L’homme sur le retour

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L’HOMME SUR LE RETOUR1.
(1676.)

Tircis, le bel âge nous laisse ;
Allons chercher une maîtresse
Qui se contente, en ses amants,
De vertus au lieu d’agréments ;
Allons chercher la femme forte ;
Mais en est-il de cette sorte ?
On la cherchoit en vain, dit-on,
Du temps même de Salomon.
S’il n’est de ces femmes divines,
Il est de folles héroïnes
À qui d’illustres visions
Tiendront lieu de perfections :
L’une est folle de la vaillance,
L’autre est folle de la science,
Et court après les beaux esprits,
Par le charme de leurs écrits.
Telle est si folle de sagesse,
Qu’elle en méprise la jeunesse,
Et se fait une vanité
De plaire à notre gravité.
Il est vrai que cette chimère
N’est pas aux femmes ordinaire,
Et qu’on leur voit des appétits
Rarement pour les cheveux gris ;
Mais leur incertaine nature,
Pour nous rompre toute mesure,
A le caprice, quelquefois,
D’aimer sagesse, honneur et lois.
Une impertinente adorable
Écoutera de vieux mortels,
Qui vont révérer ses autels ;
Et quelque sotte inexorable,
Pensant donner à ses appas
La gloire de notre trépas,
Nous laissera goûter ses charmes
Sans qu’il nous en coûte des larmes.
Il est mille chemins ouverts
Pour arriver à leurs travers ;
Mais laissons la galanterie
Pour une jeunesse fleurie,
Et n’espérons pas, étant vieux,
De gagner le cœur par les yeux.
Que l’esprit soit notre conquête ;
Tâchons d’assujettir la tête,
Et qu’un ascendant de raison
Tienne la leur comme en prison.
Si je trouvois une Lucrèce,
Capable d’un peu de tendresse,
J’accorderois, avec plaisir,
Son honneur avec mon désir ;
J’entretiendrais, en sa belle âme,
La douceur d’une honnête flamme ;
Et les intérêts de son cœur,
Ménagés avec sa pudeur,
Feroient voir au monde une prude,
Sans rien de trop doux ni de rude.
Mais, dieux ! quelle espèce d’amour !
Ô triste et malheureux retour !
Qu’il te faut d’art avec des belles
Que tu veux tendres et cruelles !
Que d’art à vaincre des rigueurs !
Que d’art à borner les faveurs !
Que d’art à trouver la tendresse,
Sans intéresser la Lucrèce !
Encor, ce mal seroit léger,
N’étoit qu’on ne peut plus changer.
Adieu, pour jamais je vous quitte,
Agréable légèreté ;
J’entre dans la saison maudite,
Où la triste fidélité
N’a rien qu’un ennuyeux mérite,
Dont on est bientôt dégoûté.



NOTES DE L’ÉDITEUR

1. Cette pièce de vers est évidemment des premiers temps de la liaison de Saint-Évremond avec la duchesse Mazarin.