaille, soupire, et semble revenir à elle ; Théodore redouble, elle ouvre ses grands yeux bleux et les fixe sur mon père ; mais bientôt s’appercevant de son désordre, elle rougit, le repousse doucement, et rajuste ses vêtemens.

Combien votre état m’a inquiété, lui dit mon père d’une voix émue et tremblante. — Monsieur.... — Un mauvais sujet a pensé vous blesser dangereusement, en occasionnant la chûte qui a causé l’évanouissement dont j’ai eu le bonheur de vous tirer. — Je suis bien reconnoissante, monsieur, de vos soins obligeans. — Mais comment se fait-il que vous soyez seule dans cette maison ? — C’est aujourd’hui dimanche, ma mère et mes compagnes sont sorties et je suis seule gardienne de la boutique.

Théodore, certain que des importuns ne l’interrompront pas, commence à conter à Cécile tout ce que lui avoit fait éprouver la vue de ses charmes. La jeune Cécile fut déconcertée de l’éloge brûlant que mon père en fit. Elle ne put cependant refuser un sourire à la délicatesse de ses louanges ; bientôt elle en vint jusqu’à lui avouer qu’elle n’y étoit pas insensible.

Cependant Cécile paroissoit souffrir, Théodore s’informe avec l’accent de l’intérêt, quelle en étoit la cause. Après s’être fait presser quelques instans, elle avoua qu’elle se croyoit les reins un peu écorchés par la chûte qu’elle avoit faite. Théodore lui dit, qu’étant chirurgien, il lui étoit facile d’ordonner les remèdes nécessaires, si elle vouloit lui montrer l’endroit où étoit le mal ; et Cécile de se récrier, et Théodore d’assurer qu’il en avoit assez vu pour que l’on pût sans crainte lui laisser voir le reste : combat de part et d’autre ; enfin Théodore est vainqueur.

La belle passe en rougissant dans l’arrière-boutique, se place dans un coin, pour n’être pas vue de la rue, s’agenouille sur le bord d’une chaise, baisse le haut du corps en avant, et livre le reste au trop heureux Théodore. Ses mains tremblantes soulèvent deux jupons d’une blancheur éblouissante, une chemise plus blanche encore, et découvrent le plus joli petit cul que l’on puisse imaginer. Oh ! M....., si ce cul délicieux eût frappé une seule fois tes regards, tu aurois sans peine renoncé pour lui aux appas masculins de tes Ganimèdes. Peignez-vous une chûte de reins délicieuse, des fesses rebondies sur lesquelles on ne pouvoit appuyer la main sans qu’elle ne fût repoussée par l’élasticité des chairs, deux cuisses moulées et qui alloient en mourant jusqu’à un genouil parfaitement fait, le tout soutenu par une jambe d’une perfection admirable ; recouvrez tous ces appas d’une peau fraîche et veloutée comme celle de la pêche, et vous aurez une idée du cul de Cécile.

Théodore, extasié à la vue de tant de charmes, ne savoit sur lesquels arrêter ses yeux ; d’un côté le cul charmant dont nous venons de parler, un peu plus bas la jolie grotte ombragée de la mousse d’ébène qui fuyoit entre les cuisses d’albâtre de la jeune beauté.

Théodore admiroit ce spectacle enchanteur, lorsque la porte de la boutique s’ouvre brusquement, Cécile reconnoît avec effroi la voix de la vieille Géneviève, servante de la maison. Un mouvement plus prompt que l’éclair fait retomber les jupes de Cécile sur la tête de Théodore, et le couvre tout entier. Géneviève entre, comme Théodore étoit entre la muraille et Cécile. La vieille servante ne put appercevoir le volume qu’il faisoit sous les jupons de la jeune fille.

Le motif du retour de Géneviève étoit son chien. Il avoit aboyé dans l’église pendant tout le salut, et notamment pendant la bénédiction du saint-sacrement. Géneviève le rapportoit en grondant, dans la crainte qu’il ne fût battu par les suisses de la paroisse, qui ont la haute police sur tous les quadrupèdes que le hasard amène dans leur église.

Géneviève en entrant dans l’arrière-boutique, voit Cécile à genoux sur sa chaise ; car elle n’avoit pas quitté cette position. La voilà qui se persuade que Cécile récitoit ses prières. Ah ! la chère demoiselle, grommelle-t-elle entre ses dents… C’est un ange… C’est un ange… Continuez, mon enfant… Continuez. Vous êtes dans la voie du salut, tâchez de ne vous en écarter jamais…
Pigault-Lebrun, L’Enfant du bordel, Tomes 1 et 2, 1800, fig., p. 30. Continuez, vous êtes dans la voye du salut.
Pigault-Lebrun, L’Enfant du bordel, Tomes 1 et 2, 1800, fig., p. 30. Continuez, vous êtes dans la voye du salut.
Oui, ma bonne, dit en syncopant la jolie Cécile. — Restez, mon enfant, dans les dispositions où vous êtes ; je retourne à l’église achever mes prières ; mais j’aurai beau faire, je vois à votre ton pénétré qu’elles ne seront jamais aussi ferventes que les vôtres. Et la vieille Géneviève de regagner en clopinant le dieu de miséricorde qu’elle avoit quitté pour son chien.

Que faisoit Théodore pendant la conversation ? Ses lèvres s’étoient d’abord collées sur deux fesses charmantes. Il avoit voulu déposer aussi un baiser sur le bijou frisé de Cécile ; elle avoit serré le derrière, de manière que sa bouche n’y pouvant atteindre, sa langue avoit machinalement cherché à y pénétrer ; elle avoit trouvé moyen de s’y introduire. Cécile n’osoit pas repousser son agresseur, de peur d’être découverte ; et c’étoient les titillations de cette langue agile qui avoient causé dans les sens de Cécile ce désordre que Géneviève avoit pris pour un élan de dévotion.

À peine Géneviève fut-elle dehors, que Cécile s’arracha aux lèvres amoureuses que les desirs brûlans attachoient sur ses charmes. Elle fut se jeter dans un fauteuil à quelques pas de là, le trop heureux Théodore fut aussitôt à ses genoux. Elle se plaignit avec amertume, de la trahison qu’il lui avoit faite. Il se défendit avec cette éloquence voluptueuse que son émotion rendoit encore plus persuasive. La jeune vierge fut bientôt appaisée ; elle pardonna, et finit par convenir de tout le plaisir qu’elle avoit éprouvé.

Bref, on sentit le besoin de se revoir, et Cécile laissa à Théodore le soin d’en faire naître les occasions.