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L’Onanisme (Tissot 1769)/Article 1/Section 3

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SECTION III.


Tableau tiré de l’Onania.


Depuis la publication de cet Ouvrage, j’ai appris, par le canal le plus respectable, que l’on ne devoit pas ajouter une entière créance aux faits de la collection angloise, & que cette raison, quelques calomnies, des obscénités, & la supposition d’un privilège impérial avoient fait prohiber la traduction allemande dans l’Empire. Ces motifs m’auroient déterminé à supprimer tout ce que j’ai tiré de cet Ouvrage, mais quelques considérations m’ont engagé à le conserver sous la modification de cet avis. La première est, que quelques unes de ces raisons ne regardent que l’édition allemande. La seconde, que quoiqu’il puisse s’y trouver quelques faits supposés, & que quelques-uns paroissent même porter ce caractère, il est cependant prouvé que le plus grand nombre n’est que trop vrai. Enfin, une troisieme considération qui m’a décidé, c’est ce que je trouve dans la même lettre de M. Stehelin. J’ai reçu, dit-il, une lettre de M. Hoffman de Mastrich, dans laquelle il me marque avoir vu un masturbateur qui s’étoit déjà attiré une consomption dorsale, qu’il traita sans succès, & qui fut guéri par les remèdes de l’Onania, dont le Docteur Bekkers, à Londres, doit être l’Auteur, & si bien guéri, qu’il est redevenu gros & gras, & qu’il a quatre enfants.

L’Onania anglois est un vrai chaos, l’ouvrage le plus indigeste qui se soit écrit depuis long-tems. On ne peut lire que les observations ; toutes les réflexions de l’Auteur ne sont que des trivialités théologiques & morales. Je ne tirerai de tout cet ouvrage, qui est assez long, qu’un tableau des accidents les plus ordinaires, dont les malades se plaignent : la vivacité, l’expression énergique de la douleur & du repentir qui se trouvent dans un petit nombre de lettres, & qui ne peuvent point se trouver dans l’extrait, ne doivent pas affoiblir l’impression d’horreur que leur lecture inspire, parce que cette impression dépend des faits ; & les lecteurs m’auront l’obligation de leur épargner la lecture d’un bien plus grand nombre d’autres lettres sans tour & sans style. Je rangerai sous six chefs les maux dont se plaignent les malades anglois, en commençant par les plus fâcheux, ceux de l’ame.

1°. Toutes les facultés intellectuelles s’affoiblissent, la mémoire se perd, les idées s’obscurcissent, les malades tombent même quelquefois dans une légère démence, ils ont sans cesse une espece d’inquiétude intérieure, une angoisse continuelle, un reproche de leur conscience, si vif, qu’ils versent souvent des larmes. Ils sont sujets à des vertiges ; tous leurs sens, mais surtout la vue & l’ouïe, s’affoiblissent ; leur sommeil, s’ils peuvent dormir, est troublé par des rêves fâcheux.

2°. Les forces du corps manquent entièrement ; l’accroissement de ceux qui se livrent à ces abominations avant qu’il soit fini, est considérablement dérangé. Les uns ne dorment point du tout, les autres sont dans un assoupissement presque continuel. Presque tous deviennent hypocondriaques ou hystériques, & sont accablés de tous les accidents qui accompagnent ces fâcheuses maladies, tristesse, soupirs, larmes, palpitations, suffocations, défaillances. L’on en a vu cracher des matières calcaires. La toux, la fièvre lente, la consomption sont les châtiments que d’autres trouvent dans leurs propres crimes.

3°. Les douleurs les plus vives sont un autre objet des plaintes des malades ; l’un se plaint de la tête, l’autre de la poitrine, de l’estomac, des intestins, de douleurs de rhumatisme extérieures, quelquefois d’un engourdissement douloureux dans toutes les parties de leur corps, dès qu’on les comprime le plus légèrement.

4°. L’on voit non seulement des boutons au visage, c’est un symptôme des plus communs, mais même de vrais pustules suppurantes sur le visage, dans le nez, sur la poitrine, sur les cuisses ; des démangeaisons cruelles de ces mêmes parties. Un des malades se plaignoit même d’excrescences charnues sur le front.

5°. Les organes de la génération éprouvent aussi leur part des miseres dont ils sont la cause première. Plusieurs malades deviennent incapables d’érection ; chez d’autres, la liqueur séminale se répand au moment du plus léger prurit, & de la plus foible érection, ou dans les efforts qu’ils sont pour aller à la selle. Un grand nombre est attaqué d’une gonorrhée habituelle qui abat entièrement les forces, & dont la matière ressemble souvent, ou à une sanie fœtide, ou à une mucosité sale. D’autres sont tourmentés par des priapismes douloureux. Les dysuries, les stranguries, les ardeurs d’urine, l’affoiblissement de son jet font cruellement souffrir quelques malades. Il y en a qui ont des tumeurs très-douloureuses aux testicules, à la verge, à la vessie, au cordon spermatique. Enfin, ou l’impossibilité du coït, ou la dépravation de la liqueur génitale, rendent stériles presque tous ceux qui se sont livrés longtemps à ce crime.

6°. Les fonctions des intestins sont quelquefois totalement dérangées, & quelques malades se plaignent de constipations opiniâtres, d’autres d’hémorrhoïdes, ou d’un écoulement de matière fœtide par le fondement. Cette dernière observation me rappelle le jeune homme dont parle M. Hoffman, qui, après chaque masturbation, étoit attaqué de la diarrhée, nouvelle cause de la perte de ses forces.