Aller au contenu

La Chasse au lion/02

La bibliothèque libre.
J. N. Duquet & Cie, éditeurs (p. 27-74).

CHAPITRE II

LA CHASSE AU LION CHEZ LES ARABES

Les Arabes ayant beaucoup à souffrir des ravages que les lions font dans leurs troupeaux, ont dû prendre des mesures pour les protéger.

Depuis que l’expérience leur a démontré que le fusil seul était un moyen de destruction plus dangereux pour l’homme que pour le lion, ils opposent la ruse à l’audace de cette animal, qu’une trop grande confiance en sa force fait souvent tomber dans les pièges qui lui sont tendus.

Il est vrai que le fusil vient toujours au secours du piège ; mais ce n’est que lorsque le lion ne peut plus atteindre ses ennemis qu’ils l’accablent de balles et d’injures.

Avant de parler des tribus qui, de loin en loin, tuent un lion à leur corps défendant, et de la manière dont elles s’y prennent, je crois devoir faire connaître les moyens de destruction qui ne font courir aucun danger à l’homme.


Je mettrai la fosse (zoubia chez les Arabes), en première ligne, parce que le plus grand nombre des dépouilles que les indigènes apportent sur nos marchés ont été dérobées ainsi.

Comme j’ai commencé cet ouvrage par un chapitre sur les mœurs et coutumes du lion, je n’en parlerai ici que brièvement, pour l’intelligence de ce qui va suivre.

Afin d’éviter le voisinage des lions, qui habitent en tous temps les montagnes les plus boisées, les Arabes ont soin de s’en écarter avec leurs tentes et leurs troupeaux pendant les saisons du printemps, de l’été et de l’automne.

Le lion ne se levant qu’au crépuscule du soir pour chercher sa nourriture, il s’ensuit que, pendant ces trois saisons où les nuits sont courtes, les douars établis à huit ou dix lieues des montagnes n’ont rien à craindre de cet animal, qui a l’habitude de rentrer dans son repaire à la pointe du jour.

Il est vrai que, chaque tribu ayant son territoire limité, il en est peu qui puissent s’éloigner autant ; alors les pertes sont subies par une seule fraction tandis que ses voisines dorment en paix.

Au commencement de l’hiver, il faut que les populations se rapprochent des montagnes, tant pour abriter les troupeaux que pour faire provision de bois.

C’est à cette époque que les lions, dont l’appétit est aiguisé par le froid, font bombance aux dépens de tous.

Dans les contrées où cet animal nuisible se trouve ordinairement, les Arabes trop paresseux pour travailler eux-mêmes, font venir des Kabyles, qui, pour une somme assez modique, creusent une fosse de dix mètres de profondeur sur une largeur de quatre à cinq mètres, en forme de puits et plus étroite à l’orifice qu’à la base.

Cette fosse est toujours creusée sur l’emplacement que le douar[1] doit occuper pendant la saison d’hiver. Les tentes sont dressées en rond-point autour de la fosse, de manière qu’elle se trouve en amont par rapport au centre du douar.

L’enceinte ayant été entourée extérieurement d’une haie de deux à trois mètres, formée avec des arbres coupés à cet effet, la fosse trouve cachée à qui regarde du dehors.

Afin que les troupeaux ne tombent point dans la fosse pendant la nuit, on a soin de l’entourer en aval d’une seconde haie intérieure qui se relie aux tentes. Le soir venu, les troupeaux sont parqués dans l’enceinte, et les gardiens veillent à ce qu’ils se tiennent en amont le plus près possible de la fosse.

Le lion, qui a l’habitude de franchir la haie d’amont en aval pour sa plus grande commodité, arrive près du douar, entend les cris, sent les émanations du troupeau dont il n’est séparé que par quelques mètres, il bondit et tombe en rugissant de colère dans la fosse, où il sera insulté et mutilé, lui, l’emblème du courage et de la force, lui, dont la voix imposante faisait trembler la plaine et la montagne, il mourra misérablement assassiné par des lâches, des femmes et des enfants.

Au moment où il a franchi la haie et où le troupeau épouvanté a foulé aux pieds les gardiens endormis, tout le douar s’est levé en masse.

Les femmes poussent des cris de joie, les hommes brûlent de la poudre pour prévenir les douars voisins ; les enfants, les chiens font un vacarme infernal ; c’est une joie qui approche du délire et à laquelle chacun prend une part égale, parce que chacun a des pertes particulières à venger.

Quelque soit l’heure de la nuit, on ne dormira plus.

Des feux sont allumés, les hommes égorgent des moutons, les femmes préparent le couscoussou, on fera ripaille jusqu’au jour.

Pendant ce temps, le lion, qui a fait d’abord quelques bons immenses pour sortir de la fosse, le lion, dis-je, s’est résigné.

Il entend tout ce bruit, toutes ces voix ; il a compris qu’il est perdu, qu’il mourra là d’une mort honteuse et sans défense ; mais il recevra les injures et les balles sans se plaindre et sans sourciller.

Avant la pointe du jour, les Arabes voisins, prévenus par les coups de fusil, sont arrivés en foule de peur de perdre quelque chose du spectacle auquel ils sont conviés.

Ceux-là aussi amènent leurs femmes, leurs enfants et leurs chiens.

Il est si bon de voir souffrir un ennemi dont on n’a plus rien à craindre et qu’on peut insulter et frapper impunément !

Ce qu’il y a de remarquable dans ces circonstances, c’est que les femmes et les enfants, mais surtout les femmes, sont toujours les plus acharnés et les plus cruels.

Est-ce chez les femmes arabes le propre de la sauvagerie ou le sentiment de leur faiblesse ? c’est ce que je ne saurais dire. Mais j’aime à croire qu’il n’en serait point ainsi des dames françaises, et j’espère qu’il s’en trouverait parmi elles qui demanderaient la grâce du lion, ne serait-ce que pour le voir attaquer à sa sortie de la fosse, mais alors franchement, loyalement et en face.

Cependant le jour si impatiemment attendu vient de se faire, et les plus hardis enlèvent la haie qui entourent la fosse, pour voir le lion de plus près et juger de son sexe et de sa force.

Comme le mal qu’il a fait est en raison de sa puissance, il doit être traité conséquemment.

Si c’est une lionne ou un jeune lion, les premiers qui l’ont vu se retirent en faisant la moue, pour faire place aux curieux dont l’enthousiasme est déjà calmé en voyant la déception de ceux qui les ont procédés.

Mais si c’est un lion mâle, adulte et à tous crins, alors ce sont des gestes frénétiques, des cris de l’avenant, la nouvelle court de bouche en bouche, et les spectateurs qui sont sur le bord de la fosse n’ont qu’à bien se tenir pour ne pas y être précipités par la foule impatiente de voir à son tour.

Après que la curiosité générale a été satisfaite et que chacun a jeté sa pierre et ses imprécations au noble animal, les hommes arrivent armés de fusils et tirent sur lui jusqu’à ce qu’il ne donne plus signe de vie.

C’est ordinairement après qu’il a reçu une dizaine de balles sans bouger, sans se plaindre, que le lion lève majestueusement sa belle tête pour jeter un regard de mépris sur les Arabes qui lui ont envoyé leurs dernières balles, et qu’il se couche pour mourir.

Longtemps après et lorsqu’on est bien sûr que l’animal est mort, quelques hommes descendent dans la fosse au moyen de cordes, et l’entourent d’un filet assez solide pour supporter le poids du lion, qui, lorsqu’il est mâle et adulte, ne pèse pas moins de six cents. livres.

Des cordes sont fixées à un tour en bois consacré à cet usage et planté en terre en dehors de la fosse, auquel s’attellent les hommes les plus vigoureux de l’assemblée afin de hisser le cadavre du lion et les hommes qui sont descendus dans la fosse.

Après que cette opération, toujours très-longue, est terminée, les mères de famille reçoivent chacun un petit morceau du cœur de l’animal, qu’elles font, manger à leurs enfants mâles pour les rendre forts et courageux.

Elles arrachent tout ce qu’elles peuvent de sa crinière pour en faire des amulettes qui ont la même propriété ; puis, lorsque la dépouille a été enlevée et la chair partagée, chaque famille rentre dans son douar respectif, où, le soir, sous la tente, l’événement de cette journée sera longtemps encore l’histoire favorite de tous.


Après la fosse vient l’affût ou melbeda, dont la véritable signification est le mot cachette.

Il y en a deux sortes : l’affût sous terre et l’affût sur un arbre.

Pour le premier, on creuse un trou d’un mètre de profondeur sur trois on quatre de largeur ; après l’avoir recouvert de troncs d’arbres chargés de grosses pierres, on jette par dessus toute la terre déblayée, et on ménage d’un côté quatre ou cinq créneaux pour les tireurs, et de l’autre une ouverture qui sert de porte et que l’on ferme en dedans par un bloc de rocher.

Ces sortes d’affûts sont construits sur le bord d’un sentier habituellement fréquenté par le lion.

Comme il serait difficile d’ajuster l’animal quand il ne fait que passer, les Arabes ont l’habitude de placer un sanglier, tué à cet effet, sur le sentier et en face des créneaux. C’est lorsque le lion s’arrête pour flairer l’appât que les hommes cachés dans l’affût font feu tous à la fois.

Il est rare que l’animal reste sur place ; le plus souvent, après avoir reçu plusieurs balles, il bondit dans la direction de l’affût, sur lequel il passe sans se douter que l’ennemi qu’il cherche est là, sous ses pieds ; puis après avoir épuisé ses forces en bonds furieux dans tous les sens, il gagne le premier bois qui se trouve dans les environs.

Quelquefois les Arabes qui ont affûté le lion font appel à la tribu pour le suivre aux rougeurs et le tuer ; mais comme dans ce cas il y a toujours mort d’homme, le plus souvent ils renoncent à le suivre et le laissent se guérir des blessures qu’il a reçues, ou mourir tranquillement dans son fort.

L’affût sur un arbre est construit de la même manière que le précédent, à l’exception des pierres et de la terre, qui sont remplacées par des branches pour cacher les tireurs.

On choisit un arbre assez élevé, placé près d’un chemin, et on s’établit dans le milieu.

Ces deux sortes d’affuts sont ordinairement fixes et servent à plusieurs générations. Il arrive cependant quelquefois que, lorsqu’un lion a ravi soit un bœuf, soit un cheval, dans le voisinage d’un douar, les Arabes construisent à la hâte un melbeda pour tuer l’animal s’il revient pendant la nuit suivante.

Le plus souvent ils en sont pour leurs frais ; car le lion friand de la chair des animaux qu’il vient d’égorger se met en quête sur un autre point, laissant ses restes, en grand seigneur qu’il est, aux hyènes, aux chacals et aux vautours.


des tribus qui chassent le lion.

Il y a dans la province de Constantine trois fractions de tribus qui tuent, à leur corps défendant, quelques-uns des lions qui viennent s’établir chez elles, sans que pour cela elles répondent aux prières des autres fractions leurs voisines, lorsqu’elles sont à leur tour décimées par un de ces animaux.

Ces fractions sont les Ouled-Meloul, établis chez les Haractah ; les Ouled-Cessi, de la tribus des Segnia, et les Chegatma, fraction étrangère, établie depuis environ quarante ans dans le cercle d’Ain-Beïda.

Comme l’action de tuer le lion n’est méritoire qu’autant que celui qui attaque est exposé aux dents cet aux griffes de l’animal, et qu’à mes yeux la manière dont les Ouled-Cessi se comportent leur donne une grande supériorité sur les Chegatma, je ne parlerai de ces derniers qu’en seconde ligne.

Les Ouled-Meloul comptent environ quatre-vingts fusils, et sont établis au pied du Sid-Reghis et sur le versant sud du Chepka ; les Ouled-Cessi, qui ont à peu près le même nombre de combattants habitent en été la plaine de Kercha et les crêtes du Guerioun, une des plus hautes montagnes du cercle constantine, elle est distante d’environ douze lieues ; en hiver, ils se rapprochent d’une autre montagne qui a nom Zerazer et se trouve à deux lieues au sud du Guerioun.

Excepté quelque lion voyageur qui prend la première de ces montagnes comme un gîte d’étape pour continuer, la nuit suivante, sa route à travers les plaines, le Guerioun n’en recèle que de loin en loin.

Il n’en est pas de même du Zerazer, qui, tous les ans, alors que l’Aurès, le Bouarif et le Fedjouj sont couverts de neige, sert de refuge tantôt à un vieux lion devenu frileux, tantôt à une lionne qui cherche un bon quartier d’hiver pour ses lionceaux, et quelquefois à une famille entière.

Le Zerazer est une montagne peu boisée ; mais ses flancs et crêtes sont couverts d’énormes rochers dans les anfractuosités desquels les lions trouvent de bons repaires à l’abri de tous les vents.

Au pied de la montagne sont les douars des Ouled-Cessi et des troupeaux nombreux. Comme on le voit, il y a là toutes les conditions d’existence que peuvent désirer les émigrants, aussi ceux qui y viennent n’ont-ils garde de s’en aller tant qu’ils aperçoivent de la neige sur les montagnes qu’ils ont abandonnées.

Quand l’arrivée d’un lion a été signalée soit par l’enlèvement de quelque bétail, soit par ses rugissements, la nouvelle en est portée de douar en douar, ce qui n’empêche pas qu’on se laisse manger la laine sur le dos pendant huit ou dix jours.

Ce n’est qu’après que le lion a fait éprouver des pertes sensibles, et qu’il ne paraît pas disposé à quitter le pays, que l’on prend rendez-vous pour le chasser.

Ces sortes d’assemblées auxquelles j’ai assisté plusieurs fois, sont pleines d’intérêt pour celui qui comprend la langue des indigènes et la gravité des motifs qui en font l’objet.

Au lieu d’un beau carrefour ombragé de chênes séculaires ou d’un pavillon de chasse, qui sont les rendez-vous habituels de nos veneurs et chasseurs de France, ici on se rallie sous un feu allumé au pied de la montagne.

Au lieu des beaux équipages, des uniformes brillants qui attiraient les curieux et les importuns, on voit arriver modestement à pied une cinquantaine d’hommes, dont les défroques réunies ne valent pas la livrée d’un valet de limier.

Chacun d’eux porte un fusil sur l’épaule, un pistolet et un yatagan à la ceinture, et vient prendre place autour du feu.

Une douzaine de chiens, au poil long et rade, à la physionomie rébarbative, rôdent autour des chasseurs, et passent leur temps à s’entre déchirer sans que leurs maîtres fassent rien pour les empêcher.

J’ai vu, dans une de ces réunions, un chien étranglé et dévoré par les autres, sans qu’un seul des Arabes présents ait daigné quitter la place qu’il occupait à l’assemblée ; il est vrai que c’était au moment du rapport et que les quêteurs avaient eu connaissance de deux lions mâles et adultes.

L’arrivée des hommes qui ont été chargés de faire le bois est d’un intérêt saisissant.

En effet, il ne s’agit pas ici d’un loup, d’un cerf ou d’un sanglier, pauvres bêtes dont on a raison avec une balle depuis que les veneurs ont fait place aux sportsmen et le couteau de chasse à la carabine.

On aura affaire à un animal qui porte en lui la force de quarante hommes, armé de 40 griffes et de dents dont tous les membres de l’assemblée ont pu voir les effets et dont plusieurs ont senti les étreintes, alors que, criblé de balles et mourant, il s’acharnait, malgré leurs efforts, sur le cadavre d’un parent ou d’un ami.

Quoique les Arabes soient peu impressionnables il est facile en ce moment de juger la valeur de chacun d’eux et la manière dont il se comportera pendant l’action.

Je dois leur rendre cette justice, que, même parmi les plus jeunes, et il y en a d’imberbes, on ne rencontre pas de fanfarons.

Cela tient, sans doute, à ce que chacun doit payer de sa personne et que ceux qui en sont reconnus incapables sont exclus de l’assemblée et restent au douar en buttes aux plaisanteries des femmes en attendant leurs malédictions, si, comme de coutume, le lion ne succombe pas sans faire quelques victimes.

Dès que les hommes qui ont détourné l’animal ont fait rapport des connaissances qu’ils ont pu avoir sur son sexe, son âge et son repaire, en le jugeant par le pied, on prend des mesures pour procéder à l’attaque.

À cet effet, les quêteurs se retirent à l’écart de l’assemblée, avec quelques vieillards à barbe blanche qui plient sous le poids des années, et retrouvent, pour ce jour-là, toute l’énergie de leur jeunesse.

Après un long conseil, dans lequel chacun donne son avis sur le mode d’attaque qui lui paraît le meilleur, on prend, à l’unanimité, une décision dont l’assemblée reçoit communication et qu’elle exécute sans commentaire.

Les armes ayant été flambées et chargées avec le plus grand soin, cinq ou six chasseurs, choisis parmi les plus jeunes, sont envoyés sur les crêtes de la montagne avec mission de suivre toutes les manœuvres du lion, depuis l’attaque jusqu’à la mort, et de correspondre avec leurs frères au moyen de signes de convention, fort simples pour les indigènes et curieux autant qu’incompréhensibles pour l’Européen qui n’en a point la clef.

Lorsque les guetteurs ont atteint les postes d’observation qu’ils doivent occuper, le reste de la troupe se met en mouvement, précédé des quêteurs, et gravit les pentes qui doivent le rapprocher du repaire du lion.

Comme les lionnes, accompagnées de leurs lionceaux et les jeunes lions ne se comportent pas de la même manière que les lions adultes, et comme, pour l’intelligence de ces chasses, il faudrait un récit spécial de chacune d’elles, je supposerai qu’il a été fait rapport d’un lion mâle et adulte, parce qu’il est plus dangereux et plus difficile à tuer que les lions plus jeunes et même que les lionnes suivies de leurs lionceaux.

S’il est vrai qu’en vénerie un animal bien attaqué est presque toujours pris, il est également vrai que le succès de la journée dépend ici beaucoup de l’attaque.

Lorsque le valet de limier manœuvre pour raccourcir son enceinte, il n’a qu’une crainte, c’est celle de la faire vider à l’animal qui a pris vent du trait.

L’homme qui travaille pour détourner un lion a, comme on pense bien, mille raisons péremptoires pour éviter le rocher ou l’arbre sous lequel la bête est sur le ventre ; aussi est-il bien rare qu’il puisse le rembucher d’une manière certaine.

Les chasseurs, étant arrivés à une portée de fusil du repaire supposé, le tournent en amont en observant le plus grand silence et s’arrêtent lorsqu’ils croient le dominer.

Comme le sens de l’ouïe est très-subtil chez le lion, il arrive quelquefois qu’il entend les pas des chasseurs ou une pierre qui a roulé, et alors il se lève et marche dans la direction du bruit.

Si l’un des guetteurs l’aperçoit, il prend le pan de son burnous dans la main droite et le fait tourner devant lui, ce qui signifie : Je le vois.

Un des chasseurs sort du groupe, se met aussitôt en rapport avec cet homme en agitant son burnous de droite à gauche, ce qui veut dire : Où est-il ? et Que fait-il ?

Si le lion est immobile, le guetteur ramasse les deux pans de son burnous dans la main, il les élève à la hauteur de sa tête, puis il les laisse tomber et marche quelques pas devant lui en répétant le même signe, qui se traduit par : Il est immobile devant vous et à quelque distance.

Si le lion marche à droite ou à gauche, il marche lui-même dans la direction en agitant son burnous, soit de gauche à droite, soit de droite à gauche.

Si enfin l’animal se dirige vers les chasseurs, le guetteur leur fait face et agite violemment son burnous de bas en haut en criant de toutes ses forces : Aou likoum ! « Prenez garde à vous ! »

À ce signal, les chasseurs se forment en bataille sur un rang, et, s’ils le peuvent, il s’adossent à un rocher de manière à ne pas être tournés.

Malheur à celui qui n’aura pas entendu à temps le cri du guetteur et sera resté à quelque distance de ses camarades.

Dès que le lion l’aperçoit, il bondit vers lui, et quelle que soit la contenance de cet homme en se voyant chargé, soit qu’il tourne les talons pour gagner un arbre ou un rocher, soit qu’il attende de pied ferme et fasse feu à bout portant, de toute façon c’est un homme mort, à moins que, par un hasard providentiel, l’animal ne soit tué roide.

Comme on le voit, le tactique est on ne peut plus simple : il s’agit seulement d’opposer au lion autant de fusils qu’il a de dents et de griffes ; mais, pour que la partie soit égale, il faut que ces fusils se protégent mutuellement, qu’ils ne se désunissent jamais, et que chaque combattant soit inaccessible à la crainte et d’avance prêt à faire le sacrifice de sa vie pour protéger celle de son voisin.

Quand les chasseurs ont pu se réunir avant l’attaque et s’adosser à un rocher, le lion passe majestueusement devant eux, espérant que sa présence portera le trouble dans les rangs, et, dans ce cas, il fond bravement sur la troupe ébranlée, qui est mise en déroute, laissant un ou deux des siens au pouvoir de l’ennemi.

Si personne ne bouge et si le lion ne voit point d’hésitation parmi les chasseurs, il passe en murmurant de sourdes menaces à vingt ou trente pas des fusils braqués sur lui. C’est là le moment décisif : au commandement de l’un des anciens de la troupe, chacun fait feu de son mieux et jette son fusil pour s’armer du pistolet ou du yatagan.

Pour les chasseurs européens, il paraîtra étonnant que trente coups de feu tirés à vingt pas sur un animal qui présente le flanc ne suffisent pas toujours pour le tuer sur place. C’est pourtant ce qui arrive six fois sur dix.

La vie est si difficile à arracher du corps du lion, que, quel que soit le nombre de balles qui l’auront touché, il ne mourra pas encore si le cœur ou le cerveau n’ont pas été atteints.

Cependant s’il a été renversé par une grêle de balles, avant qu’il ait pu se relever, tous les chasseurs sont sur lui, les uns armés de pistolets, les autres d’armes blanches, tirant, frappant à l’envi les uns des autres, et finissant presque toujours par laisser quelques lambeaux de chair dans les griffes de l’animal expirant.

Ce qu’il y a de remarquable chez le lion, c’est que, plus il est près de mourir, plus il est dangereux.

Ainsi, lorsque pendant l’action, mais avant qu’il soit blessé, il peut atteindre un des chasseurs, il se contente de le renverser, comme un obstacle, et l’homme, s’il est couvert de bons burnous, en est souvent quitte pour quelques coups de griffes sans gravité.

A-t-il déjà reçu une ou plusieurs balles, il tue ou déchire celui qu’il a pu saisir, souvent même il le prend dans sa gueule et le porte en le secouant jusqu’au moment où il aperçoit d’autres chasseurs sur lesquels il se jette à leur tour.

Mais lorsque, grièvement atteint, blessé à mort, par exemple, il peut s’emparer d’un homme, il l’attire sous lui en l’étreignant de ses griffes puissantes, et après avoir placé sous ses yeux la figure du chasseur malheureux, il semble, comme le chat avec la souris, se réjouir de son agonie.

Tandis que ses ongles déchirent doucement les chairs de la victime, ses yeux flamboyants sont fixés sur ceux de l’homme, qui, fasciné par ce regard, n’ose ni crier ni se plaindre. De temps en temps le lion promène son énorme et rude langue sur la face du moribond, puis il fronce ses lèvres à la manière du chat, et lui montre ainsi tous ses dents.

Cependant les parents ou les amis de l’infortuné chasseur font appel aux plus courageux de la troupe, et ils s’avancent coude à coude, le fusil à l’épaule et le doigt sur la détente, vers le lion, qui les regarde venir et les attend.

Comme les balles dirigées contre le lion pourraient atteindre l’homme, il faut l’approcher assez près pour le tirer à bout portant. C’est ordinairement un parent de la victime qui se dévoue en ce cas, et toujours seul, laissant les autres chasseurs à une vingtaine de pas en arrière.

Si le lion est à bout de forces, il broie la tête de l’homme qu’il tient sous lui au moment où il voit le canon du fusil s’abaisser vers son oreille, et puis il ferme les yeux pour attendre la mort.

Si, au contraire, l’animal peut encore agir, il s’empresse de tuer le chasseur en son pouvoir pour bondir sur le téméraire qui ose venir à son secours.

Comme on le voit, le rôle de celui qui s’avance pour donner le coup de grâce est des plus périlleux ; car, le lion se tenant couché sur le corps du chasseur dans une immobilité complète, il est impossible de juger de son état et de ses intentions ; de sorte que, de même qu’on peut l’approcher impunément et lui mettre le bout du canon dans l’oreille, de même on peut, avant d’avoir le temps de faire feu, être terrassé et mis en pièces, malgré les renforts de fusils qui sont à quelques pas de là.

Les Arabes ont l’habitude de détacher un seul tireur en cette circonstance, parce que, lorsqu’ils ont fait autrement, il y a eu trouble, confusion, et, par suite, il est arrivé que des balles dirigées contre le lion ont atteint l’homme placé sous lui.

Quoique cet homme soit à l’état de cadavre quand on arrive, il est toujours pénible de constater qu’il a été atteint par les siens, et souvent on est tenté de croire qu’il aurait pu être sauvé s’il n’avait été frappé par ces balles égarées.

De là bien des regrets, et de la décision sage et prudente de charger un seul chasseur de cette honorable mission.

Je dis honorable, parce que celui qui l’accomplit jusqu’au bout avec le courage et le sang-froid qu’elle réclame est à mes yeux un homme capable de faire les plus grandes choses sans faiblir.

Ce qui précède est pour le cas assez rare où les chasseurs réunis ont été prévenus de l’arrivée du lion par un des hommes qui le guettent.

Le plus souvent l’animal est sur le ventre dans un réduit toujours très-épais, où, s’il ne remue en entendant du bruit, il échappe à la vue de tout le monde.

Il faut alors l’attaquer dans son fort et le prendre d’assaut, comme disent les Arabes.

Quelle que soit la hardiesse de ces hommes qui marchent si bravement à la mort, je dois dire que ce n’est qu’à la dernière extrémité et lorsqu’ils ne peuvent faire autrement qu’ils se décident à attaquer le lion dans son repaire.

Quand ils arrivent sur la lisière du bois où l’animal est rembuché, sans que les guetteurs aient pu le voir, ils poussent de grands cris dans lesquels se mêlent milles injures qui doivent, selon eux, décider le lion à se montrer.

S’il fait la sourde oreille, on le provoque plus directement en faisant siffler quelques balles dans la direction.

Ces manœuvres durent quelquefois plusieurs heures, et, plus elles se prolongent, plus les chasseurs hésitent à attaquer. Ils savent par expérience qu’un lion sourd aux provocations et aux coups de fusil comprend tout ce que cela veut dire, qu’il a déjà été chassé, et que, par conséquent, il attendra ses ennemis au plus épais du fort pour fondre sur eux.

Il est facile de comprendre qu’une pareille perspective fasse naître quelque hésitation, surtout parmi ceux qui ont déjà senti les étreintes du lion.

Pendant que les Arabes, les uns assis, les autres debout, sur la lisière du bois, s’agitent et discutent à grand bruit, j’invite le lecteur à pénétrer avec moi dans le fort pour voir ce qui s’y passe.

Sous une voûte sombre, épaisse, formée par des oliviers sauvages et des lentisques séculaires étroitement serrés, l’animal s’est fait plusieurs chambres bien propres et bien commodes, pour les habiter selon le temps et la saison.

C’est là que, chaque matin, il rentre au petit jour pour dormir et digérer à son aise la proie qu’il a dévorée pendant la nuit.

Avant l’arrivée des chasseurs, le lion, couché à la manière du chat, dormait profondément.

Au premier bruit qu’il a perçu, il a ouvert les yeux sans lever la tête ; à mesure que ce bruit est devenu plus distinct, il s’est mis sur le ventre pour écouter.

Au premier hourra des chasseurs, il s’est levé comme poussé par un ressort, et après avoir secoué bruyamment sa crinière, il a répondu par un rugissement terrible aux cris des imprudents qui ont osé troubler le sommeil du maître.

Au premier coup de feu qui a retenti sous bois, à la première balle qui a sifflé en ricochant dans les branches voisines de sa demeure, le lion s’est élancé furieux hors de sa chambre pour en explorer les alentours.

Les criailleries, les injures, les menaces des Arabes arrivent-elles jusqu’à lui, il s’arrête pour écouter, en frissonnant de courroux et d’impatience.

Un mouvement nerveux qui parcourt tout son corps exprime ce qu’éprouve le noble animal avant la bataille.

Il se souvient qu’un jour, à pareille heure, son sommeil fut troublé par les mêmes cris, et que, trop impatients de corriger les insolents qui osaient aborder son fort, il alla se heurter contre une grêle de balles qui lui brûlèrent le corps.

Aussi, quelles que soient les menaces et les provocations qui lui sont adressées, il se maîtrisera pour attendre le moment opportun.

Il tourne avec agitation autour de son repaire, tantôt s’arrêtant pour écouter, tantôt se dressant sur ses pieds de derrière contre un arbre qu’il enlace de ses bras puissants et qu’il déchire de ses dents et des griffes comme si c’était un ennemi vivant.

Voilà ce qui se passe sous bois pendant que les chasseurs, sûrs désormais que le lion ne sortira point, ont ouvert un conseil pour trancher la question de l’attaque ou de la retraite. Je me hâte de dire qu’il est rare que l’assemblée soit dissoute sans qu’il y ait au moins un assaut donné, ne serait-ce que pour éviter les railleries des femmes et sauver l’honneur de l’expédition en présentant soit un mort, soit un blessé, ce qui suffit toujours pour justifier la défaite.

Dans ces sortes de conseils, les hommes d’un âge mûr se montrent toujours prudents, et les jeunes gens plein d’ardeur et d’impatience.

Lorsque, au mois de février 1850, je fus appelé par les Ouled-Cessi pour chasser deux lions qui s’étaient établis chez eux, je recueillis un souvenir qui se rattache à ce qui précède, et que je suis heureux de consigner ici à la louange de ces braves gens.

Croyant chasser avec un Français qui tuait les lions tout seul, les hommes de cette fraction avaient convoqué le ban et l’arrière-ban, et personne ne manqua au rendez-vous.

Les lions étaient rembuchés dans un petit massif de lentisques dans lequel nous pouvions les entrevoir de temps en temps du lieu même de l’assemblée.

Quoique j’eusse résolu d’avance de ne pas accepter le concours des Ouled-Cessi dans l’attaque, j’étais bien aise que cette réunion eût lieu afin d’en tirer quelques connaissances, et surtout pour faire voir ce que peut la volonté d’un chien de chrétien.

Avant de les envoyer au poste d’observation que je devais leur désigner quand je voudrais être seul, je laissai le conseil s’ouvrir et les vieillards prendre la parole, comme si nous eussions dû agir de concert.

La discussion fut longue et surtout très-bruyante ; les anciens optaient pour que je marchasse le premier à deux ou trois pas avant de la troupe formée sur un seul rang et coude à coude ; les jeunes gens indignés de cette proposition, voulaient marcher en tête, me plaçant entre eux et les anciens, qui auraient formé une troupe de réserve en cas que les lions fissent une trouée dans la première.

Je laissai la discussion s’échauffer pour voir quelle serait la conclusion. Pendant qu’un jeune homme se levait pour montrer son bras et sa jambe déchirés par les griffes d’un lion qu’il n’avait pas tué, un autre le dominait de la voix et du geste, et lui disait qu’il ne montrait là que des égratignures tandis que lui, ferait voir à l’assemblée bien autre chose.

Pendant que le pauvre diable, tout honteux, tout ahuri, tournait et retournait au milieu du cercle sans pouvoir en sortir, je remarquai près de moi un vieillard et un jeune homme de quinze à seize ans, qui seuls ne prenait point part à la joie de la réunion et parlaient avec vivacité.

Au premier mot que je pus saisir de leur conversation, je compris que c’étaient le père et le fils.

— Mon enfant, disait le père, tu sais bien que je n’ai plus que toi de garçon, que je me fais vieux, et que, s’il t’arrivait malheur, j’en mourrais de chagrin.

— Ne suis-je donc pas un homme ? répliqua l’enfant.

— Oui, tu es un homme, répondit le père en souriant, et je suis fier de toi, mon sang ! Mais ton frère aussi était un homme, et cependant il s’est fait tuer l’année dernière, ici, dans cette montagne, et j’étais là, moi, son père, à côté de lui, et je n’ai rien pu pour le sauver ! Le lion est terrible, mon enfant, terrible quand il charge : l’œil de l’homme se trouble en regardant ses yeux ; sa main tremble parce que le cœur bat trop vite, et le coup, s’il est certain, malgré le trouble de l’œil et du cœur, le coup perce sans tuer, car le lion porte bien des balles !

— Mais, mon père, puisque vous ne vouliez pas que je brûlasse une amorce aujourd’hui, pourquoi avez-vous consenti à m’amener jusqu’à l’assemblée, d’où il est honteux pour moi de me retirer maintenant ?

— Je t’ai permis de venir, d’abord, parce que je ne savais pas que nous aurions au rapport deux lions au lieu d’un, ce qui rend la journée doublement dangereuse ; ensuite parce que tu désirais depuis longtemps voir l’homme aux lions, et que je savais que la tribu avait pris les armes à son intention. Tiens, ajouta le vieillard, le voilà près de toi, regarde-le à ton aise pour dire à ta mère et aux gens du douar qui ne le connaissent pas comment il est ; puis quand tu l’auras assez vu, nous nous en irons.

À ces mots nous nous en irons, l’enfant répliqua d’un ton délibéré : — Allez-vous-en si vous voulez, mon père, mais moi je reste ; car s’il me voyait m’en aller, il croirait que j’ai eu peur, et je veux lui faire voir que je suis un enfant de Cessi.

Le père, voyant que la résolution de son fils était inébranlable, essaya des grands moyens : — Écoute, lui dit-il, depuis longtemps tu désires que je t’achète une jument, eh bien, demain, je te promets que tu l’auras.

— Que m’importe la jument, répondit le jeune homme avec fierté, si, en me voyant passer, on dit : Quel dommage qu’une si belle bête soit montée par un cavalier si timide !

— Allons, ajouta le vieillard forcé dans ses derniers retranchements, avec la jument je te donnerai la femme à laquelle tu prétends.

Cette promesse ébranla un instant la volonté du jeune homme ; mais son hésitation ne fut pas longue, et, se levant avec une gravité superbe :

— Mon père, dit-il, vous savez que, dans notre tribu, les femmes méprisent celui qui n’est homme que par l’habit et pour faire des enfants à sa ressemblance.

Si je suis de la tribu des Ouled-Cessi et votre fils, il faut que celle que j’aime et qui doit être ma femme estime celui qui sera tout pour elle, il faut qu’elle soit fière de lui !

Mon père, voici mon dernier mot : Si vous ne me permettez pas de suivre la chasse aujourd’hui, si vous m’obligez à passer pour un lâche aux yeux de tous, non-seulement je refuse la jument et la femme, mais encore je quitte votre tente, et je m’en vais bien loin pour cacher ma honte aux yeux des gens de ma tribu.

Que ce soit le fait de l’éducation de ces hommes à demi-sauvages ou celui du milieu dans lequel ils vivent, je pense que le lecteur trouvera, comme moi, qu’il est beau de rencontrer chez un jeune homme encore imberbe le courage dont je cite un exemple entre mille, et qu’à l’occasion, dans une chasse un peu sérieuse, il ne refuserait pas un pareil compagnon.

Je mis fin à cette scène pathétique en rassurant le père sur les suites de la journée et en complimentant le fils sur son courage. Puis je fis connaître à l’assemblée la décision que j’avais prise, et j’invitai le pauvre diable que les plaisanteries de ses camarades avaient si peu ménagé à rester près de moi pour tenir ma seconde carabine et gagner un titre de gloire qui n’aurais pas besoin d’exhiber en public.

À peine les Arabes venaient-ils de quitter le lieu de l’assemblée pour gagner le poste d’observation que je leur avais désigné, qu’un lion sortit du massif et se dirigea tout droit vers moi : le second le suivait à cinquante pas.

J’étais assis sur un rocher qui dominait la position et auquel ont parvenait par des gradins coupés de crevasses.

L’Arabe était à côté de moi ; je pris ma carabine Devisme et l’armai ; j’armai également la carabine de réserve à un coup et la laissai entre les mains de l’homme, après l’avoir rassuré et lui avoir recommandé de me la donner dès que j’aurais fait feu de mes deux coups.

Le premier lion, ayant sauté sur les gradins inférieurs du rocher, s’arrêta ; j’allais presser la détente lorsqu’il se tourna vers son compagnon.

Ce mouvement me présenta si bien l’épaule droite, que je n’hésitai pas.

Au coup de feu, il tomba en rugissant, fit un effort pour se relever et retomba. Il avait les deux épaules brisées.

Le second était déjà au pied du rocher, la queue au vent, le verbe haut ; il reçut le premier coup un peu en arrière de l’épaule, à dix pas de son camarade ; il fléchit, se releva, et d’un bond immense tomba sur le rocher même où je me trouvais.

Prendre la carabine des mains de l’Arabe tremblant, ajuster le lion à la tempe, faire feu et le tuer sur place à quatre pas, tout cela s’opéra par la protection de saint Hubert mon patron, en moins de temps que je n’en mets à l’écrire.

Le coup de grâce fut donné au premier animal, et tout fut dit.

Et maintenant, sans plus ample digression, revenons à l’autre assemblée, que nous avons laissée discutant l’opportunité de l’attaque.

Après bien des paroles et des gestes qui n’ont abouti à rien, les anciens ont subi l’influence des jeunes, et il a été décidé que l’on attaquera sur-le-champ et comme on pourra.

Chacun se débarrasse de son burnous qu’il pend à un arbre, de ses souliers, s’il en a, et la troupe entière, vêtue seulement d’une chemise qui descend aux genoux, s’en va gambadant frapper à la brisée.

C’est là que le lion est rentré.

Il faut suivre, sans perdre un instant, les empreintes de ses pas, afin d’avoir toujours l’animal devant soi.

Comme l’épaisseur du bois est tel que deux hommes ne peuvent marcher de front, c’est presque toujours un jeune écervelé, se trouvant pour la première fois à pareille fête, qui prend la tête de la colonne, quoi qu’on ait pu faire pour l’en empêcher.

Toutes les fois qu’ils rencontrent une petite clairière, les chasseurs en profitent pour se rallier, se former en bataille, et ils appellent le lion au combat en recommençant à lui prodiguer les épithètes les plus injurieuses du vocabulaire musulman.

Le noble animal, pour mieux venger ces insultes qu’on lui jette de loin, s’est retiré au plus épais du fort, et il attend, couché sur le ventre, que le moment d’agir soit venu.

La troupe se remet en marche, toujours guidée par notre jeune homme, qui s’arrête tout à coup en disant à ceux qui le suivent de près : — Ce lion n’est pas seul, car voici les pas d’un autre lion qui me paraît plus grand que celui que nous avions.

Aussitôt un des quêteurs s’avance et constate que ces voies sont les mêmes, mais que le lion a quitté sa reposée, qu’il est venu là depuis peu, et qu’il a cherché un autre réduit. En effet, en cet endroit, les voies se croisent, et il est difficile de les démêler ; en voici une qui va à droite, en voilà une autre qui va à gauche, laquelle des deux est la bonne ?

C’est ce qu’il est impossible de juger, car l’une et l’autre sont tellement fraîches, qu’on croirait que l’animal était là quand les chasseurs sont arrivés.

Le cas est des plus graves, et on se retire vers la clairière qu’on a laissée derrière soi, afin de pouvoir se grouper et tenir conseil pendant que quelques hommes veilleront.

Tout d’abord, les vieillards proposent la retraite, s’engageant à faire venir le lendemain tel savant, tel marabout, pour conjurer le lion et l’éloigner du pays.

D’autres proposent d’allumer un feu à l’entrée du bois pour appeler du renfort.

Cependant la majorité tient pour l’attaque et en discute le mode. Vaut-il mieux suivre tous l’une des deux voies ou se diviser en deux troupes ?

Après avoir examiné les diverses chances des deux manières d’agir, le conseil adopte la dernière, et tout le monde se lève pour procéder à la formation des deux corps d’attaque.

Cette opération est aussi curieuse qu’intelligente.

Au lieu de partager les combattants en nombre égal et de mettre de pair dans chaque troupe les hommes courageux et adroits, comme cela se ferait chez nous, on se divise par douar, par tente et par famille, de sorte que, s’il y a trente hommes présents, un groupe comptera vingt fusils, tandis que l’autre n’en aura que la moitié, et ces dix fusils, malgré l’infériorité du nombre et quelquefois du courage individuel, seront néanmoins plus forts que les vingt autres, parce qu’ils sont portés par des frères, des cousins, en un mot, par des proches parents qui sont sûrs de leurs compagnons au moment du danger.

Les deux troupes une fois formées se rendent ensemble à la bifurcation des voies, où elles se séparent en se promettant un appui réciproque au premier cri, au premier coup de feu.

Chacune d’elles suit en silence les pas de l’animal, s’arrêtant de temps en temps pour se rallier et écouter.

Après avoir marché quelque temps, la troupe de droite rencontre un arbre dont la tronc est labouré par les griffes du lion.

Tous les hommes qui la composent s’arrêtent à la fois pour se communiquer leurs réflexions et peut-être pour donner le temps, à la troupe gauche d’attaquer si elle rencontre, ou de rallier si elle tombe à bout de voie.

Mais celle-ci va bravement son chemin et sans hésitation aucune ; c’est qu’à sa tête marche un étranger qui vient de rejoindre, le fameux Abdallah, prévenu trop tard de la chasse, ce géant, toujours le premier à l’attaque, celui qui, lorsqu’un homme est terrassé par le lion, est toujours là pour le dégager ou le venger, celui qui, lorsqu’il y a défection ou panique, reste toujours à son poste, celui-là, enfin, que l’on a vu, après avoir fait feu de toutes ses armes et brisé la lame de son yatagan sur la tête d’un lion à l’agonie s’acharnant après l’un des siens, se ruer sans hésiter sur l’animal, l’enlacer de ses bras puissants, le mordre à pleines dents, se laisser déchirer, écharper, et tenir bon jusqu’au moment où l’animal reçut lui-même une balle dans l’oreille entre lui et le cadavre de son ami.

Puisque je raconte un épisode de chasse et que je cite un homme qui peut, à juste titre, passer pour le modèle du chevalier sans peur si non sans reproche, que le lecteur me permette de lui faire connaître un trait de fierté de cet ami, pauvre comme Job, mais fier de ce qu’il vaut, de ce qu’il a fait et de ce qu’il se sent capable de faire.

C’était au mois de mai 1852 ; les troupes de la province de Constantine expéditionnaient en Kabylie sous les ordres du général de M… M…, lorsqu’une insurrection éclata sur plusieurs points de la province.

Le général d’A… fut détaché de la colonne avec quelques bataillons, afin d’arrêter les progrès de l’insurrection et de châtier les tribus rebelles. Je fus attaché à ce général pour traiter, sous ses ordres, les affaires arabes pendant la durée de l’expédition.

Nous arrivâmes, après cinq jours de marche, au pied d’une montagne située chez les Haractah, qui a nom Sidi Reghis et l’honneur d’être habitée par Abdallah le charbonnier.

Comme il était de bonne heure, le général, qui est un des plus passionnés et des plus forts chasseurs que je connaisse, m’exprima le désir de tirer quelques coups de fusil autour de son bivouac.

Je lui parlai d’Abdallah et lui demandai s’il lui serait agréable de l’avoir pour guide.

À l’instant même, un cavalier fut envoyé dans la montagne et ramena notre homme, armé de pied en cap.

Après les saluts d’usage, je lui demandai s’il y avait beaucoup de lièvres dans les environs. À cette question, il me regarda d’un air étonné, et, me tournant le dos, il s’en alla vers un groupe d’Arabes, accroupis près de ma tente ; puis il revint suivi de l’un d’eux.

— Voilà, me dit-il en me montrant le nouveau venu avec un air de dédain superbe, voilà un homme à lièvres.

— Mais toi, lui dis-je un peu piqué de ce qu’il venait de faire, toi aussi, tu es du pays comme lui et tu dois savoir où il y en a.

— Moi, j’habite la montagne, et le lièvre habite la plaine, me répondit-il franchement et sur le même ton,

— Tu sais donc, ajoutai-je, qu’il y a du lièvre dans cette plaine ?

— Tout ce que je puis te dire, c’est que je n’y descend que la nuit, soit pour aller voir ma maîtresse, soit pour mettre un mouton de plus dans mon troupeau ; et, si je rencontre des bêtes sur mon chemin, assurément ce ne sont pas des lièvres.

Comme je tenais à le présenter au général et à le lui donner pour guide, je coupai court à cette conversation devant témoins et l’amenai sous ma tente.

Une fois là, nous parlâmes lion, et lorsqu’il me parut bien disposé, je lui fis part de ce que je désirais de lui. Je dois avouer qu’il n’y consentit qu’à regret, et que, pour ne pas compromettre sa réputation, il fit si bien, que le chasseur, accoutumé à rentrer avec son porte-carnier chargé de gibier, revint bredouille ce jour-là.

Je n’ai pas revu Abdallah depuis cette époque ; mais à la fin du mois de juillet dernier, en revenant d’une excursion dans le sud, je m’arrêtai un instant chez le cheik de sa fraction, et j’appris par lui que, dans le courant de l’hiver, Abdallah avait encore une fois sauvé la vie à un des siens qui, grâce à son secours, en était quitte pour une jambe de moins.

Mais, pendant que nous nous occupons de lui et de ses prouesses, le chef de la troupe que nous avons laissée marchant d’assurance sur la voie du lion est arrivé au but.

Un rugissement terrible a retenti sous bois à quelques pas de lui.

— À terre ! a répondu une voix digne de commander une armée ; à terre ! enfants de Cessi ; souvenez-vous que vous êtes des hommes et que je suis avec vous !

Aussitôt la troupe se resserre en se groupant comme elle peut autour de son chef, et attend, le fusil à l’épaule, que le lion fasse une trouée dans le fort pour venir à elle.

C’est un moment solennel que celui-là ! Les chasseurs et le lion ne sont séparés que par une distance de quelques pas à peine, et cependant ils ne se voient pas.

Le lion s’est rasé à la manière du chat, afin de mieux bondir et d’offrir moins de prise aux balles.

Tout à coup un des chasseurs fait un signe de la main qui veut dire : Je le vois ! Son voisin suit la direction du doigt et confirme le signe du premier. Tous se pressent tous se poussent pour voir à leur tour et faire feu tous à la fois.

Malheureusement il est tard : le lion, se voyant découvert, est tombé sur la troupe, a broyé la tête de celui-ci, enlevé un œil à celui-là, déchiré l’épaule d’un troisième, puis d’un bond il a disparu sous bois aussi vite qu’il est venu, sans même donner le temps de brûler une amorce.

Alors ce sont des cris déchirants, c’est un brouhaha à ne plus s’entendre ; chacun s’en prend à son voisin de ce qui vient d’arriver, et le malheureux qui a vu le lion le premier, s’il n’a été ni tué ni blessé, est accablé d’injures, comme s’il avait dit au lion : Venez, agissez, voilà l’instant.

Cependant la troupe de droite n’a pu sans honte rester plus longtemps éloignée de la chasse, et elle arrive en se traînant.

On regarde, on compte : un mort et deux blessés. C’est très fort, cela ne peut se passer ainsi ! Comment ! sans avoir brûlé une amorce ! Allons, il faut une revanche ? Voyons, où est-il ? Et on se monte, et on s’échappe au point de ne plus écouter la voix des anciens.

Tout beau, mes compagnons, vous n’irez pas loin pour le trouver, et, tenez, justement le voici qui vient ou plutôt qui revient, car il charge.

Vous avez trop crié, vous lui avez porté sur les nerfs, tant pis pour vous ; la journée commence mal, et, sans aucun doute, finira plus mal encore.

En effet, le lion, irrité de tout ce bruit et alléché par le sang qu’il vient de verser, revient en rugissant à travers bois, brisant, renversant tout ce qui lui fait obstacle, et il fond, la tête haute et la gueule béante, sur la ligne des chasseurs, qui, cette fois, ne sont pas surpris et lui envoient trente coups de fusil à bout portant.

Le lion, criblé de balles, tombe au milieu de la troupe, et saisit de la gueule et des griffes tout ce qui trouve à sa portée pour mordre et déchirer jusqu’au moment où il succombera à ses blessures ou recevra encore une balle, le coup de grâce.

L’animal tué, on s’occupe de dégager les chasseurs qui sont sous lui, et on vérifie leur état, ainsi que celui des premiers qui ont été atteints, total : deux morts et quatre blessés, dont deux grièvement.

Chez nous, on regarderait la journée comme mauvaise, et l’on s’occuperait plus des morts et des blessés que du lion ; ici, c’est tout le contraire. Excepté les proches parents de ceux qui ont été victimes, personne fait attention à eux.

Après avoir traîné les blessés dans un coin et les avoir adossés contre une cépée à côté des morts, on détache un ou deux hommes qui vont au douar le plus voisin chercher des mulets pour les transporter. Puis, les couteaux sont tirés, et l’on commencent sur-le-champ à enlever la dépouille de l’animal, en criant à tue-tête et en répétant cent fois les épisodes de la journée.

Dès que cette opération est terminée et que les moyens de transports sont arrivés, les chasseurs descendent tous ensemble dans la plaine d’après l’ordre suivant : en tête marche l’homme qui a donné le coup de grâce au lion, couvert de sa dépouille ; derrière lui, viennent trois mulets marchant de front et chargés :

Le premier, de deux blessés assis à califourchon ; le second et le troisième, des deux autres blessés tenant chacun l’un des morts dans ses bras, assis comme lui et devant lui à califourchon.

Le corps du lion, séparé par quartiers, marche au centre du cortège, suspendu à des branches d’arbres coupées à cet effet.

Arrivés au point où ils doivent se séparer pour rentrer dans leurs douars respectifs, les chasseurs sont reçus au milieu des cris de joie des sanglots et des trépignements, par une foule d’hommes, de femmes et d’enfants accourus de tous côtés au-devant d’eux.

Les hommes se mêlent à la troupe pour avoir des détails sur l’événement de la journée ; les femmes pleurent ou se réjouissent, suivant que ceux qui leur sont chers sont morts, blessés ou sains et saufs ; les enfants entourent et suivent, malgré l’effroi qu’il leur inspire, celui qui, couvert de la dépouille du lion, parcourt l’assemblée en marchant sur les mains et en rugissant. Puis, lorsque tout le monde est enroué à force parler, de hurler, de sangloter et de rugir, on se prépara pour recommencer à la première occasion.

Voilà comment chassent, ou plutôt chassaient les Ouled-Meloul et les Ouled-Cessi.

Je m’explique.

Avant la prise d’Alger, c’est-à-dire à l’époque où l’Afrique, aujourd’hui française, était au pouvoir des Turcs, les beys de Constantine donnaient à ces deux fractions des titres qui les exemptaient de l’impôt et de toutes les autres charges pesant sur les autres tribus.

En outre de cela, ils leur payaient largement, et selon ce qu’elles leur avaient coûté d’hommes, les dépouilles des lions qu’ils tuaient et qu’ils envoyaient au pascha d’Alger, lequel les offrait un grand sultan.

Depuis que nous occupons le pays, les chefs de ces deux fractions ont eu beau présenter à l’autorité française les titres qui les protégeaient précédemment, on les a traitées comme les autres tribus, en les soumettant au payement des impôts, aux réquisitions et autres charges dont elles sont passibles.

Il y a plus encore : c’est que, lorsqu’il est arrivé que l’une ou l’autre de ces deux fractions a offert aux représentants du pouvoir en Algérie la dépouille d’un lion qu’elle avait tué, les administrateurs, ne voyant que la peau de la bête sans savoir ce qu’elle avait coûté à ceux qui l’apportaient, ont donné la prime dérisoire de cinquante francs, allouée, en pareil cas, par l’État, et ont dit aux chasseurs de disposer comme ils l’entendraient de la dépouille offerte.

Alors ceux-ci, blessés de se voir traités en marchands de peaux et appréciant mieux la valeur de leur sang, ont laissé la dépouille à la place où ils l’avaient déposée, et, sans dire un mot, sans faire un geste, il sont rentrés fièrement sous leurs tentes pour mettre les fusils dans leurs fourreaux.

Ce n’est que de loin on loin, et lorsqu’ils ont personnellement beaucoup à souffrir du voisinage d’un lion, que les Ou’ed-Meloul et les Ouled-Cessi se décident à l’attaquer.

Il leur est arrivé plusieurs fois, depuis deux ou trois ans, de venir me chercher à Constantine, et, lorsqu’ils ne me trouvaient pas, de laisser décimer leurs troupeaux pendant un mois entier plutôt que de prendre les armes.

Je n’approuve ni ne blâme ce qu’a fait l’autorité française à l’égard de ces deux fractions ; mais je crois qu’il m’est permis, en écrivant un livre de chasse, de signaler au monde chasseur à qui je m’adresse tout ce qui se rattache à ces hommes vraiment dignes de quelque sympathie.

Venons maintenant aux Chegatma, cette troisième fraction sur laquel il n’y a pas grand’chose à dire, quoiqu’elle ait joui autrefois des mêmes privilèges que ses aînées.

Les Chegatma forment une petite fraction qui s’est détachée d’une tunisienne portant ce nom : ils sont venus, il y a environ quarante ans, à la suite d’un bey de Tunis qui mit le siège devant Constantine, et se sont établis dans la montagne d’Hamama, chez les Haractach.

Lorsque le cheick de cette fraction fait un appel aux armes, il peut réunir une centaine de fusils.

Les montagnes dans lesquelles ils chassent habituellement sont Hamama, Bou-Tokrema et Tafrent.

Les détails qui précèdent l’attaque sont les même chez les Chegatma que chez les Ouled-Cessi et les Ouled-Meoul. C’est toujours un feu qui sert de point de ralliement à l’assemblée, et ce feu est toujours allumé par les hommes qui ont fait le bois.

Lorsque l’animal est détourné et l’enceinte raccourcie prudemment, les chasseurs l’entourent sans bruit et montent sur les pins ou les chênes dont les trois montagnes désignés sont couvertes.

Tout le monde étant à son poste, on commence à hurler de toutes parts, et, si le lion ne se montre pas on brûle alors quelques cartouches.

L’animal, accoutumé à avoir affaire à des hommes et non à des écureuils, jugeant par les cris qu’il a entendus autour de lui que les Arabes sont divisés, quitte doucement son repaire, et se dirige, l’œil aux aguets, l’oreille base et frémissante, la queue tendue, vers certain braillard qu’il croit surprendre isolé du reste de la bande.

Tout à coup, il entend là, tout près de lui, le bruit que fait ordinairement un fusil qui rate ; sans faire un pas de plus, il se couche sur le ventre et sonde de son regard perçant chaque broussaille, chaque pierre susceptible de cacher un homme.

Au même instant, sa vue est obscurcie par un nuage de fumée, ses oreilles sont assourdies par des détonations et des cris qui se succèdent ; son corps frisonne, bondit et se tord, comme celui d’un serpent, sous les balles qui percent.

Tandis qu’il se heurte avec fureur contre les arbres de la futaie, les chasseurs, forts de leur position, lui prodiguent les injures et les balles jusqu’au moment où, ayant aperçu l’un d’eux, le lion s’acharne contre l’arbre qui le dérobe à sa colère et au pied duquel il se fait tuer.

Excepté le cas, assez rare, du reste, où un tireur imprudent a choisi un poste peu élevé, c’est ainsi que les Chegatma ont raison des lions qu’ils chassent, sans plus de difficulté.

Comme on a pu le voir par ce qui précède, cette manière de combattre le lion est tout à fait dépourvue d’intérêt, aussi les Chegatma sont-ils loin de jouir de la popularité et de l’estime que les Ouled-Meloul et les Ouled-Cessi ont su se concilier généralement

  1. Réunion de tentes, qui varie entre dix et trente.