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La Chanson française du XVe au XXe siècle/Surgite mortui

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La Chanson française du XVe au XXe siècle, Texte établi par Jean GillequinLa Renaissance du livre (p. 251-253).


SURGITE MORTUI


Couplets chantés à un déjeuner dont tous les convives
avaient tenté ou médité le suicide.


    Vous, qui mourez à tout propos,
        Et six fois par semaine,
        Çà reprenez haleine :
    Le dimanche est jour de repos.
            Sortis de terre
            Par un mystère,
Morts, buvons frais : le suicide altère ;
    Déjeunons encor, puis mourons…
    Mourons de rire, ou bien courons
Nous pendre ailleurs… à des bras blancs et ronds.
        Surgite, pour me suivre,
        Mortui, qu’on s’enivre ;
Le verre en main, essayons de revivre !

    Bien qu’aux mansardes logés tous,
        L’Espérance nous reste,
        Habitante céleste,
    De plain-pied entre chez nous.
            Sous la tutelle
            De l’immortelle
Marchons unis : Encor un jour, dit-elle ;
    Demain les roses fleuriront,
    Demain les vignes mûriront,
Demain vos Christs du tombeau sortiront.
        Surgite, pour me suivre,
        Mortui, qu’on s’enivre ;
Le verre en main, essayons de revivre !

    Roucoulant d’amour sous un toit,
        Vrai cœur de tourterelle,

        Quand tu mourais pour elle,
    Ami, Claire vivait pour toi :
            Magicienne
            Aérienne,
De sa fenêtre elle lorgnait la tienne,
    Et, par les fentes du volet,
    Vers ton front sous le pistolet,
De ses doigts blancs un baiser s’envolait.
        Surgite, pour me suivre,
        Mortui, qu’on s’enivre ;
Le verre en main, essayons de revivre !

    Point de blasphèmes : autant vaut
        Aboyer à la lune.
        La Gloire et la Fortune
    Ont fait leurs nids d’aigle bien haut ;
            Mais, en campagne,
            Sur la montagne,
Jeunes chasseurs, si le sommeil vous gagne,
    Qu’au voisin glacé par le vent
    Un camarade bon vivant
Tende sa gourde et répète : En avant !
        Surgite, pour me suivre,
        Mortui, qu’on s’enivre ;
Le verre en main, essayons de revivre !

    J’ai quelque droit, vous le sentez,
        De prêcher sur ce thème ;
        J’en suis au quatrième
    De mes suicides tentés.
            En vain je blâme,
            Ce siècle infâme ;
En vain cent fois j’ai dit : Partez, mon âme !
    Que Dieu seul la pousse dehors ;
    Rose y tient : je garde mon corps ;
Ses jolis yeux font revenir les morts.
        Surgite, pour me suivre,
        Mortui, qu’on s’enivre :
Le verre en main, essayons de revivre !


    Suicide, monstre odieux,
        Devant notre eau bénite
        Rentre aux enfers bien vite…
    Mais il vient et sur nous, grands Dieux !
            Frelon morose,
            Il se repose :
Pour le chasser, prenons le schall de Rose.
    Les enfants nés dans ce repas
    D’une rasade et d’un faux pas
Vivront cent ans, et ne se tueront pas !
        Surgite, pour me suivre,
        Mortui, qu’on s’enivre ;
Le verre en main, essayons de revivre !

Hégésippe Moreau.