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La Chasse-galerie (recueil)/Macloune

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MACLOUNE

I



BIEN qu’on lui eût donné, au baptême, le prénom de Maxime, tout le monde au village l’appelait Macloune.

Et tout cela, parce que sa mère, Marie Gallien, avait un défaut d’articulation qui l’empêchait de prononcer distinctement son nom. Elle disait Macloune au lieu de Maxime et les villageois l’appelaient comme sa mère.

C’était un pauvre hère qui était né et qui avait grandi dans la plus profonde et dans la plus respectable misère.

Son père était un brave batelier qui s’était noyé, alors que Macloune était encore au berceau, et la mère avait réussi tant bien que mal, en allant en journée à droite et à gauche, à traîner une pénible existence et à réchapper la vie de son enfant qui était né rachitique et qui avait vécu et grandi, en dépit des prédictions de toutes les commères des alentours.

Le pauvre garçon était un monstre de laideur. Mal fait au possible, il avait un pauvre corps malingre auquel se trouvaient tant bien que mal attachés de longs bras et de longues jambes grêles qui se terminaient par des pieds et des mains qui n’avaient guère semblance humaine. Il était bancal, boiteux, tortu-bossu comme on dit dans nos campagnes, et le malheureux avait une tête à l’avenant : une véritable tête de macaque en rupture de ménagerie. La nature avait oublié de le doter d’un menton, et deux longues dents jaunâtres sortaient d’un petit trou circulaire qui lui tenait lieu de bouche, comme des défenses de bête féroce. Il ne pouvait pas mâcher ses aliments et c’était une curiosité que de le voir manger.

Son langage se composait de phrases incohérentes et de sons inarticulés qu’il accompagnait d’une pantomime très expressive. Et il parvenait assez facilement à se faire comprendre, même de ceux qui l’entendaient pour la première fois.

En dépit de cette laideur vraiment repoussante et de cette difficulté de langage, Macloune était adoré par sa mère et aimé de tous les villageois.

C’est qu’il était aussi bon qu’il était laid, et il avait deux grands yeux bleus qui vous fixaient comme pour vous dire :

― C’est vrai ! je suis bien horrible à voir, mais tel que vous me voyez, je suis le seul support de ma vieille mère malade et, si chétif que je sois, il me faut travailler pour lui donner du pain.

Et pas un gamin, même les plus méchants, aurait osé se moquer de sa laideur ou abuser de sa faiblesse.

Et puis, on le prenait en pitié parce que l’on disait au village qu’une sauvagesse avait jeté un sort à Marie Gallien, quelques mois avant la naissance de Macloune. Cette sauvagesse était une faiseuse de paniers qui courait les campagnes et qui s’enivrait, dès qu’elle avait pu amasser assez de gros sous pour acheter une bouteille de whiskey ; et c’était alors une orgie qui restait à jamais gravée dans la mémoire de ceux qui en étaient témoins. La malheureuse courait par les rues en poussant des cris de bête fauve et en s’arrachant les cheveux. Il faut avoir vu des Sauvages sous l’influence de l’alcool pour se faire une idée de ces scènes vraiment infernales. C’est dans une de ces occasions que la sauvagesse avait voulu forcer la porte de la maisonnette de Marie Gallien et qu’elle avait maudit la pauvre femme, à demi-morte de peur, qui avait refusé de la laisser entrer chez elle.

Et l’on croyait généralement au village que c’était la malédiction de la sauvagesse qui était la cause de la laideur de ce pauvre Macloune. On disait aussi, mais sans l’affirmer catégoriquement, qu’un quéteux de St-Michel de Yamaska qui avait la réputation d’être un peu sorcier, avait jeté un autre sort à Marie Gallien parce que la pauvre femme n’avait pu lui faire l’aumône, alors qu’elle était elle-même dans la plus grande misère, pendant ses relevailles, après la naissance de son enfant.


II


Macloune avait grandi en travaillant, se rendant utile lorsqu’il le pouvait et toujours prêt à rendre service, à faire une commission, ou à prêter la main lorsque l’occasion se présentait. Il n’avait jamais été à l’école et ce n’est que très tard, à l’âge de treize ou quatorze ans, que le curé du village lui avait permis de faire sa première communion. Bien qu’il ne fût pas ce que l’on appelle un simple d’esprit, il avait poussé un peu à la diable et son intelligence qui n’était pas très vive n’avait jamais été cultivée. Dès l’âge de dix ans, il aidait déjà sa mère à faire bouillir la marmite et à amasser la provision de bois de chauffage pour l’hiver. C’était généralement sur la grève du St-Laurent qu’il passait des heures entières à recueillir les bois flottants qui descendaient avec le courant pour s’échouer sur la rive.

Macloune avait développé de bonne heure un penchant pour le commerce et le brocantage et ce fut un grand jour pour lui, lorsqu’il put se rendre à Montréal pour y acheter quelques articles de vente facile, comme du fil, des aiguilles, des boutons, qu’il colportait ensuite dans un panier avec des bonbons et des fruits. Il n’y eut plus de misère dans la petite famille à dater de cette époque, mais le pauvre garçon avait compté sans la maladie qui commença à s’attaquer à son pauvre corps déjà si faible et si cruellement éprouvé.

Mais Macloune était brave, et il n’y avait guère de temps qu’on ne l’aperçut sur le quai, au débarcadère des bateaux à vapeur, les jours de marché, ou avant et après la grand’messe, tous les dimanches et fêtes de l’année. Pendant les longues soirées d’été, il faisait la pêche dans les eaux du fleuve, et il était devenu d’une habileté peu commune pour conduire un canot, soit à l’aviron pendant les jours de calme, soit à la voile lorsque les vents étaient favorables. Pendant les grandes brises du nord-est, on apercevait parfois Macloune seul, dans son canot, les cheveux au vent, louvoyant en descendant le fleuve ou filant vent arrière vers les îles de Contrecœur.

Pendant la saison des fraises, des framboises et des bluets il avait organisé un petit commerce de gros qui lui rapportait d’assez beaux bénéfices. Il achetait ces fruits des villageois pour aller les revendre sur les marchés de Montréal. C’est alors qu’il fit la connaissance d’une pauvre fille qui lui apportait ses bluets de la rive opposée du fleuve, où elle habitait, dans la concession de la Petite Misère.


III


La rencontre de cette fille fut toute une révélation dans l’existence du pauvre Macloune. Pour la première fois il avait osé lever les yeux sur une femme et il en devint éperdument amoureux.

La jeune fille, qui s’appelait Marie Joyelle, n’était ni riche, ni belle. C’était une pauvre orpheline maigre, chétive, épuisée par le travail, qu’un oncle avait recueillie par charité et que l’on faisait travailler comme une esclave en échange d’une maigre pitance et de vêtements de rebut qui suffisaient à peine pour la couvrir décemment. La pauvrette n’avait jamais porté de chaussures de sa vie et un petit châle noir à carreaux rouges servait à lui couvrir la tête et les épaules.

Le premier témoignage d’affection que lui donna Macloune fut l’achat d’une paire de souliers et d’une robe d’indienne à ramages, qu’il apporta un jour de Montréal et qu’il offrit timidement à la pauvre fille, en lui disant, dans son langage particulier :

― Robe, mam’selle, souliers, mam’selle. Macloune achète ça pour vous. Vous prendre, hein ?

Et Marie Joyelle avait accepté simplement devant le regard d’inexprimable affection dont l’avait enveloppée Macloune en lui offrant son cadeau.

C’était la première fois que la pauvre Marichette, comme on l’appelait toujours, se voyait l’objet d’une offrande qui ne provenait pas d’un sentiment de pitié. Elle avait compris Macloune, et sans s’occuper de sa laideur et de son baragouinage, son cœur avait été profondément touché.

Et à dater de ce jour-là, Macloune et Marichette s’aimèrent, comme on s’aime lorsqu’on a dix-huit ans, oubliant que la nature avait fait d’eux des êtres à part qu’il ne fallait même pas penser à unir par le mariage.

Macloune dans sa franchise et dans sa simplicité raconta à sa mère ce qui s’était passé, et la vieille Marie Gallien trouva tout naturel que son fils eût choisi une bonne amie et qu’il pensât au mariage.

Tout le village fut bientôt dans le secret, car le dimanche suivant Macloune était parti de bonne heure dans son canot pour se rendre à la Petite Misère dans le but de prier Marichette de l’accompagner à la grand’messe à Lanoraie. Et celle-ci avait accepté sans se faire prier, trouvant la demande absolument naturelle puisqu’elle avait accepté Macloune comme son cavalier en recevant ses cadeaux.

Marichette se fit belle pour l’occasion. Elle mit sa robe à ramages et ses souliers français ; il ne lui manquait plus qu’un chapeau à plumes comme en portaient les filles de Lanoraie, pour en faire une demoiselle à la mode. Son oncle, qui l’avait recueillie, était un pauvre diable qui se trouvait à la tête d’une nombreuse famille et qui ne demandait pas mieux que de s’en débarrasser en la mariant au premier venu ; et autant, pour lui, valait Macloune qu’un autre.

Il faut avouer qu’il se produisit une certaine sensation, dans le village, lorsque sur le troisième coup de la grand’messe Macloune apparut donnant le bras à Marichette. Tout le monde avait trop d’affection pour le pauvre garçon pour se moquer de lui ouvertement, mais on se détourna la tête pour cacher des sourires qu’on ne pouvait supprimer entièrement.

Les deux amoureux entrèrent dans l’église sans paraître s’occuper de ceux qui s’arrêtaient pour les regarder, et allèrent se placer à la tête de la grande allée centrale, sur des bancs de bois réservés aux pauvres de la paroisse.

Et là, sans tourner la tête une seule fois, et sans s’occuper de l’effet qu’ils produisaient, ils entendirent la messe avec la plus grande piété.

Ils sortirent de même qu’ils étaient entrés, comme s’ils eussent été seuls au monde et ils se rendirent tranquillement à pas mesurés, chez Marie Gallien où les attendait le dîner du dimanche.

― Macloune a fait une « blonde ! » Macloune va se marier !

― Macloune qui fréquente la Marichette !

Et les commentaires d’aller leur train parmi la foule qui se réunit toujours à la fin de la grand’messe, devant l’église paroissiale, pour causer des événements de la semaine.

― C’est un brave et honnête garçon, disait un peu tout le monde, mais il n’y avait pas de bon sens pour un singe comme lui, de penser au mariage.

C’était là le verdict populaire !

Le médecin qui était célibataire et qui dînait chez le curé tous les dimanches, lui souffla un mot de la chose pendant le repas, et il fut convenu entre eux qu’il fallait empêcher ce mariage à tout prix. Ils pensaient que ce serait un crime de permettre à Macloune malade, infirme, rachitique et difforme comme il l’était, de devenir le père d’une progéniture qui serait vouée d’avance à une condition d’infériorité intellectuelle et de décrépitude physique. Rien ne pressait cependant et il serait toujours temps d’arrêter le mariage lorsqu’on viendrait mettre les bans à l’église.

Et puis ! ce mariage ; était-ce bien sérieux, après tout ?


IV


Macloune qui ne causait guère que lorsqu’il y était forcé par ses petites affaires, ignorait tous les complots que l’on tramait contre son bonheur. Il vaquait à ses occupations selon son habitude, mais chaque soir, à la faveur de l’obscurité, lorsque tout reposait au village, il montait dans son canot et traversait à la « Petite-Misère », pour y rencontrer Marichette qui l’attendait sur la falaise afin de l’apercevoir de plus loin. Si pauvre qu’il fût, il trouvait toujours moyen d’apporter un petit cadeau à sa bonne amie : un bout de ruban, un mouchoir de coton, un fruit, un bonbon qu’on lui avait donné et qu’il avait conservé, quelques fleurs sauvages qu’il avait cueillies dans les champs ou sur les bords de la grande route. Il offrait cela avec toujours le même :



Elle l’attendait, sur la falaise afin de l’apercevoir de plus loin.


― Bôjou Maïchette !

― Bonjour Macloune !

Et c’était là toute leur conversation. Ils s’asseyaient sur le bord du canot que Macloune avait tiré sur la grève et ils attendaient là, quelquefois pendant une heure entière, jusqu’au moment où une voix de femme se faisait entendre de la maison.

― Marichette ! oh ! Marichette !

C’était la tante qui proclamait l’heure de rentrer pour se mettre au lit.

Les deux amoureux se donnaient tristement la main en se regardant fixement, les yeux dans les yeux et :

― Bôsoi Maïchette !

― Bonsoir Macloune !

Et Marichette rentrait au logis et Macloune retournait à Lanoraie.

Les choses se passaient ainsi depuis plus d’un mois, lorsqu’un soir Macloune arriva plus joyeux que d’habitude.

― Bôjou Maïchette !

― Bonjour Macloune !

Et le pauvre infirme sortit de son gousset une petite boîte en carton blanc d’où il tira un jonc d’or bien modeste qu’il passa au doigt de la jeune fille.

― Nous autres, mariés à Saint-Michel. Hein ! Maïchette !

― Oui, Macloune ! quand tu voudras.

Et les deux pauvres déshérités se donnèrent un baiser bien chaste pour sceller leurs fiançailles.

Et ce fut tout.

Le mariage étant décidé pour la Saint-Michel, il n’y avait plus qu’à mettre les bans à l’église. Les parents consentaient au mariage et il était bien inutile de voir le notaire pour le contrat, car les deux époux commenceraient la vie commune dans la misère et dans la pauvreté. Il ne pouvait être question d’héritage, de douaire et de séparation ou de communauté de biens.

Le lendemain, sur les quatre heures de relevée, Macloune mit ses habits des dimanches et se dirigea vers le presbytère où il trouva le curé qui se promenait dans les allées de son jardin, en récitant son bréviaire.

― Bonjour Maxime !

Le curé seul, au village, l’appelait de son véritable prénom.

― Bôjou mosieur curé !

― J’apprends, Maxime, que tu as l’intention de te marier.

― Oui ! mosieur curé !

― Avec Marichette Joyelle de Contrecœur ?

― Oui ! mosieur curé.

― Il n’y faut pas penser, mon pauvre Maxime. Tu n’as pas les moyens de faire vivre une femme. Et ta pauvre mère, que deviendrait-elle sans toi pour lui donner du pain !

Macloune, qui n’avait jamais songé qu’il put y avoir des objections à son mariage, regarda le curé d’un air désespéré, de cet air d’un chien fidèle qui se voit cruellement frappé par son maître sans comprendre pourquoi on le maltraite ainsi.

― Eh non ! mon pauvre Maxime, il n’y faut pas penser. Tu es faible, maladif. Il faut remettre cela à plus tard, lorsque tu seras en âge.

Macloune atterré ne pouvait pas répondre. Le respect qu’il avait pour le curé l’en aurait empêché, si un sanglot qu’il ne put comprimer, et qui l’étreignait à la gorge, ne l’eut mis dans l’impossibilité de prononcer une seule parole.

Tout ce qu’il comprenait, c’est qu’on allait l’empêcher d’épouser Marichette et dans sa naïve crédulité il considérait l’arrêt comme fatal. Il jeta un long regard de reproche sur celui qui sacrifiait ainsi son bonheur, et sans songer à discuter le jugement qui le frappait si cruellement, il partit en courant vers la grève qu’il suivit, pour rentrer à la maison, afin d’échapper à la curiosité des villageois qui l’auraient vu pleurer. Il se jeta dans les bras de sa mère qui ne comprenait rien à sa peine. Le pauvre infirme sanglota ainsi pendant une heure et aux questions réitérées de sa mère ne put que répondre :

― Mosieur curé veut pas moi marier Maïchette. Moi mourir, maman !

Et c’est en vain que la pauvre femme, dans son langage baroque, tenta de le consoler. Elle irait elle-même voir le curé et lui expliquerait la chose. Elle ne voyait pas pourquoi on voulait empêcher son Macloune d’épouser celle qu’il aimait.


V


Mais Macloune était inconsolable. Il ne voulut rien manger au repas du soir et aussitôt l’obscurité venue, il prit son aviron et se dirigea vers la grève, dans l’intention de traverser à la Petite Misère pour y voir Marichette.

Sa mère tenta de le dissuader car le ciel était lourd, l’air était froid et de gros nuages roulaient à l’horizon. On allait avoir de la pluie et peut-être du gros vent. Mais Macloune n’entendit point ou fit semblant de ne pas comprendre les objections de sa mère. Il l’embrassa tendrement en la serrant dans ses bras et sautant dans son canot, il disparut dans la nuit sombre.

Marichette l’attendait sur la rive à l’endroit ordinaire. L’obscurité l’empêcha de remarquer la figure bouleversée de son ami et elle s’avança vers lui avec la salutation accoutumée :

― Bonjour Macloune !

― Bôjou Maïchette !

Et la prenant brusquement dans ses bras, il la serra violemment contre sa poitrine en balbutiant des phrases incohérentes entrecoupées de sanglots déchirants :

― Tu sais Maïchette… Mosieu Curé veut pas nous autres marier… to pauvre, nous autres… to laid, moi… to laid… to laid, pour marier toi… moi veux plus vivre… moi veux mourir.

Et la pauvre Marichette, comprenant le malheur terrible qui les frappait, mêla ses pleurs aux plaintes et aux sanglots du malheureux Macloune.



Ils se tenaient embrassés dans la nuit noire


Et ils se tenaient embrassés dans la nuit noire, sans s’occuper de la pluie qui commençait à tomber à torrents et du vent froid du nord qui gémissait dans les grands peupliers qui bordent la côte.

Des heures entières se passèrent. La pluie tombait toujours ; le fleuve agité par la tempête était couvert d’écume et les vagues déferlaient sur la grève en venant couvrir, par intervalle, les pieds des amants qui pleuraient et qui balbutiaient des lamentations plaintives en se tenant embrassés.

Les pauvres enfants étaient trempés par la pluie froide, mais ils oubliaient tout dans leur désespoir. Ils n’avaient ni l’intelligence de discuter la situation, ni le courage de secouer la torpeur qui les envahissait.

Ils passèrent ainsi la nuit et ce n’est qu’aux premières lueurs du jour qu’ils se séparèrent dans une étreinte convulsive. Ils grelottaient en s’embrassant, car les pauvres haillons qui les couvraient les protégeaient à peine contre la bise du nord qui soufflait toujours en tempête.

Était-ce par pressentiment ou simplement par désespoir qu’ils se dirent :

― Adieu, Macloune !

― Adieu, Maïchette !

Et la pauvrette trempée et transie jusqu’à la moëlle, claquant des dents, rentra chez son oncle où l’on ne s’était pas aperçu de son absence, tandis que Macloune lançait son canot dans les roulins et se dirigeait vers Lanoraie. Il avait vent contraire et il fallait toute son habileté pour empêcher la frêle embarcation d’être submergée dans les vagues.

Il en eut bien pour deux heures d’un travail incessant avant d’atteindre la rive opposée.

Sa mère avait passé la nuit blanche à l’attendre, dans une inquiétude mortelle. Macloune se mit au lit tout épuisé, grelottant, la figure enluminée par la fièvre ; et tout ce que put faire la pauvre Marie Gallien pour réchauffer son enfant, fut inutile.

Le docteur, appelé vers les neuf heures du matin, déclara qu’il souffrait d’une pleurésie mortelle et qu’il fallait appeler le prêtre au plus tôt.

Le bon curé apporta le viatique au moribond qui gémissait dans le délire et qui balbutiait des paroles incompréhensibles. Macloune reconnut cependant le prêtre qui priait à ses côtés et il expira en jetant sur lui un regard de doux reproche et d’inexprimable désespérance et en murmurant le nom de Marichette.


VI


Un mois plus tard, à la Saint-Michel, le corbillard des pauvres conduisait au cimetière de Contrecœur Marichette Joyelle, morte de phtisie galopante chez son oncle de la Petite-Misère.

Ces deux pauvres déshérités de la vie, du bonheur et de l’amour n’avaient même pas eu le triste privilège de se trouver réunis dans la mort, sous le même tertre, dans un coin obscur du même cimetière.