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L’Hermaphrodite (Le Nismois)/Tome 2/10

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(alias Alphonse Momas)
[s.n.] (Tome 2p. 155-163).
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X


Le mal soulevé par la faute de Marthe était arrêté. Le jugement prononcé, l’abbesse se retira dans sa chambre, se coucha, pour goûter le repos auquel elle avait tant de droits et se préparer aux diverses charges de sa haute position. Sa pensée, sur la limite du sommeil, s’égara vers ce jeune amant dont elle se privait, mais qu’elle savait retrouver au matin dans son cabinet de travail. Elle dormit bien cette nuit.

Rayonnante de jeunesse et de beauté, sur les dix heures, elle apparut aux yeux de son secrétaire, déjà attelé à la besogne. Elle lui tendit la main et lui dit :

— Eh bien, Hugues, t’es-tu reposé ?

— Je n’ai fait qu’un somme et tout le temps je t’ai rêvée.

— Après le travail, nous tâcherons d’effacer le rêve : la réalité est préférable, ne le crois-tu pas ?

— La réalité consacrant le rêve rend la vie trop belle !

— Ne t’en effraye pas, mon mignon.

— Après le déjeuner, lui prenant le bras, elle le conduisit aux fameux jardin des Délices, ce jardin où fauta Izaline et, s’installant sur le banc, près du tabernacle, lui murmura :

— Ici, l’amour seul est le maître : parle-moi du tien et aime-moi ; mon cœur et mes sens ne demandent que ton bonheur.

Il l’enlaça, approcha la bouche de la sienne, leurs lèvres s’unirent dans une chaude caresse.

Minute exquise où l’âme semble prête à quitter le corps, pour aller dans l’infini s’unir à celle de l’aimée ; sensation inoubliable qui rachète tous les tourments de cette terre, mais qui laisse ensuite, hélas trop souvent, le désespoir dans le cœur, le doute dans l’esprit, le chagrin dans l’existence, par les soufflets méchants et pervers qui souvent s’abattent sur les amants.

Il n’en était rien dans ce lieu enchanteur, où une femme adorable sous tous les rapports, pénétrée de l’amour de cet enfant, cherchait, par l’ardeur de ses caresses, à s’assurer l’homme qui se dessinait dans cet enfant, de la vérité, de la tendresse amoureuse.

Et, pourquoi cette vérité se discute-t-elle ? Parce que chacun voit dans l’amour le sacrifice de l’autre et que nul n’y découvre le pacte des individualités s’unissant pour poursuivre le sentiment et la poésie au-delà de l’invisible.

Les lèvres de Josépha et de Maillouchet ne pouvaient plus se quitter ; leurs yeux à demi-clos s’énamouraient ; leur haleine se confondait ; les frissons de la volupté les secouaient ; elle s’abandonna à ses mains, la dépouillant hâtivement de son peu de voiles, et de nouveau nue devant ses regards extasiés, elle le laissa, prostré à ses pieds, se repaître des fougueuses aspirations dont il honorait ses charmes.

Sur le gazon, elle tomba dans ses bras, ils se pressèrent l’un contre l’autre dans l’étreinte de la possession, ils ne se lassaient pas de goûter à la divine ambroisie qu’est la liqueur d’amour.

Les deux corps entrelacés, reposant sur l’herbe, les baisers reprirent de plus belle ; du tabernacle s’éleva un chœur d’amour, un hosannah à la volupté, qui les berça mollement et ensuite les arracha à leur vertige.

Nus, la main dans la main, ils ouvrirent la porte du tabernacle, non plus interdit, et descendirent les marches.

Dans la vaste salle, ornée d’un seul tapis, salle cette fois brillamment éclairée, Maillouchet aperçut debout, sans vêtements, Marthe et Raymonde, entourées par Izaline, Laurette, Eliane, Félicia, Isabelle.

À l’approche de l’abbesse, les deux fillettes se précipitèrent à ses genoux, et les lui baisant, attendirent qu’elles les fit se relever en disant !

— Hugues, pour toi j’ai pardonné à cette petite ingrate ; mais elle doit rester dans le couvent et j’ai décidé qu’elle vivrait, unie à Raymonde, dans ce jardin, pour y apprendre à se développer en grâces et en charmes, en séductions et en savoir, sous la direction de ces jolies déesses. Tu seras le dieu de ce jardin pendant l’absence que je suis obligée de faire, et je veux que mes sœurs et ces enfants y demeurent pour t’aider à supporter le vide momentané que je te causerai. C’est donc avec elles que nous allons vivre ces quelques heures.

L’amour d’Hugues était si profond qu’il murmura :

— Je connais Izaline et aussi Laurette, Felicia et Raymonde, je te remercie, ma noble maîtresse de ce choix paradisiaque. Je te demande de me garder ces quelques heures tout à notre amour, et puis de me permettre de rêver à toi jusqu’à ton retour.

— Comme il te plaira, mignon. Sœur Izaline, tes épreuves sont terminées : tu as été la plus heurtée de nos novices ; tu prononceras tes vœux dans deux mois et tu remplaceras la sœur Espérandie.

— Sœur cloîtrée, s’écria Izaline, se jetant sur la main de l’abbesse pour la baiser.

Celle-ci la reçut dans ses bras et répondit :

— Sœur cloîtrée, et de mes amies ! Je sais que tu ne t’insurgeras jamais contre mes décisions et que tu fus des plus fidèles dans les heures de tristesse dont nous sortons !

Superbement campée sur ses hanches dodues et appétissantes, Laurette enlaçant Eliane, lui dit :

— Adam et le serpent feront la paix en elle.

— Et nous fêterons cette joie, dirent Félicia et Isabelle.

Josépha, poussant une porte, entraîna Maillouchet dans un couloir sombre, et au bout de ce couloir, par un judas, lui montra la crypte où étaient enfermés Espérandie et Antioche.

Le moine, agenouillé devant le lit de la jeune femme, la tête sur les draps, paraissait prier : Espérandie, les reins soutenus par un oreiller, le contemplait de ilence. Elle murmura :

— Antioche, puisque tu quittes le couvent, ta peine est expirée, je solliciterai de le quitter aussi et nous nous marierons dans le monde.

— Cela ne peut-être, ma colombe, je suis de petite bourgeoisie et tu es de haute famille.

— Hors de ces murs, la sœur Espérandie qui aime le frère Antioche et qui souffrit avec lui, restera la sœur Espérandie pour être l’épouse du frère Antioche.

Il lui baisa les mains et elle poussa une légère plainte, Antioche ayant appuyé involontairement sur le bandage appliqué à ses chairs pour les guérir des plaies formées par les épingles.

— Douleur des douleurs, gémit le moine, ma tendresse te coûte un supplice.

— Oh non, mon aimé ! Souffrir par qui on vit, par qui on croit à l’amour, à la volupté, est encore un délice. Je n’ai pas été maîtresse de mes lèvres, elles t’implorent une caresse.

L’abbesse referma le judas, elle mit le bras autour du cou de Maillouchet et lui dit :

— Là aussi, on aime, on s’aime. Aimer, s’aimer, c’est tout le bonheur possible en ce bas monde, enfant. Aime-moi, aime la femme, et sois heureux.

Oui, aimer, s’aimer, vivre dans la volupté, accordée par la femme prêtresse du temple, rien ne saurait égaler les joies de cœur et d’esprit, que provoquent les sens dans l’entente des sexes.

Il n’y a plus d’âge pour les amants dignes de ce titre, l’amour établit les compensations, les voluptés accroissent les forces. Les femmes deviennent impeccablement belles, dès qu’elles sont accueillantes, les hommes conservent leur sève dès qu’ils consentent à s’incliner devant la beauté et la gentillesse des femmes.

Les lèvres de Maillouchet ressaisissaient les lèvres de Josépha,

L’abbesse semblait planer de plus en plus dans un ciel radieux : elle illuminait son amant des rayons lumineux qui auréolaient son visage et son corps ; le jeune homme se sentait enchaîné aux attraits de cette déesse qui, pour la première fois peut-être, vibrait devant un véritable amour mâle. Elle dit dans un soupir qui réunit leur souffle :

— Ah, mon amour, je suis ton aînée, mais si le rôle te revenait et que tu le fûsses de beaucoup, je t’aimerais encore et croirais que le ciel veut nos tendresses et nos félicités.


FIN