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L’astronomie, poème en six chants/Préface

La bibliothèque libre.
F. Didot frères (p. I-X).


PRÉFACE
DE L’ÉDITEUR.


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À la séance annuelle de l’Institut, du 24 avril 1825, M. le comte Daru lut un discours en vers sur les Facultés de l’Homme. De hautes pensées, de nobles sentiments exprimés avec précision, élégance et dignité, excitèrent dans l’assemblée des applaudissements unanimes. On remarqua surtout les vers suivants relatifs aux progrès de l’astronomie :


              … Ah ! toutes ces conquêtes,
Que l’art fit dans les cieux suspendus sur nos têtes,
Ont enflé mon orgueil et m’ont anéanti.
Autrefois pour nous seuls, de l’Orient sorti,

Le soleil chaque jour, fidèle à sa carrière,
Nous portait en tribut sa féconde lumière :
La terre était l’amour, le chef-d’œuvre des cieux.
Aujourd’hui ce soleil, cet époux radieux,
N’est qu’un point immobile ; et, sans être aperçue,
La terre autour de lui nage dans l’étendue.
Dix globes inégaux, dans leur course emportés,
Du souverain des cieux reçoivent les clartés,
Et la fille d’Herschell décrit son orbe immense
Loin des torrents de flamme où Mercure s’élance.
………… (Le soleil) ce superbe géant,
Quel est-il ? une étoile, un atome, un néant :
Invisible, perdu dans l’étendue immense,
Pour les mondes lointains il n’a pas d’existence ;
Pour eux il se confond dans ces pâles vapeurs
Que nous offrent des cieux les vastes profondeurs,
Et qu’à l’aide de l’art, présent de Galilée,
L’œil croit apercevoir dans la voûte étoilée.
Eh ! que peut être auprès de ce roi glorieux,
Qui lui-même s’éteint dans l’abîme des cieux,
Un satellite obscur, un amas de poussière
Qui reçoit tout de lui, la vie et la lumière ?
……………………………………………………
Si de nous ce flambeau retirait sa clarté,
Notre globe à l’instant stérile, inhabité,

 
Couvert de noirs frimas et de voiles funèbres,
Roulerait engourdi dans l’horreur des ténèbres.
Déjà de la chaleur le partage inégal,
De l’un et l’autre pôle aux bords du Sénégal,
Ne laisse entre la glace et la brûlante arène
Qu’une zone habitable à la nature humaine,
Et le roi de ce monde, à l’empire appelé,
Des trois parts de la terre est lui-même exilé.
Et ce serait pour lui que si loin de sa vue
Roulerait de soleils une foule inconnue !
L’atome se croirait, dans son illusion,
Le chef-d’œuvre et la fin de la création !
………………………………………………

Après cette lecture, l’illustre auteur de l’Exposition du Système du monde vint des premiers féliciter M. Daru sur le succès qu’il avait obtenu. « Un homme, lui dit-il, qui fait si bien les vers didactiques, devrait nous donner un poème sur l’astronomie. Dans ce siècle, où tous les esprits tendent vers l’étude des choses positives, la littérature semble appelée à parcourir une carrière nouvelle. Son rôle est de populariser les sciences, de les présenter dépouillées des formes qui les rendent inaccessibles à un si grand nombre d’intelligences. Nous demandons seulement que l’on en parle avec une scrupuleuse exactitude. » — « Voilà pour moi la grande difficulté, » reprit M. Daru ; « la moitié de ma vie a été consacrée à l’étude des lettres, l’autre moitié s’est passée au milieu des affaires : entre les deux il n’y a pas eu de place pour les mathématiques. » — « Essayez toujours, nous vous aiderons, » fut la réponse de M. de La Place.

Cet appel de la science à la poésie, ce choix flatteur du premier de nos savants, s’adressaient à un esprit capable d’y répondre. Dès ce moment, et pendant quatre années, M. Daru, avec cette ardeur infatigable qu’il porta dans les travaux si divers dont sa vie a été remplie, étudia son sujet, l’examina sous toutes ses faces, ne s’arrêtant que là où les géomètres, à l’appui de leurs démonstrations, appellent le secours d’une analyse élevée, instrument qu’il ne possédait pas. Le cercle dans lequel il s’était renfermé ne laissait pas d’être encore fort étendu.

Commencer des études nouvelles, et de leur nature assez abstraites, à un âge où d’ordinaire l’on n’apprend plus, tenter de reproduire dans une langue qui vit presque entièrement de figures, qui personnifie tout, et qui semble le domaine exclusif des ouvrages de l’imagination, ces vérités que la prose la plus claire ne permet pas toujours de concevoir sans efforts, concilier les exigences de la poésie et celles de la science ; c’était là sans doute une entreprise mesurée au besoin de travail qui dominait M. Daru : elle eût été capable d’effrayer un esprit moins persévérant. Si l’astronomie semble, au premier coup-d’œil, par la grandeur de son objet favorable aux inspirations de la poésie, elle offre aussi de grandes difficultés dans l’exposé fidèle de ses phénomènes, de la monotonie dans les répétitions qu’elle exige, lorsqu’après avoir indiqué la grosseur d’une planète, sa place, ses mouvements, ses satellites, il faut nécessairement revenir sur les mêmes particularités pour les autres astres assujettis aux mêmes lois ; on conçoit enfin avec quelle peine un auteur parvient à faire entrer dans ses vers quelques-uns de ces termes consacrés par la science, que les périphrases ne remplacent qu’imparfaitement, et dont s’effarouchent trop souvent l’harmonie de notre poésie, la délicatesse de notre oreille ou la susceptibilité de notre langue.

Ces considérations n’arrêtèrent pas M. Daru. Au mois d’avril 1827 il avait déjà terminé les deux premiers chants de son poème ; il voulut alors pressentir en quelque sorte le goût, l’opinion du public, et récita quelques fragments de son second chant dans une des séances de l’Académie Française. L’essai fut heureux. Non-seulement on s’accorda à trouver de la grâce, de la variété dans le style, des détails techniques poétiquement rendus, mais on sut gré à l’auteur d’avoir mis dans la bouche d’Orphée ces traditions mythologiques, ces explications bizarres de la sphère céleste, imaginées par l’antiquité, et qu’il ne pouvait pas sérieusement rapporter lui-même. L’interlocuteur qu’il a choisi était libre au contraire de les présenter avec toutes les richesses que la poésie emprunte à la fable, sans sortir de la vraisemblance même épique ; ces souvenirs lui étaient naturels aussi bien que la langue dans laquelle il les exprimait. M. Daru reçut les compliments empressés de tous ses amis, et ce premier succès l’encouragea à continuer son ouvrage.

Il l’avait entièrement terminé, lorsqu’une mort aussi cruelle qu’imprévue est venue le frapper subitement au sein de sa famille consternée, et l’enlever en peu d’instants aux lettres, qui charmèrent dans tous les temps les rares loisirs de son existence politique. Il comptait, retiré à la campagne pendant les derniers mois de l’année, revoir avec soin et dans ses moindres détails le poème qu’il allait livrer à l’impression ; et la pureté, l’élégance ordinaire de son style, ne permettent pas de douter qu’il n’en eût fait entièrement disparaître les taches qui pouvaient encore le déparer. L’éditeur ne se flatte pas d’un pareil succès ; mais aidé, soutenu par les conseils de quelques amis de l’auteur, il a trouvé dans leur goût, dans le zèle bienveillant dont ils lui ont donné une preuve si touchante, les lumières dont il n’était pas suffisamment pourvu.

Il ose espérer que ce poème, auquel on doit regretter seulement que l’auteur n’ait pu mettre la dernière main, ne renfermera aucune infraction aux enseignements de la science. M. Daru l’avait soumis à plusieurs reprises à l’examen de nos plus célèbres astronomes, parmi lesquels il eut le bonheur de compter des amis. Après s’être instruit à leurs leçons, dont il se montra l’auditeur le plus assidu, il appela leur critique sur son ouvrage, et les entendit plus d’une fois, non sans quelque plaisir, manifester leur surprise du peu d’erreurs qu’ils trouvaient à relever. « Mon livre, disait-il souvent, n’aura peut-être pas beaucoup d’attrait pour le public ; mais du moins il ne contient pas d’hérésie, il est orthodoxe. » Et sa reconnaissance se plaisait à rappeler avec quelle bienveillance ses illustres maîtres avaient bien voulu l’aider de leurs conseils, l’encourager par leurs suffrages, et lui faire goûter une récompense anticipée de ses travaux en l’admettant au sein de cette Académie, où toutes les sciences viennent se réunir, et dont il s’enorgueillissait, à si juste titre, de faire partie.

Puisse se réaliser le vœu le plus cher de l’auteur ! puisse son ouvrage contribuer à rendre plus général le goût de ces nobles sciences dont l’étude est si favorable aux méditations philosophiques, et qui nous font sentir si vivement, et la faiblesse des moyens matériels qui sont en notre pouvoir, et les puissantes ressources de notre esprit. L’astronomie, dit Bailly, par la grandeur de son objet, par le nombre, par l’étendue de ses découvertes, est de toutes les sciences peut-être, celle qui donne le mieux la mesure de l’intelligence de l’homme et la preuve de ce qu’il peut faire avec du temps et de la persévérance…… Elle nous a montré ces espaces énormes où nos pensées aiment à se plonger et à se perdre. En agrandissant l’univers elle a agrandi l’idée de l’Être suprême ; elle a étendu notre esprit qui, trop resserré sur ce globe, aime à s’égarer de sphère en sphère, et à mesurer du moins par l’imagination cet espace immense dans lequel l’homme n’occupe qu’un point imperceptible… Les observateurs recueillent ; les faits s’accumulent, comme les matériaux d’un édifice, et attendent l’homme de génie qui doit être l’architecte du monde.


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