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L’Orbe pâle/Sous le soleil ardent

La bibliothèque libre.
Eugène Figuière et Cie (p. 3-5).

L’ORBE PALE


SOUS le soleil ardent, tout le jour, la mer palpite et miroite. Les cigales sont sur le sol comme une onde musicale. La rumeur de la Terre égale la rumeur des flots. Seule, mon attente est silencieuse.

La mer est calme sous la lune. L’air est tiède comme une haleine fraîche et juvénile. Tout garde sa couleur qui pâlit. Les branches découpent leurs arabesques sur le ciel bleu, que des étoiles traversent d’un éclair de joie et de mort. Tout se tait. Celle qui n’est jamais silencieuse rythme un clapotis si égal, que ce murmure n’est qu’un vaste silence, un silence qu’on entend.

Parfois, un hibou, pour qui la nuit est le jour, troublé dans sa veille par l’éclat de la lumière comme tout être l’est par l’ombre, — éclat si semblable à celui qui lui impose le sommeil ! — pousse son hululement solitaire, et redevient silencieux. Un oiseau jette un cri d’effroi et un insecte froisse une herbe.

Parce qu’on entend ces choses minimes et gigantesques, on sent que règne le silence. La lune sculpte et colore les ombres, immobiles dans le silence.

Au large, l’Escadre.

Des ombres glissent, marquées au faîte de feux intermittents, sanglants et lunaires. D’autres disparaissent dans la mer, peu à peu, jusqu’à ce que n’émerge plus sur les flots, qu’une pâle lumière haute, semblable au cierge funéraire. Sous l’eau, parmi les naturels monstres sous-marins qui la peuplent, des vies humaines palpitent, s’agitent, conquièrent un monde, pour mieux distribuer, insidieux, la destruction, la mort.

Mais là-bas, que voient-ils ? Mes yeux attentifs fixent ce qu’ils voient. Les vaisseaux-fantômes se multiplient et se précipitent. Où ? Pourquoi ? Mon ignorance s’angoisse. Et de leurs ombres silencieuses glissant sur la mer lunaire et dans le grand silence universel, jaillit un fantastique éclair de feu. Après un silence approfondi, qui fait plus tragique le silence universel, l’air, après l’eau, est déchiré par le bruit sourd et formidable de l’obus stérile.

Je sais que le hibou, l’oiseau, l’insecte et tout ce que j’ignore, ont frémi comme ma maison ouverte sur le silence et comme moi-même qui toujours attend l’impossible… l’impossible, mais pas cela :

Dans la paix de la nature, l’inutile guerre humaine.