L’Instant éternel/Mon bien-aimé m’a dit

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E. Sansot et Cie (p. 153-154).


MON BIEN-AIMÉ M’A DIT…


Mon bien-aimé m’a dit : « Je suis ton bien-aimé,
Je te posséderai plus que le sol semé
Ne possède la graine entière,
Et je me répandrai, vaste, sur ton destin,
Ainsi que se répand sur l’odeur du matin
Le voile d’or de la lumière.

Je suis ton bien-aimé… Mon pouvoir est si fort
Que tu dédaigneras le pouvoir de la mort
Tout en me regardant sourire.
Tu fuiras ta maison, tes vieillards et tes lois
Afin de voir monter, dans le calme d’un bois,
Le chêne vert de mon empire.

Je n’ai pas de joyaux pour parer tes cheveux,
Mais tu m’as dit chargé d’un trésor fabuleux
Par le seul lis de ma jeunesse ;
Je suis pauvre et, pourtant, éblouis sont tes yeux
De me voir entouré, dans le jardin des dieux,
Des abeilles de la sagesse…


Je suis ton bien-aimé… Viens, nous nous aimerons,
En nous prenant les doigts, en effleurant nos fronts,
Notre âme en sera tout enfuie…
Nous serons la forêt mêlée à la forêt,
Je serai le grand vent, tu seras le muguet
Et puis, encor, la douce pluie…

Je suis ton bien-aimé… Ton maître sans courroux,
Celui que tu verras, égal, pensif et doux,
Entrer, tous les soirs, dans ta couche,
Celui qui te lia contre lui, sans retour,
Car il fut le premier qui, dans un cri d’amour,
Apprit à ta bouche, la bouche… »