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L’Orbe pâle/Cette nuit, sous la lune, j’avais des ailes

La bibliothèque libre.
Eugène Figuière et Cie (p. 86-87).


CETTE nuit, sous la lune, j’avais des ailes.

Mes pieds ne supportaient plus le contact avec le sol.

Sous la lune j’ai dansé.

Sous la lune, je me suis balancée à une branche de sapin, d’où a fui une chauve-souris.

Sous la lune, j’ai, sans effort, sauté sur les sommets accessibles.

Je ne sentais pas ma chair, pas non plus ma pensée ; j’étais légère, légère, j’avais des ailes.

D’où me venait cette allégresse ?

Un grand bonheur m’était-il donné ?

Une pensée de génie avait-elle libéré ma chair ?

L’attente allait-elle finir ?

D’où me venait cette allégresse ?

Simplement, de ce que j’avais quitté mes longues robes féminines !

Rien n’était venu.

Mais, ô mes voiles de femme, si beaux, si souples et si lumineux, quelle magnifique prison vous êtes ! Quel écrin somptueux, mais quel accablement !

Vous éteignez ma lumière, vous voilez mes formes, vous emprisonnez mes puissances comme l’écrin fait pour les bijoux et les pierres précieuses qu’il renferme, pas plus lumineuses que ma chair sous le soleil ou sous la lune.

Vous vous ouvrez pour une libération.

Cette nuit, sous la lune, j’ai dansé, je me suis balancée à la branche d’un sapin, j’ai sauté sur les sommets.

J’avais des ailes.

Et pourtant c’était encore l’attente.