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L’Indienne/8

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Ch. Vimont (p. 51--).



CHAPITRE VIII.


Le lendemain, pourtant, la même agitation se soutint chez Julien. Il pensa, après déjeûner, qu’il avait à parler à un de ses amis à Londres, demandant timidement à Anna si elle lui permettait de s’absenter pour le reste du jour. Elle dit que oui avec douceur, et il partit en promettant de revenir le plus tôt qu’il pourrait.

Le soir, personne ; Julien ne vient pas. Il est dix heures, il est onze heures, il n’a pas paru. À minuit on frappe plusieurs coups à la porte : c’est son pas précipité, il entre.

« Quelle nouvelle ! dit-il à Anna. Pardonnez si je reviens tard : l’homme nommé à ma place dans ma province est mort ; il faut procéder à une nouvelle élection ; il était le seul assez adroit et riche là pour m’enlever l’élection. Sans lui je n’ai rien à redouter. Mais on craint à Londres une autre mort qui ne m’arrangerait pas si bien, c’est celle du roi ; il y aurait alors des élections générales qui remuent davantage le pays.

» Mais voyez quelle singulière circonstance ! hier je résiste héroïquement à l’ambition, et quand je viens de refuser l’élection d’un misérable petit bourg, je retrouve ma province et le crédit de mon père !

— Il va falloir vous rendre dans cette province ? dit l’Indienne, qui commençait à prévoir beaucoup de séparations.

— Oui ; mais vous viendrez. Et voyez ! si j’étais nommé par ce bourg, il fallait marcher avec eux. Ma province me laisse libre, car si j’y suis nommé pour mes opinions et le nom de mon père, l’aristocratie y domine ; et comme mon père fut toujours pour les mesures les plus libérales, on aime les grands seigneurs, et la province ne tombe point dans ces manies radicales et absurdes que nous connaissons depuis quelques années.

— Ainsi, Julien, vous ne voulez être ni avec l’opposition, ni avec les torys ?

— Je suis avec l’opposition, mais une opposition digne et savante, telle que l’a l’Angleterre : c’est d’elle que je veux prendre des leçons et mériter l’estime. »

Julien oublie la politique, il retourne à l’Indienne ; le jour suivant il reste près d’elle, plus aimable, plus épris que jamais, lui disant seulement quelquefois :

« Croyez-vous que je serai nommé encore ? Vous intéressez-vous à mes… nos élections ? »

Les journaux disaient que le roi était très-mal. Anna engagea Julien à aller savoir à Londres s’il était mort. Il refusa tendrement de la quitter ; mais cette tendresse ne se soutint pas vingt-quatre heures, et il partit pour Londres.